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Read Ebook: Le péché de Monsieur Antoine Tome 2 by Sand George

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Ebook has 818 lines and 53869 words, and 17 pages

OEUVRES DE GEORGE SAND

LE P?CH? DE M. ANTOINE II

M. GALUCHET.

Mais, apr?s avoir dormi douze heures, Galuchet n'avait plus qu'un souvenir fort confus des ?v?nements de la veille, et, lorsque M. Cardonnet le fit appeler, il ne lui restait qu'un vague ressentiment contre le charpentier. D'ailleurs il n'avait gu?re envie de se vanter d'avoir fait un si sot personnage en d?butant dans sa carri?re diplomatique, et il rejeta son lever tardif et son air appesanti sur une violente migraine. <

--Vous ne m'apprenez l? rien de nouveau, dit M. Cardonnet; il est impossible que vous ayez pass? toute la journ?e ? Ch?teaubrun, sans avoir remarqu? quelque chose de plus particulier. A quelle heure mon fils est-il arriv?, et ? quelle heure est-il parti?

--Je ne saurais dire pr?cis?ment quelle heure il ?tait ... Leur vieille pendule va si mal!

--Ce n'est pas l? une r?ponse. Combien d'heures est-il rest?? Voyons, je ne vous demande pas rigoureusement les fractions.

--Tout cela a dur? cinq ou six heures, Monsieur; je me suis fort ennuy?. M. ?mile avait l'air peu flatt? de me voir, et, quant ? la jeune fille, c'est une franche b?gueule. Il fait une chaleur assommante sur cette montagne, et on ne peut pas dire deux mots sans ?tre interrompu par ce paysan.

--Il y para?t, car vous ne dites pas deux mots de suite ce matin, Galuchet: de quel paysan parlez-vous?

--Cela m'est fort ?gal; mais que lui disait mon fils?

--M. ?mile rit de ses sottises, et mademoiselle Gilberte le trouve charmant.

--N'importe, Galuchet, il faut lui faire la cour.

--Pour me moquer d'elle, ? la bonne heure, je veux bien!

--Et puis, pour gagner une gratification que vous n'aurez point, si vous ne me faites pas la prochaine fois un rapport plus clair et mieux circonstanci?; car vous battez la campagne aujourd'hui.>>

Galuchet baissa la t?te sur son livre de comptes, et lutta tout le jour contre le malaise qui suit un exc?s.

?mile passa encore toute la semaine plong? dans l'hydrostatique; il ne se permit pas d'autre distraction que de chercher Jean Jappeloup dans la soir?e pour causer avec lui, et, comme il cherchait toujours ? ramener la conversation sur Gilberte: <

--Quelle id?e! r?pondit le jeune homme, troubl? par cette brusque interpellation.

--C'est une id?e comme une autre. Et pourquoi n'en seriez-vous pas amoureux?

--Sans doute, pourquoi n'en serais-je pas amoureux? r?pondit ?mile de plus en plus embarrass?. Mais est-ce vous, ami Jean, qui voudriez parler l?g?rement d'une pareille possibilit??

--C'est plut?t vous, mon gar?on, car vous r?pondez comme si nous plaisantions. Allons, voulez-vous me dire la v?rit?? dites-la, ou je ne vous en parle plus.

--Jean, si j'?tais amoureux, en effet, d'une personne que je respecte autant que ma propre m?re, mon meilleur ami n'en saurait rien.

--Je sais fort bien que je ne suis pas votre meilleur ami, et pourtant je voudrais le savoir, moi.

--Expliquez-vous, Jean.

--Expliquez-vous vous-m?me, je vous attends.

--Vous attendrez donc longtemps; car je n'ai rien ? r?pondre ? une pareille question, malgr? toute l'estime et l'affection que je vous porte.

--S'il en est ainsi, il faudra donc que vous disiez, un de ces jours, adieu tout ? fait aux gens de Ch?teaubrun; car ma mie Janille n'est pas femme ? s'endormir longtemps sur le danger.

--Ce mot me blesse; je ne croyais pas qu'on p?t m'accuser de faire courir un danger quelconque ? une personne dont la r?putation et la dignit? me sont aussi sacr?es qu'? ses parents et ? ses plus proches amis.

--C'est bien parler, mais cela ne r?pond pas tout droit ? mes questions. Voulez-vous que je vous dise une chose? c'est qu'au commencement de la semaine derni?re, j'ai ?t? ? Ch?teaubrun pour emprunter ? Antoine un outil dont j'avais besoin. J'y ai trouv? ma mie Janille; elle ?tait toute seule, et vous attendait. Vous n'y ?tes pas venu, et elle m'a tout cont?. Or, mon gar?on, si elle ne vous a pas fait mauvaise mine dimanche, et si elle vous permet de revenir de temps en temps voir sa fille, c'est ? moi que vous le devez.

--Comment cela, mon brave Jean?

--C'est que j'ai plus de confiance en vous que vous n'en avez en moi. J'ai dit ? ma mie Janille que si vous ?tiez amoureux de Gilberte, vous l'?pouseriez, et que je r?pondais de vous sur le salut de mon ?me.

--Et vous avez eu raison, Jean, s'?cria ?mile en saisissant le bras du charpentier: jamais vous n'avez dit une plus grande v?rit?.

--Oui! mais reste ? savoir si vous ?tes amoureux, et c'est ce que vous ne voulez pas dire.

--C'est ce que je peux dire ? vous seul, puisque vous m'interrogez ainsi. Oui, Jean, je l'aime, je l'aime plus que ma vie et je veux l'?pouser.

--J'y consens, r?pondit Jean avec un accent de gaiet? enthousiaste, et quant ? moi, je vous marie ensemble ... Un instant! un instant! si Gilberte y consent aussi.

--Et si elle te demandait conseil, brave Jean, toi, son ami et son second p?re?

--Je lui dirais qu'elle ne peut pas mieux choisir, que vous me convenez et que je veux vous servir de t?moin.

--Eh bien, maintenant, ami, il n'y a plus qu'? obtenir le consentement des parents.

--Oh! je vous r?ponds d'Antoine, si je m'en m?le. Il a de la fiert?; il craindra que votre p?re n'h?site, mais je sais ce que j'ai ? lui dire l?-dessus.

--Quoi donc, que lui direz-vous?

--Ce que vous ne savez pas, ce que je sais ? moi tout seul; je n'ai pas besoin d'en parler encore, car le temps n'est pas venu, et vous ne pouvez pas penser ? vous marier avant un an ou deux.

--Jean, confiez-moi ce secret comme je vous ai confi? le mien. Je ne vois qu'un obstacle ? ce mariage: c'est la volont? de mon p?re. Je suis r?solu ? le vaincre, mais je ne me dissimule pas qu'il est grand.

--Eh bien, puisque tu as ?t? si confiant et si franc avec le vieux Jean, le vieux Jean agira de m?me ? ton ?gard. ?coute, petit: avant peu, ton p?re sera ruin? et n'aura plus sujet de faire le fier avec la famille de Ch?teaubrun.

--Si tu disais vrai, ami, malgr? le chagrin que mon p?re devrait en ressentir, je b?nirais ta singuli?re proph?tie; car il y a bien d'autres motifs qui me font redouter cette fortune.

--Je le sais, je connais ton coeur, et je vois que tu voudrais enrichir les autres avant toi-m?me. Tout s'arrangera comme tu le souhaites, je te le pr?dis. Je l'ai r?v? plus de dix fois.

--Si vous n'avez fait que le r?ver, mon pauvre Jean ...

--Attendez, attendez ... Qu'est-ce que c'est que ce livre-l?, que vous portez toujours sous le bras et que vous avez l'air d'?tudier?

--Je te l'ai dit, un trait? savant sur la force de l'eau, sur la pesanteur, sur les lois de l'?quilibre ...

--Je m'en souviens fort bien, vous me l'avez d?j? dit; mais je vous dis, moi, que votre livre est un menteur, ou que vous l'avez mal ?tudi?: autrement vous sauriez ce que je sais.

--Quoi donc?

--C'est que votre usine est impossible, et que votre p?re, s'obstinant ? se battre contre une rivi?re qui se moque de lui, perdra ses d?penses, et s'avisera trop tard de sa folie. Voil? pourquoi vous me voyez si gai depuis quelque temps. J'ai ?t? triste et de mauvaise humeur tant que j'ai cru ? la r?ussite de votre entreprise; mais j'avais une esp?rance qui pourtant me revenait toujours et dont j'ai voulu avoir le coeur net. J'ai march?, j'ai examin?, j'ai travaill?, ?tudi?. Oh oui! ?tudi?! sans avoir besoin de vos livres, de vos cartes et de vos grimoires; j'ai tout vu, tout compris. Monsieur ?mile, je ne suis qu'un pauvre paysan, et votre Galuchet me cracherait sur le corps s'il osait; mais je puis vous certifier une chose dont vous ne vous doutez gu?re: c'est que votre p?re n'entend rien ? ce qu'il fait, qu'il a pris de mauvais conseils, et que vous n'en savez pas assez long pour le redresser. L'hiver qui vient emportera vos travaux, et tous les hivers les emporteront jusqu'? ce que M. Cardonnet ait jet? son dernier ?cu dans l'eau. Souvenez-vous de ce que je vous dis, et n'essayez pas de le persuader ? votre p?re. Ce serait une raison de plus pour qu'il s'obstin?t ? se perdre, et nous n'avons pas besoin de cela pour qu'il le fasse; mais vous serez ruin?, mon fils, et si ce n'est ici enti?rement, ce sera ailleurs, car je tiens la cervelle de votre papa dans le creux de ma main. C'est une t?te forte, j'en conviens, mais c'est une t?te de fou. C'est un homme qui s'enflamme pour ses projets ? tel point qu'il les croit infaillibles, et, quand on est b?ti de cette fa?on-l?, on ne r?ussit ? rien. J'ai d'abord cru qu'il jouait son jeu, mais, ? pr?sent, je vois bien que la partie devient trop s?rieuse, puisqu'il recommence tout ce que la derni?re dribe a d?truit. Il avait eu jusque-l? trop bonne chance: raison de plus; les bonnes chances rendent imp?rieux et pr?somptueux. C'est l'histoire de Napol?on, que j'ai vu monter et descendre, comme un charpentier qui grimpe sur le fa?te de la maison sans avoir regard? si les fondations sont bonnes. Quelque bon charpentier qu'il soit, quelque chef-d'oeuvre qu'il ?tablisse, si le mur fl?chit, adieu tout l'ouvrage!>>

Jean parlait avec une telle conviction, et ses yeux noirs brillaient si fort sous ses ?pais sourcils grisonnants, qu'?mile ne put se d?fendre d'?tre ?mu. Il le supplia de lui exposer les motifs qui le faisaient parler ainsi, et longtemps le charpentier s'y refusa. Enfin, vaincu par son insistance, et un peu irrit? par ses doutes, il lui donna rendez-vous pour le dimanche suivant.

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