bell notificationshomepageloginedit profileclubsdmBox

Read Ebook: Clotilde Martory by Malot Hector

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page

Ebook has 3273 lines and 117093 words, and 66 pages

CLOTILDE MARTORY

PAR HECTOR MALOT

L'?diteur,

CLOTILDE

MARTORY

Quand on a pass? six ann?es en Alg?rie ? courir apr?s les Arabes, les Kabyles et les Marocains, on ?prouve une v?ritable b?atitude ? se retrouver au milieu du monde civilis?.

C'est ce qui m'est arriv? en d?barquant ? Marseille. Parti de France en juin 1845, je revenais en juillet 1851. Il y avait donc six ann?es que j'?tais absent; et ces ann?es-l?, prises de vingt-trois ? vingt-neuf ans, peuvent, il me semble, compter double. Je ne mets pas en doute la l?gende des anachor?tes, mais je me figure que ces sages avaient d?pass? la trentaine, quand ils allaient chercher la solitude dans les d?serts de la Th?ba?de. S'il est un ?ge o? l'on ?prouve le besoin de s'ensevelir dans la continuelle admiration des oeuvres divines, il en est un aussi o? l'on pr?f?re les distractions du monde aux pratiques de la p?nitence. Je suis pr?cis?ment dans celui-l?.

A peine ? terre je courus ? la Cannebi?re. Il soufflait un mistral ? d?corner les boeufs, et des nuages de poussi?re passaient en tourbillons pour aller se perdre dans le vieux port. Je ne m'en assis pas moins devant un caf? et je restai plus de trois heures accoud? sur ma table, regardant, avec la joie du prisonnier ?chapp? de sa cage, le mouvement des passants qui d?filaient devant mes yeux ?merveill?s. Le va-et-vient des voitures tr?s-int?ressant; l'accent proven?al harmonieux et doux; les femmes, oh! toutes ravissantes; plus de visages voil?s; des pieds chauss?s de bottines souples, des mains finement gant?es, des chignons, c'?tait charmant.

Je ne connais pas de sentiment plus mis?rable que l'injustice, et j'aurais vraiment honte d'oublier ce que je dois ? l'Alg?rie; ma croix d'abord et mon grade de capitaine, puis l'exp?rience de la guerre avec les ?motions de la poursuite et de la bataille.

Si comme toi, cher ami, j'avais le culte de la science; si comme toi je m'?tais jur? de mener ? bonne fin la triangulation de l'Alg?rie; si comme toi j'avais parcouru pendant plusieurs ann?es l'Atlas dans l'esp?rance d'apercevoir les montagnes de l'Espagne, afin de reprendre et d'achever ainsi les travaux de Biot et d'Arago sur la mesure du m?ridien, sans doute je serais d?sol? d'abandonner l'Afrique.

Quand on a un pareil but il n'y a plus de solitude, plus de d?serts, on marche port? par son id?e et perdu en elle. Qu'importe que les villages qu'on traverse soient habit?s par des guenons ou par des nymphes, ce n'est ni des nymphes ni des guenons qu'on a souci. Est-ce que dans notre exp?dition de Sidi-Brahim tu avais d'autre pr?occupation que de savoir si l'atmosph?re serait assez pure pour te permettre de reconna?tre la sierra de Grenade? Et cependant je crois que nous n'avons jamais ?t? en plus s?rieux danger. Mais tu ne pensais ni au danger, ni ? la faim, ni ? la soif, ni au chaud; et quand nous nous demandions avec une certaine inqui?tude si nous reverrions jamais Oran, tu te demandais, toi, si la brume se dissiperait.

Malheureusement, tous les officiers de l'arm?e fran?aise, m?me ceux de l'?tat-major, n'ont pas cette passion de la science, et au risque de t'indigner j'avoue que j'ignore absolument les entra?nements et les d?lices de la triangulation; la mesure elle-m?me du m?ridien me laisse froid; et j'aurais pu, en restant deux jours de plus en Afrique, prolonger l'arc fran?ais jusqu'au grand d?sert que cela ne m'e?t pas retenu.

--Cela est inepte, vas-tu dire, grossier et stupide.

--Je ne m'en d?fends pas, mais que veux-tu, je suis ainsi.

--Qu'es-tu alors? une exception, un monstre?

--J'esp?re que non.

--Si la guerre ne te suffit pas, si la science ne t'occupe pas, que te faut-il?

--Peu de chose.

--Mais encore?

La r?ponse ? cet interrogatoire serait difficile ? risquer en t?te-?-t?te, et me causerait un certain embarras, peut-?tre m?me me ferait-elle rougir, mais la plume en main est comme le sabre, elle donne du courage aux timides.

--Je suis... je suis un animal sentimental.

Voil? le grand mot l?ch?, ? lui seul il explique pourquoi j'ai ?t? si heureux de quitter l'Afrique et de revenir en France.

De l?, il ne faut pas conclure que je vais me marier et que j'ai d?j? fait choix d'une femme, dont le portrait va suivre.

Ce serait aller beaucoup trop vite et beaucoup trop loin. Jusqu'? pr?sent, je n'ai pens? ni au mariage ni ? la paternit?, ni ? la famille, et ce n'est ni d'un enfant, ni d'un int?rieur que j'ai besoin pour me sentir vivre.

Le mariage, je n'en ai jamais eu souci; il en est de cette fatalit? comme de la mort, on y pense pour les autres et non pour soi; les autres doivent mourir, les autres doivent se marier, nous, jamais.

Les enfants n'ont ?t? jusqu'? ce jour, pour moi, que de jolies petites b?tes roses et blondes, surtout les petites filles, qui sont vraiment charmantes avec une robe blanche et une ceinture ?cossaise: ?a remplace sup?rieurement les kakato?s et les perruches.

Non, ce que je veux est beaucoup plus simple, ou tout au moins beaucoup plus primitif,--je veux aimer, et, si cela est possible, je veux ?tre aim?.

Je t'entends dire que pour cela je n'avais pas besoin de quitter l'Afrique et que l'amour est de tous les pays, mais par hasard il se trouve que cette v?rit?, peut-?tre g?n?rale, ne m'est pas applicable puisque je suis un animal sentimental. Or, pour les animaux de cette esp?ce, l'amour n'est point une simple sensation d'?piderme, c'est au contraire la grande affaire de leur vie, quelque chose comme la m?tamorphose que subissent certains insectes pour arriver ? leur complet d?veloppement.

J'ai pass? six ann?es en Alg?rie, et la femme qui pouvait m'inspirer un amour de ce genre, je ne l'ai point rencontr?e.

Sans doute, si je n'avais voulu demander ? une ma?tresse que de la beaut?, j'aurais pu, tout aussi bien que tant d'autres, trouver ce que je voulais. Mais, apr?s? Ces liaisons, qui n'ont pour but qu'un plaisir de quelques instants, ne ressemblent en rien ? l'amour que je d?sire.

Maintenant que me voici en France, serai-je plus heureux? Je l'esp?re et, ? vrai dire m?me, je le crois, car je ne me suis point fait un id?al de femme impossible ? r?aliser. Brune ou blonde, grande ou petite, peu m'importe, pourvu qu'elle me fasse battre le coeur.

Si ridicule que cela puisse para?tre, c'est l? en effet ce que je veux. Je conviens volontiers qu'un monsieur qui, en l'an de gr?ce 1851, dans un temps prosa?que comme le n?tre, demande ? ressentir <> est un personnage qui pr?te ? la plaisanterie.

Mais de cela je n'ai point souci. D'ailleurs, parmi ceux qui seraient les premiers ? rire de moi si je faisais une confession publique, combien en trouverait-on qui ne se seraient jamais laiss? entra?ner par les joies ou par les douleurs de la passion! Dieu merci, il y a encore des gens en ce monde qui pensent que le coeur est autre chose qu'un organe cono?de creux et musculaire.

Je suis de ceux-l?, et je veux que ce coeur qui me bat sous le sein gauche, ne me serve pas exclusivement ? pousser le sang rouge dans mes art?res et ? recevoir le sang noir que lui rapportent mes veines.

Mes d?sirs se r?aliseront-ils? Je n'en sais rien.

Mais il suffit que cela soit maintenant possible, pour que d?j? je me sente vivre.

Ce qui arrivera, nous le verrons. Peut-?tre rien. Peut-?tre quelque chose au contraire. Et j'ai comme un pressentiment que cela ne peut pas tarder beaucoup. Donc, ? bient?t.

Un voyage au pays du sentiment, pour toi cela doit ?tre un voyage extraordinaire et fantastique,--en tous cas il me semble que cela doit ?tre aussi curieux que la d?couverte du Nil blanc.

Le Nil, on conna?tra un jour son cours; mais la femme, conna?tra-t-on jamais sa marche? Saura-t-on d'o? elle vient, o? elle va?

En me donnant Marseille pour lieu de garnison, le hasard m'a envoy? en pays ami, et nulle part assur?ment je n'aurais pu trouver des relations plus faciles et plus agr?ables.

Mon p?re, en effet, a ?t? pr?fet des Bouches-du-Rh?ne pendant les derni?res ann?es de la Restauration, et il a laiss? ? Marseille, comme dans le d?partement, des souvenirs et des amiti?s qui sont toujours vivaces.

Pendant les premiers jours de mon arriv?e, chaque fois que j'avais ? me pr?senter ou ? donner mon nom, on m'arr?tait par cette interrogation:

--Est-ce que vous ?tes de la famille du comte de Saint-N?r?e qui a ?t? notre pr?fet?

Et quand je r?pondais que j'?tais le fils de ce comte de Saint-N?r?e, les mains se tendaient pour serrer la mienne.

--Quel galant homme!

--Et bon, et charmant.

--Quel homme de coeur!

Un v?ritable concert de louanges dans lequel tout le monde faisait sa partie, les grands et les petits.

Il est assez probable que mon p?re ne me laissera pas autre chose que cette r?putation, car s'il a toujours ?t? l'homme aimable et loyal que chacun prend plaisir ? se rappeler, il ne s'est jamais montr?, par contre, bien soigneux de ses propres affaires, mais j'aime mieux cette r?putation et ce nom honor? pour h?ritage que la plus belle fortune. Il y a vraiment plaisir ? ?tre le fils d'un honn?te homme, et je crois que dans les jours d'?preuves, ce doit ?tre une grande force qui soutient et pr?serve.

En attendant que ces jours arrivent, si toutefois la mauvaise chance veut qu'ils arrivent pour moi, le nom de mon p?re m'a ouvert les maisons les plus agr?ables de Marseille et m'a fait retrouver enfin ces relations et ces plaisirs du monde dont j'ai ?t? priv? pendant six ans. Depuis que je suis ici, chaque jour est pour moi un jour de f?te, et je connais d?j? presque toutes les villas du Prado, des Aygalades, de la Rose. Pendant la belle saison, les riches commer?ants n'habitent pas Marseille, ils viennent seulement en ville au milieu de la journ?e pour leurs affaires; et leurs matin?es et leurs soir?es ils les passent ? la campagne avec leur famille. Celui qui ne conna?trait de Marseille que Marseille, n'aurait qu'une id?e bien incompl?te des moeurs marseillaises. C'est dans les riches ch?teaux, les villas, les bastides de la banlieue qu'il faut voir le n?gociant et l'industriel; c'est dans le cabanon qu'il faut voir le boutiquier et l'ouvrier. J'ai visit? peu de cabanons, mais j'ai ?t? re?u dans les ch?teaux et les villas et v?ritablement j'ai ?t? plus d'une fois ?bloui du luxe de leur organisation. Ce luxe, il faut le dire, n'est pas toujours de tr?s-bon go?t, mais le go?t et l'harmonie n'est pas ce qu'on recherche.

Add to tbrJar First Page Next Page

 

Back to top