Read Ebook: Quelques écrivains français: Flaubert Zola Hugo Goncourt Huysmans etc. by Hennequin Emile
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Ebook has 263 lines and 48758 words, and 6 pages
?TUDES DE CRITIQUE SCIENTIFIQUE
QUELQUES
?CRIVAINS FRAN?AIS
FLAUBERT--ZOLA--HUGO--GONCOURT
HUYSMANS, ETC.
PAR
?MILE HENNEQUIN
PR?FACE
L'?diteur.
GUSTAVE FLAUBERT
?TUDE ANALYTIQUE
LES MOYENS
? cette dure pr?cision de la langue, s'ajoute en certains livres et certains passages une extraordinaire beaut?. Les paroles sollicitent les sens ? tous les charmes; elles brillent comme des pigments; elles sont chatoyantes comme des gemmes, lustr?es comme des soies, ent?tantes comme des parfums, bruissantes comme des cymbales; et il en est qui, joignant ? ces prestiges quelque noblesse ou un souci, figent les ?motions en phrases enti?rement d?licieuses:
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Et ailleurs:
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Par un contraste que l'on per?oit d?j? dans ce passage, Flaubert, pr?cis et magnifique, sait user parfois d'une langue vague et chantante qui enveloppe de voiles un paysage lunaire, les inconsciences profondes d'une ?me, le sens cach? d'un rite, tout myst?re entrevu et ?chappant. Certaines des sc?nes d'amour o? figure Mme Arnoux, l'?num?ration des fabuleuses peuplades accourues ? la prise de Carthage, le symbole des Abaddirs et les mythes de Tanit, les louches apparitions qui, au d?but de la nuit magique, susurrent ? saint Antoine des phrases incitantes, la chasse brumeuse o? des b?tes invuln?rables poursuivent Julien de leurs mufles froids, tout cet au del? est d?crit en termes grandioses et lointains, en ind?finis pluriels abstraits et approch?s qui unissent ? l'insidieux des choses, la trouble incertitude de la vision.
Le plus ordinaire, qui est d?termin? par la concision m?me du style, l'unicit? des mots et la consertion de la phrase, est une p?riode ? un seul membre, dans laquelle la proposition pr?sentant d'un coup une vision, un ?tat d'?me, une pens?e ou un fait, les pose d'une fa?on compl?te et juste, de sorte qu'elle n'a nul besoin d'?tre li?e ? d'autres et subsiste d?tach?e du contexte. Ainsi de chacune des phrases suivantes:
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De la pr?sence chez Flaubert de cette p?riode statique et discr?te, d?coulent l'emploi habituel du pr?t?rit pour les actes et de l'imparfait pour les ?tats; de l? encore l'apparence sculpturale de ses descriptions o? les aspects semblent tous immobiles et plac?s ? un plan ?gal comme les sections d'une frise.
Ce type de p?riode alterne avec une coupe plus rare dans laquelle les propositions se succ?dent li?es. Aux endroits ?clatants de ses oeuvres, dans les sc?nes douces ou superbes, quand le paragraphe lentement ?chafaud? va se terminer par une id?e grandiose ou une cadence sonore, Flaubert, usant d'habitude d'un <
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Et cette autre p?riode, dans un ton mineur <
Ces deux sortes de p?riodes s'unissent enfin en paragraphes selon certaines lois rhythmiques; car la prose de Flaubert est belle de la beaut? et de la justesse des mots, de leur tenace liaison, du net ?clat des images; mais elle charme encore la voix et l'oreille par l'harmonie qui r?sulte du savant dosage des temps forts et des faibles.
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Et cet autre passage d'une mesure plus alanguie:
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C'est ainsi, par des expansions et des contractions altern?es, mod?rant, contenant et pr?cipitant le flux des syllabes, que Flaubert d?clame la longue musique de son oeuvre, en cadences mesur?es. Et chacun de ses groupes de br?ves et de longues est si bien pour lui une unit? discr?te et comme une strophe, qu'il r?serve, pour les clore, ses mots les plus retentissants, les images sensuelles et les artifices les plus adroits. C'est ainsi que fr?quemment, ? d?faut d'un vocable nombreux, il modifie par une virgule la prononciation d'un mot indiff?rent, contraignant ? l'articuler tout en longues:
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Ainsi, d'une fa?on marqu?e dans les oeuvres o? le style est plus libre des choses, moins nettement dans les romans, chaque livre de Flaubert se r?sout en chapitres dissoci?s, que constituent des paragraphes autonomes, form?s de phrases que relie seul le rhythme et qu'assimile la syntaxe. Ces ?l?ments libres, de moins en moins ordonn?s, ne sont assembl?s que par leur identit? formelle et par la suite du sujet, comme sont continus une mosa?que, un tissu, les cellules d'un organe, ou les atomes d'une mol?cule.
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Par un proc?d? analogue, fragmentaire et laborieux, Flaubert montre les ?mes qui actionnent ces corps et ces visages. Usant d'une s?rie de moyens qui reviennent ? indiquer un ?tat d'?me momentan? de la fa?on la plus sobre et en des mots dont le lecteur doit compl?ter le sens profond, il dit tant?t un acte significatif sans l'accompagner de l'?nonc? de la d?lib?ration ant?c?dente, tant?t la mani?re particuli?re dont une sensation est per?ue en une disposition; enfin il transpose la description des sentiments durables soit en m?taphores mat?rielles, soit dans les images qui peuvent passer dans une situation donn?e par l'esprit de ses personnages.
Le dessin du caract?re de Mme Bovary pr?sente tous ces proc?d?s. Par des faits, des paroles, des gestes, des actes, sont signifi?s les d?buts de son hyst?risme, son aversion pour son mari, son premier amour, les crises d?cisives et finales de sa douloureuse carri?re. Par des indications de sensations, la pl?nitude de sa joie en certains de ses rendez-vous, et encore l'?me vide et frileuse qu'elle promenait sur les plaines autour de Tostes:
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P?n?trant davantage la sourde ?closion de ses sentiments, d'incessantes m?taphores mat?rielles disent le n?ant de son existence ? Tostes, son intime rage de femme laiss?e vertueuse, par le d?part de L?on et son exultation aux atteintes d'un plus m?le amant:
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Et encore la contrition grave de sa premi?re douleur d'amour:
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Puis des r?cits d'imagination, aussi nombreux chez Flaubert que les r?cits de d?bats int?rieurs chez Stendhal, compl?tent ces comparaisons, d?voilent en Mme Bovary l'ardente mont?e de ses d?sirs, l'existence id?ale qui ternit et trouble son existence r?elle. Des hallucinations internes marquent son exaltation romanesque quand elle vit ? Tostes, am?re et d??ue; de plus confuses, le d?sarroi de son esprit tandis qu'elle c?de ? la f?te des comices sous les d?clarations de Rodolphe; d'autres, l'?lan de son ?me lib?r?e quand elle eut obtenu de partir avec son amant; des imaginations confirment et attisent sa derni?re passion que mine sans cesse l'indignit? de son amant, et emplissent encore de terreur sa lamentable fin.
Du haut en bas de son oeuvre, Flaubert est celui qui choisit avec rigueur et assemble avec effort des mat?riaux tri?s. Qu'il s'agisse de l'?lection d'un vocable, il le veut unique, pr?cis et tel que chacun ou chaque s?rie r?alise des id?aux sensuels et intellectuels nombreux. La syntaxe est correcte, sobre, liante, de fa?on ? modeler des phrases presque toujours aptes ? figurer isol?es. Et comme cette rigueur concise exclut de la langue de Flaubert toute superfluit?, des lacunes existent, ou le semblent, entre les unit?s derni?res de son oeuvre; les paragraphes se suivent sans se joindre, et les livres s'?tagent sans soudure.
De m?me, si l'on consid?re ses proc?d?s d'?criture par le contenu et non plus par le contenant, les faits aussi soigneusement ?lus que les mots, forc?s d'ailleurs d'?tre tels qu'on les puisse exprimer dans une langue d?termin?e,--sont significatifs pour qu'ils donnent lieu ? de belles phrases, et significatifs encore, parce qu'ils r?sultent d'un choix d'o? le banal est exclu.
De ce triage perp?tuel des mots et des choses, r?sulte la concision puissante, la haute et difficile port?e de ce qu'exprime Flaubert; de l? ses descriptions ?court?es, disjonctives et pourtant r?sumantes, sa psychologie, soit transmut?e en magnifiques images, soit r?duite en sobres indications d'actes, sous lesquelles certains esprits per?oivent ce qui est intime et d'ailleurs inexprim?; de l? le sentiment de formidable effort et d'absolue r?ussite parfois, que ces oeuvres procurent, qui, ramass?es, trapues, planies, parachev?es et polies grain ? grain, ressemblent ? d'?normes cubes d'un miroitant granit.
NOTES:
LES EFFETS
Il en poss?de la v?racit?. S'effor?ant sans cesse de rendre exactement du spectacle des choses ce que ses sens en ont per?u, il arrive, quand il s'efforce de d?m?ler les mobiles des actes et les phases des passions, ? une extraordinaire p?n?tration, qui est le r?sultat de sa connaissance des mod?les qu'il a pris, et de son application ? rester dans le domaine du naturel et de l'explicable. Sa science des causes qui produisent les grands traits du caract?re est merveilleuse, comme le montrent les ant?c?dents parfaitement calcul?s d'Emma et de Charles Bovary, la vague adolescence de Fr?d?ric Moreau. Puis ces caract?res jet?s dans l'existence, soumis ? ses heurts et consommant leurs r?cr?ations, ?voluent au gr? des ?v?nements et de leur nature, avec toute l'unit? et les incons?quences de la vie v?ritable, tant?t nobles, d??us et victimes comme Mme Bovary, tant?t perp?tuant ? travers des fortunes diverses leur permanente impuissance comme Fr?d?ric Moreau, tant?t sages et victorieux comme Mme Arnoux. Et dans ces existences; dont les menus faits d?c?lent perp?tuellement en Flaubert une si profonde perception des mobiles, de leur complication, de la dissimulation des plus puissants, de toute la vie inconsciente qui rend chacun diff?rent de ce qu'il se croit et de ce qu'on le croit ?tre, Flaubert est parvenu ? distinguer et ? rendre le trait le plus difficile: la lente transformation que le temps impose ? ceux qu'il d?truit. Seul, avec les plus grands des psychologues russes, il saisit les personnes successives qui apparaissent tour ? tour au-dehors et au dedans de chaque individu. Que l'on observe combien Mme Bovary est parfaitement, aux premiers chapitres, la jeune femme soucieuse d'int?rieur et reconnaissante de l'ind?pendance que le mariage lui assure; puis l'inqui?tude croissante de toute sa personne ardemment vitale, et son chaste amour pour un jeune homme fr?quentant sa maison, pr?lude coutumier des adult?res plus consomm?s. Et combien est nouvelle celle qui se livre avec une gr?ce presque m?re ? son aim?, et comme on la sent, ? travers ses cris de jeune ma?tresse, la femme de maison, ?tre d?j? responsable et d?nu? d'enfantillages. Puis les ?preuves viennent, sa chair se durcit en de plus fermes contours et, par le revirement habituel, il lui faut un plus jeune amant, pour lequel elle est en effet la ma?tresse, la femme chez qui de despotiques ardeurs pr?c?dent les attitudes maternelles, que coupent encore les coups de folie d'une cr?ature sentant le temps et la joie lui ?chapper, jusqu'? ce qu'elle consomme virilement un suicide, en femme forte et faite, qui sentit les romances sentimentales des premiers ans se taire sous les rudes atteintes d'une existence sans piti?. On pourrait retracer de m?me les lentes phases du caract?re de Fr?d?ric Moreau et de Mme Arnoux, qui tous deux ?prouvent aussi l'humiliation de se sentir transform?s par le passage des jours, p?tris et mall?ables au cours des passions et des incidents.
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Et pour l'extravagant final de ce livre:
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Cet art r?aliste ?tay? de faits et d'o? l'imagination est presqu'exclue, atteint, par l?, selon le voeu d'une de ses lettres < la majest? de la loi et ? la pr?cision de la science>>. L'oeuvre con?ue comme l'int?gration d'une s?rie de notes prises au cours de la vie ou dans des livres, n'ayant en somme de l'auteur que le choix entre ces faits et la recherche de certaines formes verbales, poss?de l'impassible froideur d'une constatation et ne d?c?le des passions de son auteur que de rares acc?s. Elle est, comme un livre de science, un recueil d'observations,--ou, comme un livre d'histoire, un recueil de traditions, bien diff?rente de tous les romans d'id?alistes que composent une s?rie d'effusions au public ? propos de motifs ordinaires ou de faits clairsem?s. Masqu? par une esth?tique qui consiste ? montrer de la vie une image et non pas une impression, l'?crivain garde en lui ses opinions et ses haines, ne fournissant qu'? l'analyse de l?gers mais suffisants indices.
Sans cesse, dans les plus vulgaires pages, la beaut? de l'expression con?ue en termes nets, simplement li?s, semble prof?rer une note lyrique plus haute que les choses dites. La phrase s'?branle, d?crit son orbe et s'arr?te, avec la force pr?cise d'un rouage de machine, et sans plus de souci, semble-t-il, de la besogne ? accomplir. Qu'il s'agisse de rendre la strophe que prononce Apollonius de Thyane, suspendu immacul? sur l'ab?me, ou les simples incidents du s?jour d'une provinciale dans un Trouville pr?historique, les mots se d?roulent parfois avec la m?me grandiloquence, et bondissent au m?me essor. L'enfant niais et veule qui fut Charles Bovary, se trouve par le hasard d'une p?riode dou? d'une forte existence de vagabond des champs et finit par commettre des actes dits en termes h?ro?ques! <
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