Read Ebook: De profundis! Episode Maritime by Durand Charles
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Ebook has 207 lines and 8811 words, and 5 pages
Ce dernier n'y fit gu?re attention: le m?tier les r?unissait souvent au dehors. Mais la jeune fille souffrit cruellement de cet abandon. Elle devint triste; ses joues, fra?ches et roses, se couvrirent d'une p?leur inqui?tante.
--La petite est bien s?r malade,--se disait Talbot. Et il interrogeait Jeanne qui toujours s'effor?ait de dissiper par un sourire l'inqui?tude du vieux matelot.
Il y avait deux longs mois que Raymond n'avait revu Jeanne quand l'accident dont j'ai parl? les r?unit de nouveau.
Au chevet du lit o? le jeune homme s'?tait assoupi, Jeanne restait silencieuse. Ses mains tremblantes avaient du abandonner l'aiguille qu'elles dirigeaient maladroitement. Immobile et songeuse, elle ?coutait la respiration entrecoup?e du matelot; elle n'osait ? peine remuer, comme si le plus l?ger bruit e?t pu troubler le sommeil de Raymond. Mais son coeur battait bien fort et sa gorge se soulevait ? coups pr?cipit?s sous son corsage.
Bient?t le jeune homme s'agita sur sa couche: quelques paroles confuses sortirent de ses l?vres. Jeanne, inqui?te, se pencha sur lui. Une vive rougeur couvrit son front et ses joues: c'?tait son nom, qu'en r?vant, Raymond redisait avec amour.
--Jeanne, Jeanne,...--murmurait-il, et son visage semblait s'immobiliser dans une profonde extase.
Elle, restait pench?e, palpitante, et belle ? ravir sous le pourpre de ses traits. Raymond ouvrit les yeux:
--Jeanne, c'est vous, je n'ai donc pas r?v?!...
Puis, revenant ? la r?alit?:--Oh! que je souffre!...
La jeune fille sentit son coeur se serrer tant ces mots contenaient de douleur cach?e:
--Vous souffrez, Raymond?--interrogea-t-elle en s'effor?ant de vaincre son trouble.
--Oh! oui, beaucoup, l?, au coeur!...--Je souffre, Jeanne, parce que je vous aime!...
La jeune fille ne put retenir un sanglot; elle cacha son visage dans ses mains.
--Jeanne, vous pleurez!...--balbutia le matelot,--vous ai-je donc offens?e?...
Elle laissa retomber ses deux mains: Raymond vit un sourire de bonheur ?clairer ses larmes.
--Vous aussi, vous m'aimez!--s'?cria-t-il en se levant, et tombant aux genoux de Jeanne.--Vous m'aimez et je vous aime!... Le ciel a donc permis cette fatalit?!... Je vous aime, Jeanne,... oh! de toute mon ?me,... et c'est pourquoi je souffre, parce que je sais que je suis coupable en vous aimant... Tout ? l'heure, j'ai cru que j'allais mourir. J'ai vu repasser devant mes yeux tout mon bonheur d'autrefois, mon p?re, mes fr?res,... ma m?re, si douce et si bonne... et j'ai senti combien j'?tais seul sur cette terre maintenant que tous ces ?tres aim?s sont partis, ? pr?sent qu'il ne m'est plus permis de me consoler en vivant aupr?s de vous, non pas comme un camarade, mais, comme le voudrait mon coeur,... comme ?poux!... Tenez, m?me ce que je vous dis l?, Jeanne, est sacril?ge. Si vous m'aimez, je ne dois pas, moi, exciter votre coeur ? la r?volte contre l'?poux qui vous est destin? ... je suis coupable,... oh! bien coupable,... de prendre sa place ? vos genoux!...
Il se releva brusquement. Ni lui, ni la jeune fille n'avaient entendu la porte s'ouvrir ni un pas s'annoncer derri?re eux.
Le pilote ?tait entr? sans bruit. Il s'?tait arr?t? court en les voyant, et il ?coutait avec une ?motion croissante.
Raymond continua:
--Jurez-moi, Jeanne, que cet amour restera enseveli au fond de votre coeur, qu'il n'en sortira jamais pour troubler le bonheur de notre ami.... Talbot vous rendra heureuse. C'est un brave, un honn?te marin qui vous aime et que vous devez aimer.... Moi, je partirai, j'irai loin, bien loin..., et je t?cherai d'oublier.... Jamais Talbot ne saura mon amour.... Aimez l'?poux qui vous est destin?, aimez-le comme il en est digne ... comme le ciel veut que vous l'aimiez!
Un l?ger bruit l'interrompit; c'?tait le pilote qui pleurait. Les deux jeunes gens lev?rent les yeux et virent Talbot qui leur tendait les bras:
--Jeanne!... Raymond!... mes enfants!...--sanglota-t-il en les pressant longuement contre sa poitrine. Puis, parlant avec volubilit? pour chasser son ?motion:
--Qui est-ce qui vous d?fend de vous aimer?... Eh! j'ai jur?, j'ai jur?... Mais je me suis toujours dit que Darn?tal avait eu une dr?le d'id?e. Je suis s?r que, de l?-haut, il voudrait pouvoir me crier:--Talbot, mon vieux, il n'y a plus de serment qui tienne.... T'imagines-tu, par exemple, que je voudrais faire de la peine ? ma petite Jeanne?... Non, non; bien au contraire, puisque je te demandais son bonheur. Je t'ai dit de la rendre heureuse..., je me suis figur? un instant que tu ?tais le seul homme capable de le faire.... Tu vois bien que je me suis tromp?, puisqu'en voil? un autre, plus capable que toi, mon brave.... Marie-les donc, Talbot, j'efface ta promesse.--Pour s?r qu'il dirait cela. Et n'est-ce pas moi le seul coupable, mes enfants? Moi, qui aurais d? voir plus t?t que vous vous aimiez?... Me pardonnerez-vous?...
Pleurant et riant ? la fois, Raymond et Jeanne l'interrompirent sous leurs baisers:
--Allons, mes enfants, qu'on s'embrasse devant moi, et qu'on se pardonne les vilaines paroles que j'ai entendues tout ? l'heure....
Ce fut le baiser des fian?ailles.
--Dans quinze jours la noce,--conclut le pilote en se frottant all?grement les mains,--tout juste le temps de publier les bans!...
Talbot alla reprendre son poste de <
Raymond et quelques matelots se joignirent au pilote.
Il y avait l? l'?lite des lamaneurs havrais: tous appartenaient ? l'?quipe des bateaux de sauvetage arm?s, d?s la veille, en pr?vision d'un embarquement pr?cipit?.
Cette r?union d'hommes r?solus, pr?ts ? se d?vouer ? la moindre alerte, offrait un spectacle des plus majestueux. Toutes ces figures rudes, grandies par le m?pris du danger, auraient pu braver la comparaison avec ces h?ros de Lac?d?mone ou de Rome, pour qui la pens?e du devoir ?tait ins?parable de l'id?e d'honneur et de patrie.... Leur ?pop?e e?t ?t? digne de la lyre des antiques Hom?rides!... Victimes sublimes du devoir! dont la noble devise: <
Tous ?taient l?. Pas un ne songea ? d?serter, f?t-ce une seconde, ce champ d'?pouvante....
Assis au milieu d'eux, Raymond ne pensait plus ? la temp?te. Il ne songeait plus aux dangers qui pouvaient, ? chaque instant, s'offrir en lutte au courage de ces hommes ?nergiques.
Son esprit ?tait rest? enferm? dans la chambrette, chaste nid de sa fianc?e, o?, sans doute, elle r?vait ? lui.... Avec quelle joie d?licieuse ne retournerait-il pas, d?s le matin, pr?s d'elle!... quelles douces phrases s'?changeraient entre eux!... Il pourrait maintenant, sans scrupule, garder dans les siennes les petites mains de sa bien-aim?e et,--qui l'en bl?merait?--appuyer ses l?vres contre les l?vres roses de sa Jeanne! Et pendant que ses compagnons attendaient le jour pour mieux interroger l'horizon et braver plus s?rement cette mer sinistre, le jeune matelot aspirait apr?s l'aube pour voler pr?s de celle ? qui son coeur pourrait enfin s'ouvrir tout entier....
Pour tous, cette nuit-l? fut un si?cle. Un large soupir de satisfaction s'?chappa de chaque poitrine quand apparurent les premi?res lueurs du matin, retard?es par l'?tat brumeux de l'atmosph?re.
Ces braves, qu'une nuit sans sommeil n'avait pu vaincre, sortirent en troupe du s?maphore et se pr?cipit?rent sur la jet?e.
La mer ?tait horrible ? voir. Des montagnes d'eau d?ferlaient ? chaque instant au-dessus de la rotonde, ?branlaient la ma?onnerie, et venaient rouler avec un fracas assourdissant jusqu'au pied du s?maphore, d'o? nos intr?pides sauveteurs sortaient, fr?missants d'h?ro?sme.... Ces vagues gigantesques auraient terrass? des hommes ordinaires; elles ?branl?rent ? peine ces vaillants, habitu?s ? lever le front devant la temp?te.
Raymond les avait suivis. Cette fi?vre h?ro?que, qu'il partageait maintenant, arrachait son esprit aux pens?es de bonheur qui l'avaient assailli dans la nuit.--Plus avanc? m?me que les autres, sur cette jet?e o? chaque pas augmentait les p?rils, il regardait au loin et cherchait ? percer l'?tendue encore sombre, serrant les poings comme s'il e?t voulu imposer le silence au monstre qui se tordait devant lui.
Tout ? coup sa main s'?tendit vers l'horizon. Le jour plus grand permit de voir, dans la direction qu'il indiquait, un navire qui luttait avec d?faillance contre les vagues. Au grand m?t, un pavillon s'agitait convulsivement.
--Au canot! au canot!--cria aussit?t le patron Le Croisey. Tous se pr?cipit?rent ? l'envi du c?t? de l'avant-port.
Raymond courait en avant. Au moment o?, emport? par sa course, il d?passait la maison de Talbot, un cri lui fit tourner la t?te. Debout sur le seuil, Jeanne lui tendait des mains suppliantes.
Le jeune matelot s'arr?ta court. Les autres pass?rent sans rien voir.
Jeanne s'?tait pr?cipit?e vers lui. Il la re?ut dans ses bras.
Raymond, tu n'iras pas.... C'est la mort, et je ne veux pas, moi, que tu meures!
Le visage du matelot devint livide:
--Oh! Jeanne, laisse-moi,--supplia-t-il;--les camarades s'embarquent.... Ils vont m'oublier!...
Et, fou d'h?ro?sme, il voulut s'arracher aux bras nou?s ? son cou. Il entra?nait la jeune fille avec lui, et Jeanne sentait ses forces l'abandonner, bien que la terreur les e?t d?cupl?es, quand un hourra prolong? ?branla l'air. C'?tait le canot de sauvetage qui d?j? passait entre les estacades, salu? par les acclamations de la foule accourue sur les quais.
--Vois,--dit Jeanne avec ivresse,--ils partent sans toi!...
Raymond sentit ses genoux fl?chir. Puis d'abondantes larmes jaillirent de ses yeux pendant qu'il murmurait:
--Jeanne, Jeanne..., j'ai manqu? ? mon devoir!...
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