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Read Ebook: Conscience by Malot Hector

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Ebook has 2851 lines and 96768 words, and 58 pages

--La pluie va reprendre, r?pondit Glady en regardant le ciel tout charg? de gros nuages noirs qui passaient sur la face de la lune, balay?s par le vent.

--Je ne crois pas.

Il ?tait ?vident que Glady ne demandait qu'? prendre une voiture; mais, comme il n'en passait pas en ce moment, il fallut bien qu'il march?t ? c?t? de Saniel.

--Savez-vous, dit-il, que vous avez bless? Brigard?

--Sinc?rement, je le regrette; mais la salle de notre ami Crozat n'est pas encore tout ? fait une ?glise, et je n'imaginais pas que la discussion y f?t d?fendue.

--Nier n'est pas discuter.

--Vous me dites cela comme si vous ?tiez f?ch? contre moi.

--N'allez pas le croire; je suis f?ch? que vous ayez bless? Brigard, cela et rien de plus!

--C'est d?j? trop, car j'ai pour vous une sinc?re estime et, si vous me permettez de le dire, une r?elle amiti?.

Mais Glady ne paraissait pas d?sirer que la conversation prit cette tournure.

--Je crois que voici une voiture vide, dit-il en apercevant un fiacre qui venait sur eux.

--Non, r?pondit Saniel, je vois la lueur d'un cigare derri?re la vitre.

Glady eut un geste d'impatience auquel il ne s'abandonna pas, mais que Saniel, qui l'observait, devait d'autant mieux remarquer qu'il le guettait.

Riche et fr?quentant les besoigneux, Glady vivait dans la crainte des emprunteurs. Il suffisait qu'on par?t vouloir l'entretenir en particulier pour qu'il cr?t aussit?t qu'on allait lui demander cinquante louis ou vingt francs, si bien que tout ami ou tout camarade ?tait un ennemi contre qui il devait d?fendre sa bourse. Dans une r?union, s'il sentait que des regards le cherchaient, aussit?t il entrait en d?fiance. Dans la rue, si l'on se dirigeait vers lui, tout de suite il se mettait sur ses gardes. On lui souriait: il avait peur, et plus grande peur encore quand on lui tendait la main, ne sachant jamais si c'?tait pour serrer la sienne ou pour qu'il m?t quelque chose dedans. Et, pour n'y rien mettre, il ?tait aux aguets comme si on allait lui sauter dessus, l'oeil ouvert, l'oreille tendue, les deux mains sur ses poches. De l?, son attitude avec Saniel, en qui il flairait une demande d'argent, et sa tentative pour y ?chapper en prenant une voiture. Le guignon voulait qu'il n'en trouv?t point, il t?cha de se d?fendre autrement:

--Ne soyez pas surpris, dit-il avec volubilit?, en homme qui parle pour qu'on ne puisse pas placer un mot, que j'aie ?t? pein? de voir Brigard prendre ? coeur une sortie qui, ?videmment, n'?tait pas dirig?e contre lui.

--Ni contre lui, ni contre ses id?es.

--Je le reconnais; vous n'avez pas ? vous d?fendre; mais j'ai tant d'amiti?, tant d'estime, tant de respect pour Brigard que tout ce qui le touche retentit en moi. Et comment en serait-il autrement, quand on sait ce qu'il vaut et quel homme il est? N'est-elle pas admirable, cette vie de m?diocrit? qu'il s'est faite volontairement, pour assurer sa libert?? Quel plus bel exemple!

--Tout le monde ne peut pas le suivre.

--Vous croyez qu'on ne peut pas se contenter de dix francs par jour.

--Je veux dire que tout le monde n'a pas la chance de gagner dix francs par jour.

Les craintes vagues de Glady, qui ne reposaient que sur un pressentiment, se pr?cis?rent par ce mot. Apr?s avoir descendu la rue F?rou, ils ?taient arriv?s ? la place Saint-Sulpice.

--Je pense que je vais enfin trouver une voiture, dit-il pr?cipitamment.

Mais cette esp?rance ne se r?alisa pas: il n'y avait pas une seule voiture ? la station; du coup, l'impatience s'accentua; il ?tait pris et forc? de subir l'assaut de Saniel sans pouvoir se d?rober.

Ce fut ce que Saniel formula:

--Vous voil? oblig? de faire route avec moi, et, franchement, je m'en r?jouis, car j'ai ? vous entretenir d'une affaire... s?rieuse... dont d?pend mon avenir.

--Nous sommes bien mal ici pour causer s?rieusement.

--Je ne trouve pas.

--Nous pourrions prendre un rendez-vous.

--A quoi bon, puisque le hasard nous le donne?

Il fallait se r?signer et mettre au moins, en attendant, de la bonne gr?ce dans les formes.

--Je suis tout ? vous, dit-il, d'un ton gracieux qui contrastait avec ses premi?res r?sistances.

Saniel, si pressant quelques instants auparavant, resta un moment silencieux, marchant ? c?t? de Glady, qui regardait le bitume brillant; enfin, il se d?cida:

--Je vous ai dit que de l'affaire dont je d?sirais vous entretenir d?pendait mon avenir; la voici en un mot: si je ne trouve pas ? me procurer 3,000 francs avant deux jours, je suis oblig? de quitter Paris, de renoncer ? mes ?tudes, ? mes travaux en train, pour aller m'enfouir dans mon pays natal et devenir m?decin de campagne.

Glady ne broncha pas; car, s'il n'avait pas pr?vu le chiffre, il attendait la demande: il continua de regarder le bout de ses pieds.

--Vous savez, continua Saniel, que je suis fils de paysans: mon p?re ?tait mar?chal, tout petit mar?chal dans un pauvre village de l'Auvergne. A l'?cole je fis preuve d'une certaine aptitude pour le travail que mes camarades n'avaient pas au m?me degr?. Notre cur? me prit en affection et voulut m'apprendre ce qu'il savait, ce qui ne fut pas bien long. Alors il me fit entrer au petit s?minaire. Mais je n'avais pas la docilit? d'esprit et la soumission de caract?re qu'il faut pour cette ?ducation, et apr?s quelques ann?es de tiraillements, si on ne me renvoya pas, on me fit comprendre qu'on serait bien aise de me voir partir. J'entrai alors comme ma?tre d'?tude dans une petite pension, sans appointements, bien entendu, pour la nourriture et le logement. Je passai de bons examens, et je pr?parais ma licence quand, ? la suite d'une discussion, je quittai cette pension. J'avais gagn? quelque argent ? donner des le?ons particuli?res et je me trouvais ? la t?te d'environ quatre-vingts francs. Je partis pour Paris, o? j'arrivai, un matin de juin, ? cinq heures, sans y conna?tre personne. J'avais une petite caisse, avec quelques chemises dedans, qui m'obligeait ? prendre une voiture. Je dis au cocher de me conduire ? un h?tel du quartier Latin. Quel h?tel? dit le cocher. Cela m'est ?gal.--Voulez-vous l'h?tel Racine? Va--pour l'h?tel Racine: le nom me pla?t. Nous roulions depuis assez longtemps quand le cocher arr?ta son cheval et voulut revenir en arri?re. Qu'est-ce qu'il y a? J'ai d?pass? l'h?tel Racine.--Continuez. Je ne tiens pas plus ? l'h?tel Racine qu'? un autre.--Voulez-vous l'h?tel du S?nat?--Le nom me va mieux encore; c'est peut-?tre un pr?sage.>> Il me conduisit ? l'h?tel du S?nat, o? avec ce qui me restait de mes quatre-vingts francs, je payai un mois d'avance. J'y suis rest? huit ans.

--C'est dr?le.

--Que faire? Je connaissais le latin et le grec aussi bien qu'homme en France, mais pour le reste j'?tais ignorant comme un cuistre. Le matin m?me, je cherchai ? tirer parti de ce que je savais, et m'en allai chez un ?diteur de livres classiques dont j'avais entendu parler par mon professeur de litt?rature grecque. Apr?s m'avoir interrog?, il me donna ? pr?parer un Pindare avec des notes en latin et m'avan?a trente francs qui me firent vivre un mois. Ce qui m'avait amen? ? Paris, c'?tait l'envie de travailler, mais sans que je me fusse dit ? l'avance ? quoi je travaillerais; j'allai partout o? des cours ?taient ouverts: ? la Sorbonne, au Coll?ge de France, ? l'?cole de droit, ? l'?cole de m?decine, et ce ne fut qu'apr?s un mois que je me d?cidai: les subtilit?s du droit m'avaient d?plu; au contraire, l'enseignement de la m?decine reposant sur l'observation des faits m'attirait: je serais m?decin.

--Tout ? fait un mariage de raison, allez.

--Non, un mariage d'amour; car la raison, si je l'avais consult?e, m'aurait dit qu'?pouser la m?decine quand on n'a rien, ni famille pour vous soutenir, ni relations pour vous pousser, c'est se condamner ? une vie d'?preuves, de luttes et de mis?re, dans laquelle les mieux tremp?s laissent lambeau apr?s lambeau la sant? physique aussi bien que la sant? morale, leur force comme leur dignit?. Mon temps d'?tudes fut heureux; je travaillais; et avec quelques le?ons de latin que je donnais j'avais de quoi manger. Quand je touchai comme interne six cents francs, huit cents francs, neuf cents francs, je crus que c'?tait la fortune, et je serais rest? interne toute la vie si j'avais pu. Re?u docteur, je dus quitter l'h?pital. Riche de quelques milliers de francs, j'aurais suivi rigoureusement la voie que mon ambition avait r?v?e, celle des concours. Mais je n'avais pas un sou pour attendre. En soignant la ma?tresse d'un de mes camarades, j'avais connu un tapissier qui me proposa de meubler un appartement que je payerais plus tard....

--Comme pour une cocotte.

--C'?tait de la bravoure.

--Je ne savais pas que dans Paris tout se fait par relations, et j'imaginais que des bras solides suffisent ? un homme intelligent pour s'ouvrir une trou?e. L'exp?rience allait m'instruire. Quand un nouveau m?decin arrive quelque part, ce n'est g?n?ralement pas avec sympathie que ses confr?res l'accueillent: <> On le surveille, et, au premier malade qu'il perd, on tire parti de son ignorance ou de son imprudence, de fa?on ? lui rendre la place difficile. Chez les pharmaciens de mon quartier, auxquels je devais aussi une visite, la r?ception ne fut pas plus chaude; on me fit sentir la distance qui s?pare un honorable commer?ant d'un cr?ve-la-faim, et je dus comprendre qu'on ne me prot?gerait que si j'ordonnais les sp?cialit?s qu'on exploitait, le fer de celui-ci, le goudron de celui-l?. En commen?ant, je n'eus donc pour clients que les gens du quartier, dont le principe ?tait de ne pas payer leur m?decin, attendant l'arriv?e d'un nouveau pour quitter l'ancien,--et l'esp?ce en est nombreuse partout. Le hasard avait voulu que mon concierge f?t Auvergnat comme moi, et il consid?ra que c'?tait un devoir pour lui de me faire soigner gratis tous nos pays, qu'il racola dans le quartier et partout, de sorte que j'eus la satisfaction patriotique de voir tous les charbonniers de l'Auvergne se carrer dans mes beaux fauteuils. A la fin, en restant religieusement chez moi les dimanches d'?t?, pendant que mes confr?res ?taient aux champs; en me levant vivement la nuit toutes les fois que ma sonnette tintait, je finis par accrocher quelques clients moins fantaisistes. J'obtins un prix ? l'Acad?mie. En m?me temps je faisais, au rabais, des cours d'anatomie dans les pensions de la banlieue; je donnais des le?ons, j'entreprenais tous les travaux anonymes de librairie et de journalisme que je pouvais me procurer. Je dormais cinq heures par jour, et en quatre ans j'arrivais ? diminuer ma dette de sept mille francs. Mon tapissier aurait voulu ?tre pay?: j'en serais venu ? bout, mais telle n'?tait pas son intention: ce qu'il veut, c'est reprendre ses meubles, qui ne sont pas us?s, et garder ce qu'il a re?u. Si je ne paye pas ces trois mille francs d'ici quelques jours, je suis dans la rue. A la v?rit?, j'ai ? toucher un millier de francs, mais les clients qui me doivent ne sont pas ? Paris ou ne payeront qu'en janvier. Voil? ma situation: d?sesp?r?e, car je n'ai personne ? qui m'adresser; ceux ? qui j'ai fait appel ne m'ont pas ?cout?; je vous ai dit que je n'avais pas de relations, je n'ai pas non plus d'amis... peut-?tre parce que je ne suis pas aimable. C'est alors que j'ai pens? ? vous. Vous me connaissez. Vous savez qu'on croit que j'ai de l'avenir: avant trois mois, je serai m?decin des h?pitaux; mes concurrents admettent que je ne raterai pas l'agr?gation; j'ai en train des exp?riences qui me feront peut-?tre un nom; voulez-vous me tendre la main?

Glady la lui tendit.

--Je vous remercie de vous ?tre adress? ? moi, c'est une preuve de confiance qui me touche,--il serra chaleureusement la main qu'il avait prise;--je vois que vous avez devin? les sentiments d'estime que vous m'inspirez.

Saniel respira.

--Malheureusement, continua Glady, je ne pourrais faire ce que vous d?sirez qu'en me mettant en contradiction avec ma ligne de conduite. En entrant dans la vie, j'ai oblig? tous ceux qui s'adressaient ? moi, et, quand je n'ai pas perdu mes amis, j'ai perdu mon argent. Je me suis donc jur? de refuser tout pr?t. C'est un serment auquel je ne puis manquer. Que diraient mes vieux amis s'ils apprenaient que j'ai fait pour un jeune ce que je leur ai refus??

--Qui le saurait?

--Ma conscience.

Ils arrivaient sur le quai Voltaire, o? stationnaient des fiacres.

--Voici enfin des voitures, dit Glady, pardonnez-moi de vous quitter, je suis press?.

Glady ?tait mont? si vivement en voiture, que Saniel restait sur le trottoir, interloqu?; ce fut seulement quand la porti?re se referma qu'il comprit:

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