Read Ebook: Les Pardaillan — Tome 06 : Les amours du Chico by Z Vaco Michel
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Ebook has 3398 lines and 101416 words, and 68 pages
--Mais, si je ne vous avais pas sauv?, elle m'e?t tourn? le dos. Elle m'e?t trait? d'assassin. Alors?
--Alors, il vaut mieux que les choses soient comme elles sont. Ne t'inqui?te pas. Juana t'aime... ou t'aimera, morbleu! As-tu confiance en moi? Oui ou non?
--Oui, tiens.
--Alors, laisse-moi faire et ne prends pas des airs d'amoureux transi. Tes affaires vont bien, je t'en r?ponds.
Pour ne pas d?sobliger Pardaillan, Chico s'effor?a de refouler son chagrin et de montrer un visage sinon souriant, du moins un peu moins morose.
A ce moment, Juana redescendait et annon?ait:
--Ces seigneurs s'habillent. Dans un instant, ils rejoindront Votre Seigneurie. En attendant, votre couvert est mis, et, si vous voulez prendre place, go?tez cet excellent p?t? en attendant l'omelette qui saute.
Pardaillan s'approcha de la table et feignit un grand courroux.
--Comment, un couvert seulement? fit-il. Mais, malheureuse, ne savez-vous pas que je traite un brave! Je dis bien: un brave. Et je pense m'y conna?tre.
Et comme Juana cherchait machinalement quel pouvait ?tre celui qui avait l'honneur d'?tre qualifi? de brave par le seigneur fran?ais, le brave des braves:
--Vite! ajouta Pardaillan, un second couvert pour ce brave, qui est aussi un ami que j'aime.
A dire vrai, si Juana ?tait surprise et intrigu?e, le Chico ne l'?tait pas moins. Comme elle, il se demandait qui pouvait ?tre cet ami dont parlait Pardaillan.
Quoi qu'il en soit, Juana se h?ta de r?parer le mal, et, curieuse, comme toute fille d'Eve, elle attendit. Elle n'attendit pas longtemps, du reste.
Pardaillan, une lueur de malice dans l'oeil, s'approcha de la table et, d?signant l'escabeau au nain, confus de cet honneur, au grand ?bahissement de Juana qui n'en pouvait croire ses yeux ni ses oreilles:
--?a, mon ami Chico, fit-il gaiement, assieds-toi l?, en face de moi, et soupons, morbleu! Nous ne l'avons pas vol?, que t'en semble?
Chico commen?ait ? consid?rer Pardaillan comme un ?tre exceptionnel, plus grand, plus noble, meilleur en tout cas que tous ceux qu'il avait appris ? respecter.
Sur ces entrefaites, Cervantes et le Torero ?taient descendus et, bient?t assis ? la m?me table, choquaient leurs verres contre les verres de Pardaillan et de Chico.
Naturellement, Cervantes et le Torero, s'ils furent surpris de voir le chevalier attabl? avec le petit vagabond, se gard?rent bien d'en laisser rien para?tre. Et, puisque Pardaillan traitait le Chico sur un pied d'?galit?, c'est qu'il avait sans doute de bonnes raisons pour cela, et ils s'empress?rent de l'imiter. En sorte que Juana vit, avec une stupeur qui allait grandissant, ces personnages, qu'elle v?n?rait au-dessus de tout, t?moigner une grande consid?ration ? son ?ternelle poup?e, cette poup?e ? qui elle croyait faire un tr?s grand honneur en lui permettant de baiser le bout de son soulier.
Elle ne disait rien, la petite Juana; mais Pardaillan, amus?, lisait sur sa physionomie mobile et loyale toutes les questions qu'elle se posait sans oser les formuler tout haut.
--Croiriez-vous, dit-il ? un certain moment, que ce petit diable a os? lever la dague sur moi? A telles enseignes que je me demande comment je suis encore vivant.
--Ah bah! fit Cervantes, le petit est brave?
--Plus que vous ne croyez, dit gravement Pardaillan. Dans la petite poitrine de cette r?duction d'homme bat un coeur ferme et g?n?reux. Il n'est pas de bravoure comparable ? celle qui s'ignore. Je vous expliquerai un jour peut-?tre ce qu'a fait cet enfant. Pour le moment, sachez que je l'aime et l'estime, et je vous prie de le traiter en ami, non pour l'amour de moi, mais pour lui-m?me.
--Chevalier, dit gravement Cervantes, du moment que vous le jugez digne de votre amiti?, nous nous honorerons de faire comme vous.
Par exemple, le Chico ne savait quelle contenance garder. Il ?tait heureux, certes, mais ces compliments, de la part d'hommes qu'il regardait comme des h?ros, le plongeaient dans une g?ne qu'il ne parvenait pas ? surmonter. Cependant, nous devons dire qu'il louchait constamment du c?t? de Juana pour juger de l'effet produit sur elle par ces louanges qu'on faisait de sa petite personne. Et il avait lieu d'?tre satisfait, car Juana, maintenant, le regardait d'un tout autre oeil et lui faisait son plus gracieux sourire...
Apr?s avoir ainsi frapp? indirectement l'esprit de la fillette, Pardaillan la prit ? partie directement et, moiti? plaisant, moiti? s?rieux:
--C'est vous, ma gracieuse Juana, qui avez pris soin de cet abandonn?, votre compagnon d'enfance. Par lui, qui m'a sauv?, je vous suis redevable. Mais une chose qu'il faut que vous sachiez, c'est que la femme qui aura le bonheur d'?tre aim?e de Chico pourra compter sur cet amour jusqu'? la mort. Jamais coeur plus vaillant et plus fid?le n'a battu dans une poitrine d'homme.
Juana ne dit rien, mais elle fit une jolie moue qui signifiait:
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Pardaillan se montra tr?s sobre d'explications. C'?tait du reste assez son habitude. Il se garda de souffler mot de ce qu'il avait surpris concernant le Torero et ne dit que juste ce qu'il fallait pour faire ressortir le r?le de Chico, qu'il prit plaisir ? exag?rer, sinc?rement d'ailleurs, car il ?tait de ces natures d'?lite qui s'exag?rent ? elles-m?mes le peu de bien qu'on leur fait.
Ces explications donn?es, il pr?texta une grande fatigue, et, sur ce point, il n'exag?rait pas, car, tout autre que lui se f?t ?croul? depuis longtemps, et monta s'?tendre dans les draps blancs qui l'attendaient.
Pardaillan parti, Cervantes se retira. Le Torero remonta saluer la Giralda et le Chico resta seul.
Juana, fine mouche, ne daigna pas lui adresser la parole. Seulement, apr?s avoir tourn? et vir? dans le patio, s?re qu'il ne la quittait pas des yeux, elle se dirigea d'un air d?tach? vers un petit r?duit qu'elle avait arrang? ? sa guise et qui ?tait comme son boudoir ? elle, boudoir bien modeste. Et, en se retirant, la petite madr?e regardait par-dessus son ?paule pour voir s'il la suivait.
Et, comme elle voulait qu'il v?nt, elle tourna ? demi la t?te et l'ensorcela d'un sourire.
Alors, le Chico osa se lever et, sans avoir l'air de rien, il la rejoignit dans le petit r?duit, le coeur battant ? se briser dans sa poitrine, car il se demandait avec angoisse quel accueil elle allait lui faire.
Juana s'?tait assise dans l'unique si?ge qui meublait la pi?ce, tr?s petite. C'?tait un vaste fauteuil en bois sculpt?. Comme elle ?tait petite, ses pieds reposaient sur un large et haut tabouret en ch?ne cir?.
Le Chico se faufila dans la pi?ce et resta devant elle muet et l'air fort penaud. Voyant qu'il ne se d?cidait pas ? parler, elle entama la conversation, et, avec un visage s?rieux, sans qu'il lui f?t possible de discerner si elle ?tait contente ou f?ch?e:
--Alors, dit-elle, il para?t que tu es brave, Chico?
Ing?nument, il dit:
--Je ne sais pas.
Agac?e, elle reprit avec un commencement de nervosit?:
--Le sire de Pardaillan l'a dit bien haut. Il doit s'y conna?tre, lui, qui est la bravoure m?me.
--S'il le dit, cela doit ?tre... Mais, moi, je n'en sais rien.
Les petits talons de Juana commenc?rent de frapper sur le bois du tabouret un rappel inqui?tant pour Chico, qui connaissait ces signes r?v?lateurs de la col?re naissante de sa petite ma?tresse. Naturellement, cela ne fit qu'accro?tre son trouble.
--Est-ce vrai ce qu'a dit M. de Pardaillan, que, celle que tu aimeras, tu l'aimeras jusqu'? la mort? fit-elle brusquement.
On se tromperait ?trangement si on concluait de cette question que Juana ?tait une effront?e ou une rou?e sans pudeur ni retenue. Juana ?tait parfaitement ignorante, et cette ignorance suffirait ? elle seule ? justifier ce qu'il y avait de risqu? dans sa question. Rou?e, elle se f?t bien gard?e de la formuler. En outre, il faut dire que les moeurs de l'?poque ?taient autrement libres que celles de nos jours, o? tout se farde et se cache sous le masque de l'hypocrisie.
Le Chico rougit et balbutia:
--Je ne sais pas!
Elle frappa du pied avec col?re.
--Je ne sais pas!... Tu ne vois donc rien? C'est aga?ant. Pour qu'il ait dit cela, il a bien fallu pourtant que tu lui en parles.
--Je ne lui ai pas parl? de cela, je le jure!
--Alors, comment sait-il que tu aimes quelqu'un et que tu l'aimeras jusqu'? la mort?
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