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Read Ebook: Histoire de la Révolution française Tome 08 by Thiers Adolphe

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Ebook has 373 lines and 97447 words, and 8 pages

HISTOIRE DE LA R?VOLUTION FRAN?AISE

NEUVI?ME EDITION

TOME HUITI?ME

HISTOIRE DE LA R?VOLUTION FRAN?AISE.

DIRECTOIRE.

CHAPITRE PREMIER.

Une grande agitation r?gnait dans les esprits. Les patriotes mod?r?s et les patriotes exalt?s montraient une m?me irritation contre le parti qui avait attaqu? la convention au 13 vend?miaire; ils ?taient remplis de craintes; ils s'encourageaient ? s'unir, ? se serrer pour r?sister au royalisme; ils disaient hautement qu'il ne fallait appeler au directoire et ? toutes les places que des hommes engag?s irr?vocablement ? la cause de la r?volution; ils se d?fiaient beaucoup des d?put?s du nouveau tiers, et recherchaient avec inqui?tude leurs noms, leur vie pass?e, et leurs opinions connues ou pr?sum?es.

Les sectionnaires, mitraill?s le 13 vend?miaire, mais trait?s avec la plus grande cl?mence apr?s la victoire, ?taient redevenus insolens. Fiers d'avoir un instant support? le feu, ils semblaient croire que la convention, en les ?pargnant, avait m?nag? leurs forces et reconnu tacitement la justice de leur cause. Ils se montraient partout, vantaient leurs hauts faits, d?bitaient dans les salons les m?mes impertinences contre la grande assembl?e qui venait d'abandonner le pouvoir, et affectaient de compter beaucoup sur les d?put?s du nouveau tiers.

Ces d?put?s, qui devaient venir s'asseoir au milieu des v?t?rans de la r?volution, et y repr?senter la nouvelle opinion qui s'?tait form?e en France ? la suite de longs orages, ?taient loin de justifier toutes les d?fiances des r?publicains et toutes les esp?rances des contre-r?volutionnaires. On comptait parmi eux quelques membres des anciennes assembl?es, tels que Vaublanc, Pastoret, Dumas, Dupont , et l'honn?te et savant Tronchet, qui avait rendu de si grands services ? notre l?gislation. On y voyait ensuite beaucoup d'hommes nouveaux, non pas de ces hommes extraordinaires qui brillent au d?but des r?volutions, mais quelques-uns de ces m?rites solides qui, dans la carri?re de la politique, comme dans celle des arts, succ?dent au g?nie; et par exemple des jurisconsultes, des administrateurs, tels que Portalis, Sim?on, Barb?-Marbois, Tron?on-Ducoudray. En g?n?ral, ces nouveaux ?lus, ? part quelques contre-r?volutionnaires signal?s, appartenaient ? cette classe d'hommes mod?r?s qui, n'ayant pris aucune part aux ?v?nemens, et n'ayant pu par cons?quent ni mal faire ni se tromper, pr?tendaient aimer la r?volution, mais en la s?parant de ce qu'ils appelaient ses crimes. Naturellement ils devaient ?tre assez dispos?s ? censurer le pass?; mais ils ?taient d?j? un peu r?concili?s avec la convention et la r?publique par leur ?lection; car on pardonne volontiers ? un ordre de choses dans lequel on a trouv? place. Du reste, ?trangers ? Paris et ? la politique, timides encore sur ce th??tre nouveau, ils recherchaient, ils visitaient les membres les plus consid?r?s de la convention nationale.

Le lendemain, le conseil des cinq-cents r?uni au Man?ge, dans l'ancienne salle de l'assembl?e constituante, choisit Daunou pour pr?sident, et Rewbell, Ch?nier, Cambac?r?s et Thibaudeau, pour secr?taires. Le conseil des anciens se r?unit dans l'ancienne salle de la convention, appela Lar?velli?re-L?paux au fauteuil, et Baudin, Lanjuinais, Br?ard, Charles Lacroix au bureau. Ces choix ?taient convenables et prouvaient que, dans les deux conseils, la majorit? ?tait acquise ? la cause r?publicaine. Les conseils d?clar?rent qu'ils ?taient constitu?s, s'en donn?rent avis r?ciproquement par des messages, confirm?rent provisoirement les pouvoirs des d?put?s, et en renvoy?rent la v?rification apr?s l'organisation du gouvernement.

La plus importante de toutes les ?lections restait ? faire, c'?tait celle des cinq magistrats charg?s du pouvoir ex?cutif. De ce choix d?pendaient ? la fois le sort de la r?publique et la fortune des individus. Les cinq directeurs, en effet, ayant la nomination de tous les fonctionnaires publics, de tous les officiers des arm?es, pouvaient composer le gouvernement ? leur gr?, et le remplir d'hommes attach?s ou contraires ? la r?publique. Ils ?taient ma?tres en outre de la destin?e des individus; ils pouvaient leur ouvrir ou leur fermer la carri?re des emplois publics, r?compenser ou d?courager les talens fid?les ? la cause de la r?volution. L'influence qu'ils devaient exercer ?tait donc immense. Aussi les esprits ?taient-ils singuli?rement pr?occup?s du choix qu'on allait faire.

Les conventionnels se r?unirent pour se concerter sur ce choix. Leur avis ? tous fut de choisir des r?gicides, afin de se donner plus de garanties. Les opinions, apr?s avoir flott? quelque temps, se r?unirent en faveur de Barras, Rewbell, Siey?s, Lar?velli?re-L?paux et Letourneur. Barras avait rendu de grands services en thermidor, prairial et vend?miaire; il avait ?t? en quelque sorte le l?gislateur g?n?ral oppos? ? toutes les factions; la derni?re bataille du 13 vend?miaire lui avait surtout donn? une grande importance, quoique le m?rite des dispositions militaires de cette journ?e appart?nt au jeune Bonaparte. Rewbell, enferm? ? Mayence pendant le si?ge, et souvent appel? dans les comit?s depuis le 9 thermidor, avait adopt? l'opinion des thermidoriens, montr? de l'aptitude et de l'application aux affaires, et une certaine vigueur de caract?re. Siey?s ?tait regard? comme le premier g?nie sp?culatif de l'?poque. Lar?velli?re-L?paux s'?tait volontairement associ? aux girondins le jour de leur proscription, ?tait revenu le 9 thermidor au milieu de ses coll?gues, et y avait combattu de tous ses moyens les deux factions qui avaient alternativement attaqu? la convention. Patriote doux et humain, il ?tait le seul girondin que la Montagne ne suspect?t pas, et le seul patriote dont les contre-r?volutionnaires n'osassent pas nier les vertus. Il n'avait qu'un inconv?nient au dire de certaines gens: c'?tait la difformit? de son corps; on pr?tendait qu'il porterait mal le manteau directorial. Letourneur enfin, connu pour patriote, estim? pour son caract?re, ?tait un ancien officier du g?nie qui avait, dans les derniers temps, remplac? Carnot au comit? de salut public, mais qui ?tait loin d'en avoir les talens. Quelques conventionnels auraient voulu qu'on pla??t parmi les cinq directeurs l'un des g?n?raux qui s'?taient le plus distingu?s ? la t?te des arm?es, comme Kl?ber, Moreau, Pichegru ou Hoche; mais on craignait de donner trop d'influence aux militaires, et on ne voulut en appeler aucun au pouvoir supr?me. Pour rendre les choix certains, les conventionnels convinrent entre eux d'employer un moyen qui, sans ?tre ill?gal, ressemblait fort ? une supercherie. D'apr?s la constitution, le conseil des cinq-cents devait, pour tous les choix, pr?senter une liste d?cuple de candidats au conseil des anciens. Ce dernier, sur dix candidats, en choisissait un. Pour les cinq directeurs, il fallait donc pr?senter cinquante candidats. Les conventionnels, qui avaient la majorit? dans les cinq-cents, convinrent de placer Barras, Rewbell, Siey?s, Lar?velli?re-L?paux et Letourneur en t?te de la liste, et d'y ajouter ensuite quarante-cinq noms inconnus, sur lesquels il serait impossible de fixer un choix. De cette mani?re, la pr?f?rence ?tait forc?e pour les cinq candidats que les conventionnels voulaient appeler au directoire.

Ce plan fut fid?lement suivi; seulement un nom venant ? manquer sur les quarante-cinq, on ajouta Cambac?r?s, qui plaisait fort au nouveau tiers et ? tous les mod?r?s. Quand la liste fut pr?sent?e aux anciens, ils parurent assez m?contens de cette mani?re de forcer leur choix. Dupont , qui avait d?j? figur? dans les pr?c?dentes assembl?es, et qui ?tait un adversaire d?clar?, sinon de la r?publique, au moins de la convention, Dupont demanda un ajournement. <> Les anciens, quoique m?contens de ce proc?d?, partageaient les sentimens de la majorit? des cinq-cents, et confirm?rent les cinq choix qu'on avait voulu leur imposer. Lar?velli?re-L?paux, sur deux cent dix-huit votans, obtint deux cent seize voix, tant il y avait unanimit? d'estime pour cet homme de bien; Letourneur en obtint cent quatre-vingt-neuf, Rewbell cent soixante-seize, Siey?s cent cinquante-six; Barras cent vingt-neuf. Ce dernier, qui ?tait plus homme de parti que les autres, devait exciter plus de dissentimens, et r?unir moins de voix.

Ces cinq nominations caus?rent une grande satisfaction aux r?volutionnaires, qui se voyaient assur?s du gouvernement. Il s'agissait de savoir si les cinq directeurs accepteraient. Il n'y avait pas de doute pour trois d'entre eux, mais il y en avait deux auxquels on connaissait peu de go?t pour la puissance. Lar?velli?re-L?paux, homme simple, modeste, peu propre au maniement des affaires et des hommes, ne trouvait et ne cherchait de plaisir qu'au Jardin des Plantes, avec les fr?res Thouin; il ?tait douteux qu'on le d?cid?t ? accepter les fonctions de directeur. Siey?s, avec un esprit puissant qui pouvait tout concevoir, une affaire comme un principe, ?tait cependant incapable par caract?re des soins du gouvernement. Peut-?tre aussi, plein d'humeur contre une r?publique qui n'?tait pas constitu?e ? son gr?, il paraissait peu dispos? ? en accepter la direction. Quant ? Lar?velli?re-L?paux, on fit valoir une consid?ration toute-puissante sur son coeur honn?te: on lui dit que son association aux magistrats qui allaient gouverner la r?publique, ?tait utile et n?cessaire. Il c?da. En effet, parmi ces cinq individus, hommes d'affaires ou d'action, il fallait une vertu pure et renomm?e; elle s'y trouva par l'acceptation de Lar?velli?re-L?paux. Quant ? Siey?s, on ne put vaincre sa r?pugnance; il refusa, en assurant qu'il se croyait impropre au gouvernement.

Il fallut pourvoir ? son remplacement. Il y avait un homme qui jouissait en Europe d'une consid?ration immense, c'?tait Carnot. On exag?rait ses services militaires, qui cependant ?taient r?els; on lui attribuait toutes nos victoires; et bien qu'il e?t ?t? membre du grand comit? de salut public, coll?gue de Robespierre, de Saint-Just et de Couthon, on savait qu'il les avait combattus avec une grande ?nergie. On voyait en lui l'union d'un grand g?nie militaire ? un caract?re sto?que. La renomm?e de Siey?s et la sienne ?taient les deux plus grandes de l'?poque. On ne pouvait mieux faire, pour la consid?ration du directoire, que de remplacer l'une de ces deux r?putations par l'autre. Carnot fut en effet port? sur la nouvelle liste, ? c?t? d'hommes qui rendaient sa nomination forc?e. Cambac?r?s fut encore ajout? ? la liste, qui ne renferma que huit inconnus. Les anciens cependant n'h?sit?rent pas ? pr?f?rer Carnot; il obtint cent dix-sept voix sur deux cent treize, et devint l'un des cinq directeurs.

Ainsi Barras, Rewbell, Lar?velli?re-L?paux, Letourneur et Carnot, furent les cinq magistrats charg?s du gouvernement de la r?publique. Parmi ces cinq individus, il ne se trouva aucun homme de g?nie, ni m?me aucun homme d'une renomm?e imposante, except? Carnot. Mais comment faire ? la fin d'une r?volution sanglante, qui, en quelques ann?es, avait d?vor? plusieurs g?n?rations d'hommes de g?nie en tout genre? Il n'y avait plus dans les assembl?es aucun orateur extraordinaire; dans la diplomatie, il n'y avait encore aucun n?gociateur c?l?bre. Barth?lemy seul, par les trait?s avec la Prusse et l'Espagne, s'?tait attir? une esp?ce de consid?ration, mais il n'inspirait aucune confiance aux patriotes. Dans les arm?es, il se formait d?j? de grands g?n?raux, et il s'en pr?parait de plus grands encore; mais il n'y avait maintenant aucune sup?riorit? d?cid?e, et on se d?fiait d'ailleurs des militaires. Il n'existait donc, comme nous venons de le dire, que deux grandes renomm?es, Siey?s et Carnot. Dans l'impossibilit? d'avoir l'une, on avait acquis l'autre. Barras avait de l'action; Rewbell, Letourneur, ?taient des travailleurs; Lar?velli?re-L?paux ?tait un homme sage et probe. Il e?t ?t? difficile, dans le moment, de composer autrement la magistrature supr?me.

La situation dans laquelle ces cinq magistrats arrivaient au pouvoir ?tait d?plorable; et il fallait aux uns beaucoup de courage et de vertu, aux autres beaucoup d'ambition, pour accepter une semblable t?che. On ?tait au lendemain d'un combat dans lequel il avait fallu appeler une faction pour en combattre une autre. Les patriotes qui venaient de verser leur sang se montraient exigeans; les sectionnaires n'avaient point cess? d'?tre hardis. La journ?e du 13 vend?miaire, en un mot, n'avait pas ?t? une de ces victoires suivies de terreur, qui, tout en soumettant le gouvernement au joug de la faction victorieuse, le d?livrent au moins de la faction vaincue. Les patriotes s'?taient relev?s, les sectionnaires ne s'?taient pas soumis. Paris ?tait rempli des intrigans de tous les partis, agit? par toutes les ambitions, et livr? ? une affreuse mis?re.

Aujourd'hui, comme en prairial, les subsistances manquaient dans toutes les grandes communes; le papier-monnaie apportait le d?sordre dans les transactions, et laissait le gouvernement sans ressources. La convention n'ayant pas voulu c?der les biens nationaux pour trois fois leur valeur de 1790, en papier, les ventes avaient ?t? suspendues; le papier, qui ne pouvait rentrer que par les ventes, ?tait rest? en circulation, et sa d?pr?ciation avait fait d'effrayans progr?s. Vainement avait-on imagin? l'?chelle de proportion pour diminuer la perte de ceux qui recevaient les assignats: cette ?chelle ne les r?duisait qu'au cinqui?me, tandis qu'ils ne conservaient pas m?me le cent cinquanti?me de leur valeur primitive. L'?tat, ne percevant que du papier par l'imp?t, ?tait ruin? comme les particuliers. Il percevait, il est vrai, une moiti? de la contribution fonci?re en nature, ce qui lui procurait quelques denr?es pour nourrir les arm?es; mais souvent les moyens de transport lui manquaient, et ces denr?es pourrissaient dans les magasins. Pour surcro?t de d?penses, il ?tait oblig?, comme on sait, de nourrir Paris. Il livrait la ration pour un prix en assignat, qui couvrait ? peine le centi?me des frais. Ce moyen, du reste, ?tait le seul possible, pour fournir au moins du pain aux rentiers et aux fonctionnaires publics pay?s en assignats; mais cette n?cessit? avait port? les d?penses ? un taux ?norme. N'ayant que du papier pour y suffire, l'?tat avait ?mis des assignats sans mesure, et avait port? en quelques mois l'?mission de 12 milliards ? 29. Par les anciennes rentr?es et les encaisses, la somme en circulation r?elle s'?levait ? 19 milliards, ce qui d?passait tous les chiffres connus en finances. Pour ne pas multiplier davantage les ?missions, la commission des cinq, institu?e dans les derniers jours de la convention, pour proposer des moyens extraordinaires de police et de finances, avait fait d?cr?ter en principe une contribution extraordinaire de guerre de vingt fois la contribution fonci?re et dix fois l'imp?t des patentes, ce qui pouvait produire de 6 ? 7 milliards en papier. Mais cette contribution n'?tait d?cr?t?e qu'en principe; en attendant on donnait aux fournisseurs des inscriptions de rentes, qu'ils recevaient ? un taux ruineux. Cinq francs de rente ?taient re?us pour dix francs de capital. On essayait en outre d'un emprunt volontaire ? trois pour cent, qui ?tait ruineux aussi et mal rempli.

Dans cette d?tresse ?pouvantable, les fonctionnaires publics, ne pouvant pas vivre de leurs appointemens, donnaient leur d?mission; les soldats quittaient les arm?es, qui avaient perdu un tiers de leur effectif, et revenaient dans les villes, o? la faiblesse du gouvernement leur permettait de rester impun?ment. Ainsi, cinq arm?es et une capitale immense ? nourrir, avec la simple facult? d'?mettre des assignats sans valeur; ces arm?es ? recruter, le gouvernement entier ? reconstituer au milieu de deux factions ennemies, telle ?tait la t?che des cinq magistrats qui venaient d'?tre appel?s ? l'administration supr?me de la r?publique.

Le besoin d'ordre est si grand dans les soci?t?s humaines, qu'elles se pr?tent elles-m?mes ? son r?tablissement, et secondent merveilleusement ceux qui se chargent du soin de les r?organiser; il serait impossible de les r?organiser si elles ne s'y pr?taient pas, mais il n'en faut pas moins reconna?tre le courage et les efforts de ceux qui osent se charger de pareilles entreprises. Les cinq directeurs, en se rendant au Luxembourg, n'y trouv?rent pas un seul meuble. Le concierge leur pr?ta une table boiteuse, une feuille de papier ? lettre, une ?critoire, pour ?crire le premier message, qui annon?ait aux deux conseils que le directoire ?tait constitu?. Il n'y avait pas un sou en num?raire ? la tr?sorerie. Chaque nuit on imprimait les assignats n?cessaires au service du lendemain, et ils sortaient tout humides des presses de la r?publique. La plus grande incertitude r?gnait sur les approvisionnemens, et pendant plusieurs jours on n'avait pu distribuer que quelques onces de pain ou de riz au peuple.

La premi?re demande fut une demande de fonds. D'apr?s la constitution nouvelle, il fallait que toute d?pense f?t pr?c?d?e d'une demande de fonds, avec allocation ? chaque minist?re. Les deux conseils accordaient la demande, et alors la tr?sorerie, qui avait ?t? rendue ind?pendante du directoire, comptait les fonds accord?s par le d?cret des deux conseils. Le directoire demanda d'abord trois milliards en assignats, qu'on lui accorda, et qu'il fallut ?changer sur-le-champ contre du num?raire. ?tait-ce la tr?sorerie ou le directoire qui devait faire la n?gociation en num?raire? c'?tait l? une premi?re difficult?. La tr?sorerie, en faisant elle-m?me des march?s, sortait de ses attributions de simple surveillance. On r?solut cependant la difficult? en lui attribuant la n?gociation du papier. Les trois milliards pouvaient produire au plus vingt ou vingt-cinq millions ?cus. Ainsi ils pouvaient suffire tout au plus aux premiers besoins courans. Sur-le-champ on se mit ? travailler ? un plan de finances, et le directoire annon?a aux deux conseils qu'il le leur soumettrait sous quelques jours. En attendant il fallait faire vivre Paris, qui manquait de tout. Il n'y avait plus de syst?me organis? de r?quisition; le directoire demanda la facult? d'exiger, par voie de sommation, dans les d?partemens voisins de celui de la Seine, la quantit? de deux cent cinquante mille quintaux de bl?, ? compte sur l'imp?t foncier payable en nature. Le directoire songea ensuite ? demander une foule de lois pour la r?pression des d?sordres de toute esp?ce, et particuli?rement de la d?sertion, qui diminuait chaque jour la force des arm?es. En m?me temps il se mit ? choisir les individus qui devaient composer l'administration. Merlin fut appel? au minist?re de la justice; on fit venir Aubert-Dubayet de l'arm?e des c?tes de Cherbourg pour lui donner le portefeuille de la guerre; Charles Lacroix fut plac? aux affaires ?trang?res; Faypoult aux finances; Benezech, administrateur ?clair?, ? l'int?rieur. Le directoire s'?tudia ensuite ? trouver, dans la multitude de solliciteurs qui l'assi?geaient, les hommes les plus capables de remplir les fonctions publiques. Il n'?tait pas possible que dans cette pr?cipitation il ne f?t de tr?s mauvais choix. Il employa surtout beaucoup de patriotes, trop signal?s pour ?tre impartiaux et sages. Le 13 vend?miaire les avait rendus n?cessaires, et avait fait oublier la crainte qu'ils inspiraient. Le gouvernement entier, directeurs, ministres, agens de toute esp?ce, fut donc form? en haine du 13 vend?miaire, et du parti qui avait provoqu? cette journ?e. Les d?put?s conventionnels eux-m?mes ne furent pas encore rappel?s de leurs missions; et pour cela le directoire n'eut qu'? ne pas leur notifier son installation; il voulait ainsi leur donner le temps d'achever leur ouvrage. Fr?ron, envoy? dans le Midi pour y r?primer les fureurs contre-r?volutionnaires, put continuer sa tourn?e dans ces contr?es malheureuses. Les cinq directeurs travaillaient sans rel?che, et d?ployaient dans ces premiers momens le m?me z?le qu'on avait vu d?ployer aux membres du grand comit? de salut public, dans les jours ? jamais m?morables de septembre et octobre 1793.

Malheureusement, les difficult?s de cette t?che ?taient aggrav?es par des d?faites. La retraite ? laquelle l'arm?e de Sambre-et-Meuse avait ?t? oblig?e donnait lieu aux bruits les plus alarmans. Par le plus vicieux de tous les plans, et la trahison de Pichegru, l'invasion projet?e en Allemagne n'avait pas du tout r?ussi, comme on l'a vu. On avait voulu passer le Rhin sur deux points, et occuper la rive droite par deux arm?es. Jourdan, parti de Dusseldorf, apr?s avoir pass? le fleuve avec beaucoup de bonheur, s'?tait trouv? sur la Lahn, serr? entre la ligne prussienne et le Rhin, et manquant de tout dans un pays neutre, o? il ne pouvait pas vivre ? discr?tion. Cependant cette d?tresse n'aurait dur? que quelques jours s'il avait pu s'avancer dans le pays ennemi, et se joindre ? Pichegru, qui avait trouv?, par l'occupation de Manheim, un moyen si facile et si peu attendu de passer le Rhin. Jourdan aurait r?par?, par cette jonction, le vice du plan de campagne qui lui ?tait impos?; mais Pichegru, qui d?battait encore les conditions de sa d?fection avec les agens du prince de Cond?, n'avait jet? au-del? du Rhin qu'un corps insuffisant. Il s'obstinait ? ne pas passer le fleuve avec le gros de son arm?e, et laissait Jourdan seul en fl?che au milieu de l'Allemagne. Cette position ne pouvait pas durer. Tous ceux qui avaient la moindre notion de la guerre tremblaient pour Jourdan. Hoche, qui, tout en commandant en Bretagne, jetait un regard d'int?r?t sur les op?rations des autres arm?es, en ?crivait ? tout le monde. Jourdan fut donc oblig? de se retirer et de repasser le Rhin; et il agit en cela avec une grande sagesse, et m?rita l'estime par la mani?re dont il conduisit sa retraite.

Les ennemis de la r?publique triomphaient de ce mouvement r?trograde, et r?pandaient les bruits les plus alarmans. Leurs malveillantes pr?dictions se r?alis?rent au moment m?me de l'installation du directoire. Le vice du plan adopt? par le comit? de salut public consistait ? diviser nos forces, ? laisser ainsi ? l'ennemi, qui occupait Mayence, l'avantage d'une position centrale, et ? lui inspirer par l? l'id?e de r?unir ses troupes, et d'en porter la masse enti?re sur l'une ou l'autre de nos deux arm?es. Le g?n?ral Clerfayt dut ? cette situation une inspiration heureuse, et qui attestait plus de g?nie qu'il n'en avait montr? jusqu'ici, et qu'il n'en montra aussi dans l'ex?cution. Un corps d'environ trente mille Fran?ais bloquait Mayence. Ma?tre de cette place, Clerfayt pouvait en d?boucher, et accabler ce corps de blocus, avant que Jourdan et Pichegru eussent le temps d'accourir. Il saisit, en effet, l'instant convenable avec beaucoup d'?-propos. A peine Jourdan s'?tait-il retir? sur le Bas-Rhin, par Dusseldorf et Neuwied, que Clerfayt, laissant un d?tachement pour l'observer, se rendit ? Mayence, et y concentra ses forces, pour d?boucher subitement sur le corps de blocus. Ce corps, sous les ordres du g?n?ral Schaal, s'?tendait en demi-cercle autour de Mayence, et formait une ligne de pr?s de quatre lieues. Quoiqu'on e?t mis beaucoup de soin ? la fortifier, son ?tendue ne permettait pas de la fermer exactement. Clerfayt, qui l'avait bien observ?e, avait d?couvert plus d'un point facilement accessible. L'extr?mit? de cette ligne demi-circulaire, qui devait s'appuyer sur le cours sup?rieur du Rhin, laissait entre les derniers retranchemens et le fleuve une vaste prairie. C'est sur ce point que Clerfayt r?solut de porter son principal effort. Le 7 brumaire , il d?boucha par Mayence avec des forces imposantes, mais point assez consid?rables cependant pour rendre l'op?ration d?cisive. Les militaires lui ont reproch?, en effet, d'avoir laiss? sur la rive droite un corps qui, employ? ? agir sur la rive gauche, aurait in?vitablement amen? la ruine d'une partie de l'arm?e fran?aise. Clerfayt dirigea, le long de la prairie qui remplissait l'intervalle entre le Rhin et la ligne de blocus, une colonne qui s'avan?a l'arme au bras. En m?me temps, une flottille de chaloupes canonni?res remontait le fleuve pour seconder le mouvement de cette colonne. Il fit marcher le reste de son arm?e sur le front des lignes, et ordonna une attaque prompte et vigoureuse. La division fran?aise plac?e ? l'extr?mit? du demi-cercle, se voyant ? la fois attaqu?e de front, tourn?e par un corps qui filait le long du fleuve, et canonn?e par une flottille dont les boulets arrivaient sur ses derri?res, prit l'?pouvante et s'enfuit en d?sordre. La division de Saint-Cyr, qui ?tait plac?e imm?diatement apr?s celle-ci, se trouva d?couverte alors, et menac?e d'?tre d?bord?e. Heureusement l'aplomb et le coup d'oeil de son g?n?ral la tir?rent de p?ril. Il fit un changement de front en arri?re, et ex?cuta sa retraite en bon ordre, en avertissant les autres divisions d'en faire autant. D?s cet instant, tout le demi-cercle fut abandonn?; la division Saint-Cyr fit son mouvement de retraite sur l'arm?e du Haut-Rhin; les divisions Mengaud et Renaud, qui occupaient l'autre partie de la ligne, se trouvant s?par?es, se repli?rent sur l'arm?e de Sambre-et-Meuse, dont, par bonheur, une colonne, command?e par Marceau, s'avan?ait dans le Hunde-Ruck. La retraite de ces deux derni?res divisions fut extr?mement difficile, et aurait pu devenir impossible, si Clerfayt, comprenant bien toute l'importance de sa belle manoeuvre, e?t agi avec des masses plus fortes et avec une rapidit? suffisante. Il pouvait, de l'avis des militaires, apr?s avoir rompu la ligne fran?aise, tourner rapidement les divisions qui descendaient vers le Bas-Rhin, les envelopper, et les renfermer dans le coude que le Rhin forme de Mayence ? Bingen.

La manoeuvre de Clerfayt n'en fut pas moins tr?s-belle, et regard?e comme la premi?re de ce genre ex?cut?e par les coalis?s. Tandis qu'il enlevait ainsi les lignes de Mayence, Wurmser, faisant une attaque simultan?e sur Pichegru, lui avait enlev? le pont du Necker, et l'avait ensuite repouss? dans les murs de Manheim. Ainsi, les deux arm?es fran?aises ramen?es au-del? du Rhin, conservant ? la v?rit? Manheim, Neuwied et Dusseldorf, mais s?par?es l'une de l'autre par Clerfayt, qui avait chass? tout ce qui bloquait Mayence, pouvaient courir de grands dangers devant un g?n?ral entreprenant et audacieux. Le dernier ?v?nement les avait fort ?branl?es; des fuyards avaient couru jusque dans l'int?rieur, et un d?n?ment absolu ajoutait au d?couragement de la d?faite. Clerfayt, heureusement, se h?tait peu d'agir, et employait beaucoup plus de temps qu'il n'en aurait fallu pour concentrer toutes ses forces.

Ces tristes nouvelles, arriv?es du 11 au 12 brumaire ? Paris, au moment m?me de l'installation du directoire, contribu?rent beaucoup ? augmenter les difficult?s de la nouvelle organisation r?publicaine. D'autres ?v?nemens moins dangereux en r?alit?, mais tout aussi graves en apparence, se passaient dans l'Ouest. Un nouveau d?barquement d'?migr?s mena?ait la r?publique. Apr?s la funeste descente de Quiberon, qui ne fut tent?e, comme on l'a vu, qu'avec une partie des forces pr?par?es par le gouvernement anglais, les d?bris de l'exp?dition avaient ?t? transport?s sur la flotte anglaise, et d?pos?s ensuite dans la petite ?le d'Ouat. On avait d?barqu? l? les malheureuses familles du Morbihan qui ?taient accourues au-devant de l'exp?dition, et le reste des r?gimens ?migr?s. Une ?pid?mie et d'affreuses discordes r?gnaient sur ce petit ?cueil. Au bout de quelque temps, Puisaye, rappel? par tous les chouans qui avaient rompu la pacification, et qui n'attribuaient qu'aux Anglais, et non ? leur ancien chef, le malheur de Quiberon, Puisaye ?tait retourn? en Bretagne, o? il avait tout pr?par? pour un redoublement d'hostilit?s. Pendant l'exp?dition de Quiberon, les chefs de la Vend?e ?taient demeur?s immobiles, parce que l'exp?dition ne se dirigeait pas chez eux, parce qu'ils avaient d?fense des agens de Paris de seconder Puisaye, et enfin parce qu'ils attendaient un succ?s avant d'oser encore se compromettre. Charette seul ?tait entr? en contestation avec les autorit?s r?publicaines, au sujet de diff?rens d?sordres commis dans son arrondissement, et de quelques pr?paratifs militaires qu'on lui reprochait de faire, et il avait presque ouvertement rompu. Il venait de recevoir, par l'interm?diaire de Paris, de nouvelles faveurs de V?rone, et d'obtenir le commandement en chef des pays catholiques; ce qui ?tait le but de tous ses voeux. Cette nouvelle dignit?, en refroidissant le z?le de ses rivaux, avait singuli?rement excit? le sien. Il esp?rait une nouvelle exp?dition dirig?e sur ses c?tes; et le commodore Waren lui ayant offert les munitions restant de l'exp?dition de Quiberon, il n'avait plus h?sit?; il avait fait sur le rivage une attaque g?n?rale, repli? les postes r?publicains, et recueilli quelques poudres et quelques fusils. Les Anglais d?barqu?rent en m?me temps sur la c?te du Morbihan les malheureuses familles qu'ils avaient tra?n?es ? leur suite, et qui mouraient de faim et de mis?re dans l'?le d'Ouat. Ainsi, la pacification ?tait rompue et la guerre recommenc?e.

Depuis long-temps les trois g?n?raux r?publicains, Aubert-Dubayet, Hoche et Canclaux, qui commandaient les trois arm?es dites de Cherbourg, de Brest et de l'Ouest, regardaient la pacification comme rompue, non-seulement dans la Bretagne, mais aussi dans la Basse-Vend?e. Ils s'?taient r?unis tous trois ? Nantes, et n'avaient rien su r?soudre. Ils se mettaient n?anmoins en mesure d'accourir individuellement sur le premier point menac?. On parlait d'un nouveau d?barquement; on disait, ce qui ?tait vrai, que la division de Quiberon n'?tait que la premi?re, et qu'il en arrivait encore une autre. Averti des nouveaux dangers qui mena?aient les c?tes, le gouvernement fran?ais nomma Hoche au commandement de l'arm?e de l'Ouest. Le vainqueur de Wissembourg et de Quiberon ?tait l'homme en effet auquel, dans ce danger pressant, ?tait due toute la confiance nationale. Il se rendit aussit?t ? Nantes pour remplacer Canclaux. Les trois arm?es destin?es ? contenir les provinces insurg?es avaient ?t? successivement renforc?es par quelques d?tachemens venus du Nord, et par plusieurs des divisions que la paix avec l'Espagne rendait disponibles. Hoche se fit autoriser ? tirer de nouveaux d?tachemens des deux arm?es de Brest et de Cherbourg, pour en augmenter celle de la Vend?e, qu'il porta ainsi ? quarante-quatre mille hommes. Il ?tablit des postes fortement retranch?s sur la S?vre Nantaise qui coule entre les deux Vend?es, et qui s?parait le pays de Stofflet de celui de Charette. Il avait pour but d'isoler ainsi ces deux chefs, et de les emp?cher d'agir de concert. Charette avait enti?rement lev? le masque, et proclam? de nouveau la guerre. Stofflet, Sapinaud, Sc?peaux, jaloux de voir Charette nomm? g?n?ralissime, intimid?s aussi par les pr?paratifs de Hoche, et incertains de l'arriv?e des Anglais, ne bougeaient point encore. L'escadre anglaise parut enfin, d'abord dans la baie de Quiberon, et puis dans celle de l'Ile-Dieu, en face de la Basse-Vend?e. Elle portait deux mille hommes d'infanterie anglaise, cinq cents cavaliers tout ?quip?s, des cadres de r?gimens ?migr?s, grand nombre d'officiers, des armes, des munitions, des vivres, des v?temens pour une arm?e consid?rable, des fonds en esp?ces m?talliques, et enfin le prince tant attendu. Des forces plus consid?rables devaient suivre si l'exp?dition avait un commencement de succ?s, et si le prince prouvait son d?sir sinc?re de se mettre ? la t?te du parti royaliste. A peine l'exp?dition fut signal?e sur les c?tes, que tous les chefs royalistes avaient envoy? des ?missaires aupr?s du prince, pour l'assurer de leur d?vouement, pour r?clamer l'honneur de le poss?der, et concerter leurs efforts. Charette, ma?tre du littoral, ?tait le mieux plac? pour concourir au d?barquement, et sa r?putation, ainsi que le voeu de toute l'?migration, attirait l'exp?dition vers lui. Il envoya aussi des agens pour arr?ter un plan d'op?rations.

Hoche, pendant ce temps, faisait ses pr?paratifs avec son activit? et sa r?solution accoutum?es. Il forma le projet de diriger trois colonnes, de Challans, Clisson et Sainte-Hermine, trois points plac?s ? la circonf?rence du pays, et de les porter sur Belleville, qui ?tait le quartier-g?n?ral de Charette. Ces trois colonnes, fortes de vingt ? vingt-deux mille hommes, devaient, par leur masse, imposer ? la contr?e, ruiner le principal ?tablissement de Charette, et le jeter, par une attaque brusque et vigoureuse, dans un d?sordre tel qu'il ne p?t prot?ger le d?barquement du prince ?migr?. Hoche, en effet, fit partir ces trois colonnes, et les r?unit ? Belleville sans y trouver d'obstacles. Charette, dont il esp?rait rencontrer et battre le principal rassemblement, n'?tait point ? Belleville; il avait r?uni neuf ? dix mille hommes, et s'?tait dirig? du c?t? de Lu?on pour porter le th??tre de la guerre vers le midi du pays, et ?loigner des c?tes l'attention des r?publicains. Son plan ?tait bien con?u, mais il manqua par l'?nergie qui lui fut oppos?e. Tandis que Hoche entrait ? Belleville avec ses trois colonnes, Charette ?tait devant le poste de Saint-Cyr, qui couvre la route de Lu?on aux Sables. Il attaqua ce poste avec toutes ses forces; deux cents r?publicains retranch?s dans une ?glise y firent une r?sistance h?ro?que, et donn?rent ? la division de Lu?on, qui entendait la canonnade, le temps d'accourir ? leur secours. Charette, pris en flanc, fut enti?rement battu, et oblig? de se disperser avec son rassemblement pour rentrer dans l'int?rieur du Marais.

Hoche, ne trouvant pas l'ennemi devant lui, et d?couvrant la v?ritable intention de son mouvement, ramena ses colonnes aux points d'o? elles ?taient parties, et s'occupa d'?tablir un camp retranch? ? Soullans, vers la c?te, pour fondre sur le premier corps qui essaierait de d?barquer. Dans cet intervalle, le prince ?migr?, entour? d'un nombreux conseil et des envoy?s de tous les chefs bretons et vend?ens, continuait de d?lib?rer sur les plans de d?barquement, et laissait ? Hoche le temps de pr?parer ses moyens de r?sistance. Les voiles anglaises, demeurant en vue des c?tes, ne cessaient de provoquer les craintes des r?publicains et les esp?rances des royalistes.

Ainsi, d?s les premiers jours de l'installation du directoire, une d?faite devant Mayence, et un d?barquement imminent dans la Vend?e, ?taient des sujets d'alarme dont les ennemis du gouvernement se servaient avec une grande perfidie pour rendre son ?tablissement plus difficile. Il fit expliquer ou d?mentir une partie des bruits qu'on r?pandait sur la situation des deux fronti?res, et donna des ?claircissemens sur les ?v?nemens qui venaient de se passer. On ne pouvait gu?re dissimuler la d?faite essuy?e devant les lignes de Mayence; mais le gouvernement fit r?pondre aux discours des alarmistes que Dusseldorf et Neuwied nous restaient encore; que Manheim ?tait toujours en notre pouvoir; que par cons?quent l'arm?e de Sambre-et-Meuse avait deux t?tes de pont, et l'arm?e du Rhin une, pour d?boucher quand il leur conviendrait au-del? du Rhin; que notre situation ?tait donc la m?me que celle des Autrichiens, puisque, s'ils ?taient ma?tres par Mayence d'agir sur les deux rives, nous l'?tions nous aussi par Dusseldorf, Neuwied et Manheim. Le raisonnement ?tait juste; mais il s'agissait de savoir si les Autrichiens, poursuivant leurs succ?s, ne nous enl?veraient pas bient?t Neuwied et Manheim, et ne s'?tabliraient pas sur la rive gauche, entre les Vosges et la Moselle. Quant ? la Vend?e, le gouvernement fit part des dispositions vigoureuses de Hoche, qui ?taient rassurantes pour les esprits de bonne foi, mais qui n'emp?chaient pas les patriotes exalt?s de concevoir des craintes, et les contre-r?volutionnaires d'en r?pandre.

Au milieu de ces dangers, le directoire redoublait d'efforts pour r?organiser le gouvernement, l'administration, et surtout les finances. Trois milliards d'assignats lui avaient ?t? accord?s, comme on a vu, et avaient produit tout au plus vingt et quelques millions en ?cus. L'emprunt volontaire ouvert ? trois pour cent, dans les derniers jours de la convention, venait d'?tre suspendu; car pour un capital en papier, l'?tat promettait une rente r?elle, et faisait un march? ruineux. La taxe extraordinaire de guerre propos?e par la commission des cinq n'avait pas encore ?t? mise ? ex?cution, et excitait des plaintes comme un dernier acte r?volutionnaire de la convention ? l'?gard des contribuables. Tous les services allaient manquer. Les particuliers, rembours?s d'apr?s l'?chelle de proportion, ?levaient des r?clamations si am?res, qu'on avait ?t? oblig? de suspendre les remboursemens. Les ma?tres de poste, pay?s en assignats, annon?aient qu'ils allaient se retirer; car les secours insuffisans du gouvernement ne couvraient plus leurs pertes. Le service des postes allait manquer sous peu, c'est-?-dire que toutes les communications, m?me ?crites, allaient cesser dans toutes les parties du territoire. Le plan des finances annonc? sous quelques jours devait donc ?tre donn? sur-le-champ. C'?tait l? le premier besoin de l'?tat et le premier devoir du directoire. Il fut enfin communiqu? ? la commission des finances.

La masse des assignats circulans pouvait ?tre ?valu?e ? environ 20 milliards. M?me en supposant les assignats encore au centi?me de leur valeur, et non pas au cent cinquanti?me, ils ne formaient pas une valeur r?elle de plus de 200 millions: il est certain qu'ils ne figuraient pas pour davantage dans la circulation, et que ceux qui les poss?daient ne pouvaient les faire accepter pour une valeur sup?rieure. On aurait pu tout ? coup revenir ? la r?alit?, ne prendre les assignats que pour ce qu'ils valaient v?ritablement, ne les admettre qu'au cours, soit dans les transactions entre particuliers, soit dans l'acquittement des imp?ts, soit dans le paiement des biens nationaux. Sur-le-champ alors, cette grande et effrayante masse de papier, cette dette ?norme aurait disparu. Il restait ? peu pr?s sept milliards ?cus de biens nationaux, en y comprenant ceux de la Belgique et les for?ts nationales; on avait donc d'immenses ressources pour retirer ces 20 milliards, r?duits ? 200 millions, et pour faire face ? de nouvelles d?penses. Mais cette grande et hardie d?termination ?tait difficile ? prendre; elle ?tait repouss?e ? la fois par les esprits scrupuleux, qui la consid?raient comme une banqueroute, et par les patriotes, qui disaient qu'on voulait ruiner les assignats.

Les uns et les autres se montraient peu ?clair?s. Cette banqueroute, si c'en ?tait une, ?tait in?vitable, et s'accomplit plus tard. Il s'agissait seulement d'abr?ger le mal, c'est-?-dire la confusion, et de r?tablir l'ordre dans les valeurs, seule justice que doive l'?tat ? tout le monde. Sans doute, au premier aspect, c'?tait une banqueroute que de prendre aujourd'hui pour 1 franc, un assignat qui, en 1790, avait ?t? ?mis pour 100 francs, et qui contenait alors la promesse de 100 francs en terre. D'apr?s ce principe, il aurait donc fallu prendre les 20 milliards de papier pour 20 milliards ?cus, et les payer int?gralement; mais les biens nationaux auraient ? peine pay? le tiers de cette somme. Dans le cas m?me o? l'on aurait pu payer la somme int?gralement, il faut se demander combien l'?tat avait re?u en ?mettant ces 20 milliards? 4 ou 5 milliards peut-?tre. On ne les avait pas pris pour davantage en les recevant de ses mains, et il avait d?j? rembours? par les ventes une valeur ?gale en biens nationaux. Il y aurait donc eu la plus cruelle injustice ? l'?gard de l'?tat, c'est-?-dire de tous les contribuables, ? consid?rer les assignats d'apr?s leur valeur primitive. Il fallait donc consentir ? ne les prendre que pour une valeur r?duite: on avait m?me commenc? ? le faire, en adoptant l'?chelle de proportion.

Sans doute, s'il y avait encore des individus portant les premiers assignats ?mis, et les ayant gard?s sans les ?changer une seule fois, ceux-l? ?taient expos?s ? une perte ?norme; car les ayant re?us presque au pair, ils allaient essuyer aujourd'hui toute la r?duction. Mais c'?tait l? une fiction tout ? fait fausse. Personne n'avait gard? les assignats en d?p?t, car on ne th?saurise pas le papier: tout le monde s'?tait h?t? de les transmettre, et chacun avait essuy? une portion de la perte. Tout le monde avait souffert d?j? sa part de cette pr?tendue banqueroute, et d?s lors ce n'en ?tait plus une. La banqueroute d'un ?tat consiste ? faire supporter ? quelques individus, c'est-?-dire aux cr?anciers, la dette qu'on ne veut pas faire supporter ? tous les contribuables; or, si tout le monde avait du plus au moins souffert sa part de la d?pr?ciation des assignats, il n'y avait banqueroute pour personne. On pouvait enfin donner une raison plus forte que toutes les autres. L'assignat n'e?t-il baiss? que dans quelques mains, et perdu de son prix que pour quelques individus, il avait pass? maintenant dans les mains des sp?culateurs sur le papier, et c'e?t ?t? cette classe beaucoup plus que celle des v?ritables l?s?s, qui aurait recueilli l'avantage d'une restauration insens?e de valeur. Aussi Calonne avait-il ?crit ? Londres une brochure, o? il disait avec beaucoup de sens, qu'on se trompait en croyant la France accabl?e par le fardeau des assignats, que ce papier-monnaie ?tait un moyen de faire la banqueroute sans la d?clarer. Il aurait d? dire, pour s'exprimer avec plus de justice, que c'?tait un moyen de la faire porter sur tout le monde, c'est-?-dire de la rendre nulle.

Il ?tait donc raisonnable et juste de revenir ? la r?alit?, et de ne prendre l'assignat que pour ce qu'il valait. Les patriotes disaient que c'?tait ruiner l'assignat, qui avait sauv? la r?volution, et regardaient cette id?e comme une conception sortie du cerveau des royalistes. Ceux qui pr?tendaient raisonner avec plus de lumi?res et de connaissance de la question, soutenaient qu'on allait faire tomber tout ? coup le papier, et que la circulation ne pourrait plus se faire, faute du papier qui aurait p?ri, et faute des m?taux qui ?taient enfouis, ou qui avaient pass? ? l'?tranger. L'avenir d?mentit ceux qui faisaient ce raisonnement; mais un simple calcul aurait d? tout de suite les mettre sur la voie d'une opinion plus juste. En r?alit?, les 20 milliards d'assignats repr?sentaient moins de 200 millions; or, d'apr?s tous les calculs, la circulation ne pouvait pas se faire autrefois sans moins de 2 milliards, or ou argent. Si donc aujourd'hui les assignats n'entraient que pour 200 millions dans la circulation, avec quoi se faisait le reste des transactions? Il est bien ?vident que les m?taux devaient circuler en tr?s-grande quantit?, et ils circulaient en effet, mais dans les provinces et les campagnes, loin des yeux du gouvernement. D'ailleurs les m?taux, comme toutes les marchandises, viennent toujours l? o? le besoin les appelle, et, en chassant le papier, ils seraient revenus, comme ils revinrent en effet quand le papier p?rit de lui-m?me.

C'?tait donc une double erreur, et tr?s-enracin?e dans les esprits, que de regarder la r?duction de l'assignat ? sa valeur r?elle, comme une banqueroute et comme une destruction subite des moyens de circulation. Elle n'avait qu'un inconv?nient, mais ce n'?tait pas celui qu'on lui reprochait, comme on va le voir bient?t. La commission des finances, g?n?e par les id?es qui r?gnaient, ne put adopter qu'en partie les vrais principes de la mati?re. Apr?s s'?tre concert?e avec le directoire, elle arr?ta le projet suivant.

En attendant que, par le nouveau plan, la vente des biens et la perception des imp?ts fissent rentrer des valeurs non pas fictives, mais r?elles, il fallait se servir encore des assignats. On proposa de porter l'?mission ? 30 milliards, mais en s'obligeant ? ne pas la porter au-del?. Au 30 niv?se, la planche devait ?tre solennellement bris?e. Ainsi on rassurait le public sur la quantit? des nouvelles ?missions. On consacrait aux 30 milliards ?mis un milliard ?cus de biens nationaux. Par cons?quent, l'assignat qui, dans la circulation, ne valait r?ellement que le cent cinquanti?me et beaucoup moins, ?tait liquid? au trenti?me; ce qui ?tait un assez grand avantage fait au porteur du papier. On consacrait encore un milliard ?cus de terres ? r?compenser les soldats de la r?publique, milliard qui leur ?tait promis depuis long-temps. Il en restait donc cinq, sur les sept dont on pouvait disposer. Dans ces cinq se trouvaient les for?ts nationales, le mobilier des ?migr?s et de la couronne, les maisons royales, les biens du clerg? belge. On avait donc encore cinq milliards ?cus disponibles. Mais la difficult? consistait ? disposer de cette valeur. L'assignat, en effet, avait ?t? le moyen de la mettre en circulation d'avance, avant que les biens fussent vendus. Mais l'assignat ?tant supprim?, puisqu'on ne pouvait ajouter que 10 milliards aux 20 existans, somme qui, tout au plus, repr?sentait 100 millions ?cus, comment r?aliser d'avance la valeur des biens, et s'en servir pour les d?penses de la guerre? C'?tait l? la seule objection ? faire ? la liquidation du papier et ? sa suppression. On imagina les c?dules hypoth?caires, dont il avait ?t? parl? l'ann?e pr?c?dente. D'apr?s cet ancien plan, on devait emprunter, et donner aux pr?teurs des c?dules portant hypoth?que sp?ciale sur les bien d?sign?s. Afin de trouver ? emprunter, on devait recourir ? des compagnies de finances qui se chargeraient de ces c?dules. En un mot, au lieu d'un papier dont la circulation ?tait forc?e, qui n'avait qu'une hypoth?que g?n?rale sur la masse des biens nationaux, et qui changeait tous les jours de valeur, on cr?ait par les c?dules un papier volontaire, qui ?tait hypoth?qu? nomm?ment sur une terre ou sur une maison, et qui ne pouvait subir d'autre changement de valeur que celui de l'objet m?me qu'il repr?sentait. Ce n'?tait pas proprement un papier-monnaie. Il n'?tait pas expos? ? tomber, parce qu'il n'?tait pas forc?ment introduit dans la circulation; mais on pouvait aussi ne pas trouver ? le placer. En un mot, la difficult? consistant toujours, aujourd'hui comme au d?but de la r?volution, ? mettre en circulation la valeur des biens, la question ?tait de savoir s'il valait mieux forcer la circulation de cette valeur, ou la laisser volontaire. Le premier moyen ?tant tout ? fait ?puis?, il ?tait naturel qu'on songe?t ? essayer l'autre.

On convint donc qu'apr?s avoir port? le papier ? 30 milliards, qu'apr?s avoir d?sign? un milliard ?cus de biens pour l'absorber, et r?serv? un milliard ?cus de biens aux soldats de la patrie, on ferait des c?dules pour une somme proportionn?e aux besoins publics, et qu'on traiterait de ces c?dules avec des compagnies de finances. Les for?ts nationales ne devaient pas ?tre c?dul?es; on voulait les conserver ? l'?tat. Elles formaient ? peu pr?s 2 milliards, sur les 5 milliards restant disponibles. On devait traiter avec des compagnies pour ali?ner seulement leur produit pendant un certain nombre d'ann?es.

La cons?quence de ce projet, fond? sur la r?duction des assignats ? leur valeur r?elle, ?tait de ne plus les admettre qu'au cours dans toutes les transactions. En attendant que par la vente du milliard qui leur ?tait affect?, ils pussent ?tre retir?s, ils ne devaient plus ?tre re?us par les particuliers et par l'?tat qu'? leur valeur du jour. Ainsi, le d?sordre des transactions allait cesser, et tout paiement frauduleux devenait impossible. L'?tat allait recevoir par l'imp?t des valeurs r?elles, qui couvraient au moins les d?penses ordinaires, et il n'aurait plus ? payer avec les biens que les frais extraordinaires de la guerre. L'assignat ne devait ?tre re?u au pair que dans le paiement de l'arri?r? des impositions, arri?r? qui ?tait consid?rable, et s'?levait ? 13 milliards. On fournissait ainsi aux contribuables en retard un moyen ais? de se lib?rer, ? condition qu'ils le feraient tout de suite; et la somme de 30 milliards, remboursable en biens nationaux au trenti?me, ?tait diminu?e d'autant. Ce plan, adopt? par les cinq-cents, apr?s une longue discussion en comit? secret, fut aussit?t port? aux anciens. Pendant que les anciens allaient le discuter, de nouvelles questions ?taient soumises aux cinq-cents, sur la mani?re de rappeler sous les drapeaux les soldats qui avaient d?sert? ? l'int?rieur; sur le mode de nomination des juges, officiers municipaux, et fonctionnaires de toute esp?ce, que les assembl?es ?lectorales, agit?es par les passions de vend?miaire, n'avaient pas eu le temps ou la volont? de nommer. Le directoire travaillait ainsi sans rel?che, et fournissait de nouveaux sujets de travail aux deux conseils.

Le plan de finances d?f?r? aux anciens reposait sur de bons principes; il pr?sentait des ressources, car la France en avait encore d'immenses; malheureusement il ne surmontait pas la v?ritable difficult?, car il ne rendait pas ces ressources assez actuelles. Il est bien ?vident que la France, avec des imp?ts qui pouvaient suffire ? sa d?pense annuelle d?s que le papier ne rendrait plus la recette illusoire, avec 7 milliards ?cus de biens nationaux pour rembourser les assignats et pourvoir aux d?penses extraordinaires de la guerre, il est bien ?vident que la France avait des ressources. La difficult? consistait, en fondant un plan sur de bons principes, et en l'adaptant ? l'avenir, de pourvoir surtout au pr?sent.

Si donc la ligne du Rhin nous restait dans les Pays-Bas, elle ?tait perdue ? la hauteur des Vosges, et l'ennemi nous avait enlev? autour de Mayence un vaste demi-cercle.

Dans cet ?tat de d?tresse, le directoire envoya une d?p?che des plus pressantes au conseil des cinq-cents, et proposa une de ces r?solutions extraordinaires qui avaient ?t? prises dans les occasions d?cisives de la r?volution. C'?tait un emprunt forc? de six cents millions en valeur r?elle, soit num?raire, soit assignats au cours, r?parti sur les classes les plus riches. C'?tait donner ouverture ? une nouvelle suite d'actes arbitraires, comme l'emprunt forc? de Cambon sur les riches; mais, comme ce nouvel emprunt ?tait exigible sur-le-champ, qu'il pouvait faire rentrer tous les assignats circulans, et fournir encore un surplus de trois ou quatre cents millions en num?raire, et qu'il fallait enfin trouver des ressources promptes et ?nergiques, on l'adopta.

Il fut d?cid? que les assignats seraient re?us ? cent capitaux pour un: 200 millions de l'emprunt suffisaient donc pour absorber 20 milliards de papier. Tout ce qui rentrerait devait ?tre br?l?. On esp?rait ainsi que le papier retir? presque enti?rement se rel?verait, et qu'? la rigueur on pourrait en ?mettre encore et se servir de cette ressource. Il devait rester ? percevoir, sur les 600 millions, 4oo millions en num?raire, qui suffiraient aux besoins des deux premiers mois, car on ?valuait ? 1,500 millions les d?penses de cette ann?e .

Certains adversaires du directoire, qui, sans s'inqui?ter beaucoup de l'?tat du pays, voulaient seulement contrarier le nouveau gouvernement ? tout prix, firent les objections les plus effrayantes, Cet emprunt, disaient-ils, allait enlever tout le num?raire de la France; elle n'en aurait pas m?me assez pour le payer! comme si l'?tat, en prenant 400 millions en m?tal, n'allait pas les reverser dans la circulation en achetant des bl?s, des draps, des cuirs, des fers, etc. L'?tat n'allait br?ler que le papier. La question ?tait de savoir si la France pouvait donner sur-le-champ 400 millions en denr?es et marchandises, et br?ler 200 millions en papier, qu'on appelait fastueusement 20 milliards. Elle le pouvait certainement. Le seul inconv?nient ?tait dans le mode de perception qui serait vexatoire, et qui par l? deviendrait moins productif, mais on ne savait comment faire. Arr?ter les assignats ? 30 milliards, c'est-?-dire ne se donner que 100 millions r?els devant soi, d?truire ensuite la planche, et s'en fier du sort de l'?tat ? l'ali?nation du revenu des for?ts et au placement des c?dules, c'est-?-dire ? l'?mission d'un papier volontaire, avait paru trop hardi. Dans l'incertitude de ce que feraient les volont?s libres, les conseils aim?rent mieux forcer les Fran?ais ? contribuer extraordinairement.

Par l'emprunt forc?, se disait-on, une partie au moins du papier rentrera; il rentrera avec une certaine quantit? de num?raire; puis enfin on aura toujours la planche, qui aura acquis plus de valeur par l'absorption de la plus grande partie des assignats. On ne renon?a pas pour cela aux autres ressources; on d?cida qu'une partie des biens serait c?dul?e, op?ration longue, car il fallait mentionner le d?tail de chaque bien dans les c?dules, et que l'on ferait ensuite march? avec des compagnies de finances. On d?cr?ta la mise en vente des maisons sises dans les villes, celle des terres au-dessous de trois cents arpens, et enfin celle des biens du clerg? belge. On r?solut aussi l'ali?nation de toutes les maisons ci-devant royales, except? Fontainebleau, Versailles et Compi?gne. Le mobilier des ?migr?s dut ?tre aussi vendu sur-le-champ. Toutes ces ventes devaient se faire aux ench?res.

On n'osa pas d?cr?ter encore la r?duction des assignats au cours, ce qui aurait fait cesser le plus grand mal, celui de ruiner tous ceux qui les recevaient, les particuliers comme l'?tat. On craignait de les d?truire tout ? coup par cette mesure si simple. On d?cida que, dans l'emprunt forc?, ils seraient re?us ? cent capitaux pour un; que dans l'arri?r? des contributions ils seraient re?us pour toute leur valeur, afin d'encourager l'acquittement de cet arri?r?, qui devait faire rentrer 13 milliards; que les remboursemens des capitaux seraient toujours suspendus; mais que les rentes et les int?r?ts de toute esp?ce seraient pay?s ? dix capitaux pour un, ce qui ?tait encore fort on?reux pour ceux qui recevaient leur revenu ? ce prix. Le paiement de l'imp?t foncier et des fermages fut maintenu sur le m?me pied, c'est-?-dire moiti? en nature, moiti? en assignats. Les douanes durent ?tre pay?es moiti? en assignats, moiti? en num?raire. On fit cette exception pour les douanes, parce qu'il y avait d?j? beaucoup de num?raire aux fronti?res. Il y eut aussi une exception ? l'?gard de la Belgique. Les assignats n'y avaient pas p?n?tr?; on d?cida que l'emprunt forc?, et les imp?ts, y seraient per?us en num?raire.

On revenait donc timidement au num?raire, et on n'osait pas trancher hardiment la difficult?, comme il arrive toujours dans ces cas-l?. Ainsi, l'emprunt forc?, les biens mis en vente, l'arri?r?, en amenant de consid?rables rentr?es de papier, permettaient d'en ?mettre encore. On pouvait compter en outre sur quelques recettes en num?raire.

Les deux d?terminations les plus importantes ? prendre apr?s les lois de finances, ?taient relatives ? la d?sertion, et au mode de nomination des fonctionnaires non ?lus. L'une devait servir ? recomposer les arm?es, l'autre ? achever l'organisation des communes et des tribunaux.

La d?sertion ? l'ext?rieur, crime fort rare, fut punie de mort. On discuta vivement sur la peine ? infliger ? l'embauchage. Il fut, malgr? l'opposition, puni comme la d?sertion ? l'ext?rieur. Tout cong? donn? aux jeunes gens de la r?quisition dut expirer dans dix jours. La poursuite des jeunes gens qui avaient abandonn? les drapeaux, confi?e aux municipalit?s, ?tait molle et sans effet; elle fut donn?e ? la gendarmerie. La d?sertion ? l'int?rieur ?tait punie de d?tention pour la premi?re fois, et des fers pour la seconde. La grande r?quisition d'ao?t 1793, qui ?tait la seule mesure de recrutement qu'on e?t adopt?e, atteignait assez d'hommes pour remplir les arm?es; elle avait suffi, depuis trois ans, pour les maintenir sur un pied respectable, et elle pouvait suffire encore, au moyen d'une loi nouvelle qui en assur?t l'ex?cution. Les nouvelles dispositions furent combattues par l'opposition, qui tendait naturellement ? diminuer l'action du gouvernement; mais elles furent adopt?es par la majorit? des deux conseils.

Beaucoup d'assembl?es ?lectorales, agit?es par les d?crets des 5 et 13 fructidor, avaient perdu leur temps, et n'avaient point achev? la nomination des individus qui devaient composer les administrations locales et les tribunaux. Celles qui ?taient situ?es dans les provinces de l'Ouest, ne l'avaient pas pu ? cause de la guerre civile. D'autres y avaient mis de la n?gligence. La majorit? conventionnelle, pour assurer l'homog?n?it? du gouvernement, et une homog?n?it? toute r?volutionnaire, voulait que le directoire e?t les nominations. Il est naturel que le gouvernement h?rite de tous les droits auxquels les citoyens renoncent, c'est-?-dire que l'action du gouvernement suppl?e ? celle des individus. Ainsi, l? o? les assembl?es avaient outre-pass? les d?lais constitutionnels, l? o? elles n'avaient pas voulu user de leurs droits, il ?tait naturel que le directoire f?t appel? ? nommer. Convoquer de nouvelles assembl?es, c'?tait manquer ? la constitution, qui le d?fendait, c'?tait r?compenser la r?volte contre les lois, c'?tait enfin donner ouverture ? de nouveaux troubles. Il y avait d'ailleurs des analogies dans la constitution qui devaient conduire ? r?soudre la question en faveur du directoire. Ainsi, il ?tait charg? de faire les nominations dans les colonies, et de remplacer les fonctionnaires morts ou d?missionnaires dans l'intervalle d'une ?lection ? l'autre. L'opposition ne manqua pas de s'?lever contre cet avis. Dumolard, dans le conseil des cinq-cents, Portalis, Dupont , Tron?on-Ducoudray, dans le conseil des anciens, soutinrent que c'?tait donner une pr?rogative royale au directoire. Cette minorit?, qui secr?tement penchait plut?t pour la monarchie que pour la r?publique, changea ici de r?le avec la majorit? r?publicaine, et soutint avec la derni?re exag?ration les id?es d?mocratiques. Du reste, la discussion vive et solennelle ne fut troubl?e par aucun emportement. Le directoire eut les nominations, ? la seule condition de faire ses choix parmi les hommes qui avaient d?j? ?t? honor?s des suffrages du peuple. Les principes conduisaient ? cette solution; mais la politique devait la conseiller encore davantage. On ?vitait pour le moment de nouvelles ?lections, et on donnait ? l'administration tout enti?re, aux tribunaux et au gouvernement, une plus grande homog?n?it?.

Le directoire avait donc les moyens de se procurer des fonds, de recruter l'arm?e, d'achever l'organisation de l'administration et de la justice. Il avait la majorit? dans les deux conseils. Une opposition mesur?e s'?levait, il est vrai, dans les cinq-cents et aux anciens; quelques voix du nouveau tiers lui disputaient ses attributions, mais cette opposition ?tait d?cente et calme. Il semblait qu'elle respect?t sa situation extraordinaire, et ses travaux courageux. Sans doute elle respectait aussi, dans ce gouvernement ?lu par les conventionnels et appuy? par eux, la r?volution toute puissante encore et profond?ment courrouc?e. Les cinq directeurs s'?taient partag? la t?che g?n?rale. Barras avait le personnel, et Carnot le mouvement des arm?es; Rewbell, les relations ?trang?res; Letourneur et Lar?velli?re-L?paux, l'administration int?rieure. Ils n'en d?lib?raient pas moins en commun sur toutes les mesures importantes. Ils avaient eu long-temps le mobilier le plus mis?rable; mais enfin ils avaient tir? du Garde-Meuble les objets n?cessaires ? l'ornement du Luxembourg, et ils commen?aient ? repr?senter dignement la r?publique fran?aise. Leurs antichambres ?taient remplies de solliciteurs, entre lesquels il n'?tait pas toujours ais? de choisir. Le directoire, fid?le ? son origine et ? sa nature, choisissait toujours les hommes les plus prononc?s. ?clair? par la r?volte du 13 vend?miaire, il s'?tait pourvu d'une force consid?rable et imposante pour garantir Paris et le si?ge du gouvernement d'un nouveau coup de main. Le jeune Bonaparte, qui avait figur? au 13 vend?miaire, fut charg? du commandement de cette arm?e, dite arm?e de l'int?rieur. Il l'avait r?organis?e en entier et plac?e au camp de Grenelle. Il avait r?uni en un seul corps, sous le nom de l?gion de police, une partie des patriotes qui avaient offert leurs services au 13 vend?miaire. Ces patriotes appartenaient pour la plupart ? l'ancienne gendarmerie dissoute apr?s le 9 thermidor, laquelle n'?tait remplie elle-m?me que des anciens soldats aux gardes-fran?aises. Bonaparte organisa ensuite la garde constitutionnelle du directoire et celle des conseils. Cette force imposante et bien dirig?e ?tait capable de tenir tout le monde en respect, et de maintenir les partis dans l'ordre.

Il y avait un mois et demi tout au plus que le directoire ?tait institu?, et d?j? il commen?ait ? s'asseoir; les partis s'habituaient ? l'id?e d'un gouvernement ?tabli, et, songeant moins ? le renverser, s'arrangeaient pour le combattre dans les limites trac?es par la constitution. Les patriotes, ne renon?ant pas ? leur id?e favorite de club, s'?taient r?unis au Panth?on; ils si?geaient d?j? au nombre de plus de quatre mille, et formaient une assembl?e qui ressemblait fort ? celle des anciens jacobins. Fid?les cependant ? la lettre de la constitution, ils avaient ?vit? ce qu'elle d?fendait dans les r?unions de citoyens, c'est-?-dire l'organisation en assembl?e politique. Ainsi, ils n'avaient pas un bureau; ils ne s'?taient pas donn? des brevets; les assistans n'?taient pas distingu?s en spectateurs et soci?taires; il n'existait ni correspondance ni affiliation avec d'autres soci?t?s du m?me genre. A part cela, le club avait tous les caract?res de l'ancienne soci?t?-m?re, et ses passions, plus vieilles, n'en ?taient que plus opini?tres.

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