Read Ebook: Portraits littéraires Tome I by Sainte Beuve Charles Augustin
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Ebook has 556 lines and 151988 words, and 12 pages
PORTRAITS LITT?RAIRES
PAR C.-A. SAINTE-BEUVE DE L'ACAD?MIE FRAN?AISE.
Nouvelle ?dition revue et corrig?e.
BOILEAU, PIERRE CORNEILLE, LA FONTAINE, RACINE, JEAN-BAPT. ROUSSEAU, LE BRUN, MATHURIN REGNIER, ANDR? CH?NIER, GEORGE FARCY, DIDEROT, L'ABB? PR?VOST, M. ANDRIEUX, M. JOUFFROY, M. AMP?RE, BAYLE, LA BRUY?RE, MILLEVOYE, CHARLES NODIER.
Septembre 1843.
BOILEAU
Pendant le temps de sa renomm?e croissante, Boileau avait continu? de loger chez son fr?re le greffier J?r?me. Cet int?rieur devait ?tre assez peu agr?able au po?te, car la femme de J?r?me ?tait, ? ce qu'il para?t, grondeuse et rev?che. Mais les distractions du monde ne permettaient gu?re alors ? Boileau de se ressentir des chicanes domestiques qui troublaient le m?nage de son fr?re. En 1679, ? la mort de J?r?me, il logea quelques ann?es chez son neveu Dongois, aussi greffier; mais bient?t, apr?s avoir fait en carrosse les campagnes de Flandre et d'Alsace, il put acheter avec les lib?ralit?s du roi une petite maison ? Auteuil, et on l'y trouve install? d?s 1687. Sa sant? d'ailleurs, toujours si d?licate, s'?tait d?rang?e de nouveau; il ?prouvait une extinction de voix et une surdit? qui lui interdisaient le monde et la cour. C'est en suivant Boileau dans sa solitude d'Auteuil qu'on apprend ? le mieux conna?tre; c'est en remarquant ce qu'il fit ou ne fit pas alors, durant pr?s de trente ans, livr? ? lui-m?me, faible de corps, mais sain d'esprit, au milieu d'une campagne riante, qu'on peut juger avec plus de v?rit? et de certitude ses productions ant?rieures et assigner les limites de ses facult?s. Eh bien! le dirons-nous? chose ?trange, inou?e! pendant ce long s?jour aux champs, en proie aux infirmit?s du corps qui, laissant l'?me enti?re, la disposent ? la tristesse et ? la r?verie, pas un mot de conversation, pas une ligne de correspondance, pas un vers qui trahisse chez Boileau une ?motion tendre, un sentiment na?f et vrai de la nature et de la campagne.
Et nos voisins frustr?s de ces tributs serviles Que payoit ? leur art le luxe de nos villes.>>
Assur?ment, La Fontaine ?tait bien humble de pr?f?rer ces vers laborieusement ?l?gants de Boileau ? tous les autres; ? ce prix, les siens propres, si francs et si na?fs d'expression, n'eussent gu?re rien valu. < Mais aujourd'hui qu'enfin la vieillesse venue, Sous mes faux cheveux blonds d?j? toute chenue, A jet? sur ma t?te avec ses doigts pesants Onze lustres complets surcharg?s de deux ans. A ses jeux innocents enfant associ?, Rompit de ses beaux jours le fil trop d?li?, Fut le premier d?mon qui m'inspira des vers. < De Styx et d'Ach?ron peindre les noirs torrents. Vous croyez que Du Styx, de l'Ach?ron peindre les noirs torrents, Le Fran?ois, n? malin, forma le vaudeville, Agr?able indiscret, qui, conduit par le chant, Passe de bouche en bouche et s'accro?t en marchant. Inventez des ressorts qui puissent m'attacher, Que si maintenant on nous oppose qu'il n'?tait pas besoin de tant de d?tours pour ?noncer sur Boileau une opinion si peu neuve et que bien des gens partagent au fond, nous rappellerons qu'en tout ceci nous n'avons pr?tendu rien inventer; que nous avons seulement voulu rafra?chir en notre esprit les id?es que le nom de Boileau r?veille, remettre ce c?l?bre personnage en place, dans son si?cle, avec ses m?rites et ses imperfections, et revoir sans pr?jug?s, de pr?s ? la fois et ? distance, le correct, l'?l?gant, l'ing?nieux r?dacteur d'un code po?tique abrog?. Avril 1829. LA FONTAINE DE BOILEAU ?P?TRE A MADAME LA COMTESSE MOL?. Dans les jours d'autrefois qui n'a chant? B?ville? Quand septembre apparu d?livrait de la ville Le grave Parlement assis depuis dix mois, B?ville se peuplait des h?tes de son choix, Et, pour mieux animer son illustre retraite, Lamoignon conviait et savant et po?te. Guy Patin accourait, et d'un ?clat soudain Faisait rire l'?cho jusqu'au bout du jardin, Soit que, du vieux S?nat l'?me tout occup?e, Il poignard?t C?sar en proclamant Pomp?e, Soit que de l'antimoine il cont?t quelque tour. Huet, d'un ton discret et plus fait ? la cour, Sans z?le et passion causait de toute chose, Des enfants de Japhet, ou m?me d'une rose. D?j? plein du sujet qu'il allait m?ditant, Rapin vantait le parc et c?l?brait l'?tang. Mais voici Despr?aux, amenant sur ses traces L'agr?ment s?rieux, l'?-propos et les gr?ces. O toi dont, un seul jour, j'osai nier la loi, Veux-tu bien, Despr?aux, que je parle de toi, Que j'en parle avec go?t, avec respect supr?me, Et comme t'ayant vu dans ce cadre qui t'aime! ?tait-ce donc pr?sage, ? noble Despr?aux, Que la hache tombant sur ces arbres si beaux Et ravageant l'ombrage o? s'?gaya ta muse? Est-ce que des talents aussi la gloire s'use, Et que, reverdissant en plus d'une saison, On finit, ? son tour, par joncher le gazon, Par tomber de vieillesse, ou de chute plus rude, Sous les coups des neveux dans leur ingratitude? Ceux surtout dont le lot, moins fait pour l'avenir. Fut d'enseigner leur si?cle et de le maintenir, De lui marquer du doigt la limite trac?e, De lui dire o? le go?t mod?rait la pens?e, O? s'arr?tait ? point l'art dans le naturel, Et la dose de sens, d'agr?ment et de sel, Ces talents-l?, si vrais, pourtant plus que les autres Sont sujets aux rebuts des temps comme les n?tres, Bruyants, ?mancip?s, prompts aux neuves douceurs, Grands ?coliers riant de leurs vieux professeurs. Si le m?me conseil pr?side aux beaux ouvrages, La forme du talent varie avec les ?ges, Et c'est un nouvel art que dans le go?t pr?sent D'offrir l'?ternel fond antique et renaissant. Tu l'aurais su, Boileau! Toi dont la ferme id?e Fut toujours de justesse et d'?-propos guid?e, Qui d'abord ?puras le beau r?gne o? tu vins, Comment aurais-tu fait dans nos jours incertains? J'aime ces questions, cette vue inqui?te, Audace du critique et presque du po?te. Prudent roi des rimeurs, il t'aurait bien fallu Sortir chez nous du cercle o? ta raison s'est plu. Tout po?te aujourd'hui vise au parlementaire; Apr?s qu'il a chant?, nul ne saura se taire: Il parlera sur tout, sur vingt sujets au choix; Son gosier le chatouille et veut lancer sa voix. Il faudrait bien les suivre, ? Boileau, pour leur dire Qu'ils ?garent le souffle o? leur doux chant s'inspire, Et qui diff?re tant, m?me en plein carrefour, Du son rauque et menteur des trompettes du jour. Dans l'?poque, ? la fois magnifique et d?cente, Qui comprit et qu'aida ta parole puissante, Le vrai go?t dominant, sur quelques points born?, Chassait du moins le faux autre part confin?; Celui-ci hors du centre usait ses repr?sailles; Il n'aurait affront? Chantilly ni Versailles, Et, s'il l'avait os?, son impudent essor Se f?t bris? du coup sur le balustre d'or. Pour nous, c'est autrement: par un confus m?lange Le bien s'allie au faux, et le tribun ? l'ange. Les Pradons seuls d'alors visaient au Scudery: Lequel de nos meilleurs peut s'en croire ? l'abri? Tous cadres sont rompus; plus d'obstacle qui compte; L'esprit descend, dit-on:--la sottise remonte; Tel m?me qu'on admire en a sa goutte au front, Tel autre en a sa douche, et l'autre nage au fond. Comment tout d?m?ler, tout d?noncer, tout suivre, Aller droit ? l'auteur sous le masque du livre, Dire la clef secr?te, et, sans rien diffamer, Piquer pourtant le vice et bien haut le nommer? Voil?, cher Despr?aux, voil? sur toute chose Ce qu'en songeant ? toi souvent je me propose, Et j'en esp?re un peu mes doutes ?claircis En m'asseyant moi-m?me aux bords o? tu t'assis. Sous ces noms de Cotins que ta malice fronde, J'aime ? te voir d'ici parlant de notre monde A quelque Lamoignon qui garde encor ta loi: Qu'auriez-vous dit de nous, Royer-Collard et toi? Mais aujourd'hui laissons tout sujet de satire; A B?ville aussi bien on t'en e?t vu sourire, Et tu t?chais plut?t d'en d?tourner le cours, Avide d'ennoblir tes tranquilles discours, De chercher, tu l'as dit, sous quelque frais ombrage, Comme en un Tusculum, les entretiens du sage, Un concert de vertu, d'?loquence et d'honneur, Et quel vrai but conduit l'honn?te homme au bonheur. Au ch?teau du Marais, ce 22 ao?t 1843. PIERRE CORNEILLE Je me trouve toujours en ?tat de l'aimer; Je me sens tout ?mu quand je l'entends nommer; . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Et, toute mon amour en elle consomm?e, Je ne vois rien d'aimable apr?s l'avoir aim?e. Aussi n'aim?-je rien; et nul objet vainqueur N'a poss?d? depuis ma veine ni mon coeur. Ce n'est que quinze ans apr?s, que ce triste et doux souvenir, gardien de sa jeunesse, s'affaiblit assez chez lui pour lui permettre d'?pouser une autre femme; et alors il commence une vie bourgeoise et de m?nage, dont nul ?cart ne le distraira au milieu des licences du monde comique auquel il se trouve forc?ment m?l?. Je ne sais si je m'abuse, mais je crois d?j? voir en cette nature sensible, r?sign?e et sobre, une na?vet? attendrissante qui me rappelle le bon Ducis et ses amours, une vertueuse gaucherie pleine de droiture et de candeur comme je l'aime dans le vicaire de Wakefield; et je me plais d'autant plus ? y voir ou, si l'on veut, ? y r?ver tout cela, que j'aper?ois le g?nie l?-dessous, et qu'il s'agit du grand Corneille. Je sais ce que je vaux, et crois ce qu'on m'en dit. Pour me faire admirer je ne fais point de ligue; J'ai peu de voix pour moi, mais je les ai sans brigue; Et mon ambition, pour faire un peu de bruit, Ne les va point qu?ter de r?duit en r?duit. Mon travail, sans appui, monte sur le th??tre; Chacun en libert? l'y bl?me ou l'idol?tre. L?, sans que mes amis pr?chent leurs sentiments, J'arrache quelquefois des applaudissements; L?, content du succ?s que le m?rite donne, Par d'illustres avis je n'?blouis personne. Je satisfais ensemble et peuple et courtisans, Et mes vers en tous lieux sont mes seuls partisans; Par leur seule beaut? ma plume est estim?e; Je ne dois qu'? moi seul toute ma renomm?e, Et pense toutefois n'avoir point de rival A qui je fasse tort en le traitant d'?gal. On peut en sourire, on doit l'en plaindre; ce serait injure que de l'en bl?mer. Corneille s'?tait imagin?, en 1653, qu'il renon?ait ? la sc?ne. Pure illusion! Cette retraite, si elle avait ?t? possible, aurait sans doute mieux valu pour son repos, et peut-?tre aussi pour sa gloire; mais il n'avait pas un de ces temp?raments po?tiques qui s'imposent ? volont? une continence de quinze ans, comme fit plus tard Racine. Il suffit donc d'un encouragement et d'une lib?ralit? de Fouquet, pour le rentra?ner sur la sc?ne o? il demeura vingt ann?es encore, jusqu'en 1674, d?clinant de jour en jour au milieu de m?comptes sans nombre et de cruelles amertumes. Avant de dire un mot de sa vieillesse et de sa fin, nous nous arr?terons pour r?sumer les principaux traits de son g?nie et de son oeuvre. Je sais ce que je vaux, et crois ce qu'on m'en dit. Voltaire a os? dire de cette belle ?p?tre: < Il ne veut plus d?pendre, et croit que ses conqu?tes Au-dessus de son bras ne laissent point de t?tes. En somme, Corneille, g?nie pur, incomplet, avec ses hautes parties et ses d?fauts, me fait l'effet de ces grands arbres, nus, rugueux, tristes et monotones par le tronc, et garnis de rameaux et de sombre verdure seulement ? leur sommet. Ils sont forts, puissants, gigantesques, peu touffus; une s?ve abondante y monte: mais n'en attendez ni abri, ni ombrage, ni fleurs. Ils feuillissent tard, se d?pouillent t?t, et vivent longtemps ? demi d?pouill?s. M?me apr?s que leur front chauve a livr? ses feuilles au vent d'automne, leur nature vivace jette encore par endroits des rameaux perdus et de vertes pouss?es. Quand ils vont mourir, ils ressemblent par leurs craquements et leurs g?missements ? ce tronc charg? d'armures, auquel Lucain a compar? le grand Pomp?e. Ses rides sur son front ont grav? ses exploits, Je n'irai pas si loin, et si mes quinze lustres Font encor quelque peine aux modernes illustres, S'il en est de f?cheux jusqu'? s'en chagriner, Je n'aurai pas longtemps ? les importuner. Quoi que je m'en promette, ils n'en ont rien ? craindre: C'est le dernier ?clat d'un feu pr?t ? s'?teindre; Sur le point d'expirer, il t?che d'?blouir, Et ne frappe les yeux que pour s'?vanouir. Une autre fois, il disait ? Chevreau: < LA FONTAINE Dans ces rapides essais, par lesquels nous t?chons de ramener l'attention de nos lecteurs et la n?tre ? des souvenirs pacifiques de litt?rature et de po?sie, nous ne nous sommes nullement impos? la loi, comme certaines gens peu charitables ou mal instruits voudraient le faire croire, de mettre en avant ? toute force des id?es soi-disant nouvelles, de contrarier sans rel?che les opinions re?ues, de r?former, de casser les jugements consacr?s, d'exhumer coup sur coup des r?putations et d'en d?molir. En supposant qu'un tel r?le conv?nt jamais ? quelqu'un, qui serions-nous, bon Dieu! pour l'entreprendre? Le n?tre est plus simple: nous avons quelques principes d'art et de critique litt?raire, que nous essayons d'appliquer, sans violence toutefois et ? l'amiable, aux auteurs illustres des deux si?cles pr?c?dents. D'ailleurs, l'impression qu'une derni?re et plus fra?che lecture a laiss?e en nous, impression pure, franche, aussi prompte et na?ve que possible, voil? surtout ce qui d?cide du ton et de la couleur de notre causerie; voil? ce qui nous a pouss? ? la s?v?rit? contre Jean-Baptiste, ? l'estime pour Boileau, ? l'admiration pour madame de S?vign?, Mathurin R?gnier et d'autres encore; aujourd'hui, c'est le tour de La Fontaine. En revenant sur lui apr?s tant de pan?gyristes et de biographes, apr?s les travaux de M. Walckenaer en particulier, nous nous condamnons ? n'en rien dire de bien nouveau pour le fond, et ? ne faire au plus que retraduire ? notre guise et motiver un peu diff?remment parfois les m?mes conclusions de louanges, les m?mes hommages d'une critique d?sarm?e et pleine d'amour. Mais ces redites pourtant, d?t la forme seule les rajeunir, ne nous ont pas sembl? inutiles, ne serait-ce que pour montrer que nous aussi, le dernier venu et le plus obscur, nous savons au besoin et par conviction nous ranger ? la suite de nos devanciers dans la carri?re. N?, en 1621, ? Ch?teau-Thierry en Champagne, il re?ut une ?ducation fort n?glig?e, et donna de bonne heure des preuves de son extr?me facilit? ? se laisser aller dans la vie et ? ob?ir aux impressions du moment. Un chanoine de Soissons lui ayant pr?t? un jour quelques livres de pi?t?, le jeune La Fontaine se crut du penchant pour l'?tat eccl?siastique, et entra au s?minaire. Il ne tarda pas ? en sortir; et son p?re, en le mariant, lui transmit sa charge de ma?tre des eaux et for?ts. Mais La Fontaine, avec son caract?re naturel d'oubliance et de paresse, s'accoutuma insensiblement ? vivre comme s'il n'avait eu ni charge ni femme. Il n'?tait pourtant pas encore po?te, ou du moins il ignorait qu'il le f?t. Le hasard le mit sur la voie. Un officier qui se trouvait en quartier d'hiver ? Ch?teau-Thierry lut un jour devant lui l'ode de Malherbe dont le sujet est un des attentats sur la personne de Henri IV: Que direz-vous, races futures, etc., Ne sentirai-je plus de charme qui m'arr?te? Ai-je pass? le temps d'aimer?
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