Read Ebook: Quelques écrivains français: Flaubert Zola Hugo Goncourt Huysmans etc. by Hennequin Emile
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Ebook has 263 lines and 48758 words, and 6 pages
Sans cesse, dans les plus vulgaires pages, la beaut? de l'expression con?ue en termes nets, simplement li?s, semble prof?rer une note lyrique plus haute que les choses dites. La phrase s'?branle, d?crit son orbe et s'arr?te, avec la force pr?cise d'un rouage de machine, et sans plus de souci, semble-t-il, de la besogne ? accomplir. Qu'il s'agisse de rendre la strophe que prononce Apollonius de Thyane, suspendu immacul? sur l'ab?me, ou les simples incidents du s?jour d'une provinciale dans un Trouville pr?historique, les mots se d?roulent parfois avec la m?me grandiloquence, et bondissent au m?me essor. L'enfant niais et veule qui fut Charles Bovary, se trouve par le hasard d'une p?riode dou? d'une forte existence de vagabond des champs et finit par commettre des actes dits en termes h?ro?ques! <
D'autres ?chappatoires sont plus l?gitimes et moins caract?ristiques. Flaubert use le premier du proc?d? naturaliste qui consiste ? compenser la m?diocrit? des ?mes analys?es par la beaut? des descriptions o? l'auteur, intervenant tout ? coup, pr?te ? ses plus pi?tres cr?atures des sens de nerveux artistes. F?licit?, la simple bonne de Mme Aubain, porte au cat?chisme o? elle accompagne la fille de sa ma?tresse, une sensibilit? d?licate et tactile, jusqu'? de pareilles ?l?vations:
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Enfin Flaubert satisfait son amour de l'?nergie et de la beaut? en concevant les admirables femmes de ses romans, p?les, noires, fines et tristes, Mme Bovary et Mme Arnoux. D?s qu'il parle de l'une d'elles, son style s'adoucit, chatoie et chante. Il doue Mme Bovary de toute la s?duction d'une ?me ac?r?e dans un corps souple, ?lanc? et blanc. Les fantasmagories de son imagination insatisfaite, les sourds ?lans de son ?me vers des bonheurs plus profonds, les gouttes de joie qu'elle parvient ? exprimer de la s?cheresse de sa vie, culminent en cette sc?ne d'amour o? l'ineffable est presque dit:
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Et cette passion d??ue, la cruelle corruption de Mme Bovary, la flamme intense de ses prunelles et le pli hardi de sa l?vre, son existence de hasard, le coup de folie de sa luxure, et enfin pourchass?e, outrag?e, et rageuse, cette agonie par laquelle elle s'acquitte de toutes ses hontes, quelle violente ?vasion, en toutes ces sc?nes, hors le banal de la vie!
Mme Arnoux est plus id?alement belle encore. Avec ses lisses bandeaux noirs sur sa douce face mate, une fleur rouge dans les cheveux, lente, surprise et pure, elle inspire ? Flaubert ses plus charmantes pages. Son apparition dans le salon de la rue de Choiseul, avec son <
< Il avait envie de se jeter ? ses genoux. Un craquement se fit dans le couloir; il n'osa. Il ?tait emp?ch? d'ailleurs par une sorte de crainte religieuse. Cette robe se confondant avec les t?n?bres lui paraissait d?mesur?e, infinie, insoulevable ...>> --Une rencontre dans la rue, le revirement myst?rieux o? elle s'avoue < < D'aussi belles pages marquent encore la sensualit? contenue de ces deux ?tres m?rs pour l'amour, et exacerbant leurs nerfs malades; la promesse de son corps accord?e et ce sacrifice emp?ch? par la maladie de son fils tandis que dehors l'?meute se d?cha?ne,--puis la s?paration des deux amants, jusqu'? cette sc?ne effroyablement aigu? o? Fr?d?ric, se trouvant un soir chez elle p?le et en larmes, est emmen? par sa ma?tresse, tandis que les rires d?lirants de Mme Arnoux sonnent dans l'escalier, et en trouent l'ombre; la ruine de cette femme, cette chose intime et presque obsc?ne, la vente de ses effets: enfin cette supr?me et dure entrevue, o? ?clair?e tout ? coup par la lampe, elle montre ? son amant vieilli, et travaill? de concupiscences, la froideur pure sur ses doux yeux noirs, de ses cheveux d?sormais blancs, dont d?roul?s, elle taille une m?che, < L'on entre par ces livres ?piques dans la r?gion de la pure beaut?. La phrase non plus r?duite ? une ?l?gante armature dans laquelle s'ench?ssent n'importe quels mots bas, ordonne des vocables sonores, color?s et beaux, les rythme en retentissantes cadences, d?veloppe de nobles visions, splendides, grandioses ou d'une haute horreur. Des hommes gigantesques et primitifs, ? l'?me concise et puisant dans cette r?traction de leur ?tre une formidable ?nergie, accomplissent ou subissent d'effroyables forfaits. Leurs actes se d?ploient en ?tincelants d?cors o? se fige la splendeur des ors, des porphyres, des pourpres, des airains, et que lavent parfois de larges ruisseaux de sang. Et parmi ces architectures, entre l'embrasement des catastrophes, sous les yeux droits et m?les, d'?tranges femmes passent. Elles sont menues, graves, soumises, et comme dormantes. Tant?t sortant du temple, elles supplient, cambr?es, au haut de leur palais, les astres qui tressaillent au fr?missement de leurs l?vres; tant?t elles prennent de leur corps anxieux de puret?, des soins inou?s, le mac?rant de parfums, l'enduisant d'onguents, le fr?lant de soies, au point que la jouissance de leur lit promet une joie d?lictueuse et mortelle. Sous les platanes, dans un jardin diapr? de lis et de roses, les mercenaires c?l?brant leur festin; la lente apparition de Salammb? descendue les apaiser, ? la fois peureuse et divine, l'exp?dition nocturne de Math? et Spendius dans le temple de Tanit, l'horreur de ces vo?tes et le charme du passage du chef par la chambre alanguie o? Salammb? dort entre la d?licatesse des choses; le retour d'Hamilcar, son recueillement dans la maison du Suff?te-de-la-Mer; Salammb? partant racheter de son corps le voile de la d?esse, son accoutrement d'idole et ses r?les mesur?s, quand le chef des barbares rompt la cha?nette de ses pieds; puis le si?ge ?norme de Carthage, la foule des peuplades accourues, l'?crasement des cadavres, l'horreur des blessures, et sur ce carnage rouge, l'implacable resplendissement de Moloch; l'agonie de toute une ville, puis par un revers l'agonie de toute une arm?e, les derni?res batailles, et, entre celles-ci, l'entrevue si curieusement mi?vre et grave, o? Salammb? voil?e et parlant ? peine re?oit le prince son fianc? en un jardin peu fleuri que passent des biches tra?nant ? leurs sabots pointus, des plumes de paons ?parses, enfin le supplice de Math? et les joies nuptiales, m?lant des chocs de verres et des odeurs de mets au d?chirement d'un homme par un peuple, jusqu'? ce qu'aux yeux de Salammb? d?faillante en l'agitation secr?te de ses sens, Schahabarim arrache au supplici? son coeur et le tende tout rouge au rouge soleil, final tonnant dans lequel se m?lent le beau, l'horrible, le myst?rieux et l'effr?n? en un supr?me ?clat. < < < D'autres sc?nes, l'apparition d'H?l?ne Ennoia, le culte des Ophites, se passent en demi-t?n?bres, et apparaissent vagues et passag?res comme des songes, persuasives comme des hallucinations. Que l'on se rappelle encore les chasses fantastiques de Julien, et surtout cette exp?dition o?, quittant le lit nuptial, il parcourt une for?t enchant?e dont les b?tes indestructibles le fr?lent, et d'autres, qu'il abat, s'?miettent pourries dans ses mains,--puis l'immense horreur des lieux glac?s, dont l'hostilit? expie son crime involontaire; Flaubert para?tra poss?der le sens des choses ? peine per?ues, des sentiments naissants et balbutiants, que le mot, clair exposant de l'id?e pr?cise, peut rendre seulement par la suggestion, de myst?rieuses analogies ou d'indirects symboles. Le symbolisme des discours de Schahabarim et des hymnes de Salammb? est au fond de l'oeuvre de Flaubert. D?testant la r?alit? de toute la haine d'un id?aliste qui se trouve contraint de la voir, il s'est enfui du monde moderne en un monde antique embelli; et non content de cette ?vasion vers le splendide, il a sans cesse tendu et parfois r?ussi ? ?chapper radicalement au r?el, en substituant aux individus les types, ? un r?cit de faits particuliers, un r?cit de faits all?goriques. Dans ce livre, qui est l'oeuvre supr?me du style, des proc?d?s fragmentaires, de la science historique, de l'amour du beau, de la philosophie de Flaubert, celui-ci a signifi? toutes les passions, les cultes et les sp?culations de l'humanit?. L'asc?te est l'homme priv? et assi?g? de satisfactions charnelles; les amorosit?s faciles de la reine de Saba le sollicitent; la magie, de celle des brahmanes ? celle des Alexandrins tentent sa soif de pouvoir; il passe, n'adh?rant d?finitivement ? aucune, par toutes les religions et les h?r?sies; la m?taphysique lui propose ses antinomies irr?solues, et il h?site de d?sespoir, ? s'ab?mer dans la luxure ou ? s'an?antir dans la mort; mais sa curiosit? le fait encore balancer entre le myst?re du sphinx et les fables de la chim?re qui l'entra?ne ? travers les mythes et les ?bauches de la cr?ation, ? l'intuition de ces germes de vie qui la contiennent toute; il l'adore pour se relever et se remettre par la pri?re dans le cycle des cultes, quand le soleil le rappelle de la sp?culation nocturne ? l'action diurne. En cette oeuvre se refl?te toute l'?me de Flaubert, cet esprit contradictoire et d?chir?, que le r?el sollicitait et repoussait, que la beaut? attirait mais qui ne parvint ? l'imaginer qu'antique et documentaire, qui sentit la s?duction du myst?re et fut le plus explicite des stylistes, qui con?ut la synth?se du particulier dans le g?n?ral et cependant diss?qua des ?mes particuli?res, ?crivit en phrases analytiques et discr?tes, et s'abstint de toute g?n?ralisation. Dans ces alliances adverses, dans ces id?aux contradictoires, semble r?sider le g?nie, l'originalit?, le caract?re, l'indice psychologique particulier de Flaubert, qui n'eut dans toute sa carri?re, que cette chose chez lui primordiale et terme commun, le style. LES CAUSES Voici qui montre son obs?quiosit? et son impersonnalit? devant la nature: < < < Ce passage-ci constate la contradiction de ses penchants: < Cette aptitude et ce penchant verbaux sont permanents, ant?c?dents, fondamentaux. Car dans les caract?res m?mes de la syntaxe et du vocabulaire de Flaubert, sont incluses les contradictions plus g?n?rales que d?veloppe son oeuvre. Son amour du mot pr?cis et d?finitif,--c'est-?-dire tel qu'il enserr?t une cat?gorie born?e d'images et celle-ci seulement,--dut diriger son esprit ? l'intuition des choses individuelles, l'?loigner de toute g?n?ralisation abstraite. Son amour des beaux mots,--c'est-?-dire tels qu'ils soient sonores, ou ?veillent dans l'esprit des images exaltantes,--le d?termina ? sentir et ? vouloir exprimer le grandiose, le magnifique, l'harmonieux, ? qualifier en termes enthousiastes des choses en soi minimes; par ces mots, il ?chappe encore ? l'abstraction, et ?vite de plus la s?cheresse de l'analyse psychologique qu'il transpose en ?clatantes descriptions. Le conflit entre cette tendance verbale et la pr?c?dente d?termine son pessimisme; le triomphe de cette tendance sur la pr?c?dente, un symbolisme. Son amour des mots ind?finis,--c'est-?-dire tels qu'ils provoquent dans l'esprit non une image, mais la sourde tendance ? en former une et le vif sentiment d'effort et d'?lation qui accompagne toute tendance intellectuelle confuse,--le porta aux sujets o? il pouvait le satisfaire, aux ?poques lointaines et vagues, aux mouvements intimes de l'?me f?minine, aux sc?nes lunaires et aux th?ogonies mortes. Enfin sa fa?on de joindre ces sortes de mots d?termin?rent les autres caract?res de son art. Sa tendance ? ?crire en phrases statiques, c'est-?-dire qui soient compl?tes, explicites et ind?pendantes du contexte,--lui imposa la n?cessit? d'enclore un fait ou plusieurs en chaque p?riode. Par l? le nombre de ces faits dut ?tre ?norm?ment multipli?. S'abstenant de toute r?p?tition, de tout d?veloppement, il lui fallut des actes, des choses, des d?tails; il dut ?tre en roman moderne un r?aliste, et en roman historique, l'?rudit qu'il fut. La difficult? de bien faire cette sorte de phrase, la peine qu'elle lui donnait proscrivant toute prolixit?, le fit condenser ses descriptions et ses analyses, en leurs points les plus significatifs, rendit son style tendu et stable. L'?norme tension intellectuelle qu'exigeait cette sorte de phrase, le fit concentrer en elle, en sa facture et en sa disposition rhythmique, la plupart de ses forces, et le rendit moins attentif ? la composition g?n?rale. Enfin, les rares passages de passion et de po?sie pure qui ?clatent ?? et l? dans son oeuvre et que la forme statique ne saurait expliquer, proc?dent de son autre type de phrase, le p?riodique, que nous avons vu alterner avec son style habituel. Cette r?duction de tout un d?veloppement intellectuel, en l'ascendant de quelques formes verbales, la contradiction entre les facult?s d'un esprit expliqu?, par la contradiction entre les diverses parties d'un syst?me de style, c'est, dans l'investigation du m?canisme intellectuel de Flaubert, passer de la psychologie ? la th?orie du langage. En fonction de cette science, il existait dans l'intelligence de Flaubert d'une part une s?rie de donn?es des sens et une s?rie de mots qui s'accordaient avec elles et les exprimaient naturellement; de l'autre, une s?rie de formes verbales acquises, et d?velopp?es, auxquelles correspondaient non des donn?es sensorielles, mais de simples prolongements id?aux et qui tendaient pourtant comme les autres vocables, ? ?tre articul?es. Cet art, o? les mots pr?c?dent et d?terminent obscur?ment les id?es, est anormal. Car il est l'exc?s et le contraire m?me de la facult? du langage. Le mot, qui, selon les linguistes allemands , est ? l'id?e ce que le cri est ? l'?motion, ne peut constituer l'ant?c?dent de l'id?e, que lorsque le langage, ?norm?ment d?velopp? par des g?nies verbaux de premier ordre, devient quelque chose que l'on apprend, que l'on emmagasine, et non un mince bagage traditionnel, qu'il faut utiliser et augmenter selon ses besoins. Or que l'on se rappelle que Flaubert v?cut au d?clin du romantisme, qu'il put absorber et absorba en effet l'?norme vocabulaire du plus grand g?nie verbal de tous les temps, qu'il admira Hugo avec la ferveur d'un disciple et d'un semblable. ?videmment, l'esprit surcharg? par ces acquisitions, il ne put se borner ? ?tudier et ? d?crire la vie moderne pour laquelle le vocabulaire lyrique du grand po?te n'est point fait, est trop riche et reste en partie sans emploi. Il lui fallut Carthage, les hymnes ? Tanit, les lions crucifi?s, les temples, le d?sert, le si?ge, les somptuosit?s barbares d'une ?poque, que, lointaine, il put se figurer grandiose. Et ce besoin le poursuivit toute sa vie, l'arrachant sans cesse au roman moderne qui ne repr?sentait de ses facult?s que quelques-unes, se satisfaisant, s'irritant de nouveau, et croissant sans cesse, de son noviciat artistique ? sa mort. < Que l'on fasse abstraction de l'absurdit? des id?es et que l'on consid?re seulement la bri?vet? et la rondeur des phrases, leur suite incoh?rente ou faiblement li?e, toute l'allure mesur?e et cadenc?e de ce petit morceau; il semblera incontestable aux personnes qui ne r?pugnent pas par pr?jug? ? l'assimilation d'un fou et d'un homme de g?nie, que certains passages de Flaubert sont l'analogue lointain et cependant exact de cette litt?rature d'asile. Que l'incoh?rence r?sulte d'une concentration volontaire puis habituelle de l'effort d'exprimer successivement en une forme difficile chacune des pens?es qui le traversent, ou qu'elle provienne chez l'ali?n?--comme cela est probable,--d'une irr?gularit? de la circulation sanguine c?r?brale, semblable ? celle qui produit la fantaisie des r?ves,--en d'autres termes que ce soit l'attention ou la maladie qui abaissent l'activit? commune de l'enc?phale, au profit de ses parties, le r?sultat est physiologiquement et psychologiquement le m?me. L'incoh?rence faible de Flaubert, terme extr?me de celle de tous les artistes qui <> est l'ant?c?dente de celle du r?ve, qui pr?c?de celle du d?lire, et celle des maniaques. Entre tous ces d?rangements, il n'est de contraste que ceux de l'intensit? et de la permanence. NOTES: ?MILE ZOLA M. Zola n'est pas un styliste, dans le sens tr?s moderne de ce mot. Quand il lui faut d?crire un objet ou un ensemble, noter un dialogue, exprimer une id?e, il ne tente pas de choisir, entre les termes exacts possibles, ceux dou?s de qualit?s communes ind?pendantes de leur sens, la sonorit? et la splendeur comme chez Flaubert, le mouvement et la gr?ce comme chez les de Goncourt, la rudesse clad?lienne ou la noblesse et le myst?re de M. Villiers de l'Isle-Adam. Le vocabulaire de M. Zola n'a d'autre caract?re sp?cifique que l'abondance, qualit? appartenant ? tous ceux qui ont fray? avec les romantiques, et, par endroits, un coloris fumeux. De m?me, la fa?on dont M. Zola assemble ses mots en phrases est extr?mement simple, commode, apte ? tout. Il proc?de d'habitude par l'accolement, sans conjonction, de deux propositions ? sens presque identique, qui redoublent l'id?e, l'enfoncent en deux coups de maillet, et marchent puissamment dans un rythme balanc?, jusqu'? ce que soit atteinte la fin du paragraphe, que M. Zola termine indiff?remment par un retentissant accord, finale d'une gradation ascendante, ou par une phrase surajout?e et superflue qui laisse en suspens la voix du lecteur. En cette fa?on d'?crire ais?e, maniable et large, propre ? tout dire et appliqu?e par M. Zola ? tous les usages, celui-ci pol?mise, expose, raconte, parlent d?crit, ?nonce l'?norme masse de petits faits qui lui servent ? poser ses lieux, ses personnages et ses ensembles. En ce sens, que des personnes peu habitu?es ? l'analyse trouveront subtil, les romans de M. Zola sont vrais. Ils arrivent ? repr?senter l'homme, ses habitudes, sa nature, ses penchants et ses passions, compl?tement, sans choix ou presque ainsi. De m?me, mais dans une plus faible mesure, les descriptions de M. Zola ne sont pas mat?riellement exactes. Tout artiste choisit entre les diverses sensations d'un ensemble celles que ses nerfs lui permettent de sentir le plus vivement. Pour M. Zola, cette s?lection porte ?videmment sur les odeurs et les couleurs. Les Halles sont d?crites autant en termes ol?fiants qu'en termes color?s. Le parterre du Paradou est aussi plein de parfums que de corolles; et de la femme M. Zola conna?t les senteurs comme les incarnats. Toute page atteste de m?me le colorisme du romancier. De l'?tal d'une poissonnerie il retient le cinabre, le bronze, le carmin et l'argent plut?t que le fusel? des formes. Le jardin d'Albine est d?peint en larges touches roses et bleues et vertes. Du cort?ge baptismal du prince imp?rial, M. Zola per?oit le blanc des dentelles, le vert des piqueurs, la nappe bleue de la Seine, l'?clat des aciers et le braisillement des glaces. En confirmation de ces faits, M. Zola, critique d'art, d?fendit les coloristes extr?mes, notamment Manet. Ces r?serves diminuent d?j? dans une faible mesure l'aptitude de M. Zola ? reproduire exactement toute l'humanit? actuelle, et marquent des bornes ? l'envergure de ce romancier, qui demeure cependant tr?s grande. Il est une autre cause d'un ordre tout diff?rent qui emp?che encore M. Zola de voir et de rendre enti?rement toute la nature: son individualit? qui, dans l'ensemble totale des faits psychologiques et mat?riels, l'a port? ? en pr?f?rer une s?rie dou?e d'un caract?re commun, ? modifier certains rapports, ? d?naturer certains aspects, ? donner de tout ce qu'il d?crit une image notablement alt?r?e dans le sens de ses sympathies, c'est-?-dire de sa nature d'esprit. Les livres de M. Zola n'?chappent pas ? la formule que lui-m?me a donn?e justement de toute oeuvre d'art: < NOTES: Et cette vie dont il aime les bas commencements, il l'adore en ses deux grandes manifestations masculine et f?minine, la sensualit? de la femme et la force de l'homme. Tous les h?ros qu'il exalte sont des hommes forts, se d?pensant en action, accomplissant une grande oeuvre ou couronnant une grande ruine. Depuis le p?re Rougon qui, par un sourd travail de mine, ?difie la fortune des siens, jusqu'? l'abb? Faujas conqu?rant Plassans, d'Aristide Saccard, qui d?molit une ville, et accumule des millions, ? Octave Mouret qui, par l'adult?re, par le mariage, par l'incessante exploitation de la femme, ?crase Paris de ses magasins, tous les grands hommes du romancier sont robustes, puissants, actifs sans compter, acharn?s en besogne, s'acquittant dans le monde de leur t?che de force vive, r?sum?s en ce colossal Eug?ne Rougon qui, solide et dur des ?paules ? l'?me, a la sourde tension d'une machine sous vapeur. Tous les ensembles dans lesquels les caract?res de force humaine, de luxure, de puissance, d'exub?rance, peuvent ?tre reconnus par association, sont exalt?s par M. Zola. Le romancier se borne d'habitude pour ce grossissement ? d?crire en d?tail l'ensemble exag?r?, comme si ses sens le lui avaient pr?sent? tel. Mais parfois son penchant ? l'?norme et au complet l'entra?nent ? user de proc?d?s que leur contradiction avec ses doctrines rend int?ressants. Pour montrer plus intense un acte ou un personnage, il le place de force dans un milieu similaire; pour amplifier un individu ou un sujet, il use de deux artifices romantiques: l'antith?se, le symbolisme. Que l'on remonte maintenant de ce pessimisme, terme de notre analyse, ? la vue magnifi?e des hommes et des choses dont il d?coule; de celle-ci ? l'amour de la vie, de la force, de la sensualit?, de la raison et de la sant?, ses causes; que l'on se rappelle le r?alisme de proc?d?s et de vision que ces id?aux r?sument, l'on aura, je pense, les gros lin?aments de l'oeuvre de M. Zola, sous lesquels les traits de sa physionomie morale commencent ? affleurer. Le cas psychologique de M. Zola est singulier. Nous poss?dons en lui un artiste composite chez lequel se m?lent en un rare assemblage, les dons du r?aliste et certains de ceux de l'id?aliste, sans se nuire, sans que les uns annulent, refoulent ou subordonnent les autres. La coop?ration des facult?s exactes et de celles qui portent le romancier ? alt?rer la r?alit? est facile et fructueuse en des oeuvres homog?nes dans lesquelles l'analyse seule distingue des disparates. Cette association intime de tendances diverses porte ? leur attribuer une cause commune, et peut-?tre une seule hypoth?se sur le m?canisme intellectuel de M. Zola, suffira ? rendre compte des proc?d?s et des ?motions apparemment contraires que nous avons s?par?es dans son oeuvre. On peut imaginer un esprit enregistreur, ?minemment apte ? percevoir par les sens, ? retenir et ? se figurer les mille manifestations de la vie d?crivant les objets, les physionomies et les caract?res de la fa?on dont ils apparaissent par le d?taillement de leurs parties et l'?num?ration de leurs actes; parvenant, gr?ce ? une accumulation de notes internes, ? avoir d'une nation ? une certaine ?poque une connaissance aussi compl?te que celle dont nous avons marqu? les limites. Cet esprit, anim? comme presque toutes les ?mes humaines, de l'amour des conditions utiles ? son esp?ce, arriverait naturellement ? les abstraire de ses exp?riences, ? ?prouver ainsi pour la sant?, la raison, la sensualit?, la force, un attachement admiratif, ? ressentir une sourde exaltation toutes les fois qui lui arrivera de parler d'un paysage luxuriant et estival, d'une foule fluctuant, de l'obstination volontaire de ses h?ros, de la volupt? conqu?rante de ses femmes, de n'importe quel grand r?ceptacle de force d?l?t?re ou non, mais agissante et dynamique. Il est permis d'admettre qu'un esprit parvenu ? ces sympathies, comparant leur objet--de pures id?es--aux mis?rables ?l?ments dont il est extrait--la r?alit?--se prenne de tristesse et de m?pris pour l'imperfection et l'hostilit? des choses, se sente irrit? contre les vices mesquins et les vertus compromises des cr?atures vivantes, parvienne au pessimisme col?re qui caract?rise toute l'oeuvre de M. Zola.
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