bell notificationshomepageloginedit profileclubsdmBox

Read Ebook: George Sand et ses amis by Le Roy Albert

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page

Ebook has 399 lines and 142885 words, and 8 pages

GEORGE SAND ET SES AMIS

par

ALBERT LE ROY

SOCI?T? D'?DITIONS LITT?RAIRES ET ARTISTIQUES, Librairie Paul Ollendorff, 50, CHAUSS?E D'ANTIN, PARIS, Tous droits r?serv?s.

A M. OCTAVE GR?ARD, de l'Acad?mie Fran?aise, Vice-Recteur Honoraire de l'Acad?mie de Paris

CHAPITRE PREMIER

LES ORIGINES

L'esprit r?volutionnaire animera George Sand, dirigera sa pens?e et inspirera son oeuvre, encore qu'elle ait re?u des traditions de famille et une ?ducation qui devaient lui inculquer des sentiments contraires. Sa grand'm?re, madame Dupin, au sortir des prisons de la Terreur, eut des proc?s qui entam?rent sa fortune: c'?tait double raison pour d?tester le r?gime nouveau. On vivait, au fond du Berry, dans cette terre de Nohant que George Sand a tant aim?e. Elle y passa presque toute sa vie et elle souhaitait de pouvoir y mourir: son voeu s'est r?alis?. Voici la peinture qu'elle a trac?e de ce modeste domaine qu'il nous importe de conna?tre. C'est le cadre m?me de son existence:

<>

C'est l? que madame Dupin traversera des ann?es de g?ne extr?me, au lendemain de la Terreur. Les revenus de Nohant ne s'?levaient pas ? 4.000 francs, payables en assignats, et il fallait rembourser des emprunts on?reux contract?s en 1793. Durant plus d'un an, on v?cut, para?t-il, des m?diocres revenus du jardin, de la vente des l?gumes et des fruits qui produisait au march? de 12 ? 15 francs par semaine. Puis l'horizon s'?claircit, sans que jamais la fortune patrimoniale, apr?s la R?volution, ait d?pass? 15.000 livres de rente.

Apr?s avoir pris part ? la bataille de Marengo, voici en quels termes Maurice Dupin relate ses impressions, dans une lettre ? son oncle de Beaumont, ou, comme dit la suscription, au citoyen Beaumont, ? l'h?tel de Bouillon, quai Malaquais, Paris:

<>

Au printemps de 1802, Maurice va rejoindre son r?giment ? Charleville, et Victoire l'accompagne. Aupr?s des camarades de la garnison et des gens de la petite ville, ils passaient pour ?tre secr?tement mari?s. Il n'en ?tait rien. Mais la naissance de plusieurs enfants vint resserrer ?troitement leurs liens. Ils ne pouss?rent pas l'imitation de Jean-Jacques jusqu'? les livrer ? la charit? publique. Un seul surv?cut: ce devait ?tre George Sand, qui ignore ou n?glige de nous indiquer le nombre et le sexe des autres enfants issus de cette union et emport?s en bas ?ge.

CHAPITRE II

LES ANN?ES D'ENFANCE

Ces illusions, nous les conna?trons mieux et pourrons en appr?cier la persistance, en repassant avec George Sand les p?rip?ties de ses premi?res ann?es et les hasards d'une ?ducation o? se heurt?rent les influences rivales de sa m?re et de son a?eule.

Sur ces entrefaites, Maurice, inform? du voyage de sa m?re, prit la petite Aurore dans ses bras et chargea la porti?re de monter avec l'enfant chez madame Dupin, en lui disant: <> Tout en bavardant, elle d?posa le b?b? sur les genoux de la vieille dame qui cherchait sa bonbonni?re. Soudain un soup?on traversa l'esprit de madame Dupin. Elle s'?cria: <> Et elle repoussait la petite Aurore qui, effray?e, se mit ? verser des larmes. La porti?re s'appr?tait ? reprendre et ? emporter l'enfant. La grand'm?re fut vaincue. Lorsqu'elle sut que son fils ?tait en bas, elle le fit appeler. C'?tait le pardon. Quand ils se retir?rent, Aurore avait dans la main une bague de rubis que madame Dupin envoyait ? sa belle-fille: George Sand a toujours port? cette bague. Quelques semaines plus tard, la r?conciliation fut compl?te. La ch?telaine de Nohant consentit ? recevoir l'humble modiste qui s'?tait introduite dans la famille; elle assista au mariage religieux, ainsi qu'au repas qui suivit. Aussit?t apr?s, elle regagna son manoir berrichon.

Elle eut une affection tr?s vive, tr?s persistante pour ses poup?es, et de l'horreur pour un certain polichinelle, somptueusement costum?, mais qui lui apparaissait comme un redoutable et malfaisant personnage. Plus tard un go?t analogue s'emparera d'elle, celui des marionnettes. Elle leur ?l?vera un th??tre ? Nohant et composera pour elles, en collaboration avec son fils, de v?ritables com?dies. D?s son plus jeune ?ge, elle aimait se raconter ? elle-m?me de longues et fantastiques histoires. Sa soeur Caroline avait ?t? mise en pension, sa m?re ?tait tr?s occup?e par les soins du m?nage. Aussi, pour qu'elle pr?t un peu l'air, la pla?ait-on volontiers dans la cour, entre quatre chaises, au milieu desquelles il y avait une chaufferette sans feu, en guise de tabouret. Aurore, ainsi emprisonn?e, employait ses loisirs ? d?garnir avec ses ongles la paille des chaises, et grimp?e sur la chaufferette, tandis que ses mains ?taient occup?es, elle laissait errer son imagination. A haute voix elle d?bitait les contes improvis?s que sa m?re appelait des romans.

Une autre rencontre marqua le voyage avant l'arriv?e ? Madrid. C'?tait par une nuit assez claire. Tout ? coup le postillon mod?ra l'allure de son attelage et cria au jockey: <> Trois ?normes silhouettes, d'aspect ramass?, se projetaient sur les bords de la route. Madame Dupin les prit pour des voleurs. C'?taient de grands ours de montagne.

Certaine nuit, il fallut coucher dans une chambre d'auberge o? le plancher avait une large tache de sang. La m?re d'Aurore, tremblante de peur, voulut aller ? la d?couverte. Elle ?tait persuad?e qu'un pauvre soldat fran?ais avait ?t? assassin? par les Espagnols. En ouvrant une porte, elle finit par d?couvrir les cadavres de trois porcs. Et cette anecdote rappelle celle de Paul-Louis Courier, au fin fond des Calabres.

Nous voici ? Madrid. Maurice Dupin ?tait log? au troisi?me ?tage du palais du prince de la Paix, <> Elle nous d?peint un appartement immense, tout tendu en damas de soie cramoisi. <> Si le palais ?tait somptueux, il ?tait ?galement malpropre. Les animaux domestiques y pullulaient, notamment des lapins qui circulaient en libert? ? travers les corridors, les chambres et les salons. La petite Aurore se prit d'une particuli?re affection pour l'un d'eux, tout blanc, avec des yeux de rubis. Il ?gratignait les inconnus, mais avec elle il ?tait tr?s familier, dormant sur ses genoux ou sur sa robe, tandis qu'elle racontait des histoires.

Madame Dupin avait mis au monde ? Madrid un enfant ch?tif et aveugle; puis il fallut abandonner le palais du prince de la Paix. L'arm?e fran?aise ?tait oblig?e de battre en retraite. Nos troupes, d?guenill?es et rong?es par la gale, se repliaient sur les Pyr?n?es, tandis que Murat allait occuper le tr?ne de Naples. On traversait des villages incendi?s, on suivait des routes encombr?es de cadavres. On avait soif, et dans l'eau des foss?s on trouvait des caillots de sang. On avait faim, et l'on manquait de vivres. Un soir, dans un campement fran?ais, Aurore partagea la gamelle du soldat, un bouillon tr?s gras o? le pain se m?lait ? quelques m?ches noircies: c'?tait une soupe faite avec des bouts de chandelles.

<>

Surmontant l'?motion qui l'agitait et lui mettait la sueur aux tempes, il rapporta le cercueil de son enfant. La m?re dut se rendre compte que l'oeuvre de la mort ?tait accomplie. Elle voulut pourtant garder le petit cadavre un jour et une nuit encore; puis ils all?rent le confier ? la terre dans un coin du jardin, au pied d'un vieux poirier. Une semaine plus tard, Maurice, en rentrant de La Ch?tre o? il avait d?n? chez des amis, ?tait d?sar?onn? par un cheval ombrageux qu'il avait ramen? d'Espagne. Il tomba sur un tas de pierres et se brisa les vert?bres du cou. La mort dut ?tre instantan?e.

Outre Ursule, Aurore avait un grand ami ? la campagne: c'?tait un ?ne, tr?s vieux et tr?s bon, qui ne connaissait ni la corde ni le r?telier. On le laissait errer en libert?. <>

Les voyages ? Paris ?taient comme une oasis pour cette enfant qui avait soif de tendresse. On mettait trois ou quatre jours, car madame Dupin, quoique circulant en poste, refusait de passer la nuit en voiture. De Ch?teauroux ? Orl?ans, le paysage ?tait monotone: on traversait la Sologne. En revanche, la for?t d'Orl?ans, avec ses grands arbres, avait une r?putation tragique; les diligences y ?taient assez souvent arr?t?es. Avant la R?volution, on s'armait jusqu'aux dents, lorsqu'il s'agissait de s'aventurer dans ce coupe-gorge. La mar?chauss?e avait d'ailleurs une singuli?re fa?on de rassurer les voyageurs: <> D'ann?e en ann?e, on comptait les nouveaux pendus, autour desquels volaient des corbeaux rapaces, et c'?tait tout ensemble un spectacle lugubre et une odeur r?pugnante.

Quand Aurore eut la rougeole, comme sa m?re ne venait pas la voir ou s'arr?tait au seuil de sa chambre, cette conduite fut, dans la domesticit?, l'objet d'appr?ciations contradictoires. Pour les uns, madame Sophie Dupin craignait de contracter la maladie et s'abstenait d'approcher son enfant. Pour les autres--et cette version est plus vraisemblable--elle appr?hendait d'apporter la rougeole ? Caroline.

L'autre ?tait madame de B?ranger, dont le mari pr?tendait descendre de B?ranger, roi d'Italie au temps des Goths. La R?volution les avait ruin?s. N'importe, ils demeuraient haut perch?s sur leur orgueil,

Et comme du fumier regardaient tout le monde.

Madame de B?ranger avait des pr?tentions ? la sveltesse de la taille. Il fallait deux femmes de chambre pour serrer son corset en appuyant les genoux sur la cambrure du dos. A soixante ans, elle avait le ridicule de porter une perruque blonde fris?e ? l'enfant, qui contrastait avec la rudesse de ses traits et la teinte bilieuse de sa peau. Apr?s d?ner, en jouant aux cartes, elle ?tait fr?quemment cette perruque qui la g?nait, et, en petit serre-t?te noir, elle ressemblait ? un vieux cur?. S'il survenait une visite, elle cherchait pr?cipitamment sa perruque, qui ?tait ? terre ou dans sa poche, ou sur laquelle elle ?tait assise, et elle la remettait de c?t? ou ? l'envers, ce qui lui donnait l'aspect le plus comique.

On juge que les c?r?monies du culte ainsi pratiqu?es n'?taient pas fort ?difiantes pour Aurore, qui respirait l'atmosph?re voltairienne. Aussi, au retour de la premi?re messe ? laquelle elle assista, interrog?e par sa grand'm?re sur ses impressions, elle r?pondit: <>

George Sand raconte tr?s plaisamment les circonstances qui accompagn?rent la premi?re communion de son fr?re Hippolyte. Pour ce grand jour, le brave cur? avait invit? ? d?jeuner le jeune communiant qui lui apportait, ? titre de cadeau, douze bouteilles de vin muscat de la part de madame Dupin. On en d?boucha une. <>

La servante et le sacristain, Hippolyte et le cur? d?clar?rent, d'un commun accord, que ce vin ne portait pas l'eau. On passa, comme disait l'abb?, au troisi?me et au quatri?me feuillet du br?viaire--figur? par les bouteilles du panier. Enfin les convives se s?par?rent p?niblement. Hippolyte voyait danser les buissons et se r?veilla sous un arbre. Alors, conclut George Sand, <>

Le presbyt?re de Saint-Chartier ?tait une maison joyeuse. Manette ?tait sourde, le cur? de m?me. Il disait d'elle: <> Et il ne l'entendait pas davantage. Elle avait sauv? la vie de son ma?tre pendant la R?volution et elle le faisait marcher comme un petit gar?on, depuis cinquante-sept ans. C'?tait un pr?tre, d'un mod?le rare, jurant comme un dragon, buvant comme un templier. <> Il se targuait d'?tre un vieux de la vieille roche, n'aimait pas la loi du sacril?ge, non plus que de mettre de l'eau dans son vin. <> Le pr?lat en fit l'exp?rience.

AU COUVENT

A douze ans, Aurore fait sa premi?re communion, non ? la paroisse de Saint-Chartier comme son demi-fr?re Hippolyte, mais ? La Ch?tre, sous la direction d'un vieux cur? qui avait du tact et lui ?pargna les questions inutiles et mess?antes de la confession. Cette c?r?monie accomplie--et la voltairienne madame Dupin disait volontiers: cette affaire b?cl?e--l'enfant ?tait en r?gle avec l'Eglise. Sa grand'm?re, qui n'entrait jamais dans un lieu de culte, tremblait qu'elle ne dev?nt d?vote. <>

Pourtant la crise mystique allait atteindre cette jeune imagination, ?close et d?velopp?e dans une atmosph?re d'incr?dulit? philosophique. Elev?e un peu ? l'aventure, entre sa grand'm?re, Deschartres et des domestiques, Aurore devenait fantasque et presque r?volt?e. Elle refusait de travailler et demandait obstin?ment ? rejoindre sa m?re. Madame Dupin essaya des moyens de rigueur; l'enfant dut prendre ses repas seule, sans que personne lui adress?t la parole. Enfin la grand'm?re, pour briser cette r?sistance, usa d'un moyen d?testable. Comme Aurore venait s'agenouiller et implorer son pardon, elle lui dit avec s?cheresse: <> Et la cruelle, l'impitoyable a?eule ?tala sous les yeux de cette fillette de treize ans les secrets de la famille; elle lui raconta le pass? de son p?re, de sa m?re, leur mariage tardif, sa naissance h?tive. Elle laissa m?me planer des doutes sur la conduite actuelle de sa bru. Et George Sand, qui a gard? de cette ?pouvantable confession un odieux souvenir, r?sume ainsi, quarante ans apr?s, ses impressions ineffa?ables:

<>

Une telle r?v?lation produisit sur Aurore une secousse dont elle nous a transmis la description pr?cise: <>

D?s lors, le s?jour de Nohant devint odieux ? Aurore. Il y avait un lien d'affection, ou bris? ou d?tendu, entre elle et sa grand'm?re. Elle se comporta en enfant terrible, rebelle au travail, s'?vadant de la maison pour courir les chemins, les buissons, les pacages, et ne revenir qu'? nuit close avec des v?tements d?chir?s. Madame Dupin d?cida de la mettre au couvent ? Paris. Aurore accueillit avec joie cette nouvelle; du moins elle verrait sa m?re.

La communaut? des Anglaises consistait en <> C'?tait un d?dale de couloirs, d'escaliers, de galeries, d'ouvertures, de paliers; des chambres qui ouvraient ? la file sur des corridors interminables, et puis, ajoute George Sand, <> Des salles d'?tude, et particuli?rement de la petite classe o? ?taient entass?es une trentaine de fillettes, George Sand a gard? un d?plaisant souvenir. Elle revoit et nous montre <> Et de cette laideur des locaux scolaires de son temps, elle tire argument pour expliquer la m?diocrit? ou l'absence des aspirations esth?tiques, alors qu'un simple paysan vit dans une atmosph?re et a sous les yeux des spectacles de beaut?. A tr?s bon droit, elle demande qu'on ?largisse et qu'on embellisse l'horizon intellectuel des prol?taires fran?ais. Elle veut qu'on leur r?v?le les tr?sors et les splendeurs de l'art.

Le samedi soir particuli?rement, ou la veille des f?tes, on s'?vertuait ? mettre en col?re la D..., qui donnait des gifles ? tour de bras et tout ? coup s'?criait lamentablement: <> Ou bien on racontait gravement aux nouvelles arriv?es que l'une des doyennes de la communaut?, madame Anne-Augustine, ne dig?rait qu'au moyen d'un ventre d'argent et que, lorsqu'elle marchait, on entendait le cliquetis de ce ventre de m?tal. Les pires escapades de ces fillettes ?taient de rassembler des victuailles, des fruits, des g?teaux, des p?t?s, et de se concerter pour aller les d?vorer de nuit, dans un coin de la maison. <>

Peu ? peu la chapelle se vida, la derni?re religieuse, apr?s avoir, selon la coutume de la communaut?, non seulement pli? le genou, mais bais? le sol devant l'autel, alluma sa bougie ? la lampe symbolique. Aurore resta seule, et le grand ?branlement nerveux des conversions et des extases se produisit en elle. La gr?ce op?rait avec la soudainet? de son efficace.

C'en ?tait fait. Elle aimait Dieu. Tout son ?tre lui appartenait. Un voile venait de se d?chirer devant ses regards. Elle entrevoyait une Terre promise et voulait y p?n?trer. Ses appels, ses pri?res allaient ? la divinit? inconnue qu'elle adorait. Et les sanglots qui secouaient sa gorge, les larmes qui inondaient ses joues, attestaient la ferveur de son exaltation. De sens rassis, longtemps apr?s, elle nous en donne une preuve d?cisive: <>

Par esprit sans doute de mortification, elle se plaisait au commerce des soeurs converses charg?es des basses besognes de la communaut?, et sp?cialement de la soeur H?l?ne, une pauvre ?cossaise vou?e ? la phtisie, qui s'arr?tait au milieu d'un couloir ou au bas d'un escalier, incapable de porter les seaux d'eau sale qu'elle devait descendre du dortoir. Cette malheureuse cr?ature ?tait laide, vulgaire, marqu?e de taches de rousseur; mais elle avait des dents merveilleuses et sur le visage une expression de souffrance d'une infinie m?lancolie. Aurore voulut la seconder dans son gros travail, l'aida ? enlever ses seaux, ? balayer, ? frotter le parquet de la chapelle, ? ?pousseter et brosser les stalles des nonnes, voire m?me ? faire les lits au dortoir. Qu'e?t pens? madame Dupin si elle avait su que sa petite-fille se livrait ? d'aussi viles occupations? En retour, Aurore apprenait ? soeur H?l?ne les ?l?ments de la langue fran?aise, et c'?tait l? un touchant ?change de services. A l'image de son ?l?ve, la future ch?telaine de Nohant voulait entrer en religion, et non pas comme dame du choeur, mais comme simple converse, servante volontaire, par pur amour de Dieu, dans quelque communaut?.

La sup?rieure des Anglaises et l'abb? de Pr?mord se garderont d'encourager une vocation qui leur semblait factice et sans avenir. Ce fut, de leur part, tr?s avis?. Ils exig?rent m?me qu'Aurore renon??t aux exag?rations de son mysticisme, qu'elle jou?t et cour?t avec ses compagnes, au lieu de passer ? la chapelle les heures de r?cr?ation. L'ordre ?tait formel: <> Elle dut se soumettre ? la proscription, tout en continuant ? communier le dimanche, et vite elle recouvra son ?quilibre physique et moral. De la sorte elle eut plusieurs mois de b?atitude. <>

Cette repr?sentation marqua l'apoth?ose d'Aurore. Peu de temps apr?s, au lendemain de l'assassinat du duc de Berry qui interrompit les r?jouissances th??trales pr?par?es au couvent pour le carnaval, avec un programme de violons, de bal et de souper, madame Dupin s'avisa de ramener sa petite-fille ? Nohant. Elle avait appris ses projets d'entrer en religion, qui d'ailleurs subsistaient ? travers les distractions dramatiques, et elle ne se souciait pas qu'Aurore dev?nt nonne ou b?guine. Il fallut quitter le couvent. O d?sespoir! C'?tait le paradis sur la terre. L'id?e de revoir le monde, la perspective d'?tre mari?e, ?pouvantaient cette imagination de seize ans. Par bonheur la m?re et la grand'm?re ne devaient pas s'entendre pour choisir un pr?tendant. On accorda quelque r?pit ? Aurore. Elle esp?rait du moins qu'un rapprochement pourrait survenir entre les deux influences qui s'?taient disput? son affection. Mais, lorsqu'elle aborda ce sujet, sa m?re lui r?pliqua violemment: <> Et elle ajoutait avec son humeur emport?e et aigrie: <> Au d?but du printemps de 1820, Aurore rentra ? Nohant avec sa grand'm?re dans la grosse cal?che bleue, et le lendemain matin, quand elle s'?veilla, ce fut une sensation neuve et troublante: <> Le couvent allait bient?t s'effacer et dispara?tre dans les brumes du pass?.

CHAPITRE IV

LE MARIAGE

Le retour ? Nohant fut pour Aurore un changement douloureux. Elle se sentit d'abord d?pays?e et pleura. Sans doute elle ?tait libre, elle pouvait dormir la grasse matin?e et n'avait pas ? craindre d'?tre r?veill?e par la cloche du couvent et la voix criarde de soeur Marie-Jos?phe. Elle sortait de tutelle et disposait de son temps, de ses pens?es en toute ind?pendance: mais elle n'y trouvait aucun agr?ment. La r?gle habituelle manquait ? son accoutumance. Les gens de la maison, ceux des alentours ne l'avaient pas reconnue, tant elle ?tait grandie, et la traitaient avec un respect c?r?monieux. Deschartres l'appelait <>. Seuls les grands chiens, ses vieux amis, apr?s quelques instants de surprise, l'accabl?rent de caresses. Il y avait des domestiques nouveaux, notamment un certain Cadet promu aux fonctions d'aide-valet de chambre, qui, lorsqu'on lui reprochait de briser les carafes, r?pondait avec un grand s?rieux: <> Il semblait ? Aurore qu'elle f?t dans un monde inconnu. Elle regrettait la placidit? routini?re de la communaut?. Elle s'ennuyait, elle avait <>.

Le lendemain matin, pour Aurore le r?veil fut lugubre. Deschartres vint lui annoncer que sa grand'm?re avait eu une attaque d'apoplexie. Elle s'?tait lev?e durant la nuit, ?tait tomb?e et n'avait pu se relever. Elle resta paralys?e, avec un c?t? mort depuis l'?paule jusqu'au talon. C'?taient des divagations presque continuelles, un lamentable ?tat d'enfance. Elle voulait qu'on lui l?t le journal et ne pouvait fixer son attention. Elle demandait des cartes, n'avait pas la force de les tenir et se plaignait qu'on ne voul?t pas la soulager en lui faisant une application de la dame de pique sur le bras. Et cette d?g?n?rescence des facult?s dura tout le printemps, tout l'?t?, tout l'automne, avec quelques rares heures de lucidit?.

Add to tbrJar First Page Next Page

 

Back to top