Read Ebook: Le petit chose by Daudet Alphonse
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Ebook has 1742 lines and 82400 words, and 35 pages
Le dimanche, pour nous ?gayer un peu, nous allions nous promener en famille sur les quais du Rh?ne, avec des parapluies. Instinctivement nous nous dirigions toujours vers le Midi, du c?t? de Perrache. <
Au bout d'un mois, la vieille Annou tomba malade. Les brouillards la tuaient; on dut la renvoyer dans le Midi. Cette pauvre fille, qui aimait ma m?re ? la passion, ne pouvait pas se d?cider ? nous quitter. Elle suppliait qu'on la gard?t, promettant de ne pas mourir. Il fallut l'embarquer de force. Arriv?e dans le Midi, elle s'y maria de d?sespoir.
Annou partie, on ne prit pas de nouvelle bonne, ce qui me parut le comble de la mis?re.... La femme du concierge montait faire le gros ouvrage; ma m?re, au feu des fourneaux, calcinait ses belles mains blanches que j'aimais tant embrasser; quant aux provisions, c'est Jacques qui les faisait. On lui mettait un grand panier sous le bras, en lui disant: <
Pauvre Jacques! il n'?tait pas heureux, lui non plus. M. Eyssette, de le voir ?ternellement la larme ? l'oeil, avait fini par le prendre en grippe et l'abreuvait de taloches.... On entendait tout le jour: <
Un soir, au moment de se mettre ? table, on s'aper?oit qu'il n'y a plus une goutte d'eau dans la maison.
<
Et le voil? qui prend la cruche, une grosse cruche de gr?s.
M. Eyssette hausse les ?paules:
< --Tu entends, Jacques,--c'est Mme Eyssette qui parle avec sa voix tranquille,--tu entends, ne la casse pas, fais bien attention.>> M. Eyssette reprend: < Ici, la voix ?plor?e de Jacques: < --Je ne veux pas que tu la casses, je te dis que tu la casseras>>, r?pond M. Eyssette, et d'un ton qui n'admet pas de r?plique. Jacques ne r?plique pas; il prend la cruche d'une main fi?vreuse et sort brusquement avec l'air de dire: < Cinq minutes, dix minutes se passent; Jacques ne revient pas. Mme Eyssette commence ? se tourmenter: < --Parbleu! que veux-tu qu'il lui soit arriv?? dit M. Eyssette d'un ton bourru. Il a cass? la cruche et n'ose plus rentrer.>> Mais tout en disant cela--avec son air bourru, c'?tait le meilleur homme du monde--, il se l?ve et va ouvrir la porte pour voir un peu ce que Jacques ?tait devenu. Il n'a pas loin ? aller; Jacques est debout sur le palier, devant la porte, les mains vides, silencieux, p?trifi?. En voyant M. Eyssette, il p?lit, et d'une voix navrante et faible, oh! si faible: < Dans les archives de la maison Eyssette, nous appelons cela < Il y avait environ deux mois que nous ?tions ? Lyon, lorsque nos parents song?rent ? nos ?tudes. Mon p?re aurait bien voulu nous mettre au coll?ge, mais c'?tait trop cher. < Chacun de nous avait dans une petite armoire un fourniment complet d'eccl?siastique: une soutane noire avec une longue queue, une aube, un surplis ? grandes manches roides d'empois, des bas de soie noire, deux calottes, l'une en drap, l'autre en velours, des rabats bord?s de petites perles blanches, tout ce qu'il fallait. Il para?t que ce costume m'allait tr?s bien: < < --Et Jacques? dit ma m?re. --Oh! Jacques! je le garde avec moi; il me sera tr?s utile. D'ailleurs, je m'aper?ois qu'il a du go?t pour le commerce. Nous en ferons un n?gociant.>> De bonne foi, je ne sais comment, M. Eyssette avait pu s'apercevoir que Jacques avait du go?t pour le commerce. En ce temps-l?, le pauvre gar?on n'avait du go?t que pour les larmes, et si on l'avait consult?.... Mais on ne le consulta pas, ni moi non plus. Ce n'?tait pas seulement ma blouse qui me distinguait des autres enfants. Les autres avaient de beaux cartables en cuir jaune, des encriers de buis qui sentaient bon, des cahiers cartonn?s, des livres neufs avec beaucoup de notes dans le bas; moi, mes livres ?taient de vieux bouquins achet?s sur les quais, moisis, fan?s, sentant le rance; les couvertures ?taient toujours en lambeaux, quelquefois il manquait des pages. Jacques faisait bien de son mieux pour me les relier avec du gros carton et de la colle forte; mais il mettait toujours trop de colle, et cela puait. Il m'avait fait aussi un cartable avec une infinit? de poches, tr?s commode, mais toujours trop de colle. Le besoin de coller et de cartonner ?tait devenu chez Jacques une manie comme le besoin de pleurer. Il avait constamment devant le feu un tas de petits pots de colle et, d?s qu'il pouvait s'?chapper du magasin un moment, il collait, reliait, cartonnait. Le reste du temps, il portait des paquets en ville, ?crivait sous la dict?e, allait aux provisions--le commerce enfin. Quant ? moi, j'avais compris que lorsqu'on est boursier, qu'on porte une blouse, qu'on s'appelle < Brave petit Chose! Je le vois, en hiver, dans sa chambre sans feu, assis ? sa table de travail, les jambes envelopp?es d'une couverture. Au-dehors, le givre fouettait les vitres. Dans le magasin, on entendait M. Eyssette qui dictait. < Et la voix pleurarde de Jacques qui reprenait: < De temps en temps, la porte de la chambre s'ouvrait doucement: c'?tait Mme Eyssette qui entrait. Elle s'approchait du petit Chose sur la pointe des pieds: Chut!... < --Oui, m?re. --Tu n'as pas froid? --Oh! non!>> Le petit Chose mentait, il avait bien froid, au contraire. Alors, Mme Eyssette s'asseyait aupr?s de lui, avec son tricot, et restait l? de longues heures, comptant ses mailles ? voix basse, avec un gros soupir de temps en temps. Pauvre Mme Eyssette! Elle y pensait toujours ? ce cher pays qu'elle n'esp?rait plus revoir.... H?las! pour notre malheur, pour notre malheur ? tous, elle allait le revoir bient?t.... IL EST MORT! PRIEZ POUR LUI! C'?tait un lundi du mois de juillet. Ce jour-l?, en sortant du coll?ge, je m'?tais laiss? entra?ner ? faire une partie de barres, et lorsque je me d?cidai ? rentrer ? la maison, il ?tait beaucoup plus tard que je n'aurais voulu. De la place des Terreaux ? la rue Lanterne, je courus sans m'arr?ter, mes livres ? la ceinture, ma casquette entre les dents. Toutefois, comme j'avais une peur effroyable de mon p?re, je repris haleine une minute dans l'escalier, juste le temps d'inventer une histoire pour expliquer mon retard. Sur quoi, je sonnai bravement. Ce fut M. Eyssette lui-m?me qui vint m'ouvrir. < Moi qui m'attendais pour le moins ? une verte semonce, cet accueil me surprit. Ma premi?re id?e fut que nous avions le cur? de Saint-Nizier ? d?ner; je savais par exp?rience qu'on ne nous grondait jamais ces jours-l?. Mais en entrant dans la salle ? manger, je vis tout de suite que je m'?tais tromp?. Il n'y avait que deux couverts sur la table, celui de mon p?re et le mien. < M. Eyssette me r?pondit d'une voix douce qui ne lui ?tait pas habituelle:
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