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Ebook has 1050 lines and 52524 words, and 21 pages
Sans dessus dessous by Jules Verne
S A N S D E S S U S D E S S O U S
PAR
J U L E S V E R N E
TROISI?ME ?DITION
BIBLIOTH?QUE DE R?CR?ATION
J. HETZEL, ET CIE . 18, RUE JACOB
P A R I S -- 1 8 8 9
<< Ainsi, monsieur Maston, vous pr?tendez que jamais femme n'e?t ?t? capable de faire progresser les sciences math?matiques ou exp?rimentales?
-- ? mon extr?me regret, j'y suis oblig?, mistress Scorbitt, r?pondit J.-T. Maston. Qu'il y ait eu ou qu'il y ait quelques remarquables math?maticiennes, et particuli?rement en Russie, j'en conviens tr?s volontiers. Mais, ?tant donn?e sa conformation c?r?brale, il n'est pas de femme qui puisse devenir une Archim?de et encore moins une Newton.
-- Oh! monsieur Maston, permettez-moi de protester au nom de notre sexe...
-- Sexe d'autant plus charmant, mistress Scorbitt, qu'il n'est point fait pour s'adonner aux ?tudes transcendantes.
-- En voyant tomber une pomme, mistress Scorbitt, une femme n'aurait eu d'autre id?e... que de la manger... ? l'exemple de notre m?re ?ve!
-- Allons, je vois bien que vous nous d?niez toute aptitude pour les hautes sp?culations...
-- Toute aptitude?... Non, mistress Scorbitt. Et, cependant, je vous ferai observer que, depuis qu'il y a des habitants sur la Terre et des femmes par cons?quent, il ne s'est pas encore trouv? un cerveau f?minin auquel on doive quelque d?couverte analogue ? celles d'Aristote, d'Euclide, de K?pler, de Laplace, dans le domaine scientifique.
-- Est-ce donc une raison, et le pass? engage-t-il irr?vocablement l'avenir?
-- Hum! ce qui ne s'est point fait depuis des milliers d'ann?es ne se fera jamais... sans doute.
-- Alors je vois qu'il faut en prendre notre parti, monsieur Maston, et nous ne sommes vraiment bonnes...
-- Qu'? ?tre bonnes! >> r?pondit J.-T. Maston.
Et cela, il le dit avec cette aimable galanterie dont peut disposer un savant bourr? d'x. Mrs Evang?lina Scorbitt ?tait toute port?e ? s'en contenter, d'ailleurs.
<< Eh bien! monsieur Maston, reprit-elle, ? chacun son lot en ce monde. Restez l'extraordinaire calculateur que vous ?tes. Donnez-vous tout entier aux probl?mes de cette oeuvre immense ? laquelle, vos amis et vous, allez vouer votre existence. Moi, je serai la << bonne femme >> que je dois ?tre, en lui apportant mon concours p?cuniaire...
-- Ce dont nous vous aurons une ?ternelle reconnaissance, >> r?pondit J.-T. Maston.
Mrs Evang?lina Scorbitt rougit d?licieusement, car elle ?prouvait - sinon pour les savants en g?n?ral - du moins pour J.-T. Maston, une sympathie vraiment singuli?re. Le coeur de la femme n'est-il pas un insondable ab?me?
Oeuvre immense, en v?rit?, ? laquelle cette riche veuve am?ricaine avait r?solu de consacrer d'importants capitaux.
Voici quelle ?tait cette oeuvre, quel ?tait le but que ses promoteurs pr?tendaient atteindre.
Les terres arctiques proprement dites comprennent, d'apr?s Maltebrun, Reclus, Saint-Martin et les plus autoris?s des g?ographes :
En cet ensemble, p?rim?tr? par le soixante-dix-huiti?me parall?le, les terres s'?tendent sur quatorze cent mille milles et les mers sur sept cent mille milles carr?s.
Int?rieurement ? ce parall?le, d'intr?pides d?couvreurs modernes sont parvenus ? s'avancer jusqu'aux abords du quatre vingt-quatri?me degr? de latitude, relevant quelques c?tes perdues derri?re la haute cha?ne des banquises, donnant des noms aux caps, aux promontoires, aux golfes, aux baies de ces vastes contr?es, qui pourraient ?tre appel?es les Highlands arctiques. Mais, au del? de ce vingt-quatri?me parall?le, c'est le myst?re, c'est l'irr?alisable desideratum des cartographes, et nul ne sait encore si ce sont des terres ou des mers que cache, sur un espace de six degr?s, l'infranchissable amoncellement des glaces du P?le bor?al.
Or, en cette ann?e 189-, le gouvernement de ?tats-Unis eut l'id?e fort inattendue de proposer la mise en adjudication des r?gions circumpolaires non encore d?couvertes -- r?gions dont une soci?t? am?ricaine, qui venait de se former en vue d'acqu?rir la calotte arctique, sollicitait la concession.
Depuis quelques ann?es, il est vrai, la conf?rence de Berlin avait formul? un code sp?cial, ? l'usage des grandes Puissances, qui d?sirent s'approprier le bien d'autrui sous pr?texte de colonisation ou d'ouverture de d?bouch?s commerciaux. Toutefois, il ne semblait pas que ce code f?t applicable en cette circonstance, le domaine polaire n'?tant point habit?. N?anmoins, comme ce qui n'est ? personne appartient ?galement ? tout le monde, la nouvelle Soci?t? ne pr?tendait pas << prendre >> mais << acqu?rir >>, afin d'?viter les r?clamations futures.
Aux ?tats-Unis, il n'est de projet si audacieux - ou m?me ? peu pr?s irr?alisable - qui ne trouve des gens pour en d?gager les c?t?s pratiques et des capitaux pour les mettre en oeuvre. On l'avait bien vu, quelques ann?es auparavant, lorsque le Gun-Club de Baltimore s'?tait donn? la t?che d'envoyer un projectile jusqu'? la Lune, dans l'espoir d'obtenir une communication directe avec notre satellite. Or n'?taient-ce pas ces entreprenants Yankees, qui avaient fourni les plus grosses sommes n?cessit?es par cette int?ressante tentative? Et, si elle fut r?alis?e, n'est-ce pas gr?ce ? deux des membres dudit club, qui os?rent affronter les risques de cette surhumaine exp?rience?
Qu'un Lesseps propose quelque jour de creuser un canal ? grande section ? travers l'Europe et l'Asie, depuis les rives de l'Atlantique jusqu'aux mers de la Chine, - qu'un puisatier de g?nie offre de forer la terre pour atteindre les couches de silicates qui s'y trouvent ? l'?tat fluide, au-dessus de la fonte en fusion, afin de puiser au foyer m?me du feu central, - qu'un entreprenant ?lectricien veuille r?unir les courants diss?min?s ? la surface du globe, pour en former une in?puisable source de chaleur et de lumi?re, - qu'un hardi ing?nieur ait l'id?e d'emmagasiner dans de vastes r?cepteurs l'exc?s des temp?ratures estivales pour le restituer pendant l'hiver aux zones ?prouv?es par le froid, - qu'un hydraulicien hors ligne essaie d'utiliser la force vive des mar?es pour produire ? volont? de la chaleur ou du travail - que des soci?t?s anonymes ou en commandite se fondent pour mener ? bonne fin cent projets de cette sorte! - ce sont les Am?ricains que l'on trouvera en t?te des souscripteurs, et des rivi?res de dollars se pr?cipiteront dans les caisses sociales, comme les grands fleuves du Nord-Am?rique vont s'absorber au sein des oc?ans.
Il est donc naturel d'admettre que l'opinion f?t singuli?rement surexcit?e, lorsque se r?pandit cette nouvelle - au moins ?trange - que les contr?es arctiques allaient ?tre mises en adjudication au profit du dernier et plus fort ench?risseur. D'ailleurs, aucune souscription publique n'?tait ouverte en vue de cette acquisition, dont les capitaux ?taient faits d'avance. On verrait plus tard, lorsqu'il s'agirait d'utiliser le domaine, devenu la propri?t? des nouveaux acqu?reurs.
Utiliser le territoire arctique!... En v?rit? cela n'avait pu germer que dans des cervelles de fous!
Rien de plus s?rieux que ce projet, cependant.
En effet, un document fut adress? aux journaux des deux continents, aux feuilles europ?ennes, africaines, oc?aniennes, asiatiques, en m?me temps qu'aux feuilles am?ricaines. Il concluait ? une demande d'enqu?te de commodo et incommodo de la part des int?ress?s. Le New-York Herald avait eu la primeur de ce document. Aussi, les innombrables abonn?s de Gordon Bennett purent-ils lire dans le num?ro du 7 novembre la communication suivante - communication qui courut rapidement ? travers le monde savant et industriel, o? elle fut appr?ci?e de fa?ons bien diverses.
<< Avis aux habitants du globe terrestre,
<< Les r?gions du P?le nord, situ?es ? l'int?rieur du quatre-vingt-quatri?me degr? de latitude septentrionale, n'ont pas encore pu ?tre mises en exploitation par l'excellente raison qu'elles n'ont pas ?t? d?couvertes.
<< En effet, les points extr?mes, relev?s par les navigateurs, de nationalit?s diff?rentes, sont les suivants en latitude :
<< 82?45', atteint par l'Anglais Parry, en juillet 1847 sur le vingt-huiti?me m?ridien ouest, dans le nord du Spitzberg;
<< 83?20'28", atteint par Markham, de l'exp?dition anglaise de sir John Georges Nares, en mai 1876, sur le cinquanti?me m?ridien ouest dans le nord de la terre de Grinnel;
<< 83?35', atteint par Lockwood et Brainard, de l'exp?dition am?ricaine du lieutenant Greely, en mai 1882, sur le quarante-deuxi?me m?ridien ouest, dans le nord de la terre de Nares.
<< On peut donc consid?rer la r?gion qui s'?tend depuis le quatre-vingt-quatri?me parall?le jusqu'au P?le, sur un espace de six degr?s, comme un domaine indivis entre les divers ?tats du globe, et essentiellement susceptible de se transformer en propri?t? priv?e, apr?s adjudication publique.
<< Or, d'apr?s les principes du droit, nul n'est tenu de demeurer dans l'indivision. Aussi les ?tats-Unis d'Am?rique, s'appuyant sur ces principes, ont-ils r?solu de provoquer l'ali?nation de ce domaine.
<< Il est bien sp?cifi? que ce droit de propri?t? ne pourra ?tre frapp? de caducit?, m?me au cas o? des modifications - de quelque nature qu'elles soient - surviendraient dans l'?tat g?ographique et m?t?orologique du globe terrestre.
<< Ceci ?tant port? ? la connaissance des habitants des deux Mondes, toutes les Puissances seront admises ? participer ? l'adjudication, qui sera faite au profit du plus offrant et dernier ench?risseur.
<< La date de l'adjudication est indiqu?e pour le 3 d?cembre de la pr?sente ann?e, en la salle des << Auctions >>, ? Baltimore, Maryland, ?tats-Unis d'Am?rique.
Que cette communication p?t ?tre consid?r?e comme insens?e, soit! En tout cas, pour sa nettet? et sa franchise, elle ne laissait rien ? d?sirer, on en conviendra. D'ailleurs, ce qui la rendait tr?s s?rieuse, c'est que le gouvernement f?d?ral avait d'ores et d?j? fait concession des territoires arctiques, pour le cas o? l'adjudication l'en rendrait d?finitivement propri?taire.
En somme, les opinions furent partag?es. Les uns ne voulurent voir l? qu'un de ces prodigieux << humbugs >> am?ricains, qui d?passeraient les limites du puffisme, si la badauderie humaine n'?tait infinie. Les autres pens?rent que cette proposition m?ritait d'?tre accueillie s?rieusement. Et ceux-ci insistaient pr?cis?ment sur ce que la nouvelle Soci?t? ne faisait nullement appel ? la bourse du public. C'?tait avec ses seuls capitaux qu'elle pr?tendait se rendre acqu?reur de ces r?gions bor?ales. Elle ne cherchait donc point ? drainer les dollars, les bank-notes, l'or et l'argent des gogos pour emplir ses caisses. Non! Elle ne demandait qu'? payer sur ses propres fonds l'immeuble circumpolaire.
Aux gens qui savent compter, il semblait que ladite Soci?t? n'aurait eu qu'? exciper tout simplement du droit de premier occupant, en allant prendre possession de cette contr?e dont elle provoquait la mise en vente. Mais l? ?tait pr?cis?ment la difficult?, puisque, jusqu'? ce jour, l'acc?s du P?le paraissait ?tre interdit ? l'homme. Aussi, pour le cas o? les ?tats-Unis deviendraient acqu?reurs de ce domaine, les concessionnaires voulaient-ils avoir un contrat en r?gle, afin que personne ne v?nt plus tard contester leur droit. Il e?t ?t? injuste de les en bl?mer. Ils op?raient avec prudence, et, lorsqu'il s'agit de contracter des engagements dans une affaire de ce genre, on ne peut prendre trop de pr?cautions l?gales.
D'ailleurs, le document portait une clause, qui r?servait les al?as de l'avenir. Cette clause devait donner lieu ? bien des interpr?tations contradictoires, car son sens pr?cis ?chappait, aux esprits les plus subtils. C'?tait la derni?re : elle stipulait que << le droit de propri?t? ne pourrait ?tre frapp? de caducit?, m?me au cas o? des modifications - de quelque nature qu'elles fussent, - surviendraient dans l'?tat g?ographique et m?t?orologique du globe terrestre. >>
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