Read Ebook: Les hommes de la guerre d'Orient 11: Le prince du Montenegro by Texier Edmond
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Ebook has 230 lines and 13004 words, and 5 pages
LES HOMMES DE LA GUERRE D'ORIENT
LE PRINCE DU MONT?N?GRO
PARIS LIBRAIRIE D'ALPHONSE TARIDE GALERIE DE L'OD?ON 1854
DANILO, PRINCE DU MONT?N?GRO.
Dans le sujet que nous allons entreprendre, l'histoire du pays et l'histoire de celui qui le gouverne se confondent tellement qu'il est impossible de les s?parer. Elles s'expliquent l'une par l'autre. L'histoire du vladika et celle du Mont?n?gro ne forment qu'une seule histoire; on conna?trait mal le souverain si on n'?tait pas familiaris? avec le peuple.
D'ailleurs le Mont?n?gro, qui semble appel? ? jouer un r?le si important dans la question d'Orient, est presque inconnu en France. On n'a, sur cette contr?e, que quelques articles isol?s et un ouvrage publi? en 1820 par le colonel Vialla de Sommi?res. On comprendrait mal la situation pr?sente et l'avenir du Mont?n?gro, si on n'avait une id?e bien nette de son pass?.
Le Mont?n?gro est divis? en quatre arrondissements ; chacun de ces arrondissements peut mettre sur pied un nombre de guerriers d?termin? d'avance.
Les Mont?n?grins sont en majorit? schismatiques; ils font cependant preuve de plus de tol?rance que leurs coreligionnaires de la Serbie, de la Gr?ce et de la Russie. Les catholiques latins exercent en paix leur culte; les Turcs eux-m?mes ont une mosqu?e au Mont?n?gro; ils forment dans le pays une tribu qui a les m?mes droits et la m?me libert? que les autres.
Les couvents sont assez nombreux au Mont?n?gro; on cite parmi les plus remarquables, ceux d'Ostrog et de Maratcha. Entrez dans un de ces couvents o? l'on accueille le voyageur avec une hospitalit? pleine de bienveillance, vous y trouverez tout au plus une vingtaine de moines. Un seul religieux occupe le grand couvent de Tsetini?.
Le clerg? s?culier se compose de 200 popes environ. Ces pr?tres ont adopt? le costume des guerriers; ils font partie des exp?ditions, et comme l'?glise grecque, ainsi que l'?glise latine a horreur du sang, ils ont des masses d'armes dont ils se servent pour assommer l'ennemi quand ils sont las de prier pour leurs fr?res ou de les exciter au combat.
Les Mont?n?grins ont g?n?ralement des sentiments religieux assez vifs et assez profonds. Cependant ils ne suivent pas toujours avec une r?gularit? parfaite les r?gles ext?rieures du culte. Dans notre langage, on dirait des Mont?n?grins qu'ils ne pratiquent pas. L'?glise, d'ailleurs, repousse des sacrements tout montagnard nourrissant une haine violente contre le prochain; si cette haine n'a pas craint de se satisfaire, le coupable ne pourra pas mettre les pieds dans une ?glise avant d'avoir expi? publiquement sa faute ou son crime.
La famille est la base de la soci?t? dans cette r?publique patriarcale du Mont?n?gro. Chaque famille choisit un chef auquel elle ob?it aveugl?ment. Les membres d'une m?me famille ne se s?parent presque jamais, aussi les familles deviennent-elles quelquefois assez nombreuses pour peupler un village assez vaste d'individus sortis du m?me sang, portant le m?me nom, et ne se distinguant entre eux que par le pr?nom.
Cet esprit de famille, qui a de grands avantages, offre cependant aussi des inconv?nients r?els. S'il ?tablit une solidarit? puissante entre les membres de la famille en particulier, il cr?e ?galement, entre les familles en g?n?ral, une foule de ces haines vivaces et implacables que les g?n?rations transmettent aux g?n?rations.
Il y a sans doute au Mont?n?gro, comme partout ailleurs, des pauvres et des riches, mais cette diff?rence entre les fortunes ne d?truit pas le sentiment d'?galit? profond?ment enracin? au coeur des Mont?n?grins. Les mendiants sont inconnus dans ce pays. Le pauvre emprunte au riche, et finit toujours par s'acquitter.
La guerre est l'occupation favorite du Mont?n?grin, la guerre contre le Turc surtout. C'est l? la guerre sainte, la croisade qui lui vaudra le pardon de ses p?ch?s et les jouissances du paradis. On voit les vieillards suivre leurs fils marchant contre les infid?les, et se faisant porter pour tirer un dernier coup de fusil en l'honneur du Christ. Les infirmes eux-m?mes se l?vent au bruit de la bataille, et les enfants courent au combat, sinon pour frapper, du moins pour charger les armes des combattants.
Nulle part la femme n'est plus respect?e qu'au Mont?n?gro, non pas que ce respect aille jusqu'? l'exempter du travail manuel, ce qui est impossible chez un peuple presque exclusivement guerrier; mais personne ne se permettrait d'attenter ? l'honneur d'une femme. L'id?e de s?duction par la ruse ou par la violence, est compl?tement inconnue des Mont?n?grins, ils ne sauraient comprendre l'amour en dehors du mariage. La femme qui tue un homme pour avoir viol? sa promesse de mariage, est d'avance acquitt?e.
La chanson suivante, qui fait partie des po?sies populaires, donne une id?e parfaite du r?le que la femme joue au Mont?n?gro.
LA TSERNOGORSTE.
< < < < < <> < < < < < Vivant dans une r?publique de proscrits et de soldats, les femmes mont?n?grines ont d? se fa?onner aux n?cessit?s de la vie commune; manier le fuseau et le pistolet, travailler et combattre, voil? leur double existence. Le Mont?n?grin, loin d'avoir la rudesse et la grossi?ret? qui sont l'ordinaire partage des peuples militaires, est, au contraire, fin, intelligent, habile, on pourrait presque dire diplomate. Il a m?me une r?putation de n?gociant consomm?. Les voyageurs pr?tendent que la vie militaire est bien plut?t pour le Mont?n?grin la suite d'une position g?ographique que le r?sultat d'un penchant naturel. Voyez, disent ces voyageurs, quelle patience, quels efforts ont d? d?ployer les laboureurs mont?n?grins pour couvrir leurs abruptes sommets, leurs d?serts pierreux de champs, de moissons, de vignes et de vergers? Le Mont?n?grin aime l'agriculture, il s'y livre avec une esp?ce de passion; chasseur, p?cheur, ouvrier habile en outils, en ustensiles, en pipes, en tabati?res, ouvrez-lui un d?bouch? vers la mer, et vous verrez l'industrie r?gner dans ses montagnes; et peut-?tre ne tardera-t-elle pas ? y faire son apparition. Tant que l'Autriche sera ma?tresse des bouches du Cattaro, il est impossible, sans se faire de bien grandes illusions, de croire ? l'avenir industriel du Mont?n?gro. Comme tous les montagnards, le Mont?n?grin est fanatique du sol natal. Loin de ses rocs calcin?s, il s'?tiole, il languit, il meurt; c'est le pin sauvage de la montagne, qui ne peut na?tre ni verdir dans la vall?e. Au pied de la tour d'Obod, un des plus vieux monuments du pays, dans une sombre et profonde caverne, dort Ivo, le h?ros et le fondateur de la nation. Quand la mer bleue et Kataro auront ?t? rendus aux Mont?n?grins, alors Ivo sortira de son sommeil magique et se mettra de nouveau ? la t?te de ses fils, et renverra les Germains dans leurs humides et nuageuses contr?es. Le vladika et le s?nat si?gent dans la forteresse de Tsetini?, situ?e sur le plateau d'une haute montagne, au pied de laquelle s'?tend une immense plaine. C'est dans cette forteresse que se r?unissent les assembl?es populaires, qui ont lieu tous les ans. Ivo le Noir, apr?s avoir battu Mahomet II et rendu les services les plus grands ? la r?publique de Venise, finit enfin par ?prouver de graves revers. Forc? de fuir devant ses ennemis, il transporta les reliques et les religieux du couvent et de la citadelle de Jabliak, et choisit la position presque imprenable de Tsetini? pour y construire l'?glise et la forteresse, qui sert encore de r?sidence au chef du pays. L? il brava longtemps encore la puissance des Turcs et leur fit essuyer de sanglants d?sastres. Le souvenir d'Ivo le noir est encore vivant au Mont?n?gro; une foule de sources, de fontaines, de monuments ruin?s, de rocs isol?s portent le nom du h?ros tsernogorste. Il maria son fils ? la fille du doge de Venise, s'il faut en croire la piesma suivante. Ivo ?crit une longue lettre au doge de la grande Venise: <> Le doge v?nitien r?pond d'un ton flatteur; Ivo se rend ? la cour, emportant trois charges d'or pour courtiser au nom de son fils la belle Latine. Quand il eut prodigu? son or, les Latins convinrent avec lui que les noces auraient lieu aux prochaines vendanges. Ivo, qui ?tait sage, prof?ra en partant des paroles insens?es: < Il approchait de son ch?teau de Jabliak quand, du haut de la tour aux ?l?gants balcons, dont le soleil couchant faisait ?tinceler les vitres, sa fid?le compagne l'aper?oit. Aussit?t elle s'?lance ? sa rencontre, couvre de baisers le bas de son manteau, presse sur son coeur ses armes terribles, les porte de ses propres mains dans la tour et fait pr?senter au h?ros un fauteuil d'argent. L'hiver se passa joyeusement, mais le printemps fit ?clater, sur Stanicha la petite v?role, qui lui laboura le visage en tous les sens. Quand aux approches de l'automne le vieillard eut rassembl? ses six cents convives, il fut, h?las! facile de trouver parmi eux un jeune homme plus beau que son fils. Alors son front se couvre de rides, ses noires moustaches qui atteignaient ses ?paules s'affaissent. Sa compagne, instruite du sujet de sa douleur, lui reproche l'orgueil qui l'a pouss? de s'allier aux superbes Latins. Ivo, bless? de ces reproches, s'emporte comme un feu vivant. Il ne veut plus entendre parler de fian?ailles et cong?die les convives. Plusieurs ann?es s'?coul?rent; tout ? coup arrive un navire avec un message du doge. La lettre tomba sur les genoux d'Ivo, elle disait: < Jaloux de tenir sa parole, Ivo se d?cide enfin ? aller ? Venise; il r?unit tous ses fr?res d'armes, et toute la jeunesse. Il veille ? ce que les jeunes hommes viennent chacun avec le costume particulier de sa tribu, et que tous soient par?s le plus somptueusement possible. Il veut, dit-il, que les Latins tombent en extase quand ils verront la magnificence des Serbes. < Voyant les six cents convives rassembl?s, Ivo leur raconte l'imprudente promesse qu'il avait faite au doge, et la punition c?leste qui l'avait frapp? dans la personne de son fils, et il ajouta:>
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