Read Ebook: Zézette : moeurs foraines by M T Nier Oscar
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Ebook has 4016 lines and 105766 words, and 81 pages
Z?ZETTE MOEURS FORAINES
PAR OSCAR M?T?NIER
PARIS BIBLIOTH?QUE-CHARPENTIER 11, RUE DE GRENELLE, 11
Debout sur la parade, Chausserouge fit un signe et l'orchestre attaqua les premi?res mesures d'une marche.
Puis, tandis que pistons et trombones s'?vertuaient, il jeta un coup d'oeil autour de lui.
A ses pieds, un cormoran d?plum? faisait claquer son bec, tandis que, perch? au sommet d'une ?chelle, un singe encha?n? promenait sur les rares passants un regard r?sign?.
Une peau de lion et une peau d'ours, se faisant face, tapissaient le r?duit ouvert qui donnait acc?s dans la m?nagerie. Au fond, un troph?e de cornes gigantesques entourait une t?te de bison.
Soudain, Chausserouge remarqua que le contr?le ?tait vide. Il courut ? l'entr?e des premi?res, souleva une porti?re effiloch?e, et de sa grosse voix brutale:
--Z?zette, cria-t-il, ah ?a! vas-tu venir, mauvaise gamine!
--Oui, papa! mais c'est Anatole qui ne veut pas me suivre...
--Eh bien! tape dessus!
Et presqu'aussit?t apparut une petite fille de douze ans environ, dont les yeux et les cheveux noirs faisaient encore ressortir la p?leur, tra?nant derri?re elle, comme un chien, un jeune lionceau.
--Donne-moi ?a! fit l'homme en arrachant brusquement la laisse des mains de l'enfant, colle-toi ? ton comptoir et fais-moi le plaisir de ne plus en bouger.
Puis comme l'animal r?sistait, cherchant avec ses pattes de devant ? se d?barrasser du collier qui lui serrait la gorge, il lui allongea un coup de pied qui l'amena au bord du plancher.
--Avance donc, sale b?te!
Le lionceau fit entendre une sorte de miaulement plaintif et vint se tapir au pied du piquet autour duquel Chausserouge enroula la laisse.
L'orchestre se tut; le dompteur fit, une minute durant, r?sonner, un gong retentissant; puis, tandis que le bonisseur achevait son invariable discours, il vint se camper, face au public, le jarret tendu, les bras crois?s sur son dolman bleu-ciel ? brandebourgs noirs.
Mais, ni cette mise en sc?ne, ni les all?chantes promesses du boniment, ne parvenaient ? fixer l'attention des rares passants qui sillonnaient encore le cours de Vincennes.
Il ?tait dix heures du soir, et bien que la f?te battit son plein, qu'on f?t encore dans la semaine de P?ques, jamais peut-?tre, de m?moire de <
En vain, de la place du Tr?ne ? la barri?re, les orchestres faisaient rage; en vain les bateleurs d?ployaient toutes les ressources de leur esprit, le public passait indiff?rent, accordant ? peine un regard aux parades, un sourire aux lazzis des pitres.
Depuis le matin, une chaleur lourde, accablante, avait fait regretter la bise de la veille. Maintenant les nuages noirs amoncel?s ? l'horizon se rapprochaient; un petit vent, pr?curseur de l'orage, faisait bruisser les feuilles des arbres et voltiger l'?toffe des drapeaux.
--Allons! messieurs, mesdames! glapissait le bonisseur, prenez vos places! Entrez! Pour la derni?re repr?sentation de la soir?e, c'est ? cinquante centimes les premi?res, vingt-cinq centimes les secondes! Travail dans toutes les cages par le c?l?bre dompteur Chausserouge! Et la s?ance sera termin?e par le repas des animaux! Entrez! Entrez!
Mais personne ne r?pondait ? cet appel. Les projections ?lectriques des baraques voisines n'illuminaient que le vide; les animaux, ?nerv?s par l'atmosph?re pesante, se promenaient inquiets dans leurs cages poussant des rugissements sourds, quand tout ? coup de larges gouttes de pluie mouchet?rent les marches de bois de la m?nagerie.
--V'l? d'la lance! dit le bonisseur. Rien de fait pour ce soir... Allons, rentre, Gustave!
Et il poussa devant lui le cormoran, qui, sentant la fra?cheur de la pluie, lissait avec son bec les plumes de ses ailes.
--Bon Dieu! fit le dompteur en montrant le poing au ciel, quel gueux de temps!
Et d'un geste col?re, il rabattit l'auvent qui fermait la m?nagerie.
Soudain l'horizon se d?chira; un formidable coup de tonnerre retentit et l'orage creva.
Comme par enchantement, le silence s'?tait fait dans toute la foire; les lumi?res s'?taient ?teintes. Les animaux nerveux tout ? l'heure s'?taient calm?s.
On n'entendit plus pendant un instant que le cr?pitement continu de l'eau sur les b?ches de toile.
--C'est ce matin qu'il nous aurait fallu cela, dit Chausserouge, bourru; au moins ce soir, avec de la fra?cheur, on aurait du monde. Allons, la m?me, compte la recette.
Z?zette vida son tiroir sur le contr?le et aligna les pi?ces.
--Quatre-vingt-dix-huit francs cinquante! La recette d'une journ?e pour donner ? bouffer ? cinquante-trois pensionnaires, hommes et b?tes! Allez vous aligner avec ?a! Ah! chien de m?tier! A la paye, vous autres!
Un ? un, les musiciens de l'orchestre s'avanc?rent. Il remit ? chacun d'eux le prix de leur journ?e, puis, comme la pluie semblait tomber avec moins d'abondance, les quatre hommes sortirent de la baraque apr?s, avoir souhait? le bonsoir au patron.
--Comme on aurait envie, dans des moments comme ?a, de foutre la clef sous la porte et de filer n'importe o?! r?p?tait le dompteur d?courag?. Enfin! heureusement qu'on a encore de la viande pour aujourd'hui. Je vas aller servir les b?tes... pour leur enlever l'id?e de se payer sur ma peau demain matin.
--Alors, je peux disposer? demanda le bonisseur.
--Dam! puisqu'y a pas de s?ance! Je ferai l'affaire avec Jean.
--Bonsoir, patron?
--Bonsoir!
Rest? seul, le dompteur se d?v?tit rapidement et tendit son dolman ? Z?zette.
--Porte-moi cela dans la caravane. As-tu d?n??
--Oui, papa, fit humblement la petite fille.
--Alors, tu peux filer chez la m?re Tabary. Je n'ai plus besoin de toi.
Chausserouge rentra dans la m?nagerie.
Dans un coin, un grand gaillard aux solides ?paules ?tait occup? ? d?couper sur un large ?tal, support? par deux roues, des quartiers de viande de cheval.
--C'est fini, Jean? demanda le dompteur.
--A peu pr?s, mais tu sais, ils en auront pour une dent creuse, ce soir.
--Tant pis... c'est pas encore la recette d'aujourd'hui qui augmentera leur ordinaire... A propos, tu rogneras la portion des vieux, de ceux qui ne travaillent plus... Voyons, y sommes-nous?... Je vas te donner un coup de main.
Ils allaient commencer la distribution quand la porti?re se souleva et un vieillard, v?tu d'une blouse bleue compl?tement mouill?e, fit son entr?e.
--Bonjour, les petits fieux! Eh bien! En voil? une de sauc?e!
Il secoua son chapeau dont les larges bords ruisselaient.
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