Read Ebook: Les Pardaillan — Tome 01 by Z Vaco Michel
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Ebook has 5674 lines and 127094 words, and 114 pages
MICHEL Z?VACO
LES PARDAILLAN
Les Pardaillan
LES DEUX FR?RES
Il fixait un morne regard sur la masse grise du manoir f?odal des Montmorency, qui dressait au loin dans l'azur l'orgueil de ses tours mena?antes.
Puis ses yeux se d?tourn?rent. Un soupir terrible comme une silencieuse impr?cation gonfla sa poitrine; il demanda:
--Ma fille?... O? est ma fille?...
Une servante, qui rangeait la salle, r?pondit:
--Mademoiselle a ?t? au bois cueillir du muguet.
--Oui, c'est vrai, c'est le printemps. Les haies embaument. Chaque arbre est un bouquet. Tout rit, tout chante, des fleurs partout. Mais la fleur la plus belle, ma Jeanne, ma noble et chaste enfant, c'est toi...
Son regard, alors, se reporta sur la formidable silhouette du manoir accroupi sur la colline.
--Tout ce que je hais est l?! gronda-t-il. L? est la puissance qui m'a bris?, an?anti! Oui, moi, seigneur de Piennes, autrefois ma?tre de toute une contr?e, j'en suis r?duit ? vivre presque mis?rable, dans cet humble coin de terre que m'a laiss? la rapacit? du Conn?table!... Que dis-je, insens?! Mais ne cherche-t-il pas, en ce moment m?me, ? me chasser de ce dernier refuge!...
Deux larmes silencieuses creus?rent un amer sillon parmi les rides de ce visage d?sesp?r?.
Soudain, il p?lit affreusement: un cavalier, v?tu de noir, entrait et s'inclinait devant lui!...
--Enfer!... Le bailli de Montmorency!...
Le seigneur de Piennes ne fit pas un mouvement, pas un geste. Seulement, une p?leur plus grande se r?pandit sur son visage, et sa voix tremblante s'?leva:
--O mon digne sire Louis douzi?me! et vous, illustre Fran?ois Ier! sortirez-vous de vos tombes pour voir comme on traite celui qui, sur quarante champs de bataille, a risqu? sa vie et vers? son sang? Revenez, sires! Et vous assisterez ? ce grand spectacle du vieux soldat d?pouill? parcourant les routes de l'Ile-de-France pour mendier un morceau de pain!
Devant ce d?sespoir, le bailli trembla.
Furtivement, il d?posa sur une table le parchemin maudit, et il recula, gagna la porte et s'enfuit.
Alors, dans la pauvre maison, on entendit une clameur fun?bre d?chirante:
--Et ma fille! Ma fille! Ma Jeanne! ma fille est sans abri! Ma Jeanne est sans pain! Montmorency! mal?diction sur toi et toute ta race.
Maintenant, c'?tait fini! L'arr?t du Parlement, c'?tait, pour Jeanne de Piennes et son p?re, la mis?re honteuse.
Jeanne avait seize ans. Mince, fr?le, fi?re, d'une exquise ?l?gance, elle semblait une cr?ature faite pour le ravissement des yeux, une ?manation de ce radieux printemps, pareille, en sa gr?ce un peu sauvage, ? une aub?pine qui tremble sous la ros?e au soleil levant.
Ce dimanche 26 avril 1553, elle ?tait sortie comme tous les jours, ? la m?me heure.
Elle avait p?n?tr? dans la for?t de ch?taigniers ? laquelle s'appuyait Margency. Sous un bois, Jeanne, oppress?e, une main sur son coeur, se mit ? marcher rapidement en murmurant:
--Oserai-je lui dire? Ce soir, oui, d?s ce soir, je parlerai!... je dirai ce secret terrible... et si doux!
Soudain, deux bras robustes et tendres l'enlac?rent. Une bouche fr?missante chercha sa bouche:
--Toi, enfin! Toi, mon amour...
--Mon Fran?ois! mon cher seigneur!...
--Mais qu'as-tu, mon aim?e? Tu trembles...
Il se pencha, l'enla?a d'une ?treinte plus forte.
--C'?tait un beau grand gar?on au regard droit, au visage doux, au front haut et calme.
Or, ce jeune homme s'appelait Fran?ois de Montmorency!... Oui! c'?tait le fils a?n? de ce conn?table Anne qui venait d'arracher au seigneur de Piennes le dernier lambeau de sa fortune!
Enlac?s, ils marchaient lentement parmi les fleurs ouvertes, dont l'?me s'?pandait en myst?rieux effluves.
Parfois, un tressaillement agitait l'amante. Elle s'arr?tait, pr?tait l'oreille et murmurait:
--On nous suit... on nous ?pie... as-tu entendu?
--Quelque bouvreuil effarouch?, mon doux amour...
--Fran?ois! Fran?ois! oh! j'ai peur...
--Peur? Ch?re aim?e! depuis trois mois que tu es mienne, depuis l'heure b?nie o? notre amour impatient a devanc? la loi des hommes pour ob?ir ? la loi de la nature, plus que jamais, Jeanne, tu es sous ma protection. Que crains-tu? Bient?t tu porteras mon nom. La haine qui divise nos deux p?res, je la briserai!...
--Je le sais, mon seigneur, je le sais! Et m?me si ce bonheur ne m'?tait pas r?serv?, je serais heureuse encore d'?tre ? toi tout enti?re. Oh! aime-moi, aime-moi, mon Fran?ois! car un malheur est sur ma t?te!
--Je t'adore, Jeanne. J'en jure le ciel, rien au monde ne pourra faire que tu ne sois ma femme!
Un ?clat de rire, sourdement, retentit tout pr?s...
--Ainsi, continuait Fran?ois, si quelque peine secr?te t'agite, confie-la ? ton amant... ton ?poux.
--Oui, oui!... ce soir. Ecoute, ? minuit, je t'attendrai... chez ma bonne nourrice... il faut que tu saches!...
--A minuit, donc, bien-aim?e...
--Et maintenant, va, pars... adieu... ? ce soir...
--Une derni?re ?treinte les unit. Un dernier baiser les fit frissonner. Puis Fran?ois de Montmorency s'?lan?a, disparut sous les fourr?s.
Une minute Jeanne de Piennes demeura ? la m?me place, ?mue, palpitante.
Enfin, avec un soupir, elle se retourna. Au m?me instant, elle devint tr?s p?le: quelqu'un ?tait devant elle--un homme d'une vingtaine d'ann?es, figure violente, oeil sombre, allure hautaine. Jeanne eut un cri d'?pouvant?:
--Vous, Henri! vous!
--Moi, Jeanne! Il para?t que je vous effraie! Par la mort-dieu, n'ai-je donc pas le droit de vous parler,... comme lui... comme mon fr?re!
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