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Read Ebook: Œuvres de Napoléon Bonaparte Tome I. by Napoleon I Emperor Of The French Panckoucke C L F Charles Louis Fleury Editor

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Ebook has 3246 lines and 169856 words, and 65 pages

OEUVRES DE

NAPOL?ON BONAPARTE.

TOME PREMIER.

NAPOL?ON BONAPARTE n'existe plus, sa vie appartient ? l'histoire; peut-?tre ne convient-il pas de l'?crire encore, bien des faits doivent ?tre appr?ci?s, bien des passions calm?es, bien des int?r?ts satisfaits, beaucoup d'affections et beaucoup d'inimiti?s ?teintes avant que l'on puisse parler avec impartialit? et raison d'un homme aussi remarquable dans une p?riode d'?v?nemens si extraordinaires.

Beaucoup de faits sont connus, sans doute, mais leur origine est loin d'?tre ?claircie, et ces faits ne peuvent ?tre jug?s qu'en appr?ciant sa position, qui l'a toujours command?, la nature de son g?nie, qui lui a fait produire de grandes choses et commettre des fautes.

Ce qu'il a ?crit, ce qu'il a dit dans les diverses circonstances de son existence militaire et politique, servira mieux ? le faire conna?tre que les discours de ses amis ou de ses ennemis.

Son g?nie est empreint tout entier dans ses lettres ?crites durant les campagnes d'Italie et d'?gypte: les lettres se succ?daient chaque jour, sa pens?e ?tait partout. Sa correspondance durant le consulat n'a pas ?t? moins active; nous y avons r?uni les notes qu'il faisait alors ins?rer dans les journaux, et que plusieurs guides s?rs nous ont fait conna?tre.

Nous publierons ensuite ses messages durant le gouvernement imp?rial, ses ordres du jour, ses proclamations, ses r?ponses aux d?putations, ses lettres aux divers souverains, et ces bulletins ?crits, sous sa dict?e, sur le champ m?me de bataille, un moment apr?s la victoire.

Nous y joindrons quelques actes ?man?s de sa seule volont?, et qui ont ?t? comme les bases de son gouvernement et de sa politique int?rieure, soit pour r?compenser ceux qu'il aimait, soit pour punir ceux qu'il craignait.

Nous ferons conna?tre, dans la derni?re partie, les d?tails de ses entretiens familiers lors de sa plus grande ?l?vation, ou dans son exil, et nous terminerons par plusieurs morceaux qu'il ?crivit ? Sainte-H?l?ne, et par des lettres confidentielles qui lui furent adress?es ? diverses ?poques.

Le premier volume, qui para?tra plus tard, fera conna?tre sa g?n?alogie; cette pi?ce assez ?tendue a ?t? extraite des registres de San-Miniato; elle se compose de vingt pi?ces, remonte jusqu'? 1268, et contient l'histoire de tous ses ascendans, elle n'avait jamais ?t? publi?e; nous y placerons une histoire chronologique tr?s-d?taill?e de Bonaparte, et pr?sentant tous les faits qui lui sont personnels, sans aucune observation critique. On pourra ainsi faire concorder les faits avec ses lettres, ses messages et ses discours.

Ce Recueil pourra ?tre plac? ? c?t? des Commentaires de C?sar, et des oeuvres de plusieurs illustres souverains. Il rappellera aux militaires les ordres qui ont dict? la victoire; ? beaucoup d'autres personnes, les lettres qui leur ont envoy? des faveurs et qui les ont ?lev?es ? un rang dont elles jouissent aujourd'hui.

OEUVRES DE NAPOL?ON BONAPARTE

LETTRE DE M. BUONAPARTE

A M. MATTEO BUTTAFOCO, D?PUT? DE LA CORSE A L'ASSEMBL?E NATIONALE.

MONSIEUR,

Depuis Bonifacio au cap Corse, depuis Ajaccio ? Bastia, ce n'est qu'un chorus d'impr?cations contre vous. Vos amis se cachent, vos parens vous d?savouent, et le sage m?me, qui ne se laisse jamais ma?triser par l'opinion populaire, est entra?n? cette fois par l'effervescence g?n?rale.

Qu'avez-vous donc fait? Quels sont donc les d?lits qui puissent justifier une indignation si universelle, un abandon si complet? C'est, monsieur, ce que je me plais ? rechercher, en m'?clairant avec vous.

L'histoire de votre vie, depuis au moins que vous vous ?tes lanc? sur le th??tre des affaires, est connue. Ses principaux traits en sont trac?s ici en lettres de sang. Cependant, il est des d?tails plus ignor?s: je pourrais alors me tromper; mais je compte sur votre indulgence et esp?re dans vos renseignemens.

Entr? au service de France, vous rev?ntes voir vos parens: vous trouv?tes les tyrans battus, le gouvernement national ?tabli, et les Corses, ma?tris?s par les grands sentimens, concourir ? l'envi, par des sacrifices journaliers, ? la prosp?rit? de la chose publique. Vous ne vous laiss?tes pas s?duire par la fermentation g?n?rale: bien loin de l?, vous ne v?tes qu'avec piti? ce bavardage de patrie, de libert?, d'ind?pendance, de constitution, dont l'on avait boursoufl? jusqu'? nos derniers paysans. Une profonde m?ditation vous avait d?s lors appris ? appr?cier ces sentimens factices, qui ne se soutiennent qu'au d?triment commun. Dans le fait, le paysan doit travailler, et non pas faire le h?ros, si l'on veut qu'il ne meure pas de faim, qu'il ?l?ve sa famille, qu'il respecte l'autorit?. Quant aux personnes appel?es par leur rang et leur fortune au commandement, il n'est pas possible qu'elles soient long-temps dupes, pour sacrifier ? une chim?re leurs commodit?s, leur consid?ration; et qu'elles s'abaissent ? courtoiser un savetier, pour finale de faire les Brutus. Cependant, comme il entrait dans vos projets de vous captiver M. Paoli, vous d?tes dissimuler: M. Paoli ?tait le centre de tous les mouvemens du corps politique. Nous ne lui refuserons pas du talent, m?me un certain g?nie: il avait en peu de temps mis les affaires de l'?le dans un bon syst?me: il avait fond? une universit? o?, la premi?re fois peut-?tre depuis la cr?ation, l'on enseignait dans nos montagnes les sciences utiles au d?veloppement de notre raison. Il avait ?tabli une fonderie, des moulins ? poudre, des fortifications qui augmentaient les moyens de d?fense: il avait ouvert des ports qui, encourageant le commerce, perfectionnaient l'agriculture: il avait cr?? une marine qui prot?geait nos communications, en nuisant extr?mement aux ennemis. Tous ces ?tablissemens, dans leur naissance, n'?taient que le pr?sage de ce qu'il e?t fait un jour. L'union, la paix, la libert? ?taient les avant-coureurs de la prosp?rit? nationale, si toutefois un gouvernement mal organis?, fond? sur de fausses bases, n'e?t ?t? un pr?jug? encore plus certain des malheurs, de l'an?antissement total o? tout serait tomb?.

M. Paoli avait r?v? de faire le Solon; mais il avait mal copi? son original: il avait tout mis entre les mains du peuple ou de ses repr?sentans, de sorte qu'on ne pouvait exister qu'en lui plaisant. ?trange erreur! qui soumet ? un brutal, ? un mercenaire, l'homme qui, par son ?ducation, l'illustration de sa naissance, sa fortune, est seul fait pour gouverner. ? la longue, un bouleversement de raison si palpable ne peut manquer d'entra?ner la ruine et la dissolution du corps politique, apr?s l'avoir tourment? par tous les genres de maux.

Vous r?uss?tes ? souhait. M. Paoli, sans cesse entour? d'enthousiastes ou de t?tes exalt?es, ne s'imagine pas que l'on p?t avoir une autre passion que le fanatisme de la libert? et de l'ind?pendance.

Vous trouvant de certaines connaissances de la France, il ne daigna pas observer de plus pr?s que vos paroles, les principes de votre morale: il vous fit nommer pour traiter ? Versailles de l'accommodement qui s'entamait sous la m?diation de ce cabinet. M. de Choiseul vous vit et vous connut: les ?mes d'une certaine trempe sont d'abord appr?ci?es. Bient?t, au lieu du repr?sentant d'un peuple libre, vous vous transform?tes en commis d'un satrape: vous lui communiqu?tes les instructions, les projets, les secrets du cabinet de Corse.

Cette conduite, qu'ici l'on trouve basse et atroce, me para?t ? moi toute simple; mais c'est qu'en toute esp?ce d'affaire, il s'agit de s'entendre et de raisonner avec flegme.

La prude juge la coquette et en est persifl?e; c'est en peu de mots votre histoire.

L'homme ? principes vous juge au pire; mais vous ne croyez pas ? l'homme ? principes. Le vulgaire, toujours s?duit par de vertueux d?magogues, ne peut ?tre appr?ci? par vous, qui ne croyez pas ? la vertu. Il n'est permis de vous condamner que par vos principes, comme un criminel par les lois; mais ceux qui en connaissent le raffinement, ne trouvent dans votre conduite rien que de tr?s-simple. Cela revient donc ? ce que nous avons dit, que, dans toute esp?ce d'affaires, il faut d'abord s'entendre, et puis raisonner avec flegme. Vous avez d'ailleurs par devers vous une sous-d?fense non moins victorieuse, cas vous n'aspirez pas ? la r?putation de Caton ou de Catinat: il vous suffit d'?tre comme un certain monde; et, dans ce certain monde, il est convenu que celui qui peut avoir de l'argent sans, en profiter est un nigaud; car l'argent procure tous les plaisirs des sens, et les plaisirs des sens sont les seuls. Or, M. de Choiseul, qui ?tait tr?s lib?ral, ne vous permettait pas de lui r?sister, lorsque surtout votre ridicule patrie vous payait de vos services, selon sa plaisante coutume, de l'honneur de la servir.

Le trait? de Compi?gne conclu, M. de Chauvelin et vingt-quatre bataillons d?barqu?rent sur nos bords. M. de Choiseul, ? qui la c?l?rit? de l'exp?dition importait majeurement, avait des inqui?tudes que, dans ses ?panchemens, il ne pouvait vous dissimuler. Vous lui sugg?r?tes de vous y envoyer avec quelques millions. Comme Philippe prenait les villes avec sa mule, vous lui prom?tes de tout soumettre sans obstacle... Aussit?t dit, aussit?t fait, et vous voici repassant la mer, jetant le masque, l'or et le brevet ? la main, entamant des n?gociations avec ceux que vous juge?tes les plus faciles.

N'imaginant pas qu'un Corse p?t se pr?f?rer ? la patrie, le cabinet de Corse vous avait charg? de ses int?r?ts. N'imaginant pas, de votre c?t?, qu'un homme p?t ne pas pr?f?rer l'argent et soi ? la patrie, vous vous vend?tes, et esp?r?tes les acheter tous. Moraliste profond, vous saviez ce que le fanatisme d'un chacun valait; quelques livres d'or de plus ou de moins nuan?ant ? vos yeux la disparit? des caract?res.

Vous vous tromp?tes cependant: le faible fut bien ?branl?, mais fut ?pouvant? par l'horrible id?e de d?chirer le sein de la patrie. Il s'imagina voir le p?re, le fr?re, l'ami, qui p?rit en la d?fendant, lever la t?te de la tombe s?pulcrale, pour l'accabler de mal?dictions. Ces ridicules pr?jug?s furent assez puissans pour vous arr?ter dans votre course: vous g?m?tes d'avoir ? faire ? un peuple enfant. Mais, monsieur, ce raffinement de sentiment n'est pas donn? ? la multitude; aussi vit-elle dans la pauvret? et la mis?re; au lieu que l'homme bien appris, pour peu que les circonstances le favorisent, sait bien vite s'?lever. C'est ? peu pr?s la morale de votre histoire.

En rendant compte des obstacles qui s'opposaient ? la r?alisation de vos promesses, vous propos?tes de faire venir le r?giment Royal-Corse. Vous esp?riez que son exemple d?sabuserait nos trop simples et trop bons paysans; les accoutumerait ? une chose o? ils trouvaient tant de r?pugnance: vous f?tes encore tromp? dans cette esp?rance. Les Rossi, Marengo, et quelques autres fous, ne vont-ils pas enthousiasmer ce r?giment, au point que les officiers unis protestent, par un acte authentique, de renvoyer leurs brevets, plut?t que de violer leurs sermens, ou des devoirs plus sacr?s encore?

Vous vous trouv?tes r?duit ? votre seul exemple. Sans vous d?concerter, ? la t?te de quelques amis et d'un d?tachement fran?ais, vous vous jet?tes dans Vescovato; mais le terrible Cl?mente vous en d?nicha. Vous vous repli?tes sur Bastia avec vos compagnons d'aventure et leur famille. Cette petite affaire vous fit peu d'honneur: votre maison et celle de vos associ?s furent br?l?es. En lieu de s?ret?, vous vous moqu?tes de ces efforts impuissans.

L'on veut ici vous imputer ? d?fi, d'avoir voulu armer Royal-Corse contre ses fr?res. L'on veut ?galement entacher votre courage, du peu de r?sistance de Vescovato. Ces accusations sont tr?s-peu fond?es; car la premi?re est une cons?quence imm?diate, c'est un moyen d'ex?cution de vos projets; et comme nous avons prouv? que votre conduite ?tait toute simple, il s'ensuit que cette inculpation incidente est d?truite. Quant au d?faut de courage, je ne vois pas que l'action de Vescovato puisse l'arr?ter: vous n'all?tes pas l? pour faire s?rieusement la guerre, mais pour encourager, par votre exemple, ceux qui vacillaient dans le parti oppos?. Et puis, quel droit a-t-on d'exiger que vous eussiez risqu? le fruit de deux ans de bonne conduite, pour vous faire tuer comme un soldat!

Mais vous deviez ?tre ?mu, de voir votre maison et celles de vos amis en proie aux flammes... Bon Dieu! quand sera-ce que les gens born?s cesseront de vouloir tout appr?cier? Laissant br?ler votre maison, vous mettiez M. de Choiseul dans la n?cessit? de vous indemniser. L'exp?rience a prouv? la justesse de vos calculs: on vous remit bien au-del? de l'?valu? des pertes. Il est vrai que l'on se plaint que vous gard?tes tout pour vous, ne donnant qu'une bagatelle aux mis?rables que vous aviez s?duits. Pour justifier si vous l'avez d? faire, il ne s'agit que de savoir si vous l'avez pu faire avec s?ret?. Or, de pauvres gens, qui avaient si besoin de votre protection, n'?taient ni dans le cas de r?clamer, ni m?me dans celui de conna?tre bien clairement le tort qu'on leur faisait. Ils ne pouvaient pas faire les m?contens, et se r?volter contre votre autorit?: en horreur ? leurs compatriotes, leur retour n'e?t pas ?t? plus sinc?re. Il est donc bien naturel qu'ayant ainsi trouv? quelques milliers d'?cus, vous ne les ayez pas laiss? ?chapper: c'e?t ?t? une duperie.

Les Fran?ais, battus malgr? leur or, leurs brevets, la discipline de leurs nombreux bataillons, la l?g?ret? de leurs escadrons, l'adresse de leurs artilleurs; d?faits ? la Penta, ? Vescovato, ? Loretto, ? San-Nicolao, ? Borgo, ? Barbaggio, ? Oletta, se retranch?rent excessivement d?courag?s. L'hiver, le moment de leur repos, fut pour vous, monsieur, celui du plus grand travail; et si vous ne p?tes triompher de l'obstination des pr?jug?s profond?ment enracin?s dans l'esprit du peuple, vous parv?ntes ? en s?duire quelques chefs, auxquels vous r?uss?tes, quoique avec peine, ? inculquer les bons sentimens; ce qui, joint aux trente bataillons qu'au printemps suivant M. de Vaux conduis?t avec lui, soumit la Corse au joug, obligea Paoli et les plus fanatiques ? la retraite.

Une partie des patriotes ?taient morts en d?fendant leur ind?pendance; l'autre avait fui une terre proscrite, d?sormais hideux nid des tyrans. Mais un grand nombre n'avaient d? ni mourir ni fuir: ils furent l'objet des pers?cutions. Des ?mes que l'on n'avait pu corrompre ?taient d'une autre trempe: l'on ne pouvait asseoir l'empire fran?ais que sur leur an?antissement absolu. H?las! ce plan ne fut que trop ponctuellement ex?cut?. Les uns p?rirent victimes des crimes qu'on leur supposa; les autres, trahis par l'hospitalit?, par la confiance, expi?rent sur l'?chafaud les soupirs, les larmes surprises ? leur dissimulation; un grand nombre, entass?s par Narbonne-Fridzelar dans la tour de Toulon; empoisonn?s par les alimens, tourment?s par leurs cha?nes; accabl?s par les plus indignes traitemens; ils ne v?curent quelque temps dans leurs soupirs, que pour voir la mort s'avancer ? pas lents... Dieu, t?moin de leur innocence, comment ne te rendis-tu pas leur vengeur!

Au milieu de ce d?sastre g?n?ral, au sein des cris et des g?missemens de cet infortun? peuple, vous, cependant, commen??tes ? jouir du fruit de vos peines: honneurs, dignit?s, pensions, tout vous fut prodigu?. Vos prosp?rit?s se seraient encore plus rapidement accrues, lorsque la Dubarri culbuta M. de Choiseul, vous priva d'un protecteur, d'un appr?ciateur de vos services. Ce coup ne vous d?couragea pas: vous vous tourn?tes du c?t? des bureaux; vous sent?tes seulement la n?cessit? d'?tre plus assidu. Ils en furent flatt?s: vos services ?taient si notoires! Tout vous fut accord?. Non content de l'?tang de Biguglia, vous demand?tes une partie des terres de plusieurs communaut?s. Pourquoi les en vouliez-vous d?pouiller, dit-on? Je demande, ? mon tour, quels ?gards deviez-vous avoir pour une nation que vous saviez vous d?tester?

Votre projet favori ?tait de partager l'?le entre dix barons. Comment! non content d'avoir aid? ? forger les cha?nes o? votre patrie ?tait retenue, vous vouliez encore l'asuj?tir ? l'absurde r?gime f?odal! Mais je vous loue d'avoir fait aux Corses le plus de mal que vous pouviez: vous ?tiez dans un ?tat de guerre avec eux; et, dans l'?tat de guerre, faire le mal pour son profit est un axi?me.

Mais passons sur toutes ces mis?res-l?: arrivons au moment actuel, et finissons une lettre qui, par son ?pouvantable longueur, ne peut manquer de vous fatiguer.

Vos affaires domestiques arrang?es, vous jet?tes un coup d'oeil sur le pays: vous le v?tes fumant du sang de ses martyrs, jonch? de victimes multipli?es, n'inspirer ? tous pas, que des id?es de vengeance. Mais vous y v?tes l'atroce militaire, l'impertinent robin, l'avide publicain, y r?gner sans contradictions, et le Corse accabl? sous ses triples cha?nes, n'oser ni penser ? ce qu'il fut, ni r?fl?chir sur ce qu'il pouvait ?tre encore. Vous vous d?tes, dans la joie de votre coeur: les choses vont bien, il ne s'agit que de les maintenir; et aussit?t vous vous ligu?tes avec le militaire, le robin et le publicain. Il ne fut plus question que de s'occuper ? avoir des d?put?s qui fussent anim?s par ces sentimens; car pour vous, vous ne pouviez pas soup?onner qu'une nation, votre ennemie, vous chois?t pour la repr?senter. Mais vous d?tes changer d'opinion, lorsque les lettres de convocation, par une absurdit? peut-?tre faite ? dessein, d?termin?rent que le d?put? de la noblesse serait nomm? dans une assembl?e compos?e seulement de vingt-deux personnes: il ne s'agissait que d'obtenir douze suffrages, Vos co-associ?s du conseil sup?rieur travaill?rent avec activit?: menaces, promesses, caresses, argent, tout fut mis en jeu: vous r?uss?tes. Les v?tres ne furent pas si heureux dans les communes: le premier pr?sident ?choua; et deux hommes exalt?s dans leurs id?es, l'un fils, fr?re, neveu des plus z?l?s d?fenseurs de la cause commune; l'autre avait vu Sionville et Narbonne; en g?missant sur son impuissance, son esprit ?tait plein des horreurs qu'il avait vu commettre: ces deux hommes furent proclam?s, et rencontr?rent le voeu de la nation, dont ils devinrent l'espoir. Le d?pit secret, la rage que votre nomination fit d?vorer ? tous, fait l'?loge de vos manoeuvres et du cr?dit de votre ligue.

Arriv? Versailles, vous f?tes z?l? royaliste: arriv? ? Paris, vous d?tes voir avec un sensible chagrin que le gouvernement que l'on voulait organiser sur tant de d?bris, ?tait le m?me que celui que l'on avait chez nous noy? dans tant de sang.

Les efforts des m?chans furent impuissans: la nouvelle constitution, admir?e de l'Europe, et devenue la sollicitude de tout ?tre pensant; il ne vous resta plus qu'une ressource; ce fut de faire croire que cette constitution ne convenait pas ? notre ?le, quand elle ?tait exactement la m?me que celle qui op?ra de si bons effets, et qu'il fallut tant de sang pour nous l'arracher.

Tous les d?l?gu?s de l'ancienne administration, qui entraient naturellement dans votre cabale, vous servirent avec toute la chaleur de l'int?r?t personnel: l'on dressa des m?moires o? l'on pr?tendit prouver l'avantage dont ?tait pour nous le gouvernement actuel, et o? l'on ?tablissait que tout changement contrarierait le voeu de la nation. Dans ce m?me temps, la ville d'Ajaccio eut indice de ce qui se tramait: elle leva le front, forma sa garde nationale, organisa son comit?. Cet incident inattendu vous alarma: la fermentation se communiquait partout. Vous persuad?tes aux ministres, sur qui vous aviez pris de l'ascendant pour les affaires de Corse, qu'il ?tait ?minent d'y envoyer votre beau-p?re, M. Gaffory, avec un commandement; et voici M. Gaffory, digne pr?curseur de M. Narbonne, qui pr?tend, ? la t?te de ses troupes, maintenir par la force, la tyrannie que feu son p?re, de glorieuse m?moire, avait combattue et confondue par son g?nie. Des b?vues sans nombre ne permirent pas de dissimuler la m?diocrit? des talens de votre beau-p?re: il n'avait que l'art de se faire des ennemis. L'on se ralliait de tous c?t?s contre lui. Dans ce pressant danger, vous lev?tes vos regards, et v?tes Narbonne! Narbonne, mettant ? profit un moment de faveur, avait projet? de fixer dans une ?le qu'il avait d?vast?e par des cruaut?s inouies, le despotisme qui le rongeait. Vous vous concert?tes: le projet est arr?t?; cinq mille hommes ont re?u les ordres; les brevets pour accro?tre d'un bataillon le r?giment provincial, sont exp?di?s; Narbonne est parti. Cette pauvre nation, sans armes, sans courage, est livr?e, sans espoir et sans ressource, aux mains de celui qui en fut le bourreau.

O infortun?s compatriotes! de quelle trame odieuse alliez-vous ?tre victimes? Vous vous en seriez aper?u, lorsqu'il n'e?t plus ?t? temps. Quel moyen de r?sister, sans armes, ? dix mille hommes? Vous eussiez vous-m?mes sign? l'acte de votre avilissement: l'espoir se serait enfui, l'esp?rance ?teinte; et des jours de malheur se seraient succ?d?s sans interruption. La France libre vous e?t regard?e avec m?pris; l'Italie afflig?e, avec indignation; et l'Europe ?tonn?e de ce degr? sans exemple d'avilissement, e?t effac? de ses annales, les traits qui font honneur ? votre vertu. Mais vos d?put?s des communes p?n?tr?rent le projet, et vous avertirent ? temps. Un roi qui ne d?sira jamais que le bonheur de ses compatriotes, ?clair? par M. Lafayette, ce constant ami de la libert?, sut dissiper les intrigues d'un ministre perfide, que la vengeance inspira toujours ? vous nuire. Ajaccio montra de la r?solution dans son adresse, o? ?tait peint, avec tant d'?nergie, l'?tat mis?rable auquel vous avait r?duit le plus oppressif des gouvernemens. Bastia, engourdie jusqu'alors, se r?veilla au bruit du danger, et prit les armes avec cette r?solution qui l'a toujours distingu?e. Arena vint de Paris en Balagne, plein de ces sentimens qui portent ? tout entreprendre, ? n'estimer aucun danger. Les armes d'une main, les d?crets de l'assembl?e nationale de l'autre, il fit p?lir les ennemis publics. Achille Meurati, le conqu?rant de Caprara, qui porta la d?solation jusque dans G?nes, ? qui il ne manqua, pour ?tre un Turenne, que des circonstances et un th??tre plus vaste, fit ressouvenir aux compagnons de sa gloire, qu'il ?tait temps d'en acqu?rir encore; que la patrie en danger avait besoin, non d'intrigues o? il ne s'entendit jamais, mais du fer et du feu. Au bruit d'une secousse si g?n?rale, Gaffory rentra dans le n?ant, d'o?, mal ? propos, l'intrigue l'avait fait sortir: il trembla dans la forteresse de Corte. Narbonne, de Lyon, courut ensevelir dans Rome, sa honte et ses projets infernaux. Peu de jours apr?s, la Corse est int?gr?e ? la France, Paoli rappel?, et dans un instant la perspective change, et vous offre une carri?re que vous n'eussiez jamais os? esp?rer.

Pardonnez, monsieur, pardonnez: j'ai pris la plume pour vous d?fendre; mais mon coeur s'est violemment r?volt? contre un syst?me si suivi de trahison et d'horreur. Eh quoi! fils de cette m?me patrie, ne sent?tes-vous jamais rien pour elle? Eh quoi! votre coeur fut-il donc sans mouvement ? la vue des rochers, des arbres, des maisons, des sites, th??tres des jeux de votre enfance? Arriv? au monde, elle vous porta sur son sein, elle vous nourrit de ses fruits: arriv? ? l'?ge de raison, elle mit en vous son espoir; elle vous honora de sa confiance, elle vous dit: <>

H? bien! un peu d'or vous fit trahir sa confiance; et bient?t, pour un peu d'or, l'on vous vit, le fer parricide ? la main, entre-d?chirer ses entrailles. Ah! monsieur, je suis loin de vous d?sirer du mal; mais craignez...; il est des remords vengeurs! Vos compatriotes, ? qui vous ?tes en horreur, ?claireront la France. Les biens, les pensions, fruit de vos trahisons, vous seront ?t?s. Dans la d?cr?pitude de la vieillesse et de la mis?re, dans l'affreuse solitude du crime, vous vivrez assez longtemps pour ?tre tourment? par votre conscience. Le p?re vous montrera ? son fils, le pr?cepteur ? son ?l?ve, en leur disant: <>

Et vous, de qui l'on prostitua la jeunesse, les gr?ces et l'innocence, votre coeur pur et chaste palpite donc sous une main criminelle? femme respectable et infortun?e! Dans ces momens que la nature commande ? l'amour, lorsqu'arrach?s aux chim?res de la vie, des plaisirs sans m?lange se succ?dent rapidement; lorsque l'?me, agrandie par le feu du sentiment, ne jouit que de faire jouir, ne sent que de faire sentir; vous pressez contre votre coeur, vous vous identifiez ? l'homme froid, ? l'?go?ste qui ne se d?mentit jamais, et qui, dans le cours de soixante ans, ne connut que les calculs de son int?r?t, l'instinct de la destruction, l'avidit? la plus inf?me, les plaisirs, les vils plaisirs des sens! Bient?t la cohue des honneurs, les lambris de l'opulence, vont dispara?tre; le m?pris des hommes vous accablera. Chercherez-vous dans le sein de celui qui en est l'auteur, une consolation indispensable ? votre ?me douce et aimante? Chercherez-vous sur ses yeux, des larmes pour m?langer aux v?tres? Votre main d?faillante, plac?e sur son sein, cherchera-t-elle ? se retracer l'agitation du v?tre? H?las! si vous lui surprenez des larmes, ce seront celles du remords: si son sein s'agite, ce sera des convulsions du m?chant qui meurt en abhorrant la nature, lui et la main qui le guide.

Mais vous, que l'erreur du moment, peut-?tre les abus de l'instant, portent ? vous opposer aux nouveaux changemens; pourrez-vous souffrir un tra?tre? celui qui, sous l'ext?rieur froid d'un homme sens?, renferme, cache une avidit? de valet? je ne saurais l'imaginer. Vous serez les premiers ? le chasser ignominieusement, d?s que l'on vous aura instruits du tissu d'horreurs dont il a ?t? l'artisan.

J'ai l'honneur, etc.

BUONAPARTE.

TRADUCTION

MONSIEUR,

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