Read Ebook: Gabriel by Sand George
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Ebook has 1712 lines and 37522 words, and 35 pages
LE PRINCE. Sans doute... cela est bon. Vous le pr?parerez par un entretien, ainsi que nous en sommes convenus.
LE PR?CEPTEUR. Monseigneur, j'entends le galop d'un cheval... C'est lui. Si vous voulez le voir par cette fen?tre... il approche.
LE PRINCE. La poussi?re qu'il soul?ve me d?robe ses traits... Cette belle chevelure, cette taille ?l?gante... Oui, ce doit ?tre un joli cavalier... bien pos? sur son cheval; de la gr?ce, de l'adresse, de la force m?me... Eh bien! va-t-il donc sauter la barri?re, ce jeune fou?
LE PR?CEPTEUR. Toujours, monseigneur.
LE PRINCE. Bravissimo! Je n'aurais pas fait mieux ? vingt-cinq ans. L'abb?, si le reste de l'?ducation a aussi bien r?ussi, je vous en fais mon compliment et je vous en r?compenserai de mani?re ? vous satisfaire, soyez-en certain. Maintenant j'entre dans l'appartement que vous m'avez destin?. Derri?re cette cloison, j'entendrai votre entretien avec lui. J'ai besoin d'?tre pr?par? moi-m?me ? le voir, de le conna?tre un peu avant de m'adresser ? lui. Je suis ?mu, je ne vous le cache pas, monsieur l'abb?. Ceci est une circonstance grave dans ma vie et dans celle de cet enfant. Tout va ?tre d?cid? dans un instant. De sa premi?re impression d?pend l'honneur de toute une famille. L'honneur! mot vile et tout-puissant!...
LE PR?CEPTEUR. La victoire vous restera comme toujours, monseigneur. Son ?me romanesque, dont je n'ai pu fa?onner absolument ? votre guise tous les instincts, se r?voltera peut-?tre au premier choc; mais l'horreur de l'esclavage, la soif d'ind?pendance, d'agitation et de gloire triompheront de tous les scrupules.
LE PRINCE. Puissiez-vous deviner juste! Je l'entends... son pas est d?lib?r?!... J'entre ici... Je vous donne une heure... plus ou moins, selon....
LE PR?CEPTEUR. Monseigneur, vous entendrez tout. Quand vous voudrez qu'il paraisse devant vous, laissez tomber un meuble; je comprendrai.
LE PR?CEPTEUR, GABRIEL.
GABRIEL. Ouf! je n'en puis plus.
LE PR?CEPTEUR. Vous ?tes p?le, en effet, monsieur. Auriez-vous ?prouv? quelque accident?
GABRIEL. Non, mais mon cheval a failli me renverser. Trois fois il s'est d?rob? au milieu de la course. C'est une chose ?trange et qui ne m'est pas encore arriv?e depuis que je le monte. Mon ?cuyer dit que c'est d'un mauvais pr?sage. A mon sens, cela pr?sage que mon cheval devient ombrageux.
LE PR?CEPTEUR. Vous semblez ?mu... Vous dites que vous avez failli ?tre renvers??
GABRIEL. Oui, en v?rit?. J'ai failli l'?tre ? la troisi?me fois, et ? ce moment j'ai ?t? effray?.
LE PR?CEPTEUR. Effray?? vous, si bon cavalier?
GABRIEL. Eh bien, j'ai eu peur, si vous l'aimez mieux.
LE PR?CEPTEUR. Parlez moins haut, monsieur, l'on pourrait vous entendre.
GABRIEL. Eh! que m'importe? Ai-je coutume d'observer mes paroles et de d?guiser ma pens?e? Quelle honte y a-t-il?
LE PR?CEPTEUR. Un homme ne doit jamais avoir peur.
GABRIEL Autant voudrait dire, mon cher abb?, qu'un homme ne doit jamais avoir froid, ou ne doit jamais ?tre malade. Je crois seulement qu'un homme ne doit jamais laisser voir ? son ennemi qu'il a peur.
LE PR?CEPTEUR. Il y a dans l'homme une disposition naturelle ? affronter le danger, et c'est ce qui le distingue de la femme tr?s-particuli?rement.
GABRIEL. La femme! la femme, je ne sais ? quel propos vous me parlez toujours de la femme. Quant ? moi, je ne sens pas que mon ?me ait un sexe, comme vous t?chez souvent de me le d?montrer. Je ne sens en moi une facult? absolue pour quoi que ce soit: par exemple, je ne me sens pas brave d'une mani?re absolue, ni poltron non plus d'une mani?re absolue. Il y a des jours o? sous l'ardent soleil de midi, quand mon front est en feu, quand mon cheval est enivr?, comme moi, de la course, je franchirais, seulement pour me divertir, les plus affreux pr?cipices de nos montagnes. Il est des soirs o? le bruit d'une crois?e agit?e par la brise me fait frissonner, et o? je ne passerais pas sans lumi?re le seuil de la chapelle pour toutes les gloires du monde. Croyez-moi nous sommes tous sous l'impression du moment, et l'homme qui se vanterait devant moi de n'avoir jamais eu peur me semblerait un grand fanfaron, de m?me qu'une femme pourrait dire devant moi qu'elle a des jours de courage sans que j'en fusse ?tonn?. Quand je n'?tais encore qu'un enfant, je m'exposais souvent au danger plus volontiers qu'aujourd'hui: c'est que je n'avais pas conscience du danger.
LE PR?CEPTEUR. Mon cher Gabriel, vous ?tes tr?s-ergoteur aujourd'hui... Mais laissons cela. J'ai ? vous entretenir....
GABRIEL. Non, non! je veux achever mon ergotage et vous prendre par vos propres arguments... Je sais bien pourquoi vous voulez d?tourner la conversation....
LE PR?CEPTEUR. Je ne vous comprends pas.
GABRIEL. Oui-da! vous souvenez-vous de ce ruisseau que vous ne vouliez pas passer parce que le pont de branches entrelac?es ne tenait presque plus ? rien? et moi j'?tais au milieu, pourtant! Vous ne voul?tes pas quitter la rive, et ? votre pri?re je revins sur mes pas. Vous aviez donc peur?
LE PR?CEPTEUR. Je ne me rappelle pas cela.
GABRIEL. Oh! que si!
LE PR?CEPTEUR. J'avais peur pour vous, sans doute.
GABRIEL. Non, puisque j'?tais d?j? ? moiti? pass?. Il y avait autant de danger pour moi ? revenir qu'? continuer.
LE PR?CEPTEUR. Et vous en voulez conclure....
GABRIEL. Que, puisque moi, enfant de dix ans, n'ayant pas conscience du danger, j'?tais plus t?m?raire que vous, homme sage et pr?voyant, il en r?sulte que la bravoure absolue n'est pas le partage exclusif de l'homme, mais plut?t celui de l'enfant, et, qui sait? peut-?tre aussi celui de la femme.
LE PR?CEPTEUR. O? avez-vous pris toutes ces id?es? Jamais je ne vous ai vu si raisonneur.
GABRIEL. Oh! bien, oui! je ne vous dis pas tout ce qui me passe par la t?te.
GABRIEL. Bah! je ne sais quoi! Je me sens aujourd'hui dans une disposition singuli?re. J'ai envie de me moquer de tout.
LE PR?CEPTEUR. Et qui vous a mis ainsi en gaiet??
GABRIEL. Au contraire, je suis triste! Tenez, j'ai fait un r?ve bizarre qui m'a pr?occup? et comme poursuivi tout le jour.
LE PR?CEPTEUR. Quel enfantillage! et ce r?ve...
GABRIEL. J'ai r?v? que j'?tais femme.
LE PR?CEPTEUR. En v?rit?, cela est ?trange... Et d'o? vous est venue cette imagination?
GABRIEL. D'o? viennent les r?ves? Ce serait ? vous de me l'expliquer, mon cher professeur.
LE PR?CEPTEUR. Et ce r?ve vous ?tait sans doute d?sagr?able?
GABRIEL. Pas le moins du monde; car, dans mon r?ve, je n'?tais pas un habitant de cette terre. J'avais des ailes, et je m'?levais ? travers les mondes, vers je ne sais quel monde id?al. Des voix sublimes chantaient autour de moi; je ne voyais personne; mais des nuages l?gers et brillants, qui passaient dans l'?ther, refl?taient ma figure, et j'?tais une jeune fille v?tue d'une longue robe flottante et couronn?e de fleurs.
LE PR?CEPTEUR. Alors vous ?tiez un ange, et non pas une femme.
GABRIEL. J'?tais une femme; car tout ? coup mes ailes se sont engourdies, l'?ther s'est ferm? sur ma t?te, comme une vo?te de cristal imp?n?trable, et je suis tomb?, tomb?... et j'avais au cou une lourde cha?ne dont le poids m'entra?nait vers l'ab?me; et alors je me suis ?veill?, accabl? de tristesse, de lassitude et d'effroi... Tenez, n'en parlons plus. Qu'avez-vous ? m'enseigner aujourd'hui?
LE PR?CEPTEUR. J'ai une conversation s?rieuse ? vous demander, une importante nouvelle ? vous apprendre, et je r?clamerai toute votre attention.
GABRIEL. Une nouvelle! ce sera donc la premi?re de ma vie, car j'entends dire les m?mes choses depuis que j'existe. Est-ce une lettre de mon grand-p?re?
LE PR?CEPTEUR. Mieux que cela.
GABRIEL. Un pr?sent? Peu m'importe. Je ne suis plus un enfant pour me r?jouir d'une nouvelle arme ou d'un nouvel habit. Je ne con?ois pas que mon grand-p?re ne songe ? moi que pour s'occuper de ma toilette ou de mes plaisirs.
LE PR?CEPTEUR. Vous aimez pourtant la parure, un peu trop m?me.
GABRIEL. C'est vrai; mais je voudrais que mon grand-p?re me consid?r?t comme un jeune homme, et m'admit ? l'honneur insigne de faire sa connaissance.
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