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Read Ebook: Clotilde Martory by Malot Hector

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Ebook has 3273 lines and 117093 words, and 66 pages

En attendant que ces jours arrivent, si toutefois la mauvaise chance veut qu'ils arrivent pour moi, le nom de mon p?re m'a ouvert les maisons les plus agr?ables de Marseille et m'a fait retrouver enfin ces relations et ces plaisirs du monde dont j'ai ?t? priv? pendant six ans. Depuis que je suis ici, chaque jour est pour moi un jour de f?te, et je connais d?j? presque toutes les villas du Prado, des Aygalades, de la Rose. Pendant la belle saison, les riches commer?ants n'habitent pas Marseille, ils viennent seulement en ville au milieu de la journ?e pour leurs affaires; et leurs matin?es et leurs soir?es ils les passent ? la campagne avec leur famille. Celui qui ne conna?trait de Marseille que Marseille, n'aurait qu'une id?e bien incompl?te des moeurs marseillaises. C'est dans les riches ch?teaux, les villas, les bastides de la banlieue qu'il faut voir le n?gociant et l'industriel; c'est dans le cabanon qu'il faut voir le boutiquier et l'ouvrier. J'ai visit? peu de cabanons, mais j'ai ?t? re?u dans les ch?teaux et les villas et v?ritablement j'ai ?t? plus d'une fois ?bloui du luxe de leur organisation. Ce luxe, il faut le dire, n'est pas toujours de tr?s-bon go?t, mais le go?t et l'harmonie n'est pas ce qu'on recherche.

On veut parler aux yeux avant tout et parler fort. N'a de valeur que ce qui co?te cher. Volontiers on prend l'?tranger par le bras, et avec une apparente bonhomie, d'un air qui veut ?tre simple, on le conduit devant un mur quelconque:--Voil? un mur qui n'a l'air de rien et cependant il m'a co?t? 14,000 francs; je n'ai ?conomis? sur rien. C'est comme pour ma villa, je n'ai employ? que les meilleurs ouvriers, je les payais 10 francs par jour; rien qu'en ciment ils m'ont d?pens? 42,000 francs. Aussi tout a ?t? soign? et autant que possible amen? ? la perfection. Ce parquet est en bois que j'ai fait venir par mes navires de Guatemala, de la c?te d'Afrique et des Indes; leur r?union produit une chose unique en son genre; tandis que le salon de mon voisin Salary chez qui vous d?niez la semaine derni?re lui co?te 2 ou 3,000 francs parce qu'il est en simple parqueterie de Suisse, le mien m'en co?te plus de 20,000.

Mais ce n'est pas pour te parler de l'ostentation marseillaise que je t'?cris; il y aurait vraiment cruaut? ? d?tailler le luxe et le confort de ces ch?teaux ? un pauvre gar?on comme toi vivant dans le d?sert et couchant souvent sur la terre nue; c'est pour te parler de moi et d'un fait qui pourrait bien avoir une influence d?cisive sur ma vie.

Retenu par le g?n?ral qui avait voulu que je vinsse avec lui, je n'arrivai que tr?s-tard. Le bal ?tait dans tout son ?clat, et le coup d'oeil ?tait splendide: la tente ?tait orn?e de fleurs et d'arbustes au feuillage tropical et elle ouvrait ses bas c?t?s sur la mer qu'on apercevait dans le lointain miroitant sous la lumi?re argent?e de la lune. C'?tait f?erique avec quelque chose d'oriental qui parlait ? l'imagination.

Mais je fus bien vite ramen? ? la r?alit? par l'oncle de la mari?e, M. B?darrides jeune, qui voulut bien me faire l'honneur de me prendre par le bras, pour me promener avec lui.

--Regardez, regardez, me dit-il, vous avez devant vous toute la fortune de Marseille, et si nous ?tions encore au temps o? les corsaires barbaresques faisaient des descentes sur nos c?tes, ils pourraient op?rer ici une razzia g?n?rale qui leur payerait facilement un milliard pour se racheter.

Je parvins ? me soustraire ? ces plaisanteries financi?res et j'allai me mettre dans un coin pour regarder la f?te ? mon gr?, sans avoir ? subir des r?flexions plus ou moins spirituelles.

Qui sait? Parmi ces femmes qui passaient devant mes yeux se trouvait peut-?tre celle que je devais aimer. Laquelle?

Cette id?e avait ? peine effleur? mon esprit, quand j'aper?us, ? quelques pas devant moi, une jeune fille d'une beaut? saisissante. Pr?s d'elle ?tait une femme de quarante ans, ? la physionomie et ? la toilette vulgaires. Ma premi?re pens?e fut que c'?tait sa m?re.

Mais ? les bien regarder toutes deux, cette supposition devenait improbable tant les contrastes entre elles ?taient prononc?s. La jeune fille, avec ses cheveux noirs, son teint mat, ses yeux profonds et velout?s, ses ?paules tombantes, ?tait la distinction m?me; la vieille femme, petite, repl?te et couperos?e, n'?tait rien qu'une vieille femme; la toilette de la jeune fille ?tait charmante de simplicit? et de bon go?t; celle de son chaperon ?tait ridicule dans le pr?tentieux et le cherch?.

Je restai assez longtemps ? la contempler, perdu dans une admiration ?mue; puis, je m'approchai d'elle pour l'inviter. Mais forc? de faire un d?tour, je fus pr?venu par un grand jeune homme lourdaud et timide, g?n? dans son habit , qui l'emmena ? l'autre bout de la chambre.

Je la suivis et la regardai danser. Si elle ?tait charmante au repos, dansant elle ?tait plus charmante encore. Sa taille ronde avait une souplesse d'une gr?ce f?line; elle e?t march? sur les eaux tant sa d?marche ?tait l?g?re.

Quelle ?tait cette jeune fille? Par malheur, je n'avais pr?s de moi personne qu'il me f?t possible d'interroger.

Lorsqu'elle revint ? sa place, je me h?tai de m'approcher et je l'invitai pour une valse, qu'elle m'accorda avec le plus d?licieux sourire que j'aie jamais vu.

Malheureusement, la valse est peu favorable ? la conversation; et d'ailleurs, lorsque je la tins contre moi, respirant son haleine, plongeant dans ses yeux, je ne pensai pas ? parler et me laissai emporter par l'ivresse de la danse.

Lorsque je la quittai apr?s l'avoir ramen?e, tout ce que je savais d'elle, c'?tait qu'elle n'?tait point de Marseille, et qu'elle avait ?t? amen?e ? cette soir?e par une cousine, chez laquelle elle ?tait venue passer quelques jours.

Ce n'?tait point assez pour ma curiosit? impatiente. Je voulus savoir qui elle ?tait, comment elle se nommait, quelle ?tait sa famille; et je me mis ? la recherche de Marius B?darrides, le fr?re de la mari?e, pour qu'il me renseign?t; puisque cette jeune fille ?tait invit?e chez lui, il devait la conna?tre.

Mais Marius B?darrides, peu sensible au plaisir de la danse, ?tait au jeu. Il me fallut le trouver; il me fallut ensuite le d?tacher de sa partie, ce qui fut long et difficile, car il avait la veine, et nous rev?nmes dans la tente juste au moment o? la jeune fille sortait.

--Je ne la connais pas, me dit B?darrides, mais la dame qu'elle accompagne est, il me semble, la femme d'un employ? de la mairie. C'est une invitation de mon beau-fr?re. Par lui nous en saurons plus demain; mais il vous faut attendre jusqu'? demain, car nous ne pouvons pas d?cemment, ce soir, aller interroger un jeune mari?; il a autre chose ? faire qu'? nous r?pondre. Vous lui parleriez de votre jeune fille, que, s'il vous r?pondait, il vous parlerait de ma soeur; ?a ferait un quiproquo impossible ? d?brouiller. Attendez donc ? demain soir; j'esp?re qu'il me sera possible de vous satisfaire; comptez sur moi.

Il fallut s'en tenir ? cela; c'?tait peu; mais enfin c'?tait quelque chose.

Je quittai le bal; je n'avais rien ? y faire, puisqu'elle n'?tait plus l?.

Je m'en revins ? pied ? Marseille, bien que la distance soit assez grande. J'avais besoin de marcher, de respirer. J'?touffais. La nuit ?tait splendide, douce et lumineuse, sans un souffle d'air qui fit r?sonner le feuillage des grands roseaux immobiles et raides sur le bord des canaux d'irrigation. De temps en temps, suivant les accidents du terrain et les ?chapp?es de vue, j'apercevais au loin la mer qui, comme un immense miroir argent?, r?fl?chissait la lune.

Je marchais vite; je m'arr?tais; je me remettais en route machinalement, sans trop savoir ce que je faisais. Je n'?tais pas cependant insensible ? ce qui se passait autour de moi, et en ?crivant ces lignes, il me semble respirer encore l'?pre parfum qui s'exhalait des pin?des que je traversais. Les ombres que les arbres projetaient sur la route blanche me paraissaient avoir quelque chose de fantastique qui me troublait; l'air qui m'enveloppait me semblait habit?, et des plantes, des arbres, des blocs de rochers sortaient des voix ?tranges qui me parlaient un langage myst?rieux. Une pomme de pin qui se d?tacha d'une branche et tomba sur le sol, me souleva comme si j'avais re?u une d?charge ?lectrique.

Que se passait-il donc en moi? Je t?chai de m'interroger. Est-ce que j'aimais cette jeune fille que je ne connaissais pas, et que je ne devais peut-?tre revoir jamais?

Quelle folie! c'?tait impossible.

Mais alors pourquoi cette inqui?tude vague, ce trouble, cette ?motion, cette chaleur; pourquoi cette sensibilit? nerveuse? Assur?ment, je n'?tais pas dans un ?tat normal.

Elle ?tait charmante, cela ?tait incontestable, ravissante, adorable. Mais ce n'?tait pas la premi?re femme adorable que je voyais sans l'avoir ador?e.

Et puis enfin on n'adore pas ainsi une femme pour l'avoir vue dix minutes et avoir fait quelques tours de valse avec elle. Ce serait absurde, ce serait monstrueux. On aime une femme pour les qualit?s, les s?ductions qui, les unes apr?s les autres, se r?v?lent en elle dans une fr?quentation plus ou moins longue. S'il en ?tait autrement, l'homme serait ? classer au m?me rang que l'animal; l'amour ne serait rien de plus que le d?sir.

Pendant assez longtemps, je me r?p?tai toutes ces v?rit?s pour me persuader que ma jeune fille m'avait seulement paru charmante, et que le sentiment qu'elle m'avait inspir? ?tait un simple sentiment d'admiration, sans rien de plus.

Mais quand on est de bonne foi avec soi-m?me, on ne se persuade pas par des v?rit?s de tradition; la conviction monte du coeur aux l?vres et ne descend pas des l?vres au coeur. Or, il y avait dans mon coeur un trouble, une chaleur, une ?motion, une joie qui ne me permettaient pas de me tromper.

Rom?o masqu? s'est introduit chez le vieux Capulet qui donne une f?te. Il a vu Juliette pendant dix minutes et il a ?chang? quelques paroles avec elle. Il part, car la f?te touchait ? sa fin lorsqu'il est entr?. Alors Juliette, s'adressant ? sa nourrice, lui dit: <>

Ils se sont ? peine vus et ils s'aiment, l'amour comme une flamme les a envahis tous deux en m?me temps et embras?s. Et Shakspeare humain et vrai ne disposait pas ses fictions, comme nos romanciers, pour le seul effet pittoresque. Quelle curieuse ressemblance entre cette situation qu'il a invent?e et la mienne! c'est aussi dans une f?te que nous nous sommes rencontr?s, et volontiers comme Juliette je dirais: <>

Ce nom, il me fallut l'attendre jusqu'au surlendemain, car Marius B?darrides ne se trouva point au rendez-vous arr?t? entre nous. Ce fut le soir du deuxi?me jour seulement que je le vis arriver chez moi. J'avais pass? toute la matin?e ? le chercher, mais inutilement.

Il voulut s'excuser de son retard; mais c'?tait bien de ses excuses que mon impatience exasp?r?e avait affaire.

--H? bien?

--Pardonnez-moi.

--Son nom, son nom.

--Je suis d?sol?.

--Son nom; ne l'avez-vous pas appris?

--Si, mais je ne vous le dirai, que si vous me pardonnez de vous avoir manqu? de parole hier.

--Je vous pardonne dix fois, cent fois, autant que vous voudrez.

--H? bien, cher ami, je ne veux pas vous faire languir: connaissez-vous le g?n?ral Martory?

--Non.

--Vous n'avez jamais entendu parler de Martory, qui a command? en Alg?rie pendant les premi?res ann?es de l'occupation fran?aise?

--Je connais le nom, mais je ne connais pas la personne.

--Votre princesse est la fille du g?n?ral; de son petit nom elle s'appelle Clotilde; elle demeure avec son p?re ? Cassis, un petit port ? cinq lieues d'ici, avant d'arriver ? la Ciotat. Elle est en ce moment ? Marseille, chez un parent, M. Lieutaud, employ? ? la mairie; M. Lieutaud avait ?t? invit? comme fonctionnaire, et mademoiselle Clotilde Martory a accompagn? sa cousine. J'esp?re que voil? des renseignements pr?cis; maintenant, cher ami, si vous en voulez d'autres, interrogez, je suis ? votre disposition; je connais le g?n?ral, je puis vous dire sur son compte tout ce que je sais. Et comme c'est un personnage assez original, cela vous amusera peut-?tre.

Marius B?darrides, qui est un excellent gar?on, serviable et d?vou?, a un d?faut ordinairement assez fatigant pour ses amis; il est bavard et il passe son temps ? faire des cancans; il faut qu'il sache ce que font les gens les plus insignifiants, et aussit?t qu'il l'a appris, il va partout le racontant; mais dans les circonstances o? je me trouvais, ce d?faut devenait pour moi une qualit? et une bonne fortune. Je n'eus qu'? lui l?cher la bride, il partit au galop.

--Le g?n?ral Martory est un soldat de fortune, un fils de paysans qui s'est engag? ? dix-sept ou dix-huit ans; il a fait toutes les guerres de la premi?re R?publique.

--Comment cela? Mademoiselle Clotilde n'est donc que sa petite-fille?

--C'est sa fille, sa propre fille; et en y r?fl?chissant, vous verrez tout de suite qu'il n'y a rien d'impossible ? cela. N? vers 1775 ou 76, le g?n?ral a aujourd'hui soixante-quinze ou soixante-seize ans; il s'est mari? tard, pendant les premi?res ann?es du r?gne de Louis-Philippe, avec une jeune femme de Cassis pr?cis?ment, une demoiselle Lieutaud, et de ce mariage est n?e mademoiselle Clotilde Martory, qui doit avoir aujourd'hui ? peu pr?s dix-huit ans. Quand elle est venue au monde, son p?re avait donc cinquante-huit ou cinquante-neuf ans; ce n'est pas un ?ge o? il est interdit d'avoir des enfants, il me semble.

--Assur?ment non.

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