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Read Ebook: Bref récit et succincte narration de la navigation faite en MDXXXV et MDXXXVI par le capitaine Jacques Cartier aux îles de Canada Hochelaga Saguenay et autres by Cartier Jacques Avezac M D Marie Armand Pascal Author Of Introduction Etc

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Ebook has 144 lines and 44955 words, and 3 pages

Et l'id?e d'un ?tablissement fran?ais au Canada demeura d?sormais abandonn?e pendant plus d'un demi-si?cle.

Apr?s cette revue de toutes les navigations europ?ennes vers les rivages transatlantiques du nord-ouest, depuis les plus anciennes traditions qui nous soient parvenues, jusqu'? la derni?re de celles o? figure le nom de Jacques Cartier, il ne nous reste que peu de mots ? dire sur la personne du c?l?bre pilote malouin, & sur les lambeaux qui ont ?t? recueillis de ses relations.

Un vieux marin de Saint-Malo, plein de z?le & de patriotisme, Charles Cunat, avait recouvr? la vigoureuse ardeur de ses jeunes ann?es, pour fouiller les archives de toute sorte qui se pouvaient trouver ? sa port?e dans sa ch?re ville natale; & ce qu'il n'y a point d?couvert, nul autre sans doute ne l'y saurait rencontrer. Aussi loin qu'il a pu remonter dans les actes de l'?tat-civil qui existent encore, il a entrevu un Jehan Cartier, qui de son mariage avec Guillemette Baudoin avait eu six enfants, dont l'a?n?, Jamet ou Jacques, n? le 4 d?cembre 1458, eut ? son tour, de son mariage avec Jesseline Jansart, un fils n? le 31 d?cembre 1494, lequel n'est autre que le c?l?bre navigateur Jacques Cartier, mari? lui-m?me en 1519 avec Catherine des Granches, fille de Jacques des Granches conn?table de la ville & cit? de Saint-Malo, mais de laquelle il n'eut point de post?rit?.

Apr?s qu'il eut renonc? ? la navigation, il habitait pendant l'hiver, dans la ville de Saint-Malo, une maison situ?e <>, mais dont il ne reste depuis longtemps aucun vestige; l'?t? il se retirait dans le domaine seigneurial de Limoilou, au village ainsi appel?, o? son ch?teau conserve encore le nom de Portes Cartier.

Il avait eu ? soutenir, apr?s le retour de Roberval, une instance dans laquelle on lui demandait compte des deniers dont il avait eu la disposition pour l'entreprise commune: il fut reconnu qu'il y avait mis plus qu'il n'avait re?u, & la sentence du tribunal d'Amiraut?, du 21 juin 1544, lui donna gain de cause sur tous les points.

On perd sa trace apr?s l'ann?e 1552, & l'on en conclut qu'il d?c?da probablement avant d'atteindre sa soixanti?me ann?e.

R?digea-t-il lui-m?me les relations des diverses exp?ditions qu'il avait conduites au Canada! On peut le penser, bien qu'il y soit toujours question de lui ? la troisi?me personne, ? la mani?re dont il est parl? de Jules C?sar en ses immortels Commentaires. Dans tous les cas, le r?dacteur a ?videmment fait partie de chacune des exp?ditions racont?es.

Un celebre collecteur italien, qui s'?tait procur? diverses relations fran?aises dont il ne nous reste aujourd'hui rien autre chose que la version qu'il en a publi?e, Ramusio, avait recueilli celle du premier voyage de Cartier, & c'est uniquement dans sa pr?cieuse collection, ainsi que nous l'ayons rappel? d?s le d?but, qu'il faut aller reprendre, sous son d?guisement ?tranges, Un r?cit qui est pour nous d'un si grand int?r?t. Cette version italienne, parue pour la premi?re fois ? Venise en 1556, y sut reproduite dans les r?impressions de 1565, 1606 et 1613, Elle fut retraduite en fran?ais pour ?tre ainsi publi?e ? Rouen en 1598, chez Rapha?l du Petit-Val, libraire & imprimeur du Roi, en un volume petit in-8? de 64 pages, sous ce titre: Discours du voyage fait par le capitaine Jacgues Cartier aus terres neufves de Canadas, Norembergue, Hochelage, Labrador, & pays adjacens, dite Nouvelle France, avec particuli?res meurs, langage & c?r?monies des habitans d'icelle. Lescarbot la r?imprima avec une m?diocre exactitude dans son Histoire de la Nouvelle-France , dont il y a quatre ?ditions, aux dates de 1609, 1611, 1617 & 1618. Les Archives des voyages de Ternaux-Compans l'ont reproduite en 1840 avec plus de scrupule, dans leur premi?re livraison . Enfin la Soci?t? litt?raire & historique de Qu?bec l'a comprise ? son tour dans un volume de r?impressions consacr? aux Voyages de d?couverte au Canada entre les ann?es 1534 & 1542, publi? ? Qu?bec en 1843, & dont ce morceau occupe les vingt-trois premi?res pages; malheureusement les inexactitudes de Lescarbot n'y ont pas toutes ?t? rectifi?es.

Ainsi que nous l'avons dit aussi d?s le d?but, C'est au collecteur anglais Richard Hakluyt d'Oxford, que nous sommes redevables de nous avoir conserv?, dans une version anglaise, les fragments mutil?s qu'il avait pu se procurer pendant son s?jour en France concernant le troisi?me voyage de Cartier: c'est d'abord la relation, non achev?e, du navigateur; puis une lettre de son petit-neveu Jacques No?l, ?crite de Saint-Malo le 19 juin 1587, & un fragment d'une seconde lettre du m?me, constatant que toutes les recherches faites dans la famille pour retrouver une relation plus compl?te ?taient demeur?es sans r?sultat. Hakluyt a imprim? la suite, toujours en anglais, le routier du voyage depuis Belle-Isle jusqu'? 230 lieues en amont de la rivi?re de Canada, r?dig? par Jean Allefonsce, de Sainte-Onge pr?s Cognac, ma?tre pilote de Roberval en 1542; & enfin la relation de Roberval lui-m?me, non achev?e il est vrai, mais conduite jusqu'au 22 juillet 1543, date probablement peu ?loign?e de celle o? Cartier vint le rechercher d'apr?s les ordres du roi. Hakluyt avait donn? en 1600 le volume qui contient l'?dition originale de ces pi?ces ; elles se trouvent naturellement reproduites dans la r?impression de 1812. La Soci?t? litt?raire & historique de Qu?bec a repris dans Hakluyt tous ces lambeaux pour les retraduire en fran?ais & les ins?rer en 1843 dans le volume que nous avons mentionn? plus haut.

Quant ? la relation du second voyage, qui nous int?resse plus sp?cialement ici, elle est, comme on sait, la seule dont nous poss?dions la r?daction fran?aise originale; il en existe une ?dition, imprim?e ? Paris en 1545, en un volume de 48 feuillets petit in-8?, d'une telle raret? que les bibliographes n'en connaissent en Europe qu'un exemplaire. Une reproduction scrupuleuse & figur?e de cet exemplaire unique a tent? le z?le d'un ?diteur fort habitu? ? la recherche & au maniement des livres curieux; & voil? comment a pris naissance l'?dition d'amateur en t?te de laquelle doit se placer l'introduction dont nous ?crivons en ce moment la derni?re page.

Ce volume introuvable, qui ?chappait ? toutes les recherches, ?tait si peu connu, que l'on n'avait m?me qu'une tr?s-fausse id?e de ce qu'il contenait, & la Soci?t? litt?raire & historique de Qu?bec en 1843, aussi bien que M. Ternaux-Compans en 1841, le consid?raient comme la r?daction fran?aise originale de la relation du premier voyage, au lieu du second; pour celui-ci, on n'en connaissait d'autre publication que celle de Lescarbot dans son Histoire de la Nouvelle-France o? le voyage de Cartier se trouve morcel? & entrecoup? de fragments disloqu?s du voyage de Champlain.

Mais il existe ? Paris, ? la Biblioth?que imp?riale, trois exemplaires manuscrits de cette m?me relation de Cartier, sous les n?s 5589, 5644 & 5653: M. Ternaux-Compans ayant eu communication des deux premiers, en tira une copie, qu'il fit imprimer en 1841 en t?te du second volume de ses Archives des voyages . De son c?t? la Soci?t? litt?raire & historique de Qu?bec: ayant fait prendre copie du troisi?me manuscrit, & l'ayant collationn? avec les deux autres, ainsi qu'avec les extraits de Lescarbot, l'a reproduite dans son volume de 1843 .

L'?dition originale de 1545 ne saurait ?tre pr?sent?e comme exempte d'incorrections, tant s'en faut: les coquilles typographiques y sont fr?quentes, & l'?diteur d'aujourd'hui aurait peut-?tre eu lieu d'h?siter ? se montrer si rigoureusement fid?le ? la reproduire avec toutes ses imperfections accidentelles, s'il n'e?t trouv? un rem?de ? l'inconv?nient de cette reproduction servile, dans l'attention de relever avec soin, en appendice ? la r?impression actuelle, les corrections indispensables, avec les variantes non seulement des manuscrits, mais aussi des fragments de Lescarbot & des ?ditions de Ternaux-Compans & de la Soci?t? de Qu?bec, dont les lectures ne sont pas toujours pr?f?rables aux le?ons de l'?dition de 1545.

Cet exp?dient nous a paru donner ? l'?dition que voici l'avantage de conserver intacte, suivant le go?t imp?rieux des bibliomanes, la physionomie surann?e de l'?dition primitive, tout en mettant ? la disposition de ceux qui n'attachent ? la forme qu'une importance secondaire, les ?l?ments d'un texte plus correct & plus fid?le que tous les autres.

Neuilly-sur-Seine, ce 12 ao?t 1863.

BRIEF RECIT, & succincte narration, de la navigation faicte es ysles de Canada, Hochelage & Saguenay & autres, avec particulieres meurs, langaige, & cerimonies des habitans d'icelles: fort delectable ? veoir.

Avec privilege.

On les vend ? Paris au second pillier en la grand salle du Palais, & en la rue neufve Nostredame ? l'enseigne de lescu de france, par Ponce Rosset dict Faucheur, & Anthoine le Clerc fr?res. 1545.

A MONSEIGNEVR Le Prevost de Paris ou son lieutenant civil. supplient treshumblement Ponce Rosset dict le Faucheur, & Anthoine le Clerc freres & libraires de ceste ville de Paris, qu'il vous plaise leur donner la permission de imprimer & vendre, ung livre, intitul? Briefve & succincte narration de la navigation, faicte es ysles de Canada & autres choses y contenues: Pour lequel imprimer leur convient faire gros fraiz & despens, dont ilz pourroient estre frustrez, ensemble de leurs labeurs, s'il estoit permys ? tous de l'imprimer. Ce consid?r? il vous plaise & ordonner que desfences soient faictes ? tous libraires & imprimeurs de la ville & prevoste de Paris, de ne imprimer icelluy livre, ny de en vendre d'autre que de l'impression desdictz supplians, jusques ? quatre ans finiz & acrompliz, sur peine de confiscation desdictz livres & d'amende arbitraire, Et vous ferez bien.

Il est permys ausdictz suppliens, avec les desfences ? tous autres, de ne imprimer le dict voyage pour le temps & espace de trois ans. Faict le dernier jour de Febvrier, Mil cinq cens quarante quatre.

Le dimenche jour & feste de la Penthecoste seziesme jour de May, en lan mil cinq cens trente cinq du commandement du cappitaine & bon vouloir de tous, chascun se confessa, & recusmes tous ensemblement nostre createur en lesglise cath?drale de sainct Malo. Apres lequel avoir re?u, feusmes nous presenter au cueur de ladicte eglise, devant reverend pere en Dieu monsieur de sainct Malo, lequel en son estat episcopal nous donna sa benediction.

Le lendemain dernier jour de Juillet, feismes courir le long de la dicte coste qui gist Est & Onaist cart de Suest, qui est toute rengee d'isles & basses & coste fort dangereuse; laquelle contient depuis le dict cap des ysles Sainct Germain, jusques ? la fin des ysles environ dix sept lieues & demye. Et a la fin desdictes ysles, y a une fort belle terre basse plaine de grandz arbres & haultz: & est icelle coste toute rengee de sablons sans y avoir aucune apparoissance de hable, jusques au cap de Thiennot que se rabast, au Nor onaist qui est environ sept lieues des dictes ysles. Lequel cap congnoissons du precedent voyage. Et parce feismes porter toute la nuict ? Onaist Noronaist jusques au jour que le vent vint contraire, & feusmes charcher ung havre ou mismes noz navires, qui est ung bon petit havre, oultre ledict cap Thiennot environ sept lieues & demye, & est entre quatre ysles sortentes ? la mer, noud le nommasmes le havre Sainct Nicolas, & sur la plus prochaine ysle plantasmes une croix de boys pour merche. Et fault amener la dicte croix au Nordest, puis l'aller querir & la laisser de tribort, & trouverez de perfond six brasses, & se fault donner garde de deux basses qui demeurent des deux costez ? demye lieue hors. Toute ceste dicte coste est fort dangereuse & plaine de basses: nonobstant qu'il semble y avoir plusieurs bons hables n'y a que basses & plateys. Nous feusmes au dict hable depuis le dict jour jusques au Dimenche vii? jour d'Aoust: Auquel jour appareillasmes & vinsmes querir la terre deca vers le cap de Rabast, qui est distant du dict hable, environ xx lieues Gisans Nort Nordest & Susur Onaist. Et le lendemain le vent vint contraire: Et parce que ne trouvasmes nulz hables ? la dicte terre de Su. feismes porter vers le Nort oultre le precedent hable de environ dix lieues, ou nous trouvasmes une moult belle & grande baye, plaine d'ysles & bonnes entrees & passaige de tous les ventz qu'il scavoit faire: Et pour congnoissance d'icelle baye y a une grand ysle comme ung cap de terre, qui s'avance plus hors que les autres; Et sur la terre environ deux lieues, y a une montaigne faicte comme ung tas de bled, nous nommasmes la dicte baye la baye sainct Laurens.

Le douziesme jour du dict moys nous partismes de la dicte baye sainct Laurens & feismes porter ? Onaist, & vinsmes querir ung cap de terre devers le Su qui gist environ l'Onaist ung cart de Sur Onaist du dict hable Sainct Laurens environ vingt cinq lieues. Et par les deux sauvaiges que avions prins le premier voyage, nous fut dict que cestoit de la dicte terre devers le Su, & que cestoit une ysle, & que par le Su d'icelle estoit le chemin ? aller de Honguedo ou nous les avions prins lan precedent ? Canada: Et que ? deux journees du dict cap & ysle commenceroit le royaulme de Saguenay ? la terre devers le Nort allant vers le dict Canada, le travers du dict cap environ trois lieues y a de profond cent brasses & plus. Et n'est memoire de jamais avoir tant veu de ballaynes que nous vismes celle journee le travers dudict cap.

Le lendemain jour nostredame d'Aoust quinziesme dudict moys, nous passasmes le destroict la nuict de devant, & le lendemain eusmes congnoissance de terres qui nous demouroient vers le Su: qui est une terre ? haultes montaignes ? merveilles, Donc le cap susdict de la dicte ysle que nous avons nommee l'ysle de l'Assumption, & ung cap de dictes haultes terres gisent Est Nordest & Onaist sur Onaist, & y a entre eulx vingt cinq lieues, Et veoit on les terres du Nord encores plus haultes que celles du Su ? plus de trente lieues. Nous rangeasmes le dictes terres du Su depuis ledict jour jusques au mardy que le vent vint Onaist, & meismes le cap au Nord pour aller querir lesdites haultes terres que voyons, & nous estans l? trouvasmes lesdictes terres unyes & basses vers la mer, & les montaignes devers le Nort par sus lesdictes haultes terres gisant icelles terres, Est, & Onaist ung cart de Sur Onaist. Et par les sauvaiges que avions, nous a est? dict que cestoit le commencement du Saguenay & terre habitable. Et que de la venoit le cuyvre rouge qu'ilz appellent caignetdaze. Il y a entre les terres du Su & celles du Nort, environ trente lieues, & plus de deux cens brasses de perfond & nous ont lesdictz Sauvaiges certiffi? estre le chemin & commencement du grant Silenne de Hochelaga & chemin de Canada; lequel alloit tousjours en estroissent jusques ? Canada, puis que l'on treuve l'aue doulce qui va si loing que jamais homme n'auroit est? jusques au bout qu'ilz eussent ouy, & que autre passaige n'y avoit que par bateaulx. Et voyant leur dire & qu'ilz affermoient n'y avoir autre passaige, ne voulut ledict cappitaine passer oultre jusques a avoir veu le reste de ladicte terre & coste devers le Nort, qu'il avoit obmis de veoir depuis la Baye saint Laurens pour aller veoir la terre du Su pour veoir s'il y avoit aucun passaige.

Le mercredy 18e jour d'Aoust, nostre cappitaine feist retourner ses navires en arriere, & mestre le cap ? l'autre bort. Et rangeasmes ladicte coste du Nort qui gist Nordest & Sur Ornaist faisant ung demy arc, qui est une terre fort haulte non tant comme celle de Su: Et arrivasmes le jeudy ensuyvant ? sept ysles fort haultes: lesquelles nous nommasmes les ysles Rondes, qui sont ? environ quarante lieues des terres du Su, & s'avancent hors ? la mer trois ou quatre lieues, le travers desquelles y a ung commencement de basses terres plaines de beaux arbres; lesquelles terres nous rengeasmes le vendredi avec nos barques, le travers desquelles y a plusieurs bancqs de sablon ? plus de deux lieues ? la mer, fort dangereux, lesquelz descuevrent de basse mer, & au bout d'icelles basses terres qui contiennent environ dix lieues, y a une riviere d'eaue doulce, sortant ? la mer, tellement que ? plus d'une lieue d'elle est aussi doulce que eaue de fontaine. Nous entrasmes en ladicte riviere avecq noz barques, & ne trouvasmes ? l'entree d'icelle que brasse & demye. Il y a dedans ladicte riviere plusieurs poissons, qui ont forme de chevaulx, lesquels vont ? la terre de nuict, & de jour ? la mer, ainsi qu'il nous feut dict par nos deux sauvaiges: Et de ces dictz poissons veismes grand nombre dedans la dicte riviere.

Le lendemain 2le jour dudict moys au matin ? l'aube du jour feismes voylle & feismes porter le long de la dicte coste, tant que nous eusmes congnoissance de la reste de la dicte coste du Nort, que n'avions veu, & de l'ysle de l'Assumption, que nous avions est? querir au partir de la dicte terre: & lors que nous feusmes certains que ladicte coste estoit rengee, et qu'il n'y avoit nul passaige, retournasmes ? nos navires qui estoient esdictz sept ysles o? il y a bonne radde ? dix huict & vingt brasses de sablon: auquel lieu avons est? sans pouoir sortir n'y faire voylle pour la cause des bruynnes & ventz contraires qui faisoient jusques au xxiiii? jour dudict moys que sommes arrivez ? ung hable de la coste du Su, qui est ? environ quatre vingt lieues des dictz sept ysles, qui est le travers de trois ysles plattes, qui sont par le parmy du fleuve. Et environ le my chemin des dictes ysles & ledict hable devers le Nort, y a une fort grande riviere, qui est entre les haultes & basses terres, qui faict plusieurs bancqs ? la mer ? plus de trois lieues, qui est ung pais fort dangereux & sont de deux brasses & moins, & ? la creste de iceulz bancqs trouverez xxv & xxx brasses bort ? bort, toute icelle coste du Nort, gist, Nort, Nordest, & Su sur Onaist.

Le hable devantdict ou posasmes qui est ? la terre du Su, est hable de marie & de peu de valleur, nous les nommasmes les Ysleaux sainct Jehan, parce que nous y entrasmes le jour de la decollation dudict faict, Et au paravant que arriver audit hable, y a une ysle ? Best d'icelluy environ cinq lieues, ou il n'y ? point de passaige entre terre & elle que par bateaux; le dict hable des ysleaux sainct Jehan asseche toutes les marees, & y maryne l'eaue de deux brasses: Le meilleur lieu ? mettre navires est vers le Su d'ung petit yslot qui est au parmy du dict hable bort au dict yslot.

Nous appareillasmes du dict hable le premier jour de septembre pour aller vers Canada, & environ quinze lieues du dict hable ? l'Onaist, Sur, Onaist y a trois ysles au parmy du fleuve, le travers desquelles y a une riviere fort perfonde & courante, qui est la riviere & chemin du royaulme & terre de Saguenay, ainsi que nous a est? dict par nos deux sauvages du pais de Canada. Et est icelle riviere entre haultes montaignes de pierre nue, sans y avoir que peu de terre, & nonobstant y croist grand quantit? d'arbres & de plusieurs sortes qui croissent sur la dicte pierre nue comme sur bonne terre, de sorte qui y avons veu arbre suffisant ? master navire de trente tonneaulx, aussi vert qu'il soit possible de veoir lequel estoit sur ung rocq sans y avoir aucune faveur de terre, ? l'entr?e d'icelle riviere trouvasmes quatre barques des sauvages, les quelz venoient vers nous en grand peur & craincte, de sorte qu'il en recueillit une, & lautre approcha pres qu'ilz peurent entendre l'un de nos sauvages, qui se nomma & feist sa congnoissance, & les feist venir seurement.

Le lendemain deuxiesme jour du dict septembre, resortismes hors de la dicte riviere pour faire le chemin vers Canada, & trouvasmes la mares fort courante & dangereuse, parce que devers le Su de la dicte riviere y a deux ysles, & l'entour desquelles, ? plus de trois lieues n'y a que deux brasses semees de gros perrons, comme tonneaulz & pippes, & les marees de ce puantes par entre lesdictes ysles, de sorte que cuydasmes y perdre nostre gallyon, sinon le secours de noz barques & ? la creste des dictz plateys, y a de perfond trente brasses & plus. Passe ladicte riviere du Saguenay & les dictes ysles, environ cinq lieues vers le Sur Onaist, y a une autre ysle vers le Nort, de laquelle y a de fort haultes terres le travers desquelles cuydasmes poser l'ancre pour estaller l'obbe, & ny peusmes trouver le fonds ? six vingtz brasses a ung traict d'arc de terre, de sorte que feusmes contrainctz retourner vers la dicte ysle, ou passames ? trente cinq brasses, & beau fondz.

Le lendemain matin feismes voylle, & appareillasmes pour passer oultre, & eusmes congnoissance d'une sorte de poissons, desquelz il n'est memoire d'homme avoir veu n'y ouy: Les dictz poissons sont aussi gros comme marsouyns sans avoir aucun estre, & sont assez faictz par le corps & teste de la facon d'ung levrier, aussi blancs que neige, sans avoir aucune tache: & en y a fort grand nombre dedans la dicte riviere qui vivent entre la mer & l'eaue doulce: Les gens du pais les nomment Adhothuys: & nous ont dict qu'ilz sont fors bons ? menger, & nous ont affirm? n'y en avoir en tout le dict fleuve qu'en cet endroit.

Le sixiesme jour dudict moys avec bon vent feismes courir ? mont le dict fleuve environ quinze lieues, & vinsmes poser ? une ysle qui est bort ? la terre du Nort, qui faict une petite baye & couche de terre: ? laquelle y a ung nombre inestimable de grandes tortues, qui sont es environs d'icelle ysle, Pareillement par iceulz du pais, se faist es environs de la dicte ysle grand pescherie de Adhothuys. Il y a aussi grant courant es environs de ladicte ysle comme devant Bordeaux de flo, & ebbe. Icelle ysle contient environ trois lieues de long & deux de large: & est une moult bonne terre & grasse, plaine de beaulx & grandz arbres de plusieurs sortes: & entre autres y a plusieurs couldres franches que trouvasmes fort chargees de noisilles aussi grosses & de meilleur saveur que les nostres, mais ung peu plus dures. Et parce la nommasmes l'ysle es Couldres.

Le septiesme jour dudict moys jour nostredame, apres avoir ouy la messe, nous partismes de ladicte ysle pour aller ? mont ledict fleuve, & vinsmes ? quatorze ysles qui estoient distantes de ladicte ysle es couldres de sept ? huict lieues, qui est le commencement de la terre & province de Canada: desquelles en y a une grande qui a environ dix lieues de long & cinq de large, en laquelle y a gens demourrans qui font grand pescherie de tous les poissons qui sont dedans le dict fleuve selon leur saison. Nous estans posez & a l'encre entre icelle grande ysle, & la terre du Nort, alasmes ? terre & portasmes les deux sauvaiges que avions prins le precedent voyage:

Et trouvasmes plusieurs gens du pays, lesquelz commencerent ? fuyr, & ne vouloient aprocher jusques ad ce que nosdictz deux hommes commencerent ? parler, & leur dire qu'ilz, estoient Taignoagny & dom Agaya. Et lors qu'ilz eurent congnoissance d'eulx commencerent a demener joye danfans & faisans plusieurs cerimonies; & vindrent parler des principaulz ? noz basteaux, lesquelz nous apportoient force anguilles, & aultres poissons, avec deux ou trois charges de gros mil qui est le pain de quoy ilz vivent en la dicte terre, & plusieurs gros melons. Et icelle journ?e vindrent ? nos navires plusieurs barques du pays charg?es de gens tant hommes que femmes pour veoir & faire chaire ? nos dictz deux hommes, les quelz feurent tous bien receuz par nostre cappitaine, qui les festoya de ce qu'il peust, & pour faire sa congnoissance leur donna aucuns petis presens de peu de valleur, de quoy se contenterent fort.

Le lendemain le seigneur de Canada nomm? Donnacona en nom, & l'appellent pour seigneur Agouhanna, vint avecques douze barques accompaign? de plusieurs gens davant noz navires. Puis enfeist retirer arriere dix, & vint seulement avec deux ? bort desdictz navires, accompaign? de seize hommes, & commenca ledict Agouhanna le travers du plus petit de noz trois navires a faire une predication & preschement ? leur mode, en demenant son corps & membres d'une merveilleuse sorte, qui este une cerimonie de joye & asseurance, Et lors qu'il fut arriv? ? la nef generalle ou estoient les dictz Taignoagny & son compaignon, parla le dict seigneur ? eulx, & eulx ? luy, & luy commencerent a compter ce qu'ilz avoient veu en France, & le bon traictement qu'il leur avoit est? faict, dequoy tut fort joyeulx, & pria nostre cappitaine luy bailler ses bras pour les baiser & accoller qui est leur mode de faire chere en ladicte terre. Lors nostre cappitaine entra en la dicte barque du dict Agouhanna, & commanda apporter pain & vin pour faire boire & menger ledict seigneur & sa bande, ce qui fut faict, dequoy furent fort contens. Et pour lors ne fut aultre present faict audict seigneur attendant lieu & temps. Apres lesquelles choses ainsi faictes, se departirent les ungs des aultres, & prindrent cong?, & se retira le dict Agouhanna en ses barques pour se retirer & aller en son lieu. Et feist le dict cappitaine apprester ses barques pour passer oultre, & aller avant le dict fleuve avec le flo, pour cercher hable & lieu de sauvet? pour mettre les navires, & feusmes oultre le dict fleuve environ dix lieues coustoyant la dicte ysle. Et au bort d'icelles trouvasmes ung asseurg d'eaulx fort beau & plaisant. Au quel lieu y a une petitie riviere & hable de barre marinant de deux ? trois brasses, que trouvasmes lieu ? nous propice pour mettre nosdictes navires ? sauvet?. Nous nommasmes le dict lieu saincte Croix, par ce que le dict jour y arrivasmes. Aupres d'iceluy lieu y a ung peuple, dont est seigneur le dict Donnacona, & y est la demeurance qui se nomme Stadacone, qui est aussi bonne terre qu'il soit possible de veoir & bien fructiferente, pleine de fort beaulx arbres de la nature & sorte de France. Comme chesnes, ormes, fresnes, noyers, yfz, cedres, vignes, aubespines, qui portent le fruict aussi gros que prunes de damas, & aultres arbres: soubz les quels croist de aussi beau chanvre que celuy de France, qui vient sans semence ny labour. Apres avoir visite ledict lieu, & trouv? estre convenable, se retira ledict cappitaine, & les aultres dedans les barques pour retourner es navires. Et ainsi que sortismes hors de la dicte riviere trouvasmes au devant de nous l'ung des seigneurs dudict peuple de Stadacone accompaign? de plusieurs gens tant hommes, femmes que enfans: lequel seigneur commenca a faire ung preschement ? la facon & mode du pays, qui est de joye & asseurance, & les femmes dansoient & chantoient sans cesse estans en l'eaue jusques es genoulx, Nostre cappitaine voyant leur bonne amour & bon vouloir, feist approcher la barque ou il estoit, & leur donna des couteaulx, & petites patenostres de voirre, de quoy menerent une merveilleuse joye, de sorte que nous estans departis d'avec eulx distant d'une lieue ou environ, les oyons chanter, danser, & mener joye de nostre benne.

Apres que nous feusmes arrivez avec noz barques ausdictz navires & retournez de la rivyere saincte Croix, le cappitaine commanda apprester lesdictes barques pour aller ? terre ? la dicte ysle veoir les arbres qui sembloient fort beaulx a veoir, & la nature de la terre d'icelle ysle. Ce que fut faict, & nous estans ? ladicte ysle la trouvasmes plaine de fors beaulx arbres de la sorte des nostres. Et pareillement y trouvasmes force vignes, ce que n'avyons veu par cy devant ? toute la terre, & par ce la nommasmes l'ysle de Bacchus. Icelle ysle tient de longueur environ douze lieues, & est fort belle terre a veoir, mais est plaine de boys sans y avoir aucun labouraige, fors qu'il y a aucunes petites maisons ou ilz font pescherie, comme par cy devant est faicte mention.

Le lendemain partismes avec nosdictz navires pour les mener audict lieu de saincte Croix, & y arrivasmes le 14 dudict moys. Et vindrent au devant de nous le lesdictz Donnacona Taignoagny & Dom agaya avec vingt cinq barques chargez de gens qui venoient dudict lieu dont estions partis, & alloient audict Stadacone ou est leur demourance, & vindrent tous a noz navires faisans plusieurs signes de joye, fors noz deux hommes que avions apportez, Scavoir Thaignoagny & Dom agaya, lesquelz estoient tous changez de propos, & de couraiges, & ne vouloient entrer dedens nos dictz navires, nonobstant qu'ilz en feussent plusieurs fois priez: dequoy eusmes aucune deffiance d'eulx. Le cappitaine leur demanda s'ilz vouloient aller comme ilz luy avoient promis avec lui ? Hochelaga, & ilz respondirent que oy: & qu'ilz estoient deliberez y aller: lors chascun se retira.

Le lendemain 15, ledict cappitaine feust ? terre avec plusieurs pour faire planter ballises & merches pour plus seurement mettre les navires ? sauvet?. Auquel lieu se rendirent au-devant de nous plusieurs gens du pays & entre aultre le dict Donnacona noz deux hommes & leur bande, lesquelz se tindrent apart soubz une poincte de terre qui est sur le bort d'ung fleuve, sans ce que aucun d'eulx vint environ nous, comme les aultres qui n'estoient de leur bande faisoient. Apres que le cappitaine fut adverty qu'ilz y estoient, commanda ? partie de ses gens aller avecques luy, & furent vers eulx soubz ladicte pointe, & trouverent les dictz Donnacona, Taignoagny, Dom agaya & plusieurs aultres: & apres se estre entre saluez, se avanca ledict Taignoagny de parler, & dit ? nostre cappitaine que ledict seigneur Donnacona estoit marry, dont ledict cappitaine & ses gens portoient tant de batons de guerre, par ce que de leur part n'en portoient nulz. A quoy leur respondist ledict cappitaine que pour leur marrisson ne laisserons a les porter, & que c'estoit la coustume de France, & qu'il le scavoit bien, mais pour toutes leurs parolles ne laisserent le dict cappitaine & Donnacona a faire grand chere ensemble. Lors aperceusmes que ce que disoit le Taignoagny ne venoit que de luy & son compaignon. Et avant de partir dudict lieu, lesdictz Donnacona & cappitaine feirent une asseurance de sorte merveilleuse, car tout le peuple dudict seigneur Donnacona gecterent & feirent trois cris ? plaine voix, que cestoit chose horrible a ouyr, & a tant prindrent congi? les ungs des aultres, & nous retirasmes ? bort pour celuy jour, & le lendemain 16, dudict moys nous meismes les deux plus grandz navires dedens ledict hable & riviere, ou il y a de plaine mer trois brasses & de bas d'eaue demy brasse, & fut laiss? le gallyon dedens la radde pour mener au dict Hochelaga. Et tout incontinent que lesdictes navires furent audict hable & asseur, se trouverent devant les dictes navires Donnacona, Taignoagny, Domagaya, & plus de cinq cens personnes hommes, femmes, que petis enfans, et entra ledict seigneur avec dix ou douze des plus grandz personnaiges du pays, lesquelz furent par ledict cappitaine & autres festoyes, & leur fut donn? aucuns petis presens, & fut par Taignoagny dict ? nostre cappitaine, que ledict seigneur estoit marry dont il alloit ? Hochelaga, & que ledict seigneur ne vouloit que luy que ploit y allast par ce que la riviere ne valloit riens, & leur fust respondu par ledict cappitaine que pour tout ce ne laisseroit y aller s'il luy estoit possible; par ce qu'il avoit commandement du roy son maistre de aller le plus avant qu'il pourroit: mais si le dict Taignoagny y voulant aller comme il avoit promis, qu'on luy feroit present, dequoy il seroit content & grand chere, & qu'ilz ne feroient que aller & venir seulement audict Hochelaga, puis retourner. A quoy respondist le dit Taignoagny, qu'il n'y yroit point. Lors se retirerent a leurs maisons. Et le lendemain, l7 dudict moys, le dict Donnacona & les aultres revindrent comme devant, & apporterent force anguilles & aultres poissons, dequoy se faict grand pescherie audict fleuve, comme sera cy apres dict. Lors qu'ilz furent arrivez devant lesdictes navires, commencerent a chanter & danser comme avoient de coustume. Et apres qu'ilz eurent ce faict, feict ledict Donnacona mettre tous ses gens d'ung cost?, & feist ung cerne sur le sable, & y feist mettre nostre cappitaine & ses gens: & lors commenca une harengue, tenant une fille d'environ l'aage de dix ? douze ans en l'une de ses mains, puis la vint presenter ? nostre cappitaine, & tout incontinent tous les gens dudict seigneur se prindrent a faire trois criz & hurlemens en signe de joye & alliance. Puis de rechef presenta deux petis garsons de moindre aage l'un apres l'aultre, desquelz feirent telz criz & cerimonies que devant. Duquel present ainsi faict par le dict seigneur fut par nostre cappitaine remerci?. Lors Taignoagny dict au cappitaine que la fille estoit la propre fille de la seur dudict seigneur, & l'ung des garsons frere de luy qui parloit, Et qu'on les luy donnoit sur l'intention qu'il n'allast point ? Hochelaga. A quoy luy re respondist nostre cappitaine, que si on les luy avoit donnez sur ceste intention, que on les reprint, & que pour riens ne laisseroit y aller par ce qu'il avoit commandement de ce faire. Sur les quelles parolles Dom agaya compaignon dudict Taignoagny, dict audict cappitaine que ledict seigneur luy avoit donn? les dictz enfans par bonne amour, & en signe d'asseurance, & qu'il estoit content aller avec luy audict Hochelaga, de quoy eurent grosses parolles lesdictz Taignoagny & Dom agaya. Lors aperceusmes que ledict Taignoagny ne valloit riens, & qu'il ne songeoit que trahison & malice tant par ce que aultres mauvais tours que luy avions veu faire. Et sur ce ledict cappitaine feist mettre lesdictz enfans dedans les navires, feist apporter deux esp?es, ung grand bassin d'arain plain, & ung ouvr? pour laver mains, & en feist present audict Donnacona, lequel fort s'en contenta & remercia nostre cappitaine, Et commanda ledict Donnacona a tous ses gens chanter & danser, & pria ledict Donnacona nostre cappitaine faire tirer une piece d'artillerie, par ce que lesdictz Taignoagny & Dom agaya lui en avoient faict teste, & aussi que jamais n'en avoient veu, ny ouy. A quoy le cappitaine respondist qu'il le vouloit bien, & commanda que on tirast une douzaine de barges avec leurs boulletz le travers du boys qui estoit jouxte lesdictes navires & gens. Dequoy furent tous si estonnez qu'ilz pensoient que le ciel feust cheu sur eulx, & Ce prindrent a hucher & hurler si tres fort, que sembloit que enfer y feust vuide, & davant qu'ilz se retirassent, le dict Taignoagny feist dire par interpos?s personnes, que les compaignons du gallyon, lequel estoit demour? ? la radde, avoient tu? deux de leurs gens de coups d'artillerie: dont tous se retirerent ? grand haste, ainsi que si les eussions voulu tuer. Ce que ne se trouva verit?: Car durant ledict jour ne fut dudict gallyon tir? artillerie.

Le lendemain, 19e jour dudict moys de Septembre, nous appareillasmes & feismes voylle avec le dict gallyon & les deux barques, pour aller avec la mar?e amont ledict fleuve, ou trouvasmes ? veoir des deux costez d'icelluy les plus belles & meilleures terres, qu'il soit possible de veoir. Aussi vives que l'eaue plaine des beaulx arbres du monde: & tant de vignes chargez de raisins le long dudict fleuve, qu'il semble mieulx qu'elles ayent est? plantez de main d'homme que aultrement: mais par ce qu'elles ne sont cultivez ne taillez, ne sont les raisins si groz & si doulx que les nostres: pareillement trouvasmes beaucoup de maisons sur ledict fleuve, le lesquelles sont habitees de gens qui font grande pescherie de tous poissons: lesquelles gens venoient ? noz navires d'aussi grand amour & privaulte, que si eussions est? du pays, Nous apportant force poisson, & de ce qu'ilz avoient pour avoir de nostre marchandise tendans les mains au ciel, & faisans plusieurs signes de joye. Et nous estans posez environ ving cinq lieues de Canada en ung lieu nomm? Ochelay, qui est ung destroict dudict fleuve fort courant & dangereux, tant de pierres que d'aultres choses vindrent plusieurs barques ? bort, Et entre aultres, y vint ung grand seigneur du pays, lequel faisoit un grand sermon en venant & arrivant ? bort, monstrant par signes evidens avec les mains & aultres cerimonies, que le dict fleuve estoit ung peu plus avant fort dangereux, nous advertissant de nous en donner garde. Et presenta celuy seigneur au cappitaine deux de ses enfans, desquelz le cappitaine print une fille de l'aage d'environ sept a huit ans, & reffusant ung garson de deux ou trois ans, par ce qu'il estoit trop petit, Le dict cappitaine festoya le dict seigneur & sa bande de ce qu'il peust, & luy donna aucun petit pr?sent: puis s'en allerent ? terre. Et depuis sont venus celuy seigneur & sa femme veoir leur fille jusques ? Canada & apporter aucun present au cappitaine, Depuis le 19e jour jusques au 28, dudict moys nous avons est? navigans a mont ledict fleuve sans perdre heure ny jour, durand lequel temps avons veu & trouv? d'aussi beau pays & terres aussi unyes que l'on scauroit desirer, plaine comme dict est des beaulx arbres du monde, scavoir chesnes, hormes, noyers, cedres, pruches, fresnes, briez, sandres, oziers, & force vignes. Lesquelles avoient si grand habondance de raisins, que les compaignons en venoient chargez ? bort. Il y a seulement force grues, signes, oultardes, oyes, cannes, allouettes, faisans, perdrix, merles, mauvis, teurtres, chardonnereulx, serins, roussignolz, passes solitaires, & aultres oyseaulx, comme en France, & en grand habondance.

Ledict 18e jour de septembre nous arrivasmes en ung grand lac & playne dudict fleuve, large d'environ cinq ou six lieues, & douze de long, Et navigasmes celluy jour amont sans y trouver partout icelluy que deux brasses de parfond esgallement sans haulser ny baisser. Et nous arrivans a l'ung des boutz dudict lac, ne nous apparoissoit aucun passaige n'y sortye: Ains sembloit icelluy estre tout cloz sans aucune riviere, & ne trouvasmes audict bout que brasse & demie, dont nous convint poser & mettre l'ancre hors, & aller chercher passage avec les barques: & trouvasmes qu'il y a quatre ou cinq rivieres toutes sortantes dudict fleuve en icelluy lac, & venant dudict Hochelaga: mais en icelluy ainsi sortantes, y a barres & traverses faictes par le cours de l'eaue, ou il n'y avoit pour lors que une brasse: Et lesdictes barres passees y a quatre ou cinq brasses, qui estoit le temps des plus petites eaues de lann?e, ainsi que nous vinsmes par les flotz des dictes eaues qu'elles croissent de plus de trois brasses de pic, toutes icelles rivieres circuysent & environnent cinq ou six belles ysles, qui sont le bout dudict lac: puis se rassemblent environ quinze lieues ? mond toutes en une. Celuy jour feusmes ? l'une d'icelles, ou trouvasmes cinq hommes qui prenoient des bestes sauvaiges: lesquels vindrent aussi privement ? noz barques, que s'ilz nous eussent veu toute leur vie sans avoir peur ne craincte, & nosdictes barques arrivez ? terre, l'un d'iceulx hommes print nostre cappitaine entre ses bras, & le porta ? terre aussy legierement que sy feust est? ung enfant de cinq ans, tant estoit icelluy homme grand & fort. Nous leur trouvasmes ung grand mouceau de raz sauvaiges: lesquelz vivent en l'aue, & sont gros comme connyns, & bons ? merveilles. Desquelz feirent present ? nostre cappitaine, qui leur donna des couteaulx, & patenostres pour recompence. Nous leur demandasmes par signe, si c'estoit le chemin de Hochelaga: Ilz nous monstrerent que ouy, & qu'il y avoit encores trois journees ? y aller.

Le lendemain nostre cappitaine voyant qu'il n'estoit possible povoyr pour lors passer le dict gallyon, feist advictailler & accoustrer les barques, & mettre victuailles pour le plus de temps qu'il feust possible, & que lesdictes barques en peurent accueillir, & se partit avecques icelle accompaign? des gentilz hommes: scavoir Claude du pont grand echanson de monseigneur le Dauphin. Charles de la Pommeraye, Jehan gouion, Jehan poullet, avec vingt huict marinyers, y comprins Mace jallobert & Guillaume le breton, ayans la charge soubz le cappitaine des deux autres navires, pour aller amond ledict fleuve, au plus loing qu'il nous seroit possible. Et navigasmes de temps ? gr? jusques au dixneufiesme jour d'Octobre, que nous arrivasmes audict Hochelaga, qui est distant d'ou estoit demour? ledict gallyon, de quarante cinq lieues. Auquel & chemin faisant trouvasmes plusieurs gens du pays, lesquelz nous apportoient du poisson & aultres victuailles, dansans & menans grand joye de nostre venue. Et pour les atraire & tenir en amyti? avec nous, leur donnait ledict cappitaine pour recompence, des couteaulx, patenostres & autres menues choses, dequoy estoient fort contens. Et nous arrivez audict Hochelaga, Se rendirent au devant de nous plus de mil personnes, tant hommes femmes que enfans; Lesquelz nous feirent aussy bon racueil, que jamais pere feist ? enfant, menant joye merveilleuse: Car les hommes en une bande dansoyent. Les femmes d'aultre & les enfans de l'autre: & apres ce nous apporterent force poisson, & de leur pain faict de gros mil, qui gettoient dedans nosdictes barques, en force qu'il sembloit qu'il tumbast de l'aer, voyant ce, nostre dict cappitaine descendit ? terre avec plusieurs de ses gens. Et si tost qu'il fut descendu, se assemblerent tous sur luy, & sur tous les autres, en faisant une chaire inestimable; Et apportoient leurs enfans ? brasees pour les faire toucher audict cappitaine & autres, faisant une feste, qui dura plus de demye heure, Et voyant nostre cappitaine leur largesse & bon recueil, feist asseoir & renger toutes les femmes, & leur donna des petites patenostres d'estain & aultres menues choses: & ? partye des hommes des cousteaulx, puis se retira ? bort des barques pour souper & passer la nuict: durant laquelle demoura icelluy peuple sur le bort dudict fleuve a plus pres desdictes barques, faisant toute nuict plusieurs feux & danses, en disant ? toutes heures Aguyaze, qui est leur dire de salut & joye.

Le lendemain au plus matin le cappitaine s'acoustra & feist mettre ses gens en ordre pour aller veoir la ville & demourant dudict peuple, & une montaigne qui est jacente en leur dicte ville: ou allerent avec le dict cappitaine les gentilz hommes & vingt marinyers, & laissa le parsus pour la garde des barques, & print trois hommes de la dicte ville de Hochelaga pour les mener & conduyre audict lieu, & nous estans en chemin, le trouvasmes aussi battu qu'il soit possible, & plus belle terre & meilleure qu'on scaurait veoir, toute plaine de chesnes aussy beaulx qu'il ayt en forest de France: Soubz lesquelz estoit toute le terre couverte de glan. Et nous ayans march? environ lieue & demye trouvasmes sur le chemin, l'un des principaulx seigneurs de la dicte ville, accompaign? de plusieurs personnes: lequel nous feist signe qu'il se falloit reposer audict lieu pres ung feu qu'ilz avoient faict audict chemin. Ce que feismes, lors commenca ledict seigneur ? faire ung sermon & preschement, comme cy devant est dict estre leur coustume de faire joye & congnoissance, en faisant celluy seigneur chere audict cappitaine & la compaignie, lequel cappitaine luy donna une couple de haches, & une couple de cousteaulx, avec une croix, qu'il luy feist baiser, & la luy pendit au col: de quoy rendit graces audict cappitaine. Ce faict marchasmes plus oultre: & environ demye lieue de l?, commencasmes ? trouver les terres labour?es & belles grandes champaignes plaines de bledz de leur terre, qui est comme mil de bresil, aussy gros ou plus que poix, dequoy vivent ainsi, comme nous faisons de fourment: & au parmy d'icelles champaignes est situee la ville de Hochelaga, pres & joignant une montaigne qui est ? lentour d'icelle, labour?e & fort fertile: de dessus laquelle on veoit fort loing. Nous nommasmes la dicte montaigne le mont Royal. La dicte ville est toute ronde, & close de boys ? trois rencqs, en facon d'une piramide, crois?e par le hault, ayant la reng?e du parmy en facon de ligne perpendiculaire: puis reng?e de boys couchez de long, bien joinctz & cousus ? leur mode: Et est de haulteurs environ deux lances, n'y a en icelle ville que une porte & entr?e, qui ferme ? barres. Sur laquelle & en plusieurs endroictz de ladicte closture, y a manieres de galleries, & eschelles ? y monter qui sont garnis de roches & chaillouz. Pour la garde & deffence d'icelle, il y a dedans icelle ville, environ cinquante maisons longues d'environ cinquante pas ou plus chascune, & douze ou quinze pas de larges, & toutes faictes de boys couvertes & garnyes de grandes escorces & pelleures desdictz boys aussy large que tables, bien cousus artificiellement selon leur mode: & par dedans icelles y a plusieurs estres & chambres: Et au meilleu d'icelles maisons y a une grande place par terre ou font leur feu, y vivent en communault?, puis se retirent en leur dictes chambres les hommes avecques leurs femmes & enfans. Pareillement ilz ont grenyers au hault de leurs maisons, ou ilz mettent leur bled dequoy font leur pain, qu'ilz appellent Carraconny, Et le font en la sorte cy apres: Ilz ont des pilles de boys comme a piller chanure, & bastent avec pillons de boys le dict bled en pouldre, puis le massent en paste, & en font tourteaulx qu'ilz metent sur une pierre large qui est chaulde, puis le couvrent de cailloudz chauldz. Et ainsi cuysent leur pain en lieu de four. Ilz fond pareillement force potaiges dudict bled & de febves et poix, desquelz ilz ont assez & aussy grosses concombres & aultres fruictz. Ilz ont de grandz vaisseaulx comme thonnes en leurs maisons ou ilz mettent leur poisson, lequel ilz sechent ? la fum?e durant l'est? & en vivent l'yver: Et de ce font grant amas comme avons veu par experience. Tout leur vivre est sans aucun goust de sel: Et couchent sur escorces de boys estandues sur la terre avec meschantes peaulx de bestes sauvaiges, dequoy font leur vestement & couverture. La plus precieuse chose qu'ilz ayent en ce monde, est Esurgny, lequel est blanc comme neif, & le prennent audit fleuve en cornibotz en la maniere qui ensuyt. Quand ung homme a desservi mort, ou qu'ilz ont prins aucuns ennemys ? la guerre ilz le tuent, puis l'incisent par les fessens, cuysses, & espaulles ? grandes taillades puis au lieu ou est ledict Esurgny, avallent ledict corps au fond de l'eaue & le laissent dix ou douze heures, puis le retirent ? mont & treuvent dedans lesdictes taillades & inciseures lesdictz cornibotz, desquelz ilz font manieres de patenostre, & de ce usent comme nous faisons d'or & d'argent, & le tiennent la plus precieuse chose du monde. Il a vertu d'estancher le sang des nazilles: car nous l'avons experiment?. Tout cedict peuple ne s'adonne que ? labourage & pescherie pour vivre: Car des biens de ce monde n'en font compte, parce qu'ilz n'en ont congnoissance, & qu'ilz ne bougent de leur pais, & ne sont ambulataires comme ceulx de Canada, & du Saguenay, nonobstant que lesdictz Canadiens leur soyent subgectz avec huict ou neuf autres peuples, qui sont sur ledict fleuve.

Apres que feusmes arrivez au pres d'icelle ville, se rendirent au devant de nous grand nombre des habitans d'icelle, qui ? leur facon de faire nous feirent bon racueil: & par noz guydes & conducteurs feusmes menez au meilleu d'icelle ville, ou il y a une place entre les maisons, spacieuse d'ung gect de pierre en carr? ou environ: lesquelz nous feirent signe que nous arrestions audict lieu. Et tout soudain s'assemblerent les filles et femmes de ladicte ville, dont l'une partye estoient chargez d'enfans entre les bras, & qui nous vindrent frotter le visaige, bras & autres endroictz de dessus le corps ou ilz pouvoient toucher, pleurant de joye de nous veoir, en nous faisant le meilleure chere qu'il leur estoit possible, nous faisans signes qu'il nous pleust toucher ? leursdictz enfans. Apres lesquelles choses les hommes feirent retirer les femmes & se assirent sur la terre ? lentour de nous, comme sy eussions voulu jouer un mystere. Et tout soudain revindrent plusieurs femmes, qui apporterent chascun une natte carr?e en fa?on de tapisserie: Et les estendirent sur la terre au milleu de ladicte place, & nous feirent mettre sur icelles, Apres lesquelles choses ainsy faictes, fut apport?e par neuf ou dix hommes le Roy et seigneur du pays qu'ils appellent en leur langaige Agouhanna, lequel estoit assis sur une grande peau de Cerf, & le vindrent poser dedans ladicte place sur lesdictes nattes au pres de nostre cappitaine, nous faisant signe que cestoit leur Roy & seigneur. Cestuy Agouhanna estoit de l'aage environ cinquante ans, & estoit point myeulx accoustr? que les aultres, fors qu'il avoit ? lencontre de sa teste, une maniere de lysiere rouge pour sa couronne, faicte de poil de Herissons. Et estoit celluy seigneur tout percluz de ses membres. Apres qu'ilz eust faict son signe de salut audict cappitaine & ? ses gens, leurs faisant signes evidens, qu'ilz feussent les tres bien venuz: Il montra ses bras & jambes audict cappitaine, luy faisant signe qu'il luy pleust les toucher: lequel cappitaine les frota avecques les mains. Et lors ledict Agouhanna print la lysiere & couronne qu'il avoit sur sa teste, & la donna a nostre cappitaine. Et tout incontinent furent amenez audict cappitaine plusieurs malades, comme aveugles, borgnes, boisteulx, impotens, & gens sy tresvieulx, que les paupieres des yeulx leur pendoyent jusques sur les joues: les seant & couchant au pres de nostre dict cappitaine, pour les toucher: Tellement qu'il sembloit que Dieu feust la descendu pour les guerir.

Notre dict cappitaine voyant la piti? & foy de cedict peuple, dist l'evangile Sainct Jehan: scavoir l'imprincipio, faisant le signe de la croix sur les povres malades, priant Dieu qu'il leur donnast congnoissance de nostre saincte foy, & grace de recouvrer chrestient? & baptesme. Puis le dict cappitaine print une paires d'heures & tout haultement leut de mot ? mot la passion de nostre seigneur. Sy que tous les assistans le peurent ouyr, ou tout ce pauvre peuple feirent une grand silence & feurent merveilleusement bien entendibles, regardans le ciel & faisans pareilles cerimonyes qu'ilz nous veoient faire. Apres laquelle feist le cappitaine renger tous les hommes d'ung coste, les femmes d'ung autre, & les enfans d'aultre, & donna aux principaulx des hachotz, es aultres des couteaulx & es femmes des patenostres, & autres menues besongnes puis gecta parmy la place entre les petis enfans des petites bagues, & agnus dei d'estain, dequoy menerent une merveilleuse joye. Ce faict ledict cappitaine commanda sonner les trompettes & aultres instrumens de musique: desquelz ledict peuple fut fort resjouy. Apres lesquelles choses nous prinsmes congi? d'eulx & nous retirasmes, voyant ce les femmes se mirent au devant de nous pour nous arrester, & nous apportoient de leurs vivres, qu'ilz nous avoient apprestez, Comme poisson, potages, febves & autres choses pour nous cuyder faire repaistre & disner audict lieu; & pource que leurs vivres n'estoient ? nostre goust, & qu'il n'y avoit aucune saveur, les remerciasmes, leur faisant signe que n'avions besoing de manger.

Apres que nous feusmes yssuz de ladicte ville, plusieurs hommes & femmes nous vindrent conduyre sur la montaigne cy devant dicte, qui est par nous nomm?e, Mont royal, distant dudict lieu d'ung quart de lieues. Et nous estans sur icelle montaigne eusmes veue & congnoissance de plus de trente lieues ? lenviron d'icelle: y a vers le Nort, une reng?e de montaignes, qui sont Est & Onaist, gisantes, & autant devers le Su. Entre lesquelles montaignes est la terre la plus belle qu'il est possible de veoir, unye, plaine, & labourable: & par le meilleu desdictes terres voyons le dict fleuve oultre le lieu ou estoient demourees noz barques: auquel va ung sault d'aue le plus impetueulx qu'il est possible de veoir: lequel ne nous fut possible passer, tant que l'on povoit regarder grand, large & spacieulx, qui alloit au Sur Onaist: & passoit aupres de trois belles montaignes rondes, que nous voyons, & estimyons qu'elles estoient environ quinze lieues de nous: & nous fut dict & monstre par signes par nosdictz trois hommes du pais qui nous avoient conduict, qu'il y avoit trois telz saulx d'aue audict fleuve, comme celuy ou estoient nosdictes barques, mais nous ne peusmes entendre quelle distance il y avoit entre l'un & l'autre par faulte de langue: puis nous monstroient par signes que lesdiz saulx passez, l'on pouvoit naviguer, plus de trois lieues par ledict fleuve. Et oultre nous monstroient que le long desdictes montaignes estant vers le Nort, y a une grande riviere, qui descend de l'occident comme ledict fleuve: Nous estimions que c'est la riviere qui passe par le royaulme du Saguenay, & sans que leur feissions aucune demande & signes, prindrent la chaine du sifflet du cappitaine qui estoit d'argent & ung manche de poignard, lequel estoit de laton jaulne comme or: lequel pendoit au cost? de l'ung de noz compaignons marinyers, & montrerent que cela venoit d'amond ledict fleuve, & qu'il y a des Agouionda, qui est ? dire mauvaises gens: lesquelz sont armez jusques sur les doigtz, nous monstrant la facon de leur armeures, qui sont de cordes & de boys, lassez & tissues ensemble, nous donnant ? entendre que lesdictz Agouionda menoient la guerre continuelle, les ungs contre les autres: mais par deffaulte de langue ne peusmes avoir congnoissance combien il y avoit jusques audict pays. Nostre cappitaine leur monstra du cuyvre rouge, qu'ilz appellent caignetdaze, leur monstrant vers ledict lieu, demandant par signe s'il venait de l? & ilz commencerent ? secourre la teste disant que non. Et monstrerent qu'il venoit du Saguenay, qui est au contraire du precedent: Apres lesquelles choses ainsi veues & entendues, nous retirasmes ? noz barques, qui ne fut sans avoir conduicte de grand nombre dudict peuple. Dont partie d'eulx quand veoyent noz gens las, les chargeoient sur eulx comme sur chevaulx, & les portoient: Et nous arrivez ? nosdictes barques feismes voylle pour retourner ? nostre gallyon, pour doubte qu'il n'eust aucun encombrier. Lequel partement ne feust sans grand regret dudict peuple: Car tant qu'ilz nous peurent suyvre aval ledict fleuve, ilz nous suyvirent, & tant feismes que nous arrivasmes ? nostredict gallyon le lundy quatriesme jour d'octobre.

Le Mardy 5e jour dudict moys, nous feismes voylle & appareillasmes avec nostre dict gallyon & barques pour retourner ? la province de Canada au port de saincte Croix, ou estoient demourez nosdictes navires. Et le 7e jour nous vinsmes poser le travers d'une rivi?re qui vient devers le Nort, sortant audict fleuve: ? l'entr?e de laquelle y a quatre petites ysles plaines d'arbres: nous nommasmes icelle riviere la riviere de Fouez. Et pource que l'une d'icelles ysles s'avance audict fleuve, & la veoit on de loing, feist le cappitaine planter une belle grande croix sur la poincte d'icelle, & commanda apprester les barques pour aller avec mar?e, dedans icelle, pour veoir la nature d'icelle: ce qu'il fut faict, & nagerent celuy jour amond ladicte riviere. Et parce qu'elle fut trouv?e de nulle experience n'y perfonde retournerent & appareillasmes pour aller aval.

Le lundi unziesme jour d'Octobre nous arrivasmes audict hable saincte Croix ou estoient noz navires, & trouvasmes que les maistres & mariniers qui estoient demourez, avoient faict ung fort davant lesdictes navires, tout cloz de grosses pieces de boys, plantez debout joignans les unes & autres: & tout ? lentour garny d'artillerie, & bien en ordre pour soy deffendre contre toute la puissance du pais. Et tout incontinent que le seigneur du pais fut adverty de nostre venue, veint le lendemain douziesme jour dudict moys, accompaigne de Taignoagny, Dom agaya & plusieurs autres: lesquelz feirent une merveilleuse feste ? nostre cappitaine, faignans avoir grand joye de nostre venue: lequel leur feist assez bon racueil, toutes foys qu'ilz ne l'avoient pas desservi. Ledict Donnacona pria nostre cappitaine de aller le lendemain veoir Canada, Ce que luy promist le dict cappitaine. Et le lendemain, 13e jour du dict moys, ledict cappitaine avecques ses gentilz hommes accompaigne de cinquante compaignons bien en ordre, allerent veoir ledict Donnacona & son peuple, qui est distant dou estoient lesdictes navires d'une lieue: & se nomme leur demourance Stadacone, Et nous arrivez audict lieu, vindrent les habitans au devant de nous loing de leurs maisons d'ung gect de pierre ou mieulx. Et la se rengerent, & assirent ? leur mode, & facon de faire: les hommes d'une part, & les femmes de l'autre debout chantant & dansant sans cesse, Et apres qu'ilz s'entre furent saluez & faict chere les ungs aux aultres, ledict cappitaine donna aux hommes des cousteaulx & autres choses de peu de valleur, & feist passer toutes les femmes & filles par devant luy, & leur donna ? chascun une bague d'estain, dequoy remercierent le dict cappitaine, lequel fut par ledict Donnacona & Taignoagny men? veoir leurs maisons, les quelles estoient bien estaurez de vivres selon leur sorte, pour passer leur yves, & nous fut par ledict Donnacona monstr? les peaulx de cinq testes d'homme, estandues sur du boys, comme paulx de parchemin. Lequel Donnacona nous dist que c'estoient des Trudamans devers le Su, que leur menoient continuellement la guerre, & fut dict qu'il y a eu deux ans passez que les dictz Trudamans les vindrent assaillir jusques dedans ledict fleuve, ? une ysle qui est le travers du Saguenay, ou ilz estoient a passer la nuict tendans aller ? Honguedo leur mener la guerre, avec environ deux cens personnes tant hommes femmes qu'enfans. Lesquelz furent surprins en dormant dedans ung fort, qu'ilz avoient faict, ou misrent lesdictz Trudamans le feu tout ? l'entour & comme ilz sortoient les tuerent tous reserv? cinq qui eschapperent. De laquelle destrousse se plaignoient encores fort, nous monstrant qu'ilz en auroient vengeance. Apres lesquelles choses, nous reterasmes ? noz navires.

Cedict peuple n'a aucune creance de Dieu, car ilz croient a ung qu'ilz appellent Cudragny, & disent qu'ilz parlent souvent ? eulx & leur dict le temps qu'il doibt faire. Ilz disent aussi quand il se courouce ? eulx, qu'il leur gecte de la terre aux yeulx. Ilz croyent aussi quand ilz tespassent, qu'ilz vont es estoilles, puis viennent baissans en lorrizon comme les dictes estoilles. Et s'envont en beaulx champs, vers plains de beaulx arbres, fleurs & fruictz sumptueux. Apres qu'ilz nous eurent donn? le tout a entendre, nous leur avons remonstr? leur erreur, & dict que leur Cudragny est ung mauvais esperit, qui les abuse & dict qu'il n'est que ung Dieu, qui est au ciel, lequel nous donne toutes choses necessaires, & est createur de toutes choses & que cestuy debvons croire seulement, & qu'il fault estre baptisez, ou aller en enfer, & leur feust remonstr? plusieurs aultres choses de nostre foy. Ce que facilement ilz ont creu, & appell? leur Cudragny, Agouionda, tellement que plusieurs fois ont pri? nostre cappitaine les faire baptiser, & y sont venuz ledict seigneur Taignoagny, Dom agaya, & tout le peuple de leur ville pour le cuyder estre: mais par ce que ne scavions leur intention & couraige, & qu'il n'y avoit qui leur remonstrant la foy pour lors, feust prins excuse vers eulx. Et dict ? Taignoagny & Dom agaya, qu'ilz leur feissent entendre que retourneryons ung aultre voyage, & apporterions des prestres & du cresme, leur donnant a entendre pour excuse, que lon ne peult baptiser sans ledict cresme, Ce qui croient, par ce que plusieurs enfans ont veu baptiser en Bretaigne. Et de la promesse que leur fust faicte de retourner furent tresjoyeulx.

Cedict peuple vit en communault? de biens assez de la sorte des Brisilans, & sont vestus de peaulx de bestes sauvaiges, & assez povrement. L'yver ilz sont chaulsez de chausses & soulliez qu'ilz fond de peaulx: & l'est? vont nudz piedz. Ilz gardent l'ordre de mariage, fors qu'ilz prennent deux ou trois femmes, & depuis que leur mary est mort jamais ne se remarient, ains font le dueil de la dicte mort toute leur vie, & se taignent le visaige de charbon pell?, & de gresse espez comme l'espesseur du doz d'ung cousteau, & a cela congnoist on que elles sont veuves.

Ilz ont une aultre coustume fort mauvaise de leurs filles, car depuis qu'elles sont d'aage d'aller ? l'homme, elles sont toutes mises en une maison de bordeau, habandonn?es ? tout le monde qui en veult, jusques ? ce que elles ayent trouv? leur party. Et tout ce avons veu par experience, car nous avons veu les maisons plaines des dictes filles, comme est une eschole de garsons en France. Et d'avantaige le hazard selon leur mode tient esdictes maisons ou ilz jouent tout ce qu'ilz ont jusques ? la couverture de leur nature.

Ilz ne font point de grand travail, & labourent leur terre avec petis boys, comme de la grandeur d'une demye esp?e, ou ilz font leur bled, qu'ilz appellent Osizy. Lequel est gros comme poix, & de ce mesme en croist assez au bresil. Pareillement ilz on grand quantit? de gros melons, concombres, & courges, poix, & febves, & de toutes couleurs, non de la sorte des nostres. Ilz ont aussi une herbe de quoy ilz font grand amastz l'est? durand pour l'yver. Laquelle ilz estiment fort & en usent les homes seulement en facon que ensuit. Ilz la font seicher au soleil, & la portent ? leur col en une petite peau de beste en lieu de sac, avec ung cornet de pierre ou de boys: puis ? toute heure font pouldre de ladicte herbe, & la mettent en l'ung des boutz dudict cornet, puis mettent un charbon de feu dessus, & sussent par l'autre bout, tant qu'ilz s'emplent le corps de fum?e, tellement qu'elle leur sort par la bouche, & par les nazilles, comme par ung tuyau et chauldement, & ne vont jamais sans avoir lesdictes choses. Nous avons esprouv? ladicte fum?e, apres laquelle avoir mis dedans nostre bouche, semble y avoir mis de la pouldre de poyvre tant est chaulde. Les femmes dudict pays travaillent sans comparaison plus que les hommes, tant ? la pescherie de quoy font grand faict, qu'au labeur & aultres choses Et sont tant hommes femmes qu'enfans plus durs que bestes au froid. Car de la plus grand froidure que ayons veu, laquelle estoit merveilleuse & aspre venoient par dessus les glaces & neiges tous les jours ? noz navires, la pluspart d'eulx tous nudz, qui est chose fort a croire qui ne la veu. Ilz prennent durand lesdictes glaces & neiges, grand quantit? de bestes sauvaiges comme dains, cerfz, hours, lievres, martres, regnardz & aultres. Ilz mengent leur chair toute creue, apres avoir est? seich?e ? la fum?e, & pareillement leur poisson. A ce que nous avons veu & peu entendre de cedit peuple, me semble qu'il seroit ais? ? dompter. Dieu par sa saincte mis?ricorde y vueille mettre son regard. Amen.

Ledict fleuve commence pass? l'isle d'assumption le travers des haultes montaignes de Honguedo & des sept ysles. Et y a de distance en traverse environ trente cinq ou quarante lieues, & y a au parmy plus de deux cens brasses de parfond le plus seur a naviguer est du cost? devers le Su & devers le Nort, scavoir es dictes sept ysles y a d'ung cost? & d'aultre environ sept lieues loing desdictes ysles deux grosses rivieres qui descendent des montz de Saguegnay, lesquelles font plusieurs barcqs ? la mer fort dangereux. A l'entr?e desdictes rivieres avons veu plusieurs ballaynes & chevaulz de mer.

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