Read Ebook: Histoire de la Révolution française Tome 08 by Thiers Adolphe
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Il y avait un mois et demi tout au plus que le directoire ?tait institu?, et d?j? il commen?ait ? s'asseoir; les partis s'habituaient ? l'id?e d'un gouvernement ?tabli, et, songeant moins ? le renverser, s'arrangeaient pour le combattre dans les limites trac?es par la constitution. Les patriotes, ne renon?ant pas ? leur id?e favorite de club, s'?taient r?unis au Panth?on; ils si?geaient d?j? au nombre de plus de quatre mille, et formaient une assembl?e qui ressemblait fort ? celle des anciens jacobins. Fid?les cependant ? la lettre de la constitution, ils avaient ?vit? ce qu'elle d?fendait dans les r?unions de citoyens, c'est-?-dire l'organisation en assembl?e politique. Ainsi, ils n'avaient pas un bureau; ils ne s'?taient pas donn? des brevets; les assistans n'?taient pas distingu?s en spectateurs et soci?taires; il n'existait ni correspondance ni affiliation avec d'autres soci?t?s du m?me genre. A part cela, le club avait tous les caract?res de l'ancienne soci?t?-m?re, et ses passions, plus vieilles, n'en ?taient que plus opini?tres.
Les sectionnaires s'?taient compos? des soci?t?s plus analogues ? leurs go?ts et ? leurs moeurs. Aujourd'hui, comme sous la convention, ils comptaient quelques royalistes secrets dans leurs rangs, mais en petit nombre; la plupart d'entre eux, par crainte ou par bon ton, ?taient ennemis des terroristes et des conventionnels, qu'ils affectaient de confondre, et qu'ils ?taient f?ch?s de retrouver presque tous dans le nouveau gouvernement. Il s'?tait form? des soci?t?s o? on lisait les journaux, o? on s'entretenait de sujets politiques avec la politesse et le ton des salons, et o? la danse et la musique succ?daient ? la lecture et aux conversations. L'hiver commen?ait, et ces messieurs se livraient au plaisir, comme ? un acte d'opposition contre le syst?me r?volutionnaire, syst?me que personne ne voulait renouveler, car les Saint-Just, les Robespierre, les Couthon, n'?taient plus l? pour nous ramener par la terreur ? des moeurs impossibles.
Il ne fallait pas ? leurs adversaires d'autre sujet de plaintes que cette irritation m?me. La terreur, suivant ceux-ci, ?tait pr?te ? rena?tre. Ses partisans ?taient incorrigibles; le directoire avait beau faire tout ce qu'ils d?siraient, ils n'?taient pas contens, ils s'agitaient de nouveau, ils avaient rouvert l'ancienne caverne des jacobins, et ils y pr?paraient encore tous les crimes.
Les op?rations militaires, continu?es malgr? la saison, commen?aient ? promettre de meilleurs r?sultats, et ? procurer ? la nouvelle administration quelques d?dommagemens pour ses p?nibles efforts. Le z?le avec lequel Jourdan s'?tait port? dans le Hunds-Ruck ? travers un pays ?pouvantable, et sans aucune des ressources mat?rielles qui auraient pu adoucir les souffrances de son arm?e, avait r?tabli un peu nos affaires sur le Rhin. Les g?n?raux autrichiens, dont les troupes ?taient aussi fatigu?es que les n?tres, se voyant expos?s ? une suite de combats opini?tres, au milieu de l'hiver, proposaient un armistice, pendant lequel les arm?es imp?riale et fran?aise conserveraient leurs positions actuelles. L'armistice fut accept?, ? la condition de le d?noncer dix jours avant la reprise des hostilit?s. La ligne qui s?parait les deux arm?es, suivant le Rhin, depuis Dusseldorf jusqu'au-dessus du Neuwied, abandonnait le fleuve ? cette hauteur, formait un demi-cercle de Bingen ? Manheim, en passant par le pied des Vosges, rejoignait le Rhin au-dessus de Manheim, et ne le quittait plus jusqu'? B?le. Ainsi nous avions perdu tout ce demi-cercle sur la rive gauche. C'?tait du reste une perte qu'une simple manoeuvre bien con?ue pouvait r?parer. Le plus grand mal ?tait d'avoir perdu pour le moment l'ascendant de la victoire. Les arm?es, accabl?es de fatigues, entr?rent en cantonnemens, et on se mit ? faire tous les pr?paratifs n?cessaires pour les mettre, au printemps prochain, en ?tat d'ouvrir une campagne d?cisive.
Sur la fronti?re d'Italie, la saison n'interdisait pas encore tout ? fait les op?rations de la guerre. L'arm?e des Pyr?n?es orientales avait ?t? transport?e sur les Alpes. Il avait fallu beaucoup de temps pour faire le trajet de Perpignan ? Nice, et le d?faut de vivres et de souliers avait rendu la marche encore plus lente. Enfin, vers le mois de novembre, Augereau vint avec une superbe division, qui s'?tait illustr?e d?j? dans les plaines de la Catalogne. Kellermann, comme on l'a vu, avait ?t? oblig? de replier son aile droite et de renoncer ? la communication imm?diate avec G?nes. Il avait sa gauche sur les grandes Alpes, et son centre au col de Tende. Sa droite ?tait plac?e derri?re la ligne dite de Borghetto, l'une des trois que Bonaparte avait reconnues et trac?es l'ann?e pr?c?dente pour le cas d'une retraite. Dewins, tout fier de son faible succ?s, se reposait dans la rivi?re de G?nes, et faisait grand ?talage de ses projets, sans en ex?cuter aucun. Le brave Kellermann attendait avec impatience les renforts d'Espagne, pour reprendre l'offensive et recouvrer sa communication avec G?nes. Il voulait terminer la campagne par une action ?clatante, qui rend?t la rivi?re aux Fran?ais, leur ouvr?t les portes de l'Apennin et de l'Italie, et d?tach?t le roi de Pi?mont de la coalition. Notre ambassadeur en Suisse, Barth?lemy, ne cessait de r?p?ter qu'une victoire vers les Alpes maritimes nous vaudrait sur-le-champ la paix avec le Pi?mont, et la concession d?finitive de la ligne des Alpes. Le gouvernement fran?ais, d'accord avec Kellermann sur la n?cessit? d'attaquer, ne le fut pas sur le plan ? suivre, et lui donna pour successeur Sch?rer, que ses succ?s ? la bataille de l'Ourthe et en Catalogne avaient d?j? fait conna?tre avantageusement. Sch?rer arriva dans le milieu de brumaire, et r?solut de tenter une action d?cisive.
On sait que la cha?ne des Alpes, devenue l'Apennin, serre la M?diterran?e de tr?s-pr?s, d'Albenga ? G?nes, et ne laisse entre la mer et la cr?te des montagnes que des pentes ?troites et rapides, qui ont ? peine trois lieues d'?tendue. Du c?t? oppos?, au contraire, c'est-?-dire vers les plaines du P?, les pentes s'abaissent doucement, sur un espace de vingt lieues. L'arm?e fran?aise, plac?e sur les pentes maritimes, ?tait camp?e entre les montagnes et la mer. L'arm?e pi?montaise, sous Colli, ?tablie au camp retranch? de Ceva, sur le revers des Alpes, gardait les portes du Pi?mont contre la gauche de l'arm?e fran?aise. L'arm?e autrichienne, partie sur la cr?te de l'Apennin, ? Rocca-Barbenne, partie sur le versant maritime dans le bassin de Loano, communiquait ainsi avec Colli par sa droite, occupait par son centre le sommet des montagnes, et interceptait le littoral par sa gauche, de mani?re ? couper nos communications avec G?nes. Une pens?e s'offrait ? la vue d'un pareil ?tat de choses. Il fallait se porter en forces sur la droite et le centre de l'arm?e autrichienne, la chasser du sommet de l'Apennin, et lui enlever les cr?tes sup?rieures. On la s?parait ainsi de Colli, et, marchant rapidement le long de ces cr?tes, on enfermait sa gauche dans le bassin de Loano, entre les montagnes et la mer. Mass?na, l'un des g?n?raux divisionnaires, avait entrevu ce plan, et l'avait propos? ? Kellermann. Sch?rer l'entrevit aussi, et r?solut de l'ex?cuter.
Dewins, apr?s avoir fait quelques tentatives pendant les mois d'ao?t et de septembre sur notre ligne de Borghetto, avait renonc? ? toute attaque pour cette ann?e. Il ?tait malade, et s'?tait fait remplacer par Wallis. Les officiers ne songeaient qu'? se livrer aux plaisirs de l'hiver, ? G?nes et dans les environs. Sch?rer, apr?s avoir procur? ? son arm?e quelques vivres et vingt-quatre mille paires de souliers, dont elle manquait absolument, fixa son mouvement pour le 2 frimaire . Il allait avec trente-six mille hommes en attaquer quarante-cinq; mais le bon choix du point d'attaque compensait l'in?galit? des forces. Il chargea Augereau de pousser la gauche des ennemis dans le bassin de Loano; il ordonna ? Mass?na de fondre sur leur centre ? Rocca-Barbenne, et de s'emparer du sommet de l'Apennin; enfin, il prescrivit ? Serrurier de contenir Colli, qui formait la droite, sur le revers oppos?. Augereau, tout en poussant la gauche autrichienne dans le bassin de Loano, ne devait agir que lentement; Mass?na, au contraire, devait filer rapidement le long des cr?tes, et tourner le bassin de Loano, pour y enfermer la gauche autrichienne; Serrurier devait tromper Colli par de fausses attaques.
Le 2 frimaire au matin , le canon fran?ais r?veilla les Autrichiens, qui s'attendaient peu ? une bataille. Les officiers accoururent de Loano et de Finale se mettre ? la t?te de leurs troupes ?tonn?es. Augereau attaqua avec vigueur, mais sans pr?cipitation. Il fut arr?t? par le brave Roccavina. Ce g?n?ral, plac? sur un mamelon, au milieu du bassin de Loano, le d?fendit avec opini?tret?, et se laissa entourer par la division Augereau, refusant toujours de se rendre.
Quand il fut envelopp?, il se pr?cipita t?te baiss?e sur la ligne qui l'enfermait, et rejoignit l'arm?e autrichienne, en passant sur le corps d'une brigade fran?aise.
Sch?rer, contenant l'ardeur d'Augereau, l'obligea ? tirailler devant Loano, pour ne pas pousser les Autrichiens trop vite sur leur ligne de retraite. Pendant ce temps, Mass?na, charg? de la partie brillante du plan, franchit, avec la vigueur et l'audace qui le signalaient dans toutes les occasions, les cr?tes de l'Apennin, surprit d'Argenteau qui commandait la droite des Autrichiens, le jeta dans un d?sordre extr?me, le chassa de toutes ses positions, et vint camper le soir sur les hauteurs de Melogno, qui formaient le pourtour du bassin de Loano, et en fermaient les derri?res. Serrurier, par des attaques fermes et bien calcul?es, avait tenu en ?chec Colli et toute la droite ennemie.
Le 2 au soir, on campa, par un temps affreux, sur les positions qu'on avait occup?es. Le 3 au matin, Sch?rer continua son op?ration; Serrurier renforc? se mit ? battre Colli plus s?rieusement, afin de l'isoler tout ? fait de ses alli?s; Mass?na continua ? occuper toutes les cr?tes et les issues de l'Apennin; Augereau, cessant de se contenir, poussa vigoureusement les Autrichiens dont on avait intercept? les derri?res. D?s cet instant, ils commenc?rent leur retraite par un temps ?pouvantable et ? travers des routes affreuses. Leur droite et leur centre fuyaient en d?sordre sur le revers de l'Apennin: leur gauche, enferm?e entre les montagnes et la mer, se retirait p?niblement le long du littoral, par la route de la Corniche. Un orage de vent et de neige emp?cha de rendre la poursuite aussi active qu'elle aurait pu l'?tre; cependant cinq mille prisonniers, plusieurs mille morts, quarante pi?ces de canon, et des magasins immenses, furent le fruit de cette bataille, qui fut une des plus d?sastreuses pour les coalis?s, depuis le commencement de la guerre, et l'une des mieux conduites par les Fran?ais, au jugement des militaires.
Le Pi?mont fut dans l'?pouvante ? cette nouvelle; l'Italie se crut envahie, et ne fut rassur?e que par la saison, trop avanc?e alors pour que les Fran?ais donnassent suite ? leurs op?rations. Des magasins consid?rables servirent ? adoucir les privations et les souffrances de l'arm?e. Il fallait une victoire aussi importante pour relever les esprits et affermir un gouvernement naissant. Elle fut publi?e et accueillie avec une grande joie par tous les vrais patriotes.
Au m?me instant, les ?v?nemens prenaient une tournure non moins favorable dans les provinces de l'Ouest. Hoche, ayant port? l'arm?e qui gardait les deux Vend?es ? quarante-quatre mille hommes, ayant plac? des postes retranch?s sur la S?vre Nantaise, de mani?re ? isoler Stofflet de Charette, ayant dispers? le premier rassemblement form? par ce dernier chef, et gardant au moyen d'un camp ? Soullans toute la c?te du Marais, ?tait en mesure de s'opposer ? un d?barquement. L'escadre anglaise, qui mouillait ? l'?le-Dieu, ?tait au contraire dans une position fort triste. L'?le sur laquelle l'exp?dition avait si maladroitement pris terre, ne pr?sentait qu'une surface sans abri, sans ressource, et moindre de trois quarts de lieue. Les bords de l'?le n'offraient aucun mouillage s?r. Les vaisseaux y ?taient expos?s ? toutes les fureurs des vents, sur un fond de rocs qui coupait les c?bles, et les mettait chaque nuit dans le plus grand p?ril. La c?te vis-?-vis, sur laquelle on se proposait de d?barquer, ne pr?sentait qu'une vaste plage, sans profondeur, o? les vagues brisaient sans cesse, et o? les canots, pris en travers par les lames, ne pouvaient aborder sans courir le danger d'?chouer. Chaque jour augmentait les p?rils de l'escadre anglaise et les moyens de Hoche. Il y avait d?j? plus d'un mois et demi que le prince fran?ais ?tait ? l'Ile-Dieu. Tous les envoy?s des chouans et des Vend?ens l'entouraient, et, m?l?s ? son ?tat-major, pr?sentaient ? la fois leurs id?es, et t?chaient de les faire pr?valoir. Tous voulaient poss?der le prince, mais tous ?taient d'accord qu'il fallait d?barquer au plus t?t, n'importe le point qui obtiendrait la pr?f?rence.
Si donc le d?barquement ?tait possible ? l'instant o? l'escadre arriva, il ne l'?tait pas apr?s avoir pass? un mois et demi ? l'Ile-Dieu. Les marins anglais d?claraient que la mer n'?tait bient?t plus tenable, et qu'il fallait prendre un parti; toute la c?te du pays de Charette ?tait couverte de troupes; il n'y avait quelque possibilit? de d?barquement qu'au-del? de la Loire, vers l'embouchure de la Vilaine, ou dans le pays de Sc?peaux, ou bien encore en Bretagne, chez Puisaye. Mais les ?migr?s et le prince ne voulaient descendre que chez Charette, et n'avaient confiance qu'en lui. Or, la chose ?tait impossible sur la c?te de Charette. Le prince, suivant l'assertion de M. de Vauban, demanda au minist?re anglais de le rappeler. Le minist?re s'y refusait d'abord, ne voulant pas que les frais de son exp?dition fussent inutiles. Cependant il laissa au prince la libert? de prendre le parti qu'il voudrait.
D?s cet instant, tous les pr?paratifs du d?part furent faits. On r?digea de longues et inutiles instructions pour les chefs royalistes. On leur disait que des ordres sup?rieurs emp?chaient pour le moment l'ex?cution d'une descente; qu'il fallait que MM. Charette, Stofflet, Sapinaud, Sc?peaux, s'entendissent pour r?unir une force de vingt-cinq ou trente mille hommes au-del? de la Loire, laquelle, r?unie aux Bretons, pourrait former un corps d'?lite de quarante ou cinquante mille hommes, suffisant pour prot?ger le d?barquement du prince; que le point de d?barquement serait d?sign? d?s que ces mesures pr?liminaires auraient ?t? prises, et que toutes les ressources de la monarchie anglaise seraient employ?es ? seconder les efforts des pays royalistes. ? ces instructions on joignit quelques mille livres sterling pour chaque chef, quelques fusils et un peu de poudre. Ces objets furent d?barqu?s la nuit ? la c?te de Bretagne. Les approvisionnemens que les Anglais avaient amass?s sur leurs escadres ayant ?t? avari?s, furent jet?s ? la mer. Il fallut y jeter aussi les 500 chevaux appartenant ? la cavalerie et ? l'artillerie anglaise. Ils ?taient presque tous malades d'une longue navigation.
L'escadre anglaise mit ? la voile le 15 novembre , et laissa, en partant, les royalistes dans la consternation. On leur dit que c'?taient les Anglais qui avaient oblig? le prince ? repartir; ils furent indign?s, et se livr?rent de nouveau ? toute leur haine contre la perfidie de l'Angleterre. Le plus irrit? fut Charette, et il avait quelque raison de l'?tre, car il ?tait le plus compromis. Charette avait repris les armes dans l'espoir d'une grande exp?dition, dans l'espoir de moyens immenses qui r?tablissent l'?galit? des forces entre lui et les r?publicains; cette attente tromp?e, il devait ne plus entrevoir qu'une destruction infaillible et tr?s prochaine. La menace d'une descente avait attir? sur lui toutes les forces des r?publicains; et, cette fois, il devait renoncer ? tout espoir d'une transaction; il ne lui restait plus qu'? ?tre impitoyablement fusill?, sans pouvoir m?me se plaindre d'un ennemi qui lui avait d?j? si g?n?reusement pardonn?.
Il r?solut de vendre ch?rement sa vie, et d'employer ses derniers momens ? lutter avec d?sespoir. Il livra plusieurs combats pour passer sur les derri?res de Hoche, percer la ligne de la S?vre Nantaise, se jeter dans le pays de Stofflet, et forcer ce coll?gue ? reprendre les armes. Il ne put y r?ussir, et fut ramen? dans le Marais par les colonnes de Hoche. Sapinaud, qu'il avait engag? ? reprendre les armes, surprit la ville de Montaigu, et voulut percer jusqu'? Ch?tillon; mais il fut arr?t? devant cette ville, battu, et oblig? de disperser son corps. La ligne de la S?vre ne put pas ?tre emport?e. Stofflet, derri?re cette ligne fortifi?e, fut oblig? de demeurer en repos, et du reste il n'?tait pas tent? de reprendre les armes. Il voyait avec un secret plaisir la destruction d'un rival qu'on avait charg? de titres, et qui avait voulu le livrer aux r?publicains. Sc?peaux, entre la Loire et la Vilaine, n'osait encore remuer. La Bretagne ?tait d?sorganis?e par la discorde. La division du Morbihan, command?e par George Cadoudal, s'?tait r?volt?e contre Puisaye, ? l'instigation des ?migr?s qui entouraient le prince fran?ais, et qui avaient conserv? contre lui les m?mes ressentimens. Ils auraient voulu lui enlever le commandement de la Bretagne; cependant il n'y avait que la division du Morbihan qui m?conn?t l'autorit? du g?n?ralissime.
C'est dans cet ?tat de choses que Hoche commen?a le grand ouvrage de la pacification. Ce jeune g?n?ral, militaire et politique habile, vit bien que ce n'?tait plus par les armes qu'il fallait chercher ? vaincre un ennemi insaisissable, et qu'on ne pouvait atteindre nulle part. Il avait d?j? lanc? plusieurs colonnes mobiles ? la suite de Charette; mais des soldats pesamment arm?s, oblig?s de porter tout avec eux, et qui ne connaissaient pas le pays, ne pouvaient ?galer la rapidit? des paysans qui ne portaient rien que leur fusil; qui ?taient assur?s de trouver des vivres partout, et qui connaissaient les moindres ravins et la derni?re bruy?re. En cons?quence, il ordonna sur-le-champ de cesser les poursuites, et il forma un plan qui, suivi avec constance et fermet?, devait ramener la paix dans ces contr?es d?sol?es.
L'habitant de la Vend?e ?tait paysan et soldat tout ? la fois. Au milieu des horreurs de la guerre civile, il n'avait pas cess? de cultiver ses champs et de soigner ses bestiaux. Son fusil ?tait ? ses c?t?s, cach? sous la terre ou sous la paille. Au premier signal de ses chefs, il accourait, attaquait les r?publicains, puis disparaissait ? travers les bois, retournait ? ses champs, cachait de nouveau son fusil; et les r?publicains ne trouvaient qu'un paysan sans armes, dans lequel ils ne pouvaient nullement reconna?tre un soldat ennemi. De cette mani?re, les Vend?ens se battaient, se nourrissaient, et restaient presque insaisissables. Tandis qu'ils avaient toujours les moyens de nuire et de se recruter, les arm?es r?publicaines, qu'une administration ruin?e ne pouvait plus nourrir, manquaient de tout et se trouvaient dans le plus horrible d?n?ment.
On ne pouvait faire sentir la guerre aux Vend?ens que par des d?vastations; moyen qu'on avait essay? pendant la terreur, mais qui n'avait excit? que des haines furieuses sans faire cesser la guerre civile.
Hoche, sans d?truire le pays, imagina un moyen ing?nieux de le r?duire, en lui enlevant ses armes, et en prenant une partie de ses subsistances pour l'usage de l'arm?e r?publicaine. D'abord il persista dans l'?tablissement de quelques camps retranch?s, dont les uns, situ?s sur la S?vre, s?paraient Charette de Stofflet, tandis que les autres couvraient Nantes, la c?te et les Sables. Il forma ensuite une ligne circulaire qui s'appuyait ? la S?vre et ? la Loire, et qui tendait ? envelopper progressivement tout le pays. Cette ligne ?tait compos?e de postes assez forts, li?s entre eux par des patrouilles, de mani?re qu'il ne restait pas un intervalle libre, ? travers lequel p?t passer un ennemi un peu nombreux. Ces postes ?taient charg?s d'occuper chaque bourg et chaque village, et de d?sarmer les habitans. Pour y parvenir, ils devaient s'emparer des bestiaux, qui ordinairement paissaient en commun, et des grains entass?s dans les granges; ils devaient aussi arr?ter les habitans les plus notables, et ne restituer les bestiaux, les grains, ni ?largir les habitans pris en otage, que lorsque les paysans auraient volontairement d?pos? leurs armes. Or, comme les Vend?ens tenaient ? leurs bestiaux et ? leurs grains beaucoup plus qu'aux Bourbons et ? Charette, il ?tait certain qu'ils rendraient leurs armes. Pour ne pas ?tre induits en erreur par les paysans, qui pouvaient bien donner quelques mauvais fusils et garder les autres, les officiers charg?s du d?sarmement devaient se faire livrer les registres d'enr?lement tenus dans chaque paroisse, et exiger autant de fusils que d'enr?l?s. A d?faut de ces registres, il leur ?tait recommand? de faire le calcul de la population, et d'exiger un nombre de fusils ?gal au quart de la population m?le. Apr?s avoir re?u les armes, on devait rendre fid?lement les bestiaux et les grains, sauf une partie pr?lev?e ? titre d'imp?t, et d?pos?e dans des magasins form?s sur les derri?res de cette ligne. Hoche avait ordonn? de traiter les habitans avec une extr?me douceur, de mettre une scrupuleuse exactitude ? leur rendre et leurs bestiaux et leurs grains, et surtout leurs otages. Il avait particuli?rement recommand? aux officiers de s'entretenir avec eux, de les bien traiter, de les envoyer m?me quelquefois ? son quartier-g?n?ral, de leur faire quelques pr?sens en grains ou en diff?rens objets. Il avait prescrit aussi les plus grands ?gards pour les cur?s. Les Vend?ens, disait-il, n'ont qu'un sentiment v?ritable, c'est l'attachement pour leurs pr?tres. Ces derniers ne veulent que protection et repos; qu'on leur assure ces deux choses, qu'on y ajoute m?me quelques bienfaits, et les affections du pays nous seront rendues.
Cette ligne, qu'il appelait de d?sarmement, devait envelopper la Basse-Vend?e circulairement, s'avancer peu ? peu, et finir par l'embrasser tout enti?re. En s'avan?ant, elle laissait derri?re elle le pays d?sarm?, ramen?, r?concili? m?me avec la r?publique. De plus, elle le prot?geait contre un retour des chefs insurg?s, qui, ordinairement, punissaient par des d?vastations la soumission ? la r?publique et la remise des armes. Deux colonnes mobiles la pr?c?daient pour combattre ces chefs, et les saisir s'il ?tait possible; et bient?t, en les resserrant toujours davantage, elle devait les enfermer et les prendre in?vitablement. La plus grande surveillance ?tait recommand?e ? tous les commandans de poste, pour se lier toujours par des patrouilles, et emp?cher que les bandes arm?es ne pussent percer la ligne et revenir porter la guerre sur ses derri?res. Quelque grande que f?t la surveillance, il pouvait arriver cependant que Charette et quelques-uns des siens trompassent la vigilance des postes et franchissent la ligne de d?sarmement; mais, dans ce cas m?me, qui ?tait possible, ils ne pouvaient passer qu'avec quelques individus, et ils allaient se retrouver dans des campagnes d?sarm?es, rendues au repos et ? la s?curit?, calm?es par de bons traitemens, et intimid?es d'ailleurs par ce vaste r?seau de troupes qui embrassait le pays. Le cas d'une r?volte sur les derri?res ?tait pr?vu. Hoche avait ordonn? qu'une des colonnes mobiles se reporterait aussit?t dans la commune insurg?e, et que, pour la punir de n'avoir pas rendu toutes ses armes et d'en avoir encore fait usage, on lui enl?verait ses bestiaux et ses grains, et qu'on saisirait les principaux de ses habitans. L'effet de ces ch?timens ?tait assur?; et dispens?s avec justice, ils devaient inspirer, non pas la haine, mais une salutaire crainte.
Le projet de Hoche fut aussit?t mis ? ex?cution dans les mois de brumaire et frimaire . La ligne de d?sarmement, passant par Saint-Gilles, L?g?, Montaigu, Chantonay, formait un demi-cercle dont l'extr?mit? droite s'appuyait ? la mer, l'extr?mit? gauche ? la rivi?re du Lay, et devait progressivement enfermer Charette dans des marais impraticables. C'?tait surtout par la sagesse de l'ex?cution qu'un plan de cette nature pouvait r?ussir. Hoche dirigeait ses officiers par des instructions pleines de sens et de clart?, et se multipliait pour suffire ? tous les d?tails. Ce n'?tait plus seulement une guerre, c'?tait une grande op?ration politique, qui exigeait autant de prudence que de vigueur. Bient?t les habitans commenc?rent ? rendre leurs armes, et ? se r?concilier avec les troupes r?publicaines. Hoche puisait dans les magasins de l'arm?e pour accorder quelques secours aux indigens; il voyait lui-m?me les habitans retenus comme otages, les faisait garder quelques jours, et les renvoyait satisfaits. Aux uns il donnait des cocardes, ? d'autres des bonnets de police, quelquefois m?me des grains ? ceux qui en manquaient pour ensemencer leurs champs. Il ?tait en correspondance avec les cur?s, qui avaient une grande confiance en lui, et qui l'avertissaient de tous les secrets du pays. Il commen?ait ainsi ? s'acqu?rir une grande influence morale, v?ritable puissance avec laquelle il fallait terminer une guerre pareille. Pendant ce temps, les magasins form?s sur les derri?res de la ligne de d?sarmement se remplissaient de grains; de grands troupeaux de bestiaux se formaient, et l'arm?e commen?ait ? vivre dans l'abondance, par le moyen si simple de l'imp?t et des amendes en nature. Charette s'?tait cach? dans les bois avec cent ou cent cinquante hommes aussi d?sesp?r?s que lui. Sapinaud, qui ? son instigation avait repris les armes, demandait ? les d?poser une seconde fois ? la simple condition d'obtenir la vie sauve. Stofflet, enferm? dans l'Anjou avec son ministre Bernier, y recueillait tous les officiers qui abandonnaient Charette et Sapinaud, et t?chait de s'enrichir de leurs d?pouilles. Il avait ? son quartier du Lavoir une esp?ce de cour compos?e d'?migr?s et d'officiers. Il enr?lait des hommes et levait des contributions, sous pr?texte d'organiser les gardes territoriales. Hoche l'observait avec une grande attention, le resserrait toujours davantage par des camps retranch?s, et le mena?ait d'un d?sarmement prochain, au premier sujet de m?contentement. Une exp?dition que Hoche ordonna dans le Loroux, pays qui avait une sorte d'existence ind?pendante, sans ob?ir ni ? la r?publique ni ? aucun chef, frappa Stofflet d'?pouvante. Hoche fit faire cette exp?dition pour se procurer les vins, les bl?s dont le Loroux abondait, et dont la ville de Nantes ?tait enti?rement d?pourvue. Stofflet s'effraya, et demanda une entrevue ? Hoche. Il voulait protester de sa fid?lit? au trait?, interc?der pour Sapinaud et pour les chouans, se faire en quelque sorte l'interm?diaire d'une nouvelle pacification, et s'assurer par ce moyen une continuation d'influence. Il voulait aussi deviner les intentions de Hoche ? son ?gard. Hoche lui exprima les griefs de la r?publique; il lui signifia que, s'il donnait asile ? tous les brigands, que s'il continuait ? lever de l'argent et des hommes, que s'il voulait ?tre autre chose que le chef temporaire de la police de l'Anjou, et jouer le r?le de prince, il allait l'enlever sur-le-champ, et d?sarmer ensuite sa province. Stofflet promit la plus grande soumission, et se retira fort effray? sur son avenir.
Hoche avait, dans le moment, des difficult?s bien plus grandes ? surmonter. Il avait attir? ? son arm?e une partie des deux arm?es de Brest et de Cherbourg. Le danger imminent d'un d?barquement lui avait valu ces renforts, qui avaient port? ? quarante-quatre mille hommes les troupes r?unies dans la Vend?e. Les g?n?raux commandant les arm?es de Brest et de Cherbourg r?clamaient maintenant les troupes qu'ils avaient pr?t?es, et le directoire paraissait approuver leurs r?clamations. Hoche ?crivait que l'op?ration qu'il venait de commencer ?tait des plus importantes; que si on lui enlevait les troupes qu'il avait dispos?es en r?seau autour du Marais, la soumission du pays de Charette et la destruction de ce chef qui ?taient fort prochaines, allaient ?tre ajourn?es ind?finiment; qu'il valait bien mieux finir ce qui ?tait si avanc?, avant de passer ailleurs, qu'il s'empresserait ensuite de rendre les troupes qu'il avait emprunt?es, et fournirait m?me les siennes au g?n?ral commandant en Bretagne, pour y appliquer les proc?d?s dont on sentait d?j? l'heureux effet dans la Vend?e. Le gouvernement, qui ?tait frapp? des raisons de Hoche, et qui avait une grande confiance en lui, l'appela ? Paris, avec l'intention d'approuver tous ses plans, de lui donner le commandement des trois arm?es de la Vend?e, de Brest et de Cherbourg. Il y fut appel? ? la fin de frimaire pour venir concerter avec le directoire les op?rations qui devaient mettre fin ? la plus calamiteuse de toutes les guerres.
Ainsi s'acheva la campagne de 1795. La prise de Luxembourg, le passage du Rhin, les victoires aux Pyr?n?es, suivies de la paix avec l'Espagne, la destruction de l'arm?e ?migr?e ? Quiberon, en signal?rent le commencement et le milieu. La fin fut moins heureuse. Le retour des arm?es sur le Rhin, la perte des lignes de Mayence et d'une partie de territoire au pied des Vosges, vinrent obscurcir un moment l'?clat de nos triomphes. Mais la victoire de Loano, en nous ouvrant les portes de l'Italie, r?tablit la sup?riorit? de nos armes; et les travaux de Hoche dans l'Ouest commenc?rent la v?ritable pacification de la Vend?e, si souvent et si vainement annonc?e.
La coalition, r?duite ? l'Angleterre et ? l'Autriche, ? quelques princes d'Allemagne et d'Italie, ?tait au terme de ses efforts, et aurait demand? la paix sans les derni?res victoires sur le Rhin. On fit ? Clerfayt une r?putation immense, et on sembla croire que la prochaine campagne s'ouvrirait au sein de nos provinces du Rhin.
Pitt, qui avait besoin de subsides, convoqua un second parlement en automne pour exiger de nouveaux sacrifices. Le peuple de Londres invoquait toujours la paix avec la m?me obstination. La soci?t? dite de correspondance s'?tait assembl?e en plein air, et avait vot? les adresses les plus hardies et les plus mena?antes contre le syst?me de la guerre, et pour la r?forme parlementaire. Quand le roi se rendit au parlement, sa voiture fut assaillie de coups de pierres, les glaces en furent bris?es, on crut m?me qu'un coup de fusil ? vent avait ?t? tir?. Pitt, traversant Londres ? cheval, fut reconnu par le peuple, poursuivi jusqu'? son h?tel, et couvert de boue. Fox, Sheridan, plus ?loquens qu'ils n'avaient jamais ?t?, avaient des comptes rigoureux ? demander. La Hollande conquise, les Pays-Bas incorpor?s ? la r?publique fran?aise, leur conqu?te rendue d?finitive en quelque sorte par la prise de Luxembourg, des sommes ?normes d?pens?es dans la Vend?e, et de malheureux Fran?ais expos?s inutilement ? ?tre fusill?s, ?taient de graves sujets d'accusation contre l'habilet? et la politique du minist?re. L'exp?dition de Quiberon surtout excita une indignation g?n?rale. Pitt voulut s'excuser en disant que le sang anglais n'avait pas coul?: <
Pitt ne songeait point du tout ? la paix. Il ne voulait faire que des d?monstrations, pour satisfaire l'opinion et h?ter le succ?s de son emprunt. La possession des Pays-Bas par la France lui rendait toute id?e de paix insupportable. Il se promit, en effet, de saisir un moment pour ouvrir une n?gociation simul?e, et offrit des conditions inadmissibles.
L'Autriche, pour satisfaire l'Empire, qui r?clamait la paix, avait fait faire des ouvertures par le Danemarck. Cette puissance avait demand?, de la part de l'Autriche, au gouvernement fran?ais, la formation d'un congr?s europ?en; ? quoi le gouvernement fran?ais avait r?pondu avec raison, qu'un congr?s rendrait toute n?gociation impossible, parce qu'il faudrait concilier trop d'int?r?ts; que si l'Autriche voulait la paix, elle n'avait qu'? en faire la proposition directe: que la France voulait traiter individuellement avec tous ses ennemis, et s'entendre avec eux sans interm?diaire. Cette r?ponse ?tait juste; car un congr?s compliquait la paix avec l'Autriche de la paix avec l'Angleterre et l'Empire, et la rendait impossible. Du reste, l'Autriche ne d?sirait pas d'autre r?ponse; car elle ne voulait pas n?gocier. Elle avait trop perdu, et ses derniers succ?s lui faisaient trop esp?rer, pour qu'elle consent?t ? d?poser les armes. Elle t?cha de rendre le courage au roi de Pi?mont, ?pouvant? de la victoire de Loano, et lui promit, pour la campagne suivante, une arm?e nombreuse et un autre g?n?ral. Les honneurs du triomphe furent d?cern?s ? Clerfayt ? son entr?e ? Vienne; sa voiture fut tra?n?e par le peuple, et les faveurs de la cour vinrent se joindre aux d?monstrations de l'enthousiasme populaire.
Ainsi s'acheva, pour toute l'Europe, la quatri?me campagne de cette guerre m?morable.
CONTINUATION DES TRAVAUX ADMINISTRATIFS DU DIRECTOIRE.--LES PARTIS SE PRONONCENT DANS LE SEIN DU CORPS L?GISLATIF.--INSTITUTION D'UNE F?TE ANNIVERSAIRE DU 21 JANVIER.--RETOUR DE L'EX-MINISTRE DE LA GUERRE BEURNONVILLE, ET DES REPR?SENTANS QUINETTE, CAMUS, BANCAL, LAMARQUE ET DROUET, LIVR?S A L'ENNEMI PAR DUMOURIEZ.--M?CONTENTEMENT DES JACOBINS. JOURNAL DE BABOEUF.--INSTITUTION DU MINIST?RE DE LA POLICE.--NOUVELLES MOEURS.--EMBARRAS FINANCIERS; CR?ATION DES MANDATS.--CONSPIRATION DE BABOEUF.--SITUATION MILITAIRE. PLANS DU DIRECTOIRE.--PACIFICATION DE LA VEND?E; MORT DE STOFFLET ET DE CHARETTE.
Le gouvernement r?publicain ?tait rassur? et affermi par les ?v?nemens qui venaient de terminer la campagne. La convention, en r?unissant la Belgique ? la France, et en la comprenant dans le territoire constitutionnel, avait impos? ? ses successeurs l'obligation de ne pactiser avec l'ennemi qu'? la condition de la ligne du Rhin. Il fallait de nouveaux efforts, il fallait une nouvelle campagne, plus d?cisive que les pr?c?dentes, pour contraindre la maison d'Autriche et d'Angleterre ? consentir ? notre agrandissement. Pour parvenir ? ce but, le directoire travaillait avec ?nergie ? compl?ter les arm?es, ? r?tablir les finances, et ? r?primer les factions.
Il mettait le plus grand soin ? l'ex?cution des lois relatives aux jeunes r?quisitionnaires; et les obligeait ? rejoindre les arm?es, avec la derni?re rigueur. Il avait fait annuler tous les genres d'exceptions, et avait form? dans chaque canton des commissions de m?decins, pour juger les cas d'infirmit?. Une foule de jeunes gens s'?taient fourr?s dans les administrations, o? ils pillaient la r?publique, et montraient le plus mauvais esprit. Les ordres les plus s?v?res furent donn?s pour ne souffrir dans les bureaux que des hommes qui n'appartinssent pas ? la r?quisition. Les finances attiraient surtout l'attention du directoire: il faisait percevoir l'emprunt forc? de 600 millions avec une extr?me activit?. Mais il fallait attendre les rentr?es de cet emprunt, l'ali?nation du produit des for?ts nationales, la vente des biens de trois cents arpens, la perception des contributions arri?r?es, et, en attendant, il fallait pourtant suffire aux d?penses, qui malheureusement se pr?sentaient toutes ? la fois, parce que l'installation du gouvernement nouveau ?tait l'?poque ? laquelle on avait ajourn? toutes les liquidations, et parce que l'hiver ?tait le moment destin? aux pr?paratifs de campagne. Pour devancer l'?poque de toutes ces rentr?es, le directoire avait ?t? oblig? d'user de la ressource qu'on avait tenu ? lui laisser, celle des assignats. Mais il en avait d?j? ?mis en un mois pr?s de 12 ou 15 milliards, pour se procurer quelques millions en num?raire; et il ?tait d?j? arriv? au point de ne pouvoir les faire accepter nulle part. Il imagina d'?mettre un papier courant et ? prochaine ?ch?ance, qui repr?sent?t les rentr?es de l'ann?e, comme on fait en Angleterre avec les bons de l'?chiquier, et comme nous faisons aujourd'hui avec les bons royaux. Il ?mit en cons?quence, sous le titre de rescriptions, des bons au porteur, payables ? la tr?sorerie avec le num?raire qui allait rentrer incessamment, soit par l'emprunt forc?, qui, dans la Belgique, ?tait exigible en num?raire, soit par les douanes, soit par suite des premiers trait?s conclus avec les compagnies qui se chargeraient de l'exploitation des for?ts. Il ?mit d'abord pour 30 millions de ces rescriptions, et les porta bient?t ? 60, en se servant du secours des banquiers.
Les compagnies financi?res n'?taient plus prohib?es. Il songea ? les employer pour la cr?ation d'une banque qui manquait au cr?dit, surtout dans un moment o? l'on se figurait que le num?raire ?tait sorti tout entier de France. Il forma une compagnie, et proposa de lui abandonner une certaine quantit? de biens nationaux qui servirait de capital ? une banque. Cette banque devait ?mettre des billets, qui auraient des terres pour gage, et qui seraient payables ? vue, comme tous les billets de banque. Elle devait en pr?ter ? l'?tat pour une somme proportionn?e ? la quantit? des biens donn?s en gage. C'?tait, comme on le voit, une autre mani?re de tirer sur la valeur des biens nationaux; au lieu d'employer le moyen des assignats, on employait celui des billets de banque.
Le succ?s ?tait peu probable; mais dans sa situation malheureuse, le gouvernement usait de tout, et avait raison de le faire. Son op?ration la plus m?ritoire fut de supprimer les rations, et de rendre les subsistances au commerce libre. On a vu quels efforts il en co?tait au gouvernement pour se charger lui-m?me de faire arriver les grains ? Paris, et quelle d?pense il en r?sultait pour le tr?sor, qui payait les grains en valeur r?elle, et qui les donnait au peuple de la capitale pour des valeurs nominales. Il rentrait ? peine la deux-centi?me partie de la d?pense, et ainsi, ? tr?s-peu de chose pr?s, la r?publique nourrissait la population de Paris.
Le nouveau ministre de l'int?rieur, Benezech, qui avait senti l'inconv?nient de ce syst?me, et qui croyait que les circonstances permettaient d'y renoncer, conseilla au directoire d'en avoir le courage. Le commerce commen?ait ? se r?tablir; les grains reparaissaient dans la circulation; le peuple se faisait payer ses salaires en num?raire; et il pouvait d?s lors atteindre au prix du pain, qui, en num?raire, ?tait modique. En cons?quence, le ministre Benezech proposa au directoire de supprimer les distributions de rations, qui ne se payaient qu'en assignats, de ne les conserver qu'aux indigens, ou aux rentiers et aux fonctionnaires publics dont le revenu annuel ne s'?levait pas au-dessus de mille ?cus. Except? ces trois classes, toutes les autres devaient se pourvoir chez les boulangers par la voie du commerce libre.
Cette mesure ?tait hardie, et exigeait un v?ritable courage. Le directoire la mit sur-le-champ ? ex?cution, sans craindre les fureurs qu'elle pouvait exciter chez le peuple, et les moyens de trouble qu'elle pouvait fournir aux deux factions conjur?es contre le repos de la r?publique.
Outre ces mesures, il en imagina d'autres qui ne devaient pas moins blesser les int?r?ts, mais qui ?taient aussi n?cessaires. Ce qui manquait surtout aux arm?es, ce qui leur manque toujours apr?s de longues guerres, ce sont les chevaux. Le directoire demanda aux deux conseils l'autorisation de lever tous les chevaux de luxe, et de prendre, en le payant, le trenti?me cheval de labour et de roulage. Le r?c?piss? du cheval devait ?tre pris en paiement des imp?ts. Cette mesure, quoique dure, ?tait indispensable, et fut adopt?e.
Les deux conseils secondaient le directoire, et montraient le m?me esprit, sauf l'opposition toujours mesur?e de la minorit?. Quelques discussions s'y ?taient ?lev?es sur la v?rification des pouvoirs, sur la loi du 3 brumaire, sur les successions des ?migr?s, sur les pr?tres, sur les ?v?nemens du Midi, et les partis avaient commenc? ? se prononcer.
La v?rification des pouvoirs ayant ?t? renvoy?e ? une commission qui avait de nombreux renseignemens ? prendre, relativement aux membres dont l'?ligibilit? pouvait ?tre contest?e, son rapport ne put ?tre fait que fort tard, et apr?s plus de deux mois de l?gislature. Il donna lieu ? beaucoup de contestations sur l'application de la loi du 3 brumaire. Cette loi, comme on sait, amnistiait tous les d?lits commis pendant la r?volution, except? les d?lits relatifs au 13 vend?miaire; elle excluait des fonctions publiques les parens d'?migr?s, et les individus qui, dans les assembl?es ?lectorales, s'?taient mis en r?bellion contre les d?crets des 5 et 13 fructidor. Elle avait ?t? le dernier acte d'?nergie du parti conventionnel, et elle blessait singuli?rement les esprits mod?r?s, et les contre-r?volutionnaires qui se cachaient derri?re eux. Il fallait l'appliquer ? plusieurs d?put?s, et notamment ? un nomm? Job Aym?, d?put? de la Dr?me, qui avait soulev? l'assembl?e ?lectorale de son d?partement, et qu'on accusait d'appartenir aux compagnies de J?sus. Un membre des cinq-cents osa demander l'abrogation de la loi m?me. Cette proposition fit sortir tous les partis de la r?serve qu'ils avaient observ?e jusque-l?. Une dispute, semblable ? celles qui divis?rent si souvent la convention, s'?leva dans les cinq-cents. Louvet, toujours fid?le ? la cause r?volutionnaire, s'?lan?a ? la tribune pour d?fendre la loi. Tallien, qui jouait un r?le si grand depuis le 9 thermidor, et que le d?faut de consid?ration personnelle avait emp?ch? d'arriver au directoire, Tallien se montra ici le constant d?fenseur de la r?volution, et pronon?a un discours qui fit une grande sensation. On avait rappel? les circonstances dans lesquelles la loi de brumaire fut rendue; on avait paru insinuer qu'elle ?tait un abus de la victoire de vend?miaire ? l'?gard des vaincus; on avait beaucoup parl? des jacobins et de leur nouvelle audace. <
Il fut ensuite question des ?migr?s, et de leurs droits ? des successions non encore ouvertes. Une loi de la convention, pour emp?cher que les ?migr?s ne re?ussent des secours, saisissait leurs patrimoines, et d?clarait les successions auxquelles ils avaient droit, ouvertes par avance, et acquises ? la r?publique. En cons?quence le s?questre avait ?t? mis sur les biens des parens des ?migr?s. Une r?solution fut propos?e aux cinq-cents pour autoriser le partage, et le pr?l?vement de la part acquise aux ?migr?s, afin de lever le s?questre. Une opposition assez vive s'?leva dans le nouveau tiers. On voulut combattre cette mesure, qui ?tait toute r?volutionnaire, par des raisons tir?es du droit ordinaire; on pr?tendit qu'il y avait violation de la propri?t?. Cependant cette r?solution fut adopt?e. Aux anciens, il n'en fut pas de m?me. Ce conseil, par l'?ge de ses membres, par son r?le d'examinateur supr?me, avait plus de mesure que celui des cinq-cents. Il en partageait moins les passions oppos?es; il ?tait moins r?volutionnaire que la majorit?, et beaucoup plus que la minorit?. Comme tout corps interm?diaire, il avait un esprit moyen, et il rejeta la mesure, parce qu'elle entra?nait l'ex?cution d'une loi qu'il regardait comme injuste. Les conseils d?cr?t?rent ensuite que le directoire serait juge supr?me des demandes en radiation de la liste des ?migr?s. Ils renouvel?rent toutes les lois contre les pr?tres qui n'avaient pas pr?t? le serment, ou qui l'avaient r?tract?, et contre ceux que les administrations des d?partemens avaient condamn?s ? la d?portation. Ils d?cr?t?rent que ces pr?tres seraient trait?s comme ?migr?s rentr?s s'ils reparaissaient sur le territoire. Ils consentirent seulement ? mettre en r?clusion ceux qui ?taient infirmes et qui ne pouvaient s'expatrier.
Un sujet agita beaucoup les conseils, et y provoqua une explosion. Fr?ron continuait sa mission dans le Midi, et y composait les administrations et les tribunaux de r?volutionnaires ardens. Les membres des compagnies de J?sus, les contre-r?volutionnaires de toute esp?ce qui avaient assassin? depuis le 9 thermidor, se voyaient ? leur tour expos?s ? de nouvelles repr?sailles, et jetaient les hauts cris. Le d?put? Sim?on avait d?j? ?lev? des r?clamations mesur?es. Le d?put? Jourdan d'Aubagne, homme ardent, l'ex-girondin Isnard, ?lev?rent, aux cinq-cents, des r?clamations violentes, et remplirent plusieurs s?ances de leurs d?clamations. Les deux partis en vinrent aux mains. Jourdan et Talot se prirent de querelle dans la s?ance m?me, et se permirent presque des voies de fait. Leurs coll?gues intervinrent et les s?par?rent. On nomma une commission pour faire un rapport sur l'?tat du Midi.
Ces diff?rentes sc?nes port?rent les partis ? se prononcer davantage. La majorit? ?tait grande dans les conseils, et tout acquise au directoire. La minorit?, quoique annul?e, devenait chaque jour plus hardie, et montrait ouvertement son esprit de r?action. C'?tait la continuation du m?me esprit qui s'?tait manifest? depuis le 9 thermidor, et qui d'abord avait attaqu? justement les exc?s de la terreur, mais qui, de jour en jour plus s?v?re et plus passionn?, finissait par faire le proc?s ? la r?volution tout enti?re. Quelques membres des deux tiers conventionnels votaient avec la minorit?, et quelques membres du nouveau tiers avec la majorit?.
La France, qui souhaitait un gouvernement et le r?tablissement des lois, commen?ait ? go?ter le nouvel ?tat de choses, et l'aurait m?me approuv? tout ? fait, sans les efforts qu'on exigeait d'elle pour le salut de la r?publique. L'ex?cution rigoureuse des lois sur la r?quisition, l'emprunt forc?, la lev?e du trenti?me cheval, l'?tat mis?rable des rentiers pay?s en assignats, ?taient de graves sujets de plaintes; sans tous ces motifs, elle aurait trouv? le nouveau gouvernement excellent. Il n'y a que l'?lite d'une nation qui soit sensible ? la gloire, ? la libert?, aux id?es nobles et g?n?reuses, et qui consente ? leur faire des sacrifices. La masse veut du repos, et demande ? faire le moins de sacrifices possible. Il est des momens o? cette masse enti?re se r?veille, mue de passions grandes et profondes: on le vit, en 1789, quand il avait fallu conqu?rir la libert?, et, en 1793, quand il avait fallu la d?fendre. Mais, ?puis?e par ces efforts, la grande majorit? de la France n'en voulait plus faire. Il fallait un gouvernement habile et vigoureux pour obtenir d'elle les ressources n?cessaires au salut de la r?publique. Heureusement la jeunesse, toujours pr?te ? une vie aventuri?re, pr?sentait de grandes ressources pour recruter les arm?es. Elle montrait d'abord beaucoup de r?pugnance ? quitter ses foyers; mais elle c?dait apr?s quelque r?sistance. Transport?e dans les camps, elle prenait un go?t d?cid? pour la guerre, et y faisait des prodiges de valeur. Les contribuables, dont on exigeait des sacrifices d'argent, ?taient bien plus difficiles ? soumettre et ? concilier au gouvernement.
Les ennemis de la r?volution prenaient texte des sacrifices nouveaux impos?s ? la France, et d?clamaient dans leurs journaux contre la r?quisition, l'emprunt forc?, la lev?e forc?e des chevaux, l'?tat des finances, le malheur des rentiers, et la s?v?re ex?cution des lois ? l'?gard des ?migr?s et des pr?tres. Ils affectaient de consid?rer le gouvernement comme ?tant encore un gouvernement r?volutionnaire, et en ayant l'arbitraire et la violence. Suivant eux, on ne pouvait pas se fier encore ? lui, et se livrer avec s?curit? ? l'avenir. Ils s'?levaient surtout contre le projet d'une nouvelle campagne; ils pr?tendaient qu'on sacrifiait le repos, la fortune, la vie des citoyens, ? la folie des conqu?tes; et semblaient f?ch?s que la r?volution e?t l'honneur de donner la Belgique ? la France. Du reste, il n'?tait point ?tonnant, disaient-ils, que le gouvernement e?t un pareil esprit et de tels projets, puisque le directoire et les conseils ?taient remplis des membres d'une assembl?e qui s'?tait souill?e de tous les crimes.
Les patriotes, qui, en fait de reproches et de r?criminations, n'?taient jamais en demeure, trouvaient au contraire le gouvernement trop faible, et se montraient d?j? tout pr?ts ? l'accuser de condescendance pour les contre-r?volutionnaires. Suivant eux, on laissait rentrer les ?migr?s et les pr?tres; on acquittait chaque jour les conspirateurs de vend?miaire; les jeunes gens de la r?quisition n'?taient pas assez s?v?rement ramen?s aux arm?es; l'emprunt forc? ?tait per?u avec mollesse. Ils d?sapprouvaient surtout le syst?me financier qu'on semblait dispos? ? adopter. D?j? on a vu que l'id?e de supprimer les assignats les avait irrit?s, et qu'ils avaient demand? sur-le-champ les moyens r?volutionnaires qui, en 1793, ramen?rent le papier au pair. Le projet de recourir aux compagnies financi?res et d'?tablir une banque r?veilla tous leurs pr?jug?s. Le gouvernement allait, disaient-ils, se remettre dans les mains des agioteurs; il allait, en ?tablissant une banque, ruiner les assignats, et d?truire le papier-monnaie de la r?publique, pour y substituer un papier priv?, de la cr?ation des agioteurs. La suppression des rations les indigna. Rendre les subsistances au commerce libre, ne plus nourrir la ville de Paris, ?tait une attaque ? la r?volution: c'?tait vouloir affamer le peuple et le pousser au d?sespoir. Sur ce point, les journaux du royalisme sembl?rent d'accord avec ceux du jacobinisme, et le ministre Benezech fut accabl? d'invectives par tous les partis.
Le ministre Benezech, accus? par les deux partis, voulut demander sa d?mission. Le directoire refusa de l'accepter, et lui ?crivit une lettre pour le f?liciter de ses services. La lettre fut publi?e. Le nouveau syst?me des subsistances fut maintenu; les indigens, les rentiers et les fonctionnaires publics qui n'avaient pas mille ?cus de revenu, obtinrent seuls des rations. On songea aussi aux malheureux rentiers qui ?taient toujours pay?s en papier. Les deux conseils d?cr?t?rent qu'ils recevraient dix capitaux pour un en assignats; augmentation bien insuffisante, car les assignats n'avaient plus que la deux-centi?me partie de leur valeur.
Le directoire ajouta aux mesures qu'il venait de prendre, celle de rappeler enfin les d?put?s conventionnels en mission. Il les rempla?a par des commissaires du gouvernement. Ces commissaires aupr?s des arm?es et des administrations, repr?sentaient le directoire, et surveillaient l'ex?cution des lois. Ils n'avaient plus comme autrefois des pouvoirs illimit?s aupr?s des arm?es; mais, dans un cas pressant, o? le pouvoir du g?n?ral ?tait insuffisant, comme une r?quisition de vivres ou de troupes, ils pouvaient prendre une d?cision d'urgence, qui ?tait provisoirement ex?cut?e, et soumise ensuite ? l'approbation du directoire. Des plaintes s'?tant ?lev?es contre beaucoup de fonctionnaires choisis par le directoire dans le premier moment de son installation, il enjoignit ? ses commissaires civils de les surveiller, de recueillir les plaintes qui s'?l?veraient contre eux, et de lui d?signer ceux dont le remplacement serait convenable.
Pour surveiller les factions, qui, oblig?es maintenant de se cacher, allaient agir dans l'ombre, le directoire imagina la cr?ation d'un minist?re sp?cial de la police.
Les derni?res mesures du directoire, telles que la cl?ture de la soci?t? du Panth?on, le refus d'accepter la d?mission du ministre Benezech, le rappel des conventionnels en mission, le changement de certains fonctionnaires, produisirent le meilleur effet; elles rassur?rent ceux qui craignaient v?ritablement la terreur, condamn?rent au silence ceux qui affectaient de la craindre, et satisfirent les esprits sages qui voulaient que le gouvernement se pla??t au-dessus de tous les partis. La suite, l'activit? des travaux du directoire, ne contribu?rent pas moins que tout le reste ? lui concilier l'estime. On commen?ait ? esp?rer le repos et ? supposer de la dur?e au r?gime actuel. Les cinq directeurs s'?taient entour?s d'un certain appareil. Barras, homme de plaisir, faisait les honneurs du Luxembourg. C'est lui, en quelque sorte, qui repr?sentait pour ses coll?gues. La soci?t? avait ? peu pr?s le m?me aspect que l'ann?e pr?c?dente; elle pr?sentait un m?lange singulier de conditions, une grande libert? de moeurs, un go?t effr?n? pour les plaisirs, un luxe extraordinaire. Les salons du directeur ?taient pleins de g?n?raux dont l'?ducation et la fortune s'?taient faites en deux ans, de fournisseurs et de gens d'affaires qui s'?taient enrichis par les sp?culations et les rapines, d'exil?s qui rentraient et cherchaient ? se rattacher au gouvernement, d'hommes ? grands talens, qui, commen?ant ? croire ? la r?publique, d?siraient y prendre place, d'intrigans enfin qui couraient apr?s la faveur. Des femmes de toute origine venaient d?ployer leurs charmes dans ces salons, et user de leur influence, dans un moment o? tout ?tait ? demander et ? obtenir. Si quelquefois les mani?res manquaient de cette d?cence et de cette dignit? dont on fait tant de cas en France, et qui sont le fruit d'une soci?t? polie, tranquille et exclusive, il y r?gnait une extr?me libert? d'esprit, et cette grande abondance d'id?es positives que sugg?rent la vue et la pratique des grandes choses. Les hommes qui composaient cette soci?t? ?taient affranchis de toute esp?ce de routine; ils ne r?p?taient pas d'insignifiantes traditions; ce qu'ils savaient ils l'avaient appris par leur propre exp?rience. Ils avaient vu les plus grands ?v?nemens de l'histoire, ils y avaient pris, ils y prenaient part encore; et il est ais? de se figurer ce qu'un tel spectacle devait r?veiller d'id?es chez des esprits jeunes, ambitieux et pleins d'esp?rance. L? brillait au premier rang le jeune Hoche, qui, de simple soldat aux gardes-fran?aises, ?tait devenu en une campagne g?n?ral en chef, et s'?tait donn? en deux ans l'?ducation la plus soign?e. Beau, plein de politesse, renomm? comme un des premiers capitaines de son temps, et ?g? ? peine de vingt-sept ans, il ?tait l'espoir des r?publicains, et l'idole de ces femmes ?prises de la beaut?, du talent et de la gloire. A c?t? de lui, on remarquait d?j? le jeune Bonaparte, qui n'avait point encore de renomm?e, mais dont les services ? Toulon et au 13 vend?miaire ?taient connus, dont le caract?re et la personne ?tonnaient par leur singularit?, et dont l'esprit ?tait frappant d'originalit? et de vigueur. Dans cette soci?t?, o? madame Tallien ?talait sa beaut?, madame Beauharnais sa gr?ce, madame de Sta?l d?ployait tout l'?clat de son esprit, agrandi par les circonstances et la libert?.
C'?tait toujours le soin des finances qui occupait le plus le gouvernement. Les derni?res mesures n'?taient qu'un ajournement de la difficult?. On avait donn? au gouvernement une certaine quantit? de biens ? vendre, la facult? d'engager les grandes for?ts, l'emprunt forc?, et on lui avait laiss? la planche aux assignats comme ressource extr?me. Pour devancer le produit de ces diff?rentes ressources, il avait, comme on a vu, cr?? 60 millions de rescriptions, esp?ces de bons de l'?chiquier, ou de bons royaux, acquittables avec le premier num?raire qui rentrerait dans les caisses. Mais ces rescriptions n'avaient obtenu cours que tr?s difficilement. Les banquiers r?unis pour concerter un projet de banque territoriale, fond?e sur les biens nationaux, s'?taient retir?s en entendant les cris pouss?s par les patriotes contre les agioteurs et les traitans. L'emprunt forc? se percevait beaucoup plus lentement qu'on ne l'avait cru. La r?partition portait sur des bases extr?mement arbitraires, puisque l'emprunt devait ?tre frapp? sur les classes les plus ais?es; chacun r?clamait, et chaque part de l'emprunt ? percevoir occasionnait une contestation aux percepteurs. A peine un tiers ?tait rentr? en deux mois. Quelques millions en num?raire et quelques milliards en papier avaient ?t? per?us. Dans l'insuffisance de cette ressource, on avait eu encore recours au moyen extr?me, laiss? au gouvernement pour suppl?er ? tous les autres, la planche aux assignats. Les ?missions avaient ?t? port?es depuis les deux derniers mois, ? la somme inou?e de 45 milliards: 20 milliards avaient ? peine fourni 100 millions, car les assignats ne valaient plus que le deux-centi?me de leur titre. D?cid?ment le public n'en voulait plus du tout, car ils n'?taient plus bons ? rien. Ils ne pouvaient servir au remboursement des cr?ances, qui ?tait suspendu; ils ne pouvaient solder que la moiti? des fermages et de l'imp?t, car l'autre moiti? se payait en nature; ils ?taient refus?s dans les march?s ou re?us d'apr?s leur valeur r?duite; enfin, on ne les prenait dans la vente des biens qu'au taux m?me des march?s, les ench?res faisant toujours monter l'offre ? proportion de l'avilissement du papier. On n'en pouvait donc faire aucun emploi capable de leur donner quelque valeur. Une ?mission dont on ne connaissait pas le terme, faisait pr?voir encore des chiffres extraordinaires qui rendraient les sommes les plus modiques. Les milliards signifiaient tout au plus des millions. Cette chute, dont nous avons parl? lorsqu'on refusa d'interdire les ench?res dans la vente des biens, ?tait r?alis?e.
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