Read Ebook: De profundis! Episode Maritime by Durand Charles
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Ebook has 207 lines and 8811 words, and 5 pages
H. Gourdon de Genouillac
CHARLES DURAND.
DE PROFUNDIS!
PAR CAROLUS
Victimes sublimes du devoir, dont la noble devise: SAUVER OU P?RIR! fait soudain battre le coeur, je vous salue!
Le vent soufflait avec rage. On voyait au ciel de gros nuages d?chiquet?s, accourant de l'Ouest et se poursuivant comme des haillons de sorci?res dans un sabbat infernal....
Fouett?e par l'ouragan, la mer se tordait et bondissait ? des hauteurs monstrueuses, pour se rouler ensuite avec un fracas d'avalanche jusqu'au pied des falaises.... Le flot, en se retirant, beuglait de la voix terrible d'un monstre encha?n?.
La nuit tombait. Au loin, le Havre s'allumait; mais les quais restaient d?serts et mornes, et les abords de la ville pr?sentaient ce tableau de m?lancolie qui s'encadre toujours dans les convulsions de la temp?te....
Au rez-de-chauss?e du phare qui se dresse ? l'extr?mit? de la jet?e Nord, deux hommes ?taient assis et pr?taient l'oreille aux bruits du dehors.
Le plus ?g? de ces deux hommes avait la figure rude et h?l?e des gens habitu?s ? la mer. Une barbe courte, taill?e en fer-?-cheval, donnait ? son visage je ne sais quelle expression de hardiesse, compl?t?e par le regard vif et per?ant de deux yeux ? demi cach?s sous d'?pais sourcils. Tout le reste de sa physionomie r?pondait ? cette premi?re impression; mais on devinait vite, sous cette enveloppe presque farouche, un coeur doux et sensible, une ?me droite et g?n?reuse.
Il ?tait v?tu d'une vareuse de forte laine et d'un pantalon de toile grossi?re dont les jambes disparaissaient dans d'?normes bottes montant au-dessus des genoux. Un chapeau de cuir goudronn? compl?tait cet accoutrement, sinon gracieux, du moins conforme aux circonstances.
Son compagnon ?tait v?tu d'une fa?on analogue. Mais sous le vaste chapeau apparaissait une figure toute jeune, bien qu'elle respir?t d?j? une certaine ?nergie.
Le premier pouvait avoir cinquante ans, l'autre n'en avait pas vingt.
Le vieux fumait dans une de ces courtes pipes que les matelots ont baptis?es du nom de <
> Mais s'il s'acquittait de cette op?ration avec une impassabilit? que les bruits du dehors ne pouvaient ?branler, son compagnon, lui, semblait inquiet et, de temps en temps, quittait son si?ge pour aller regarder par la petite fen?tre ouverte sur la mer.
Pendant une de ces all?es et venues, le vieux pivota sur son tabouret et, interpellant le jeune homme:
--Eh! bien, Raymond, encore tes id?es noires!... On croirait, ma foi, ? ma place, que tu n'as jamais vu de temp?te!... Pourtant, cela te conna?t. Je sais, moi, que tu n'as jamais p?li, au large, quand le ciel et l'eau se donnaient le mot pour nous payer une valse ? leur fa?on.... Oui mais, ici, sur le plancher des vaches, te voil? tout chang?. Le plus petit coup de vent te tourne la face en cr?me....
--Patron, vous souvenez-vous du 12 mars?... interrompit le jeune homme avec l'accent d'une profonde tristesse.
Le front du vieux s'assombrit. Une grosse larme roula sur sa joue h?l?e. Il se leva brusquement et alla serrer en silence la main de son compagnon.
--Le 12 mars!...--g?mit-il au bout d'un instant.--Pardonne-moi, gar?on, je l'avais oubli?.... Tu n'as pas oubli?, toi.... Ah! c'est une date terrible dans ma vie comme dans la tienne.... La mer t'a pris, ce jour-l?, ton p?re et tes deux fr?res: ? moi, elle m'a ravi mes deux meilleurs amis, Gosselin, ton p?re, et Darn?tal, le p?re de ma Jeanne.... Ce souvenir, vois-tu, Raymond, je l'ai l?, pourtant, comme si c'?tait d'hier.... Ils allaient arracher ? la mort quelques malheureux en d?tresse. La mort s'est veng?e d'eux en les prenant, eux aussi!... Je les revois sauter dans la barque fatale. Je voulais aller avec eux. Ils me repouss?rent en me disant: <
Le vieux matelot se tut. Ses yeux, qu'il avait tenus baiss?s en parlant, se relev?rent sur Raymond, assis en face de lui. Une p?leur subite avait envahi les traits du jeune homme. Un tremblement de fi?vre agitait tous ses membres.
Quand Talbot eut fini de parler, un g?missement sourd souleva sa poitrine, ses yeux se ferm?rent. Il serait tomb? si son compagnon ne s'?tait pr?cipit? pour le soutenir.
--Raymond, mon enfant!--cria ce dernier, en regardant avec effroi le visage bl?me du jeune matelot.--Sainte Vierge! il se trouve mal!... Raymond, Raymond!...
Une id?e soudaine lui traversa l'esprit. Sans se lamenter davantage, il saisit le jeune homme dans ses bras robustes, ouvrit la porte et, en d?pit des vagues qui venaient se briser ? ses pieds et des raffales qui mena?aient de le renverser ? chaque pas, il courut du c?t? d'une maisonnette ?lev?e ? quelque distance du phare.
Il frappa rapidement au carreau d'une fen?tre.
--Jeanne, Jeanne! ouvre vite,--cria-t-il.
La porte s'ouvrit. Une jeune fille apparut dans l'entrebaillement. Elle poussa un cri en apercevant le matelot, qui pliait sous le poids de son fardeau.
Talbot alla droit ? un vaste lit dress? dans un des angles de la pi?ce. La jeune fille accourut avec une lumi?re:
--Raymond!...--cria-t-elle avec effroi, en reconnaissant celui que le vieux matelot venait d'allonger sur le lit.--Est-il bless??
--Il est ?vanoui,--r?pondit Talbot, qui ne remarqua pas l'?motion de la jeune fille.--J'esp?re que ce ne sera rien.... J'ai eu la b?tise de lui rappeler de vieilles histoires qui l'ont ?branl?. Ce pauvre gar?on est si sensible!... Mais, vite, Jeanne, de l'eau, du vinaigre!
Le jeune homme reprit bient?t connaissance. Son regard s'arr?ta d'abord sur Jeanne qui, pench?e sur lui, ?tait occup?e ? lui faire respirer un chiffon tremp? de vinaigre.
Le visage de la jeune fille s'empourpra. Elle recula brusquement, pendant que Talbot se penchait ? son tour:
--Comment te trouves-tu, Raymond?--interrogea-t-il.
--Je suis bien faible, patron,--murmura le jeune homme.
--Eh! bien, mon gar?on, repose-toi. Je retourne aux signaux. Dans une heure je reviendrai prendre de tes nouvelles.
--Ne partez pas sans moi, patron, je vais avec vous,--s'?cria Raymond. Il voulut sauter du lit; mais ses forces le trahirent et il retomba en g?missant.
--Sois donc raisonnable. Je reviens dans une heure.... Tu vois bien que tu as besoin de repos, il faut se faire une raison,... Si tu vas mieux tout ? l'heure, alors, nous retournerons ensemble. Mais, repose-toi, je le veux ... Jeanne,--continua le vieux matelot en baissant la voix,--veille bien sur ce gar?on, et s'il se trouve encore mal, accours me chercher, mon enfant.
Il sortit. Jeanne, ob?issante, s'assit aupr?s du lit, son ouvrage sur ses genoux.
Le jeune homme s'?tait assoupi. Les bruits confus de la temp?te troubl?rent seuls le silence de la maisonnette.
Elle ?tait vraiment ravissante avec ses cheveux blonds et boucl?s, qu'elle portait, fid?le ? un caprice d'enfant, toujours d?nou?s et simplement retenus par derri?re ? l'aide d'un ruban presque invisible.
Plus d'un jeune coeur s'?tait senti troubl? devant tant de charmes. Mais on savait Jeanne fianc?e au pilote Talbot. Ce dernier pouvait ?tre s?r, gr?ce au respect dont il ?tait entour?, que pas un des soupirants ne tenterait d'avouer ses sentiments aux oreilles de la jeune fille.
Il y avait six ans, ? l'?poque o? commence ce r?cit, que Darn?tal ?tait mort, emportant dans la tombe la promesse de Talbot.
Et chaque jour le pilote pensait:--Il va falloir faire de cette enfant une petite femme....
Mais aussi, songeant ? son serment:
--Il me semble pourtant que je serai bien us? pour ?changer mon r?le de p?re contre celui de mari.... Quelle dr?le d'id?e a eue l? mon vieux camarade!... Enfin, Jeanne m'aime. L'enveloppe, ma foi, ne changera pas. Sous une forme ou sous une autre, la petite m'aimera toujours....
Au fond, le brave homme avait besoin de r?fl?chir profond?ment pour chasser le scrupule qui embarrassait sa pens?e.
L'horrible catastrophe qui avait fait Jeanne orpheline avait aussi priv? de toute famille Raymond Gosselin. Le vieux pilote, admirable de d?vouement, avait pris sous sa tutelle les deux enfants.
Jeanne et Raymond vivaient ? l'?cart l'un de l'autre. Ce dernier n'avait jamais consenti ? d?serter la cabane o? s'?tait ?coul?e son enfance. Mais la communaut? du malheur avait ?tabli entre eux une prompte et vive amiti?.
En les regardant l'un pr?s de l'autre, Talbot s'?tait dit plus d'une fois:--Quel gentil m?nage tout de m?me cela ferait!...
L'affection mutuelle des deux jeunes gens se transforma vite en un sentiment plus intime. Telle en fut la force que, pour ne point se trahir, ni risquer d'affliger son vieil ami qu'il croyait sinc?rement ?pris de Jeanne, Raymond dut se r?soudre ? limiter ses apparitions chez le pilote.
Ce dernier n'y fit gu?re attention: le m?tier les r?unissait souvent au dehors. Mais la jeune fille souffrit cruellement de cet abandon. Elle devint triste; ses joues, fra?ches et roses, se couvrirent d'une p?leur inqui?tante.
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