bell notificationshomepageloginedit profileclubsdmBox

Read Ebook: Contes et nouvelles by Laboulaye Douard

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page

Ebook has 845 lines and 36267 words, and 17 pages

CONTES

NOUVELLES

PAR

?DOUARD LABOULAYE

MEMBRE DE L'INSTITUT

MA COUSINE MARIE

Par une froide et humide matin?e de novembre, une pauvre femme, mis?rablement v?tue, ?tait assise aupr?s du lit de son enfant malade. On ?tait en 1818; l'ann?e avait ?t? rude, la guerre civile avait ensanglant? les rues de Paris: Georges, le mari de Madeleine , avait ?t? tu? derri?re une barricade, o? il d?fendait l'?meute en croyant d?fendre ses droits. Depuis cette mort fatale, la mis?re et l'abandon ?taient entr?s dans une famille que soutenait jusque-l? le travail de son chef; c'?tait ? grand'peine que Madeleine avait pu louer une chambre au sixi?me ?tage dans une maison de la rue du Helder. Elle ?tait blanchisseuse en dentelles; pour garder ses pratiques, il lui fallait habiter un quartier o? tout ?tait cher; elle s'?tait donc r?sign?e ? quitter le faubourg o? on l'avait mari?e, o? elle avait perdu son cher Georges. En temps de r?volution, par malheur, on ne fait gu?re de toilette; l'ouvrage ?tait rare, d?j? Madeleine ?tait en arri?re avec tous ses fournisseurs. Le boulanger avait annonc? qu'il arr?tait son cr?dit. Madeleine touchait au moment fatal qui perd les malheureux et fait d'une ouvri?re honn?te une mendiante, que d?graderont bient?t la faim et le d?sespoir.

Elle ?tait l?, les yeux rougis par les veilles et les larmes, regardant sa fille rong?e par la fi?vre, cherchant en vain dans sa pens?e comment elle trouverait pour le lendemain du travail et du pain, quand une main hardie tourna la clef de la porte et fit tressaillir la m?re et l'enfant.

La personne qui entrait ?tait une femme de chambre mise de la fa?on la plus ?l?gante. Une taille pinc?e, un petit bonnet jet? en arri?re de la t?te, un tablier coquettement festonn?, tout annon?ait une cam?riste de grande maison. Elle approcha d'un air d?gag? et ouvrant sa main, dans laquelle il y avait une pi?ce d'or:

<

--Qu'est-ce que cet argent? Qui me l'envoie? demanda la veuve de l'ouvrier en ouvrant des yeux ?tonn?s.

--C'est Madame, c'est la propri?taire, r?pondit la femme de chambre, en tendant du bout des doigts la pi?ce d'or, que Madeleine ne regarda m?me pas.

--Votre ma?tresse ne me doit rien, que je sache; je n'ai pas travaill? pour elle.

--Sans doute, reprit la femme de chambre en haussant les ?paules, sans doute; Madame a ses ouvri?res; mais Mme Remy, la concierge a dit ? Madame que vous n'aviez pas pay? votre terme et que vous aviez un enfant malade; et comme Madame est tr?s charitable, quoiqu'elle ait beaucoup de pauvres, Madame m'a dit: <>. Et Mlle Rose jeta la pi?ce d'or sur une chaise, le seul meuble ? peu pr?s qu'il y e?t dans cette chambre d?sol?e.

<

--Madame m'a dit de vous porter ces vingt francs, reprit Rose d'un air d?daigneux, je n'ai d'ordres ? recevoir que de ma ma?tresse; le reste ne me regarde pas. Il n'y a que ceux qui paient qui ont le droit de commander.>>

Madeleine ?tait ? la porte avant la femme de chambre.

<

--C'est bien, je vais tout dire ? Madame; on vous donnera votre cong?, impertinente, qui refusez les bienfaits....>>

On n'entendit pas le reste de la phrase, car Madeleine avait jet? la pi?ce d'or dans le corridor et pouss? la porte avec une telle violence que peu s'en fallut qu'elle n'?cras?t les doigts de Mlle Rose.

Madeleine se promenait ? grands pas dans la chambre, les yeux hagards, tant?t regardant sa fille, tant?t cherchant le ciel au travers des nuages et du brouillard. <> Elle prit son enfant dans ses bras, l'embrassa convulsivement, et enfin se mit ? pleurer.

<

--Tais-toi, tais-toi, Julie, reprit Madeleine; du bouillon, tu en auras; je suis plus riche que tu ne crois.>>

Elle ouvrit une malle jet?e dans un coin de la chambre, remua quelques restes de vieux linge, et chercha comme si elle pouvait trouver quelque chose. Mais depuis longtemps tout ?tait vendu, jusqu'? l'anneau de mariage; il n'y avait plus rien que des chiffons sans valeur.

Madeleine soupira, ferma le vieux coffre, et, regardant autour d'elle, dans ces murs abandonn?s, elle prit l'unique matelas de son lit, c'?tait sa derni?re ressource; elle le chargea sur sa t?te et descendit rapidement l'escalier pour courir au mont-de-pi?t?.

<>

On pense que Mlle Rose, si indignement trait?e, n'avait pas gard? pour elle les paroles de Madeleine; mais Mme de la Guerche ?tait sortie; il n'y avait ? la maison que sa fille, Marie; c'est ? elle que Rose, tout ?mue, et agitant les bras, contait les injures que lui avaient dites cette m?chante femme et les dangers qui l'avaient menac?e.

<>

--C'est bien, que Mme Remy garde ses r?flexions pour elle, et faites comme Mme Remy. Donnez-moi le paquet de flanelle et de linge que j'ai cousu cet hiver.

--Vous sortez de l'appartement, Mademoiselle?

--Oui, je monte chez cette pauvre femme; c'est au sixi?me, la seconde porte ? gauche, n'est-ce pas?

--N'y allez pas, Mademoiselle! Il vous arriverait quelque malheur. Vous ne connaissez pas cette femme; elle a des yeux comme un tigre en furie. Au moins, Mademoiselle, prenez quelqu'un avec vous; je vais appeler Baptiste.

--N'appelez personne, et restez; je n'ai pas besoin de vous.>>

Et, au grand effroi de Rose, Marie monta au grenier, sans m?me se retourner pour regarder les gestes ?plor?s de sa femme de chambre.

Pendant que la jeune fille est en chemin, laissez-moi vous faire son portrait; car vous avez devin? que Mlle de la Guerche, c'est ma cousine Marie.

Elle n'est pas jolie, non, et cependant j'aime ? la voir. Sa taille est lourde, sa d?marche peu gracieuse, sa figure large et carr?e; mais elle a de si beaux yeux, un regard si doux et si limpide, et quand elle rit de sa grande bouche et montre ses belles dents blanches, il y a tant de franchise et de bont? dans son sourire qu'en v?rit? je ne connais pas de femme que je pr?f?re ? ma cousine. Elle est pieuse, et m?me d?vote; il ne se passe gu?re de jour qu'on ne la voie ? l'?glise; un sermon est pour elle une f?te, mais sa religion ne g?ne personne; jamais Marie ne se fait valoir; jamais elle ne condamne les autres; elle est toujours pr?te ? d?fendre les absents, ? prot?ger ceux qu'on attaque, ? excuser ceux qui sont tomb?s; je ne sais ce qu'elle entend par religion dans le fond de l'?me, mais au dehors sa religion n'est que douceur et bont?. Marie pense toujours aux autres et jamais ? elle-m?me; elle met son plaisir dans le bonheur d'autrui. Une chr?tienne comme ma cousine convertirait, par son exemple, le monde tout entier. Voil? pourquoi, malgr? son peu de beaut?, je n'ai jamais vu de femme plus belle que ma cousine Marie.

En portant son unique matelas au mont-de-pi?t?, Madeleine n'avait oubli? qu'une chose, c'est que, pour sortir de la maison sa derni?re richesse, il lui fallait le consentement de Mme Remy. La majestueuse porti?re avait arr?t? Madeleine au passage; gardienne jalouse des droits du propri?taire, elle avait signifi? ? la pauvre femme qu'elle e?t ? remonter son matelas. En vain Madeleine lui expliquait qu'il lui fallait de l'argent pour que sa fille e?t ? manger.

<>

Sur quoi elle avait pris lentement une prise de tabac et ferm? brusquement la porte coch?re, sans s'inqui?ter des pri?res de Madeleine.

La situation ?tait grave, car l'ouvri?re ?tait peu patiente; cependant elle sentait que Mme Remy avait quelque raison, et peut-?tre allait-elle se retirer quand arriva Mlle Rose. N'ayant rien ? faire, elle venait conter ? sa bonne amie, Mme Remy, la singuli?re id?e qu'avait eue Mademoiselle; elle entendait bien faire approuver sa profonde sagesse par la prudente concierge et s'apitoyer avec elle sur la folie des ma?tres. A la vue de Madeleine et de son matelas, et de Mme Remy appuy?e contre la porte coch?re, les bras crois?s, Rose demeura toute surprise.

<> demanda-t-elle ? la porti?re.

Sur quoi Mme Remy, charm?e de se voir soutenue et admir?e dans l'exercice de ses fonctions, raconta tout au long et ? haute voix ? la ch?re Rose, les singuli?res pr?tentions de Madeleine.

<

--Qu'est-ce que vous dites? demanda brusquement Madeleine, qui avait mal entendu, mais qui sentait que c'?tait d'elle qu'on s'occupait.

--Je ne vous parle pas, Madame, reprit d?daigneusement Mme Rose; je ne vous connais pas; je parle ? Mme Remy.

--Vous ferez bien de peser vos mots, dit Madeleine, dont la douceur n'?tait pas la vertu favorite; quand j'habitais au faubourg avec mon mari, j'ai corrig? plus d'une p?ronnelle qui avait la langue trop longue; ne me faites pas sortir de mon caract?re.

--Madame Remy, vous l'entendez, cria la cam?riste; je vous prends ? t?moin: cette femme me menace et m'insulte. Et dire qu'on n'a d'?gards que pour ces personnes! En ce moment Mademoiselle est l?-haut, pour secourir des gens si peu dignes de piti?!

--Chez moi, votre demoiselle? Qu'y vient-elle faire? Ne vous ai-je pas dit que je ne demande rien et que je ne veux pas qu'on entre chez moi?

--Mademoiselle est la fille du propri?taire, dit gravement Mme Remy; elle a le droit de surveiller ses locataires.

Add to tbrJar First Page Next Page

 

Back to top