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Read Ebook: Le péché de Monsieur Antoine Tome 2 by Sand George

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Ebook has 818 lines and 53869 words, and 17 pages

Jean parlait avec une telle conviction, et ses yeux noirs brillaient si fort sous ses ?pais sourcils grisonnants, qu'?mile ne put se d?fendre d'?tre ?mu. Il le supplia de lui exposer les motifs qui le faisaient parler ainsi, et longtemps le charpentier s'y refusa. Enfin, vaincu par son insistance, et un peu irrit? par ses doutes, il lui donna rendez-vous pour le dimanche suivant.

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Le samedi suivant, ?mile courut ? Ch?teaubrun, et, comme de coutume, il commen?a par Boisguilbault, n'osant arriver de trop bonne heure chez Gilberte.

Comme il approchait des ruines, il vit un point noir au bas de la montagne, et ce point devint bient?t Constant Galuchet, en habit noir, pantalon et gants noirs, cravate et gilet de satin noir. C'?tait sa toilette de campagne, hiver comme ?t?; et, quelque chaleur qu'il e?t ? supporter, quelque fatigue ? laquelle il s'expos?t, il ne sortait jamais du village sans cette tenue de rigueur. Il e?t craint de ressembler ? un paysan, si, comme ?mile, il e?t endoss? une blouse et port? un chapeau gris ? larges bords.

Si le costume bourgeois de notre ?poque est le plus triste, le plus incommode et le plus disgracieux que la mode ait jamais invent?, c'est surtout au milieu des champs que tous ses inconv?nients et toutes ses laideurs ressortent. Aux environs des grandes villes, on en est moins choqu?, parce que la campagne elle-m?me y est arrang?e, align?e, plant?e, b?tie et mur?e dans un go?t syst?matique, qui ?te ? la nature tout son impr?vu et toute sa gr?ce. On peut quelquefois admirer la richesse et la sym?trie de ces terres soumises ? toutes les recherches de la civilisation; mais aimer une telle campagne, c'est fort difficile ? concevoir. La vraie campagne n'est pas l?, elle est au sein des pays un peu n?glig?s et un peu sauvages, l? o? la culture n'a pas en vue des embellissements mesquins et des limites jalouses, l? o? les terres se confondent, et o? la propri?t? n'est marqu?e que par une pierre ou un buisson plac?s sous la sauvegarde de la bonne foi rustique. C'est l? que les chemins destin?s seulement aux pi?tons, aux cavaliers ou aux charrettes offrent mille accidents pittoresques; o? les haies abandonn?es ? leur vigueur naturelle se penchent en guirlandes, se courbent en berceaux, et se parent de ces plantes incultes qu'on arrache avec soin dans les pays de luxe. ?mile se souvenait d'avoir march? pendant plusieurs lieues autour de Paris sans avoir eu le plaisir de rencontrer une ortie, et il sentait vivement le charme de cette nature agreste o? il se trouvait maintenant. La pauvret? ne s'y cachait pas honteuse et souill?e sous les pieds de la richesse. Elle s'y ?talait au contraire souriante et libre sur un sol qui portait fi?rement ses embl?mes, les fleurs sauvages et les herbes vagabondes, l'humble mousse et la fraise des bois, le cresson au bord d'une eau sans lit, et le lierre sur un rocher, qui, depuis des si?cles, obstruait le sentier sans ?veiller les soucis de la police. Enfin, il aimait ces branches qui traversent le chemin et que le passant respecte, ces fondri?res o? murmure la grenouille verte, comme pour avertir le voyageur, sentinelle plus vigilante que celle qui d?fend le palais des rois; ces vieux murs qui s'?croulent au bord des enclos et que personne ne songe ? relever, ces fortes racines qui soul?vent les terres et creusent des grottes au pied des arbres antiques; tout cet abandon qui fait la nature na?ve, et qui s'harmonise si bien avec le type s?v?re et le costume simple et grave du paysan.

Jamais cette remarque ne s'?tait pr?sent?e aussi vivement ? la pens?e d'?mile que lorsque Galuchet lui apparut, le chapeau ? la main, gravissant la colline avec un mouvement p?nible qui faisait flotter ridiculement les basques de son habit, et s'arr?tant pour ?pousseter avec son mouchoir les traces de chutes fr?quentes, ?mile eut envie de rire, et puis, il se demanda avec col?re ce que la mouche parasite venait faire autour de la ruche sacr?e.

?mile mit son cheval au galop, passa pr?s de Galuchet sans avoir l'air de le reconna?tre, et, arrivant le premier ? Ch?teaubrun, il l'annon?a ? Gilberte comme une in?vitable calamit?.

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--Et que veux-tu donc que j'en fasse? r?pondit M. de Ch?teaubrun embarrass?. Je l'ai invit? ? venir quand il voudrait; je ne pouvais pr?voir que toi, qui es si tol?rante et si g?n?reuse, tu prendrais en grippe un pauvre h?re, ? cause de son peu d'usage et de sa triste figure. Moi, ces gens-l? me font peine; je vois que chacun les repousse et qu'ils s'ennuient d'?tre au monde!

--Ne croyez pas cela, dit ?mile. Ils s'y trouvent fort bien, au contraire, et s'imaginent plaire ? tous.

--En ce cas, pourquoi leur ?ter une illusion, sans laquelle il leur faudrait mourir de chagrin? Moi, je n'ai pas ce courage, et je ne crois pas que ma bonne Gilberte me conseille de l'avoir.

--Mon trop bon p?re! dit Gilberte en soupirant, je voudrais l'avoir aussi, cette bont?, et je crois l'avoir en g?n?ral; mais cet ?tre suffisant et satisfait de lui-m?me, qui semble m'insulter quand il me regarde, et qui m'appelle par mon nom de bapt?me le premier jour o? il me parle! non, je ne puis le supporter, et je sens qu'il me fait mal parce que sa vue me porte au d?dain et ? l'ironie, contrairement ? mes instincts et ? mes habitudes de caract?re.

--Il est certain que M. Galuchet se familiarisera beaucoup avec mademoiselle, dit ?mile ? M. Antoine, et que vous serez forc? plus d'une fois de le rappeler au respect qu'il lui doit. S'il arrive qu'il vous oblige de le chasser, vous regretterez de l'avoir accueilli avec trop de confiance. Ne vaudrait-il pas mieux lui faire entendre aujourd'hui par un accueil un peu froid que vous n'avez pas oubli? la mani?re grossi?re dont il s'est comport? ? sa premi?re visite?

--Ce que je vois de mieux pour arranger l'affaire, dit M. de Ch?teaubrun, c'est que vous alliez vous promener dans le verger avec Janille; moi, j'emm?nerai le Galuchet ? la p?che, et vous en serez d?barrass?s.>>

Cette proposition ne plaisait pas beaucoup ? ?mile. Lorsqu'il ?tait sous la surveillance de M. de Ch?teaubrun, il pouvait se croire presque t?te ? t?te avec Gilberte, au lieu que Janille ?tait un tiers autrement actif et clairvoyant. Et puis Gilberte pensait qu'il y avait de l'?go?sme ? laisser son p?re subir seul le fardeau d'une telle visite. <

--D'ailleurs je m'en charge, dit Janille, qui avait ?cout? jusque-l? sans dire son avis, et qui ha?ssait Galuchet, depuis le jour o? il avait marchand? avec elle pour une pi?ce de dix sous qu'elle lui avait demand?e apr?s lui avoir montr? les ruines. J'aime beaucoup que monsieur boive son vin avec ses amis et les gens qui lui font plaisir; mais je ne suis pas d'avis de le gaspiller avec des pique-assiettes, et je vais baptiser d'importance celui de M. Galuchet. Ah! mais, Monsieur, tant pis pour vous, qui n'aimez point l'eau, cela vous forcera de ne pas rester longtemps ? table.

--Mais, Janille, c'est une tyrannie, dit M. Antoine, tu vas me mettre ? l'eau maintenant? tu veux donc ma mort?

--Non, Monsieur, vous n'en aurez le teint que plus frais, et tant pis pour ce petit monsieur s'il fait la grimace!>>

Janille tint parole, mais Galuchet ?tait trop troubl? pour s'en apercevoir. Il se sentait de plus en plus mal ? l'aise devant ?mile, dont les yeux et le sourire semblaient toujours l'interroger s?v?rement, et, lorsqu'il voulait payer d'audace en faisant l'agr?able aupr?s de Gilberte, il ?tait si mal re?u, qu'il ne savait plus que devenir. Il avait r?solu de s'observer ? l'endroit du clairet de Ch?teaubrun, et il fut fort satisfait, lorsque, apr?s le premier verre, son h?te n'insista plus pour lui en faire avaler un second. M. Antoine, en lui donnant l'exemple de la premi?re rasade, comme c'?tait son devoir d'h?te campagnard, ?touffa un soupir, et lan?a ? Janille un regard de reproche pour la lib?ralit? qui avait pr?sid? ? la ration d'eau. Charasson, qui ?tait dans la confidence de la vieille, partit d'un gros rire, et fut vertement r?primand? par son ma?tre, qui le condamna ? avaler ? son souper le reste du breuvage inoffensif.

Quand Galuchet se fut convaincu qu'il ?tait insupportable ? Gilberte et ? ?mile, il r?solut d'avancer ses affaires aupr?s de M. Cardonnet, en risquant la demande en mariage. Il emmena M. Antoine ? l'?cart, et, certain d'?tre refus?, il lui offrit son coeur, sa main et ses vingt mille francs pour sa fille. M. Galuchet crut ne rien risquer en doublant le capital fictif de sa dot.

Cette petite fortune, jointe ? un emploi qui procurait ? Galuchet un revenu de douze cents francs, causa quelque surprise ? M. Antoine. C'?tait l? un tr?s-bon parti pour Gilberte, et elle ne pouvait esp?rer mieux, en fait de richesse; car enfin, il ?tait impossible au bon campagnard de lui fournir une dot quelconque, se d?pouill?t-il enti?rement. Personne au monde n'?tait plus d?sint?ress? que ce brave homme; il en avait donn? assez de preuves, sa vie durant. Mais il ne pensait pas sans quelque amertume que sa fille ch?rie, faute de rencontrer un homme qui l'aim?t pour elle-m?me, serait probablement condamn?e au c?libat pour longtemps, peut-?tre pour toujours! <>

Et, ne sachant comment s'y prendre, n'osant exposer Gilberte au soup?on d'?tre vaine de son nom, ou au ressentiment d'un coeur bless? par son aversion, il ne trouva rien de mieux que de ne pas se prononcer, et de demander du temps pour r?fl?chir et se consulter. Galuchet demanda aussi la permission de revenir, non pas pr?cis?ment faire sa cour, mais s'informer de son sort, et il y fut autoris?, bien que le pauvre Antoine trembl?t en lui faisant cette r?ponse.

Il le mena au bord de la rivi?re pour l'installer ? la p?che, bien que Galuchet n'e?t rien apport? pour cela, et d?sir?t fort rester au ch?teau. Antoine le promena du moins au bord de la Creuse pour lui indiquer les bons endroits, et, chemin faisant, il eut la faiblesse et la bonhomie de lui demander pardon pour les taquineries et les malices de Jean. Galuchet prit la chose ? merveille, rejeta tout le tort sur lui-m?me, en disant toutefois, pour se montrer sous un meilleur jour, qu'il avait ?t? gris? par surprise, et que s'il n'?tait pas capable de porter le vin, c'est parce qu'il ?tait habitu? ? une grande sobri?t?. <>

Ils caus?rent assez longtemps, et Galuchet s'obstinant ? ne pas partir, quoiqu'il v?t bien ? l'inqui?tude de son h?te qu'il e?t voulu ne pas le ramener au ch?teau, ils y revinrent, et Galuchet prit aussi Janille ? part pour lui confier ses intentions et donner ? Antoine le temps de pr?venir Gilberte. Il comptait bien sur le d?pit qu'elle en ?prouverait; car, cette fois, n'?tant pas ivre, il voyait fort clairement l'air irrit? d'?mile, et les sentiments de Gilberte pour le protecteur qu'elle avait choisi.

<> Galuchet n'?tait pas poltron, et bien qu'il ne suppos?t pas ?mile capable d'un duel ? coups de poings, il se disait avec une certaine satisfaction qu'il ?tait de force ? lui tenir t?te. Quant ? une v?ritable partie d'honneur, cela e?t ?t? moins de son go?t, parce qu'il n'entendait rien aux armes courtoises; mais il pouvait bien compter que M. Cardonnet saurait l'en pr?server.

Pendant qu'il entretenait Janille, M. de Ch?teaubrun resta avec sa fille et ?mile dans le verger et leur raconta ce qui venait de se passer entre lui et Galuchet, mais avec quelques pr?cautions oratoires. <

--Sans aucun doute, r?pondit ?mile. Mon p?re l'emploie depuis trois ans, et serait tr?s-f?ch? de le perdre.

--Est-il d'un bon caract?re?

--Quoiqu'il n'en ait gu?re donn? la preuve ici l'autre jour, je dois dire qu'il est fort tranquille, et tout ? fait inoffensif ? l'habitude.

--Il n'est point sujet ? s'enivrer?

--Non pas que je sache.

--Eh bien, qu'a-t-on ? lui reprocher?

--S'il n'avait pas pris fantaisie de devenir notre commensal, je le trouverais accompli, dit Gilberte.

--Il te d?pla?t donc bien? reprit M. Antoine en s'arr?tant pour la regarder en face.

--Eh non, mon p?re, r?pondit-elle, ?tonn?e de cet air solennel. Ne prenez pas mon ?loignement si fort au s?rieux. Je ne hais personne; et si la soci?t? de ce jeune homme a quelque agr?ment pour vous, s'il vous a donn? quelque raison plausible de l'estimer particuli?rement, ? Dieu ne plaise que je vous en prive par un caprice! Je ferai un effort sur moi-m?me, et j'arriverai peut-?tre ? partager la bonne opinion que mon digne p?re a de lui.

--Voil? parler comme une bonne et sage fille, et je reconnais ma Gilberte. Sache donc, petite, que c'est toi, moins que personne, qui dois m?priser le caract?re de ce gar?on-l?; que si tu n'?prouves aucun attrait pour lui, tu dois du moins le traiter avec politesse et le renvoyer avec bont?. Allons, me devines-tu?

--Pas le moins du monde, mon p?re.

--Moi, je crains de deviner, dit ?mile, dont les joues se couvrirent d'une vive rougeur.

--Eh bien, reprit M. Antoine, je suppose qu'un gar?on assez riche, relativement ? nous, remarque une belle et bonne fille qui est fort pauvre, et que, s'?prenant ? la premi?re vue, il vienne mettre ? ses pieds les plus honn?tes pr?tentions du monde, faut-il le chasser brutalement, et lui jeter la porte au nez en lui disant: <>

Gilberte rougit autant qu'?mile, et quelque effort d'humilit? qu'elle p?t faire sur elle-m?me, elle se sentit si outrag?e par les pr?tentions de Galuchet, qu'elle ne put rien r?pondre, et sentit ses yeux se remplir de larmes.

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--Non, ?mile, non, il ne m'a pas fait de mensonge; je ne suis pas si faible et si cr?dule que vous croyez. Je l'ai interrog?, et je sais que la source de sa petite fortune est pure et certaine. C'est votre p?re qui lui assure vingt mille francs pour se l'attacher ? tout jamais par l'affection et la reconnaissance, au cas o? il se mariera dans le pays.

--Mais, sans doute, dit ?mile d'une voix mal assur?e, mon p?re ignore que c'est sur mademoiselle de Ch?teaubrun qu'il a os? lever les yeux, car il ne l'e?t pas encourag? dans une semblable esp?rance.

--Tout au contraire, reprit M. Antoine, qui trouvait la chose fort naturelle; votre p?re a re?u la confidence de son go?t pour Gilberte, et il l'a autoris? ? se servir de son nom pour la demander en mariage.>>

Gilberte devint p?le comme la mort et regarda ?mile, qui baissa les yeux, stup?fait, humili? et bris? au fond de l'?me.

L'EXPLOSION.

--Eh bien, qu'y a-t-il donc? dit Janille, qui vint les rejoindre dans une tonnelle ? l'endroit du verger, o? ils s'?taient assis tous trois; pourquoi Gilberte est-elle toute d?faite, et pourquoi vous taisez-vous tous quand j'approche, comme si vous m?ditiez quelque complot?>>

Gilberte se jeta dans le sein de sa gouvernante et fondit en larmes.

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--Est-ce que ce jeune homme est parti? dit M. Antoine en regardant autour de lui avec inqui?tude.

--Sans doute, car il m'a fait ses adieux, et je l'ai reconduit jusqu'? la porte, dit Janille. J'ai eu quelque peine ? m'en d?barrasser. Il est un peu lourd ? s'expliquer, celui-l?! Il aurait souhait? rester, je l'ai bien vu; mais je lui ai fait comprendre que de telles affaires ne se terminaient pas si vite, qu'il me fallait en conf?rer avec vous, et qu'on lui ?crirait, si on voulait le revoir pour un motif ou pour un autre. Mais, avant, qu'a donc ma fille? qui lui a fait du chagrin ici? Ah! mais, voici ma mie Janille pour la d?fendre et la consoler.

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