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Read Ebook: Elle et lui by Sand George

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Ebook has 1139 lines and 66618 words, and 23 pages

ELLE ET LUI

par

GEORGE SAND

CALMANN-L?VY, ?DITEURS, PARIS, 3, RUE AUBER Droits de reproduction et de traduction r?serv?s.

ELLE ET LUI

A MADEMOISELLE JACQUES.

Figurez-vous qu'hier, apr?s vous avoir ennuy?e de ma visite, je trouvai, en rentrant chez moi, un milord anglais... Apr?s ?a, ce n'est peut-?tre pas un milord; mais, pour s?r, c'est un Anglais, lequel me dit en son patois:

--Vous ?tes peintre?

--Vous faites la figure?

--Et les mains?

--Bon!

--Tr?s-bons!

--Oh! je suis s?r!

--Eh bien, voulez-vous faire le portrait de moi?

--De vous?

--Pourquoi pas?

--Ma foi! lui ai-je dit, vous ?tes un beau mod?le, ? coup s?r, et j'aimerais ? faire de vous une ?tude ? mon profit; mais je ne peux pas faire votre portrait.

--Pourquoi donc?

--Parce que je ne suis pas peintre de portraits.

--Oh!... Est-ce qu'en France vous payez une patente pour telle ou telle sp?cialit? dans les arts?

--Non; mais le public ne nous permet gu?re de cumuler. Il veut savoir ? quoi s'en tenir sur notre compte, quand nous sommes jeunes surtout; et, si j'avais, moi qui vous parle et qui suis fort jeune, le malheur de faire de vous un bon portrait, j'aurais beaucoup de peine ? r?ussir ? la prochaine exposition avec autre chose que des portraits: de m?me que, si je ne faisais de vous qu'un portrait m?diocre, on me d?fendrait d'en jamais essayer d'autres: on d?cr?terait que je n'ai pas les qualit?s de l'emploi, et que j'ai ?t? un pr?somptueux de m'y risquer.

Je racontai ? mon Anglais beaucoup d'autres sornettes dont je vous fais gr?ce, et qui lui firent ouvrir de grands yeux; apr?s quoi, il se mit ? rire, et je vis clairement que mes raisons lui inspiraient le plus profond m?pris pour la France, sinon pour votre petit serviteur.

--Tranchons le mot, me dit-il. Vous n'aimez pas le portrait.

--Comment! pour quel Welche me prenez-vous? Dites plut?t que je n'ose pas encore faire le portrait, et que je ne saurais pas le faire, vu que, de deux choses l'une: ou c'est une sp?cialit? qui n'en admet pas d'autres, ou c'est la perfection, et comme qui dirait la couronne du talent. Certains peintres, incapables de rien composer, peuvent copier fid?lement et agr?ablement le mod?le vivant. Ceux-l? ont un succ?s assur?, pour peu qu'ils sachent pr?senter le mod?le sous son aspect le plus favorable, et qu'ils aient l'adresse de l'habiller ? son avantage tout en l'habillant ? la mode; mais, quand on n'est qu'un pauvre peintre d'histoire, tr?s-apprenti et tr?s-contest?, comme j'ai l'honneur d'?tre, on ne peut pas lutter contre des gens du m?tier. Je vous avoue que je n'ai jamais ?tudi? avec conscience les plis d'un habit noir et les habitudes particuli?res d'une physionomie donn?e. Je suis un malheureux inventeur d'attitudes, de types et d'expressions. Il faut que tout cela ob?isse ? mon sujet, ? mon id?e, ? mon r?ve, si vous voulez. Si vous me permettiez de vous costumer ? ma guise, et de vous poser dans une composition de mon cru... Encore, tenez, cela ne vaudrait rien, ce ne serait pas vous. Ce ne serait pas un portrait ? donner ? votre ma?tresse... encore moins ? votre femme l?gitime. Ni l'une ni l'autre ne vous reconna?traient. Donc, ne me demandez pas maintenant ce que je saurai pourtant faire un jour, si par hasard je deviens Rubens ou Titien, parce qu'alors je saurai rester po?te et cr?ateur, tout en ?treignant sans effort et sans crainte la puissante et majestueuse r?alit?. Malheureusement, il n'est pas probable que je devienne quelque chose de plus qu'un fou ou une b?te. Lisez MM. tels et tels, qui l'ont dit dans leurs feuilletons.

Figurez-vous bien, Th?r?se, que je n'ai pas dit ? mon Anglais un mot de ce que je vous raconte: on arrange toujours quand on se fait parler soi-m?me; mais, de tout ce que je pus lui dire pour m'excuser de ne pas savoir faire le portrait, rien ne servit que ce peu de paroles: <>

Je suis tout ? fait m?lancolique aujourd'hui, je ne sais pas pourquoi. J'ai si mal d?jeun? ce matin... Je n'ai jamais si mal mang? que depuis que j'ai une cuisini?re. Et puis on ne peut plus avoir de bon tabac. La r?gie vous empoisonne. Et puis on m'a apport? des bottes neuves qui ne vont pas du tout... Et puis il pleut... Et puis, et puis que sais-je? Les jours sont longs comme des jours sans pain depuis quelque temps, ne trouvez-vous pas? Non, vous ne trouvez pas, vous. Vous ne connaissez pas le malaise, le plaisir qui ennuie, et l'ennui qui grise, le mal sans nom dont je vous parlais l'autre soir, dans ce petit salon lilas o? je voudrais ?tre maintenant; car j'ai un jour affreux pour peindre, et, ne pouvant peindre, j'aurais du plaisir ? vous assommer de ma conversation.

Je ne vous verrai donc pas aujourd'hui! Vous avez l? une famille insupportable qui vous vole ? vos amis les plus d?licieux! Je vais donc ?tre forc?, ce soir, de faire quelque affreuse sottise!... Voil? l'effet de votre bont? pour moi, ma ch?re grande camarade. C'est de me rendre si sot et si nul quand je ne vous vois plus, qu'il faut absolument que je m'?tourdisse au risque de vous scandaliser. Mais, soyez tranquille, je ne vous raconterai pas l'emploi de ma soir?e.

Votre ami et serviteur,

LAURENT.

A M. LAURENT DE FAUVEL.

D'abord, mon cher Laurent, je vous demande, si vous avez pour moi quelque amiti?, de ne pas faire trop souvent de sottises qui nuisent ? votre sant?. Je vous permets toutes les autres. Vous allez me demander d'en citer une, et me voil? fort embarrass?e; car, en fait de sottises, j'en connais peu qui ne soient nuisibles. Reste ? savoir ce que vous appelez sottise. S'il s'agit de ces longs soupers dont vous me parliez l'autre jour, je crois qu'ils vous tuent, et je m'en d?sole. A quoi songez-vous, mon Dieu, de d?truire ainsi, de gaiet? de coeur, une existence si pr?cieuse et si belle? Mais vous ne voulez pas de sermons: je me borne ? la pri?re.

Vous me trouvez bien positive, n'est-ce pas? ?a m'est ?gal. D'ailleurs, si nous prenons la question de plus haut, toutes les raisons que vous avez donn?es ? votre Am?ricain et ? moi ne valent pas deux sous. Vous ne savez pas faire le portrait, c'est possible, cela est m?me certain, s'il faut le faire dans les conditions du succ?s bourgeois; mais M. Palmer n'exigeait nullement qu'il en f?t ainsi. Vous l'avez pris pour un ?picier, et vous vous ?tes tromp?. C'est un homme de jugement et de go?t, qui s'y conna?t, et qui a pour vous de l'enthousiasme. Jugez si je l'ai bien re?u! Il venait ? moi comme ? un pis aller, je m'en suis fort bien aper?ue, et je lui en ai su gr?. Aussi l'ai-je consol? en lui promettant de faire tout mon possible pour vous d?cider ? le peindre. Nous parlerons donc de cette affaire apr?s-demain, car j'ai donn? rendez-vous au dit Palmer pour le soir, afin qu'il m'aide ? plaider sa propre cause et qu'il emporte votre promesse.

Sur ce, mon cher Laurent, d?sennuyez-vous de votre mieux de ne pas me voir pendant deux jours.

Cela ne vous sera pas difficile, vous connaissez beaucoup de gens d'esprit, et vous avez le pied dans le plus beau monde. Moi, je ne suis qu'une vieille pr?cheuse qui vous aime bien, qui vous conjure de ne pas vous coucher tard toutes les nuits, et qui vous conseille de ne faire exc?s et abus de rien. Vous n'avez pas ce droit-l?: g?nie oblige.

Votre camarade,

TH?R?SE JACQUES.

A MADEMOISELLE JACQUES.

Ma ch?re Th?r?se, je pars dans deux heures pour une partie de campagne avec le comte de S... et le prince D... Il y aura de la jeunesse et de la beaut?, ? ce que l'on assure. Je vous promets et vous jure de ne pas faire de sottises et de ne pas boire de champagne... sans me le reprocher am?rement! Que voulez-vous! j'eusse certainement mieux aim? fl?ner dans votre grand atelier, et d?raisonner dans votre petit salon lilas; mais, puisque vous ?tes en retraite avec vos trente-six cousins de province, vous ne vous apercevrez certainement pas non plus de mon absence apr?s-demain: vous aurez la d?licieuse musique de l'accent anglo-am?ricain pendant toute la soir?e. Ah! il s'appelle Dick, ce bon M. Palmer? Je croyais que Dick ?tait le diminutif familier de Richard! Il est vrai qu'en fait de langues, je sais tout au plus le fran?ais.

Quant au portrait, n'en parlons plus. Vous ?tes mille fois trop maternelle, ma bonne Th?r?se, de penser ? mes int?r?ts au d?triment des v?tres. Bien que vous ayez une belle client?le, je sais que votre g?n?rosit? ne vous permet pas d'?tre riche, et que quelques billets de banque de plus seront beaucoup mieux entre vos mains qu'entre les miennes. Vous les emploierez ? faire des heureux, et, moi, je les jetterai sur un brelan, comme vous dites.

Votre ami,

LAURENT.

Th?r?se comprit fort bien, ? premi?re vue, le d?pit et la jalousie qui avaient dict? cette lettre.

--Et pourtant, se dit-elle, il n'est pas amoureux de moi. Oh! non, certes, il ne sera jamais amoureux de personne, et de moi moins que de toute autre.

Et, tout en relisant et r?vant, Th?r?se craignit de se mentir ? elle-m?me en cherchant ? se persuader que Laurent ne courait aucun danger aupr?s d'elle.

--Mais quoi? quel danger? se disait-elle encore: souffrir d'un caprice non satisfait? souffre-t-on beaucoup pour un caprice? Je n'en sais rien, moi. Je n'en ai jamais eu!

Mais la pendule marquait cinq heures de l'apr?s-midi. Et Th?r?se, apr?s avoir mis la lettre dans sa poche, demanda son chapeau, donna cong? ? son domestique pour vingt-quatre heures, fit ? sa fid?le vieille Catherine diverses recommandations particuli?res et monta en fiacre. Deux heures apr?s, elle rentrait avec une petite femme mince, un peu vo?t?e et parfaitement voil?e, dont le cocher m?me ne vit pas la figure. Elle s'enferma avec cette personne myst?rieuse, et Catherine leur servit un petit d?ner tout ? fait succulent. Th?r?se soignait et servait sa compagne, qui la regardait avec tant d'extase et d'ivresse, qu'elle ne pouvait pas manger.

De son c?t?, Laurent se disposait ? la partie de plaisir annonc?e; mais, quand le prince D... vint le prendre avec sa voiture, Laurent lui dit qu'une affaire impr?vue le retenait encore deux heures ? Paris, et qu'il le rejoindrait ? sa maison de campagne dans la soir?e.

Laurent n'avait pourtant aucune affaire. Il s'?tait habill? avec une h?te fi?vreuse. Il s'?tait fait coiffer avec un soin particulier. Et puis il avait jet? son habit sur un fauteuil, et il avait pass? ses mains dans les boucles trop sym?triques de ses cheveux, sans songer pourtant ? l'air qu'il pouvait avoir. Il se promenait dans son atelier tant?t vite, tant?t lentement. Quand le prince D... fut parti en lui faisant dix fois promettre de se h?ter de partir lui-m?me, il courut sur l'escalier pour le prier de l'attendre et lui dire qu'il renon?ait ? toute affaire pour le suivre; mais il ne le rappela point et passa dans sa chambre, o? il se jeta sur son lit.

--Pourquoi me ferme-t-elle sa porte pour deux jours? Il y a quelque chose l?-dessous! Et, quand elle me donne rendez-vous pour le troisi?me jour, c'est afin de me faire rencontrer chez elle un Anglais ou un Am?ricain que je ne connais pas! Mais elle conna?t, certainement, elle, ce Palmer, qu'elle appelle par son petit nom! D'o? vient alors qu'il m'a demand? son adresse? Est-ce une feinte? Pourquoi feindrait-elle avec moi? Je ne suis pas l'amant de Th?r?se, je n'ai aucun droit sur elle! L'amant de Th?r?se! je ne le serai certainement jamais. Dieu m'en pr?serve! une femme qui a cinq ans de plus que moi, peut-?tre davantage! Qui sait l'?ge d'une femme, et de celle-l? pr?cis?ment, dont personne ne sait rien? Un pass? si myst?rieux doit couvrir quelque ?norme sottise, peut-?tre une honte bien conditionn?e. Et avec cela, elle est prude, ou d?vote, ou philosophe, qui peut savoir? Elle parle de tout avec une impartialit?, ou une tol?rance, ou un d?tachement... Sait-on ce qu'elle croit, ce qu'elle ne croit pas, ce qu'elle veut, ce qu'elle aime, et si seulement elle est capable d'aimer?

Mercourt, un jeune critique, ami de Laurent, entra chez lui.

--Je sais, lui dit-il, que vous partez pour Montmorency. Aussi je ne fais qu'entrer et sortir pour vous demander une adresse, celle de mademoiselle Jacques.

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