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Read Ebook: La maison de Claudine by Colette

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Ebook has 721 lines and 37881 words, and 15 pages

-- Non. Je n'ai pas envie aujourd'hui.

Il y a des jours o? la boucherie de L?onore, ses couteaux, sa hachette, ses poumons de boeuf gonfl?s que le courant d'air irise et balance, roses comme la pulpe du b?gonia, me plaisent ? l'?gal d'une confiserie. L?onore y tranche pour moi un ruban de lard sal? qu'elle me tend, transparent, du bout de ses doigts froids. Dans le jardin de la boucherie, Marie Tricotet, qui est pourtant n?e le m?me jour que moi, s'amuse encore ? percer d'une ?pingle des vessies de porc ou de veau non vid?es, qu'elle presse sous le pied <>. Le son affreux de la peau qu'on arrache ? la chair fra?che, la rondeur des rognons, fruits bruns dans leur capitonnage immacul? de <> ros?e, m'?meuvent d'une r?pugnance compliqu?e, que je recherche et que je dissimule. Mais la graisse fine qui demeure au creux du petit sabot fourchu, lorsque le feu fait ?clater les pieds du cochon mort, je la mange comme une friandise saine... N'importe. Aujourd'hui, je n'ai gu?re envie de suivre maman.

-- Non, papa.

-- Non, papa.

Il darde sur ses enfants un oeil de tortionnaire.

-- Je voudrais bien savoir qui, dans cette maison...

--... Au fait, o? est cette femme?

-- Mais, papa, elle est chez L?onore!

-- Encore!

-- Elle vient de partir...

Il fait frais et triste, sur le perron o? j'attends le retour de ma m?re. Son petit pas ?l?gant sonne enfin dans la rue de la Roche et je m'?tonne de me sentir si contente... Elle tourne le coin de la rue, elle descend vers moi. L'Inf?me-Patasson -- le chien -- la pr?c?de, et elle se h?te.

-- Laisse-moi, ch?rie, si je ne donne pas l'?paule de mouton tout de suite ? Henriette pour la mettre au feu, nous mangerons de la semelle de bottes... O? est ton p?re?

Je la suis, vaguement choqu?e, pour la premi?re fois qu'elle s'inqui?te de papa. Puisqu'elle l'a quitt? il y a une demi-heure et qu'il ne sort presque jamais... Elle le sait bien, o? est mon p?re... Ce qui pressait davantage, c'?tait de me dire, par exemple: <>

Sans r?pondre, je la regarde jeter loin d'elle son chapeau de jardin, d'un geste jeune qui d?couvre des cheveux gris et un visage au frais coloris, mais marqu? ici et l? de plis ineffa?ables. C'est donc possible -- mais oui, je suis la derni?re n?e des quatre -- c'est donc possible que ma m?re ait bient?t cinquante-quatre ans?... Je n'y pense jamais. Je voudrais l'oublier.

Le voici, celui qu'elle r?clamait. Le voici h?riss?, la barbe en bataille. Il a guett? le claquement de la porte d'entr?e, il est descendu de son aire...

-- Te voil?? Tu y as mis le temps.

Elle se retourne, rapide comme une chatte:

-- Le temps? C'est une plaisanterie, je n'ai fait qu'aller et revenir.

-- Revenir d'o?? de chez L?onore?

-- Ah! non, il fallait aussi que je passe chez Corneau pour...

-- Pour sa t?te de cr?tin? et ses consid?rations sur la temp?rature?

-- Tu m'ennuies! J'ai ?t? aussi chercher de la feuille de cassis chez Cholet.

Le petit oeil cosaque jette un trait aigu:

-- Ah! ah! chez Cholet!

Mon p?re rejette la t?te en arri?re, passe une main dans ses cheveux ?pais, presque blancs:

-- Ah! ah! chez Cholet! As-tu remarqu? seulement que ses cheveux tombent, ? Cholet, et qu'on lui voit le caillou?

-- Non, je n'ai pas remarqu?.

-- Tu n'as pas remarqu?! mais non, tu n'as pas remarqu?! Tu ?tais bien trop occup?e ? faire la belle pour les godelureaux du mastroquet d'en face et les deux fils Mabilat!

-- Oh! c'est trop fort! Moi, moi, pour les deux fils Mabilat! ?coute, vraiment, je ne con?ois pas comment tu oses... Je t'affirme que je n'ai pas m?me tourn? la t?te du c?t? de chez Mabilat! Et la preuve c'est que...

Ma m?re croise avec feu, sur sa gorge que hausse un corset ? goussets, ses jolies mains, fan?es par l'?ge et le grand air. Rougissante entre ses bandeaux qui grisonnent, soulev?e d'une indignation qui fait trembler son menton d?tendu, elle est plaisante, cette petite dame ?g?e, quand elle se d?fend, sans rire, contre un jaloux sexag?naire. Il ne rit pas non plus, lui, qui l'accuse ? pr?sent de <>. Mais je ris encore, moi, de leurs querelles, parce que je n'ai que quinze ans, et que je n'ai pas encore devin?, sous un sourcil de vieillard, la f?rocit? de l'amour, et sur des joues fl?tries de femme la rougeur de l'adolescence.

LA PETITE

Une odeur de gazon ?cras? tra?ne sur la pelouse, non fauch?e, ?paisse, que les jeux, comme une lourde gr?le, ont vers?e en tous sens. Des petits talons furieux ont fouill? les all?es, rejet? le gravier sur les plates-bandes; une corde ? sauter pend au bras de la pompe; les assiettes d'un m?nage de poup?e, grandes comme des marguerites, ?toilent l'herbe; un long miaulement ennuy? annonce la fin du jour, l'?veil des chats, l'approche du d?ner.

Elles viennent de partir, les compagnes de jeu de la Petite. D?daignant la porte, elles ont saut? la grille du jardin, jet? ? la rue des Vignes, d?serte, leurs derniers cris de poss?d?es, leurs jurons enfantins prof?r?s ? tue-t?te, avec des gestes grossiers des ?paules, des jambes ?cart?es, des grimaces de crapauds, des strabismes volontaires, des langues tir?es tach?es d'encre violette. Par-dessus le mur, la Petite -- on dit aussi Minet-Ch?ri -- a vers? sur leur fuite ce qui lui restait de gros rire, de moquerie lourde et de mots patois. Elles avaient le verbe rauque, des pommettes et des yeux de fillettes qu'on a saoul?es. Elles partent harass?es, comme avilies par un apr?s- midi entier de jeux. Ni l'oisivet? ni l'ennui n'ont ennobli ce trop long et d?gradant plaisir, dont la Petite demeure ?coeur?e et enlaidie.

Les dimanches sont des jours parfois r?veurs et vides; le soulier blanc, la robe empes?e pr?servent de certaines fr?n?sies. Mais le jeudi, ch?mage encanaill?, gr?ve en tablier noir et bottines ? clous, permet tout. Pendant pr?s de cinq heures, ces enfants ont go?t? les licences du jeudi. L'une fit la malade, l'autre vendit du caf? ? une troisi?me, maquignonne, qui lui c?da ensuite une vache: <> Jeanne emprunta au p?re Gruel son ?me de tripier et de pr?parateur de peaux de lapin. Yvonne incarna la fille de Gruel, une maigre cr?ature tortur?e et dissolue. Scire et sa femme, les voisins de Gruel, parurent sous les traits de Gabrielle et de Sandrine, et par six bouches enfantines s'?pancha la boue d'une ruelle pauvre. D'affreux ragots de friponnerie et de basses amours tordirent mainte l?vre, teinte du sang de la cerise, o? brillait encore le miel du go?ter... Un jeu de cartes sortit d'une poche et les cris mont?rent. Trois petites filles sur six ne savaient-elles pas d?j? tricher, mouiller le pouce comme au cabaret, ass?ner l'atout sur la table: <>

Tout ce qui tra?ne dans les rues d'un village, elles l'ont cri?, mim? avec passion. Ce jeudi fut un de ceux que fuit la m?re de Minet-Ch?ri, retir?e dans la maison et craintive comme devant l'envahisseur.

? pr?sent, tout est silence au jardin. Un chat, deux chats s'?tirent, b?illent, t?tent le gravier sans confiance: ainsi font-ils apr?s l'orage. Ils vont vers la maison, et la Petite, qui marchait ? leur suite, s'arr?te; elle ne s'en sent pas digne. Elle attendra que se l?ve lentement, sur son visage chauff?, noir d'excitation, cette p?leur, cette aube int?rieure qui f?te le d?part des bas d?mons. Elle ouvre, pour un dernier cri, une grande bouche aux incisives neuves. Elle ?carquille les yeux, remonte la peau de son front, souffle <> de fatigue et s'essuie le nez d'un revers de main.

Un tablier d'?cole l'ensache du col aux genoux, et elle est coiff?e en enfant de pauvre, de deux nattes cord?es derri?re les oreilles. Que seront les mains, o? la ronce et le chat marqu?rent leurs griffes, les pieds, lac?s dans du veau jaune ?corch?? Il y a des jours o? on dit que la Petite sera jolie. Aujourd'hui, elle est laide, et sent sur son visage, la laideur provisoire que lui composent sa sueur, des traces terreuses de doigts sur une joue, et surtout des ressemblances successives, mim?tiques, qui l'apparentent ? Jeanne, ? Sandrine, ? Aline la couturi?re en journ?es, ? la dame du pharmacien et ? la demoiselle de la poste. Car elles ont jou? longuement, pour finir, les petites, au jeu de <>.

-- Moi, quante je serai grande...

Habiles ? singer, elles manquent d'imagination. Une sorte de sagesse r?sign?e, une terreur villageoise de l'aventure et de l'?tranger retiennent d'avance la petite horlog?re, la fille de l'?picier, du boucher et de la repasseuse, captives dans la boutique maternelle. Il y a bien Jeanne qui a d?clar?:

-- Moi, je serai cocotte!

<>

? court de souhait, elle leur a jet?, son tour venu, sur un ton de m?pris:

-- Moi, je serai marin! Parce qu'elle r?ve parfois d'?tre gar?on et de porter culotte et b?ret bleus. La mer qu'ignore Minet- Ch?ri, le vaisseau debout sur une cr?te de vague, l'?le d'or et les fruits lumineux, tout cela n'a surgi, apr?s, que pour servir de fond au blouson bleu, au b?ret ? pompon.

-- Moi, je serai marin, et dans mes voyages...

Assise dans l'herbe, elle se repose et pense peu. Le voyage? L'aventure?... Pour une enfant qui franchit deux fois l'an les limites de son canton, au moment des grandes provisions d'hiver et de printemps, et gagne le chef-lieu en victoria, ces mots-l? sont sans force et sans vertu. Ils n'?voquent que des pages imprim?es, des images en couleur. La Petite, fatigu?e, se r?p?te machinalement: <> comme elle dirait: <>

Un point rouge s'allume dans la maison, derri?re les vitres du salon, et la Petite tressaille. Tout ce qui, l'instant d'avant, ?tait verdure, devient bleu, autour de cette rouge flamme immobile. La main de l'enfant, tra?nante, per?oit dans l'herbe l'humidit? du soir. C'est l'heure des lampes. Un clapotis d'eau courante m?le les feuilles, la porte du fenil se met ? battre le mur comme en hiver par la bourrasque. Le jardin, tout ? coup ennemi, rebrousse, autour d'une petite fille d?gris?e, ses feuilles froides de laurier, dresse ses sabres de yucca et ses chenilles d'araucaria barbel?es. Une grande voix marine g?mit du c?t? de Moutiers o? le vent, sans obstacle, court en ris?es sur la houle des bois. La Petite, dans l'herbe, tient ses yeux fix?s sur la lampe, qu'une br?ve ?clipse vient de voiler: une main a pass? devant la flamme, une main qu'un d? brillant coiffait. C'est cette main dont le geste suffit pour que la Petite, ? pr?sent, soit debout, p?lie, adoucie, un peu tremblante comme l'est une enfant qui cesse, pour la premi?re fois, d'?tre le gai petit vampire qui ?puise, inconscient, le coeur maternel; un peu tremblante de ressentir et d'avouer que cette main et cette flamme, et la t?te pench?e, soucieuse, aupr?s de la lampe, sont le centre et le secret d'o? naissent et se propagent en zones de moins en moins sensibles, en cercles qu'atteint de moins en moins la lumi?re et la vibration essentielles, le salon ti?de, sa flore de branches coup?es et sa faune d'animaux paisibles; la maison sonore, s?che, craquante comme un pain chaud; le jardin, le village... Au-del?, tout est danger, tout est solitude...

Le <>, ? petits pas, ?prouve la terre ferme, et gagne la maison en se d?tournant d'une lune jaune, ?norme, qui monte. L'aventure? Le voyage? L'orgueil qui fait les ?migrants?... Les yeux attach?s au d? brillant, ? la main qui passe et repasse devant la lampe, Minet-Ch?ri go?te la contrition d?licieuse d'?tre -- pareille ? la petite horlog?re, ? la fillette de la ling?re et du boulanger -- une enfant de son village, hostile au colon comme au barbare, une de celles qui limitent leur univers ? la borne d'un champ, au portillon d'une boutique, au cirque de clart? ?panoui sous une lampe et que traverse, tirant un fil, une main bien-aim?e, coiff?e d'un d? d'argent.

L'ENL?VEMENT

-- Je ne peux plus vivre comme ?a, me dit ma m?re. J'ai encore r?v? qu'on t'enlevait cette nuit. Trois fois je suis mont?e jusqu'? ta porte. Et je n'ai pas dormi.

Je la regardai avec commis?ration, car elle avait l'air fatigu? et inquiet. Et je me tus, car je ne connaissais pas de rem?de ? son souci.

-- C'est tout ce que ?a te fait, petite monstresse?

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