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Read Ebook: George Sand et ses amis by Le Roy Albert

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Ebook has 399 lines and 142885 words, and 8 pages

Le lendemain matin, pour Aurore le r?veil fut lugubre. Deschartres vint lui annoncer que sa grand'm?re avait eu une attaque d'apoplexie. Elle s'?tait lev?e durant la nuit, ?tait tomb?e et n'avait pu se relever. Elle resta paralys?e, avec un c?t? mort depuis l'?paule jusqu'au talon. C'?taient des divagations presque continuelles, un lamentable ?tat d'enfance. Elle voulait qu'on lui l?t le journal et ne pouvait fixer son attention. Elle demandait des cartes, n'avait pas la force de les tenir et se plaignait qu'on ne voul?t pas la soulager en lui faisant une application de la dame de pique sur le bras. Et cette d?g?n?rescence des facult?s dura tout le printemps, tout l'?t?, tout l'automne, avec quelques rares heures de lucidit?.

Autour du fauteuil, aupr?s du lit o? s'?teignait cette belle intelligence comme une lampe priv?e d'huile, Aurore passa neuf grands mois hant?s par de m?lancoliques m?ditations. Elle dut prendre la direction de la maison. Deschartres, fort avis?, exigea qu'elle f?t chaque jour une sortie ? cheval, qu'elle respir?t l'air du matin, apr?s ?tre demeur?e des apr?s-midi ou des soir?es enti?res dans la chambre de la malade, absorbant du tabac ? priser, du caf? noir sans sucre et m?me de l'eau-de-vie pour ne pas succomber au sommeil. Il advenait souvent que la pauvre paralys?e prenait la nuit pour le jour, exigeait qu'on ouvr?t les volets et se croyait aveugle, puisqu'elle ne voyait pas le soleil.

Elle suivit le conseil et lut tour ? tour Mably, Locke, Condillac, Montesquieu, Bacon, Bossuet, Aristote, Leibnitz, Pascal, Montaigne--<>--puis La Bruy?re, Pope, Milton, Dante, Virgile, Shakespeare, bref une v?ritable encyclop?die, et elle absorba le tout p?le-m?le. Enfin Rousseau arriva, celui qui devait la conqu?rir et la poss?der sans conteste, <> La sensibilit? de Jean-Jacques allait triompher de ses inclinations religieuses et des pratiques formalistes de son catholicisme. Elle marque cette ?tape: <>

C'?tait l'?poque o? l'Italie et la Gr?ce se soulevaient pour leur affranchissement. Or la monarchie et l'Eglise n'h?sitaient pas ? se prononcer en faveur du Grand-Turc contre les chr?tiens justement r?volt?s. Aurore, avec lord Byron comme guide, avait embrass? la cause hell?nique. Deschartres soutenait le sultan, repr?sentant de l'autorit?. Et c'?taient d'interminables discussions au cours de leurs promenades. Un jour, le p?dagogue distrait tomba sur le gazon, tout en ayant soin d'achever sa phrase. <> r?pliqua Aurore, que son pr?cepteur traitait de jacobine, de r?gicide, de philhell?ne et de bonapartiste.

Cependant les inqui?tudes d'Aurore pour le salut de l'?me de sa grand'm?re subsistaient et survivaient m?me ? l'?branlement de sa foi religieuse. D?go?t?e du culte tel qu'on le pratiquait ? Saint-Chartier ou ? La Ch?tre, elle s'abstenait d'aller ? la messe pour entendre les beuglements des chantres, leurs calembours involontaires en latin, le ronflement des bonnes femmes qui s'endormaient sur leur chapelet, les bavardages de la bonne soci?t?, les disputes des sacristains et des enfants de choeur, et le bruit des gros sous qu'on r?colte et qu'on compte. Elle pr?f?rait lire sa messe dans sa chambre; mais elle aurait voulu--et en cela son catholicisme persistait--r?concilier sa grand'm?re avec l'Eglise. Cet ?v?nement si souhait? se produisit par les soins de l'archev?que d'Arles, Lom?nie de Brienne, qui ?tait pour la malade une mani?re de beau-fils, car il ?tait issu des fameuses amours de son mari Francueil et de madame d'Epinay. Ce pr?lat, que madame Dupin avait entour? nagu?re de sollicitude presque maternelle, ?tait d'une balourdise et d'une stupidit? d'autant plus d?concertantes que son p?re et sa m?re auraient d? lui l?guer quelque trait de leur remarquable intelligence. Physiquement, il ressemblait ? madame d'Epinay qui, de l'aveu unanime des contemporains et d'apr?s son propre t?moignage, fut laide. Au surplus, George Sand nous a trac? le portrait de l'archev?que: <>

L'archev?que, piqu? de pros?lytisme, essaya de chapitrer la petite-fille apr?s la grand'm?re, en se promenant ou, nous dit George Sand, en roulant comme une toupie ? travers le jardin. Il eut moins de succ?s. <> Elle refusa. Et lui de reprendre: <> Enfin, comme la sottise n'excluait pas chez lui le fanatisme, il se rendit ? la biblioth?que la veille de son d?part, br?la et lac?ra des livres h?t?rodoxes. Deschartres l'arr?ta dans cette besogne.

Le spectacle de la confession de sa grand'm?re avait attrist? Aurore. Elle-m?me ne devait plus solliciter l'absolution, ? la suite d'une question indiscr?te du cur? de La Ch?tre qui, sur des bavardages de petite ville, lui demanda si elle avait un commencement d'amour pour un jeune homme. Elle quitta le confessionnal, et ne voulut pas davantage s'adresser au vieux cur? de Saint-Chartier qui, lorsqu'on s'attardait ? ?num?rer des p?ch?s, avait coutume de grommeler: <>

Pour occuper ses loisirs et d?tendre son imagination, elle s'adonna ? l'ost?ologie, ? l'anatomie, avec Deschartres et un camarade qu'elle appelle Claudius et qui leur apportait des t?tes, des bras, des jambes, voire un squelette entier de petite fille qu'elle garda longtemps sur sa commode et qui lui causait des cauchemars. Alors elle mettait le squelette ? la porte de sa chambre, et s'endormait paisiblement. Il va sans dire qu'? La Ch?tre on jasait de cette jeune fille qui ?tudiait des os de mort, tirait au pistolet, chassait, et s'habillait en gar?on. On pr?tendit qu'elle profanait les hosties et qu'elle entrait ? cheval dans l'?glise, caracolant autour du ma?tre-autel, ou encore que la nuit elle d?terrait les cadavres.

Le 22 d?cembre 1821, madame Dupin succomba. Depuis le mois de f?vrier ses facult?s s'?taient obscurcies, mais elle eut, ? l'instant supr?me, un retour de lucidit? et dit ? sa petite-fille: <> Deschartres, que cette mort avait affol?, r?veilla Aurore vers une heure du matin et par le verglas la conduisit au cimeti?re. Il avait ouvert le cercueil de Maurice Dupin, souleva la t?te qui se d?tacha d'elle-m?me, et dit ? Aurore: <> Etla jeune fille, s'associant ? l'exaltation du pr?cepteur, accomplit, apr?s lui, cet acte, faut-il dire de d?votion ou de profanation? Il referma ensuite le cercueil, et ajouta en sortant du cimeti?re: <>

Aurore passait sous la direction de sa m?re qui n'avait pas assist? aux fun?railles, mais qui arriva pour l'ouverture du testament. Les dispositions prises par l'a?eule confiaient sa petite-fille ? son cousin paternel Ren? de Villeneuve, mais elles ne furent pas respect?es. Il y eut des sc?nes violentes: madame Maurice Dupin s'abandonna ? des r?criminations injurieuses contre la d?funte. Aurore fut r?volt?e. Elle aurait voulu rentrer au couvent. Il ne s'y trouvait pas de chambre vacante. Elle dut suivre sa m?re ? Paris. Cette p?riode de sa vie lui laissa une impression d'amertume et de rancoeur. Entre la m?re et la fille, il se produisit une s?rie de froissements inoubliables qui attestaient une v?ritable incompatibilit? d'humeur. Madame Maurice Dupin alla jusqu'? exhiber ? Aurore des lettres de La Ch?tre ou de Nohant, des d?lations de domestiques, qui incriminaient la conduite de la jeune fille et cherchaient ? la salir. Ce fut le comble, un d?bordement de d?sespoir et de naus?e.

De vrai, madame Maurice Dupin ?tait folle, ou peu s'en faut. Ses nerfs malades la dominaient et lui faisaient commettre des insanit?s. Si elle voyait Aurore lire, elle lui arrachait le volume des mains, incapable qu'elle ?tait elle-m?me de se livrer ? une lecture s?rieuse. Elle ne songeait qu'? s'attifer, ? changer de toilette, ? remuer; elle avait des perruques, tour ? tour blond, ch?tain clair, cendr? et noir roux. Parfois, elle entamait avec sa fille le chapitre de son pass? et lui faisait des confidences ? tout le moins superflues.

La plaisanterie fut reprise par les uns, par les autres. Casimir disait ? madame Ang?le: <> Et Aurore de r?pliquer: <> Apr?s plusieurs s?jours au Plessis qui se rapprochaient et se prolongeaient, le jeune Dudevant d?clara ses sentiments ? mademoiselle Dupin, en s'excusant de ne pas agir selon les usages, mais il voulait avoir son acquiescement et ?tre assur? de sa sympathie avant qu'une d?marche f?t tent?e aupr?s de sa m?re. Aurore d?sira r?fl?chir. Casimir ?tait tr?s estim? par M. et madame Roettiers du Plessis; il n'affectait pas une grande passion, restait silencieux sur le chapitre de l'amour, parlait d'amiti?, de bonheur domestique. Elle appr?ciait cette r?serve. Et, de vrai, il tenait un langage singuli?rement calme, que d'autres jeunes filles, celles qui ont l'instinct et l'enthousiasme de leur ?ge, auraient jug? r?frig?rant: <> On ne saurait all?guer qu'il ait cherch? ? exciter l'imagination d'Aurore. C'?tait un pr?tendant respectueux, comme les m?res en souhaitent ? leurs filles, qui les r?vent plus effervescents.

Une entrevue fut m?nag?e, au Plessis, entre madame Dupin et le colonel. Celui-ci, avec sa chevelure d'argent, sa d?coration et son air respectable, plut ? la veuve qui, on le sait, avait toujours eu beaucoup de go?t pour les militaires. Le fils lui ?tait moins sympathique. <> Cette ci-devant modiste, ? l'?me de grisette, avait les m?mes instincts que la Grande-Duchesse de Gerolstein fredonnant ? Fritz ces couplets qui portent la signature de deux acad?miciens:

Voici le sabre de mon p?re! Tu vas le mettre ? ton c?t?! Ton bras est fort, ton ?me est fi?re, Ce glaive sera bien port?!

Ou encore:

Dites-lui qu'on l'a remarqu?, Distingu?; Dites-lui qu'on le trouve aimable.

Madame Dupin accepta en principe l'id?e du mariage, exprima le d?sir qu'on arr?t?t les conditions p?cuniaires, quitta le Plessis en y laissant sa fille, puis elle revint au bout de quelques jours, toute boulevers?e. Elle avait d?couvert des choses monstrueuses: Casimir avait ?t? gar?on de caf?! On rit, elle se f?cha, elle emmena Aurore ? l'?cart, pour lui dire que dans cette maison on mariait les h?riti?res avec des aventuriers, moyennant pot-de-vin.

C'?tait l? une calomnie gratuite ? l'adresse des Roettiers, mais l'?cervel?e avait vu clair dans le jeu de Casimir. Celui-ci, f?rocement cupide--nous le d?couvrirons plus tard--se souciait surtout et m?me uniquement de faire un riche mariage. Aurore ?tait un beau parti; elle avait presque un demi-million, et il ne devait apporter, en fin de compte, apr?s avoir jet? beaucoup de poudre aux yeux, qu'une soixantaine de mille francs. Comment madame Dupin se laissa-t-elle persuader? Elle re?ut la visite de madame Dudevant, qui la s?duisit par une rare distinction mondaine et sut la flatter. Avec des ?loges on trouvait ais?ment le chemin de son coeur et les avenues de sa pens?e. Aurore elle-m?me jugea charmante la belle-m?re de Casimir. Le mariage fut d?cid?, abandonn?, repris. Madame Dupin ne pouvait accepter la perspective d'avoir <> pour gendre. Son nez lui d?plaisait. Elle allait si loin dans ses diatribes qu'elle produisit sur sa fille un effet contraire ? ses desseins. Enfin elle exigea le r?gime dotal et qu'une rente annuelle de 3.000 francs f?t attribu?e ? Aurore pour ses besoins personnels. En cela fit-elle acte de malveillance ou preuve de perspicacit?? Il semble qu'elle avait devin? la rapacit? de Casimir, et elle rendit ? sa fille un signal? service. Ces 3.000 francs seront un jour pour George Sand le moyen de conqu?rir l'ind?pendance. Mais, dans ses illusions de fianc?e, elle n'y vit qu'une pr?caution injurieuse. Elle aimait peut-?tre Casimir Dudevant; ? coup s?r, elle avait confiance en lui.

Le mariage fut c?l?br? le 10 septembre 1822 ? Paris, et quelques jours apr?s les jeunes ?poux partirent pour Nohant o? Deschartres les accueillit avec joie. La vie conjugale r?serve ? Aurore des d?sillusions rapides, vite accrues, et qui la pousseront aux r?solutions extr?mes.

CHAPITRE V

LA CRISE CONJUGALE

Deschartres, qui faisait office de m?decin consultant, entoura de mille pr?cautions la grossesse d'Aurore. Il exigea qu'elle demeur?t six semaines couch?e. C'?tait ? l'?poque des grandes neiges. Pour la distraire, on apporta sur son lit de petits oiseaux qui, affam?s et grelottants, se laissaient prendre ? la main. Au baldaquin elle fit suspendre des branches de sapin et elle passa ces longues journ?es d'inaction dans une v?ritable voli?re, parmi les pinsons, les rouges-gorges, les verdiers, les moineaux apprivois?s, ? qui elle donnait la becqu?e et qui venaient se r?chauffer sur ses couvertures. D?s que la temp?rature fut plus cl?mente et qu'on ouvrit les fen?tres, tous ces oiseaux--est-ce ingratitude ou amour de la libert??--s'envol?rent ? tire-d'aile. <>

Et la garde qui veille aux barri?res du Louvre N'en d?fend pas les rois.

Pour Aurore le couvent m?me fut inefficace. On y avait cependant admis Maurice, ? condition qu'il pass?t par le tour; il y passa. Entre temps, survint un gros chagrin, la mort subite et vraisemblablement le suicide de Deschartres, qui s'?tait ruin? dans des sp?culations malheureuses sur l'huile de navette et de colza. Le s?jour de Paris ne convenait gu?re ni ? Aurore ni ? Casimir. Ils y voyaient assez fr?quemment le baron Dudevant qui sympathisait avec sa bru; mais sa femme ?tait plus r?che. Elle ne consentait ? recevoir le petit Maurice que sous serment qu'on aurait pris toutes les pr?cautions d?sirables et que ses parquets seraient indemnes. <>

Au printemps de 1825, M. et madame Dudevant regagn?rent Nohant, o? Casimir vivait en grande intimit? de table et de cabaret avec le demi-fr?re d'Aurore, Hippolyte Chatiron, mari? ? une demoiselle Emilie de Villeneuve, et qui ?tait le plus incorrigible des buveurs et le meilleur des gar?ons ? jeun. M. Dudevant, en prenant sur lui mod?le, fut non moins ivrogne, mais il eut le vin hargneux et m?chant. A eux deux, ils symbolisaient l'un et l'autre aspect du genre: le bon et le mauvais pochard. Et Aurore ?tait oblig?e de supporter leurs interminables et bruyantes <> qui se prolongeaient parfois jusqu'? l'aube.

Un s?jour chez son beau-p?re, ? Guillery, semble avoir laiss? ? Aurore une impression favorable. Elle aimait ce vieillard, qui la traitait avec une pointe de galanterie respectueuse, et dont elle r?sume ainsi le caract?re, <> Elle loue les Gascons, qu'elle ne trouve pas plus menteurs ni plus vantards que les autres provinciaux, qui le sont tous un peu>>, mais elle n'aime pas leur cuisine ? la graisse, en d?pit de la plantureuse ch?re que l'on faisait ? Guillery. Elle ?num?re les pi?ces de r?sistance qui composaient des menus pantagru?liques: jambons, poulardes farcies, oies grasses, canards ob?ses, truffes, gibier, g?teaux de millet et de ma?s. Nul ne s?journait en cette abbaye de Th?l?me, sans s'apercevoir, dit Aurore, d'une notable augmentation de poids dans sa personne. Seule elle d?rogeait ? la r?gle et maigrissait ? vue d'oeil. Comment expliquer ce d?p?rissement? Etait-ce le fait de la cuisine ? la graisse ou de l'?loignement d'Aur?lien? Un voyage ? Bordeaux les remit en pr?sence. Dans une longue conversation ? la Br?de, ils prirent la r?solution d?finitive--malgr? lui, malgr? elle, comme Titus et B?r?nice--de n'?tre jamais qu'amis. <> Mais le calme revint dans son esprit et elle trouva un ?quilibre provisoire.

Le baron Dudevant mourut pendant l'hiver 1825-1826. Aurore ?tait absente de Guillery. Son mari lui annon?a brusquement la nouvelle: <> Imm?diatement elle songea ? son fils Maurice et tomba sur les genoux, an?antie. Quand elle sut qu'il s'agissait de son beau-p?re, elle eut un ?clair de joie--<>--puis elle se mit ? pleurer, car elle aimait le vieux Dudevant. La veuve lui inspira bient?t des sentiments tout autres. Sous des formes affables, c'?tait une nature de glace, profond?ment ?go?ste. George Sand nous a trac? d'elle une amusante silhouette: <>

Au cours de l'?t?, M. et madame Dudevant retourn?rent ? Nohant, et durant les cinq ann?es suivantes Aurore ne devait gu?re s'en absenter. Sa sant?, chaque hiver, ?tait tr?s ?prouv?e par les rhumatismes qui l'obligeaient ? se couvrir de flanelle. <> En r?alit?, elle souffre de la m?me maladie morale que Saint-Preux et Julie, Ren?, Werther, Obermann. Elle a des crises de m?lancolie caus?es par l'incompatibilit? d'humeur--comme disent les gens de basoche--et aggrav?es par l'inqui?tude d'un temp?rament litt?raire. Son unique consolation, c'est son fils Maurice, dou? d'une sant? robuste. <>

En d?pit de la tristesse et de la mauvaise sant?, plusieurs des lettres d'Aurore, dat?es de cette ?poque, sont d'un tour assez leste, notamment celle qui est adress?e ? sa m?re le 17 juillet 1827. Elle la plaint d'?tre malheureuse dans le choix de ses servantes, mais lui demande si elle ne les prend pas trop jeunes, ? l'?ge de la coquetterie et de la l?g?ret?. Elle lui conseille une femme d'un ?ge m?r, <> Tout aussit?t elle lui offre le sp?cimen de Marie Guillard, une des domestiques de Nohant, veuve apr?s vingt ans de mariage avec un vieillard borgne: <> Voil? bien, sous la plume d'Aurore, un des mod?les du parfait domestique, attach? ? la maison et d?vou? ? ses ma?tres!

Une campagne ?lectorale, o? la sobri?t? n'est pas de rigueur et o? le candidat et son escorte sont vou?s ? boire chez tous les personnages influents, devait agr?er ? Casimir Dudevant. Les ?lections pass?rent; l'habitude persista, inv?t?r?e et accrue. Le seigneur de Nohant ?tait sans cesse en parties et en f?tes. <> Il est vrai que, dans une autre lettre du 4 ao?t de la m?me ann?e, elle ?crit ? sa m?re, qu'elle voulut tenir le plus longtemps possible dans l'ignorance de ses tristesses conjugales: <> Par malheur, si Casimir avait du go?t pour les occupations champ?tres, il en avait ?galement pour les filles de ferme et pour les femmes de chambre. Aurore sera contrainte de s'en apercevoir.

Pour rem?dier aux d?boires de son existence, Aurore avait la consolation de beaucoup lire--elle faisait venir de Paris les nouveaut?s--et de soigner les malades de Nohant et des alentours. Elle ?tait m?diocre m?nag?re, d?pensant 14.000 francs en une ann?e, quand son mari lui avait assign? le maximum de 10.000. Dans les lettres ? Jules Boucoiran, pr?cepteur de Maurice, ou ? sa m?re, elle n'a qu'une pens?e dominante: la sollicitude pour ses enfants. Le reste lui importe peu. Le spectacle de la vie lui a donn? un d?go?t pr?matur?. Elle parle de sa sciatique, de ses douleurs, ? la fa?on d'une sexag?naire, et elle ajoute sous couleur de badinage: <> Nohant, c'?tait pour elle la <> Elle avait comme compagnon de ses r?veries un cricri, qui venait manger ses pains ? cacheter, que d'ailleurs elle choisissait blancs, de peur qu'il ne s'empoisonn?t. Il se promenait sur son papier, voulait go?ter ? l'encre, et p?rit ?cras? par une servante qui fermait une fen?tre. <>

CHAPITRE VI

LES D?BUTS LITT?RAIRES

O? descendit-elle d?s l'abord ? Paris? Ce point est obscur. En tous cas, ce ne fut pas chez son fr?re Hippolyte, car elle ?crit ? Maurice dans sa premi?re lettre: <> Elle n'alla donc pas directement 31 rue de Seine, o? ?tait l'appartement de M. Chatiron; mais on ignore si elle se rendit rue Racine, chez Jules Sandeau, comme l'affirme M. Henri Amic, ou 4 rue des Cordiers, proche la Sorbonne, en cet h?tel Jean-Jacques Rousseau, ainsi d?nomm? parce que le philosophe genevois y avait rencontr? et aim? Th?r?se.

<>

<>

Le soir, elle va assez fr?quemment au th??tre; mais par esprit d'?conomie--et en suivant, ?crit-elle ? Boucoiran, certain conseil que vous m'avez donn?--elle s'habille en homme. Ainsi elle ?vite de renouveler sa garde-robe, et c'est en costume d'?tudiant qu'elle occupe, avec Jules Sandeau et d'autres amis, les loges qu'Henri de Latouche lui donne presque tous les soirs. Le bruit en est arriv? jusqu'? sa m?re, qui exprime son ?tonnement de cette singularit?. George Sand lui r?pond, pendant un de ses s?jours ? Nohant, en feignant de prendre le change: <>

<> Il faisait une belle nuit calme. Il nous accompagna ainsi, portant sa bougie allum?e dans un joli flambeau de vermeil cisel?, parlant des quatre chevaux arabes qu'il n'avait pas encore, qu'il aurait bient?t, qu'il n'a jamais eus, et qu'il a cru fermement avoir pendant quelque temps. Il nous e?t reconduits jusqu'? l'autre bout de Paris, si nous l'avions laiss? faire.>>

Entre Balzac et George Sand il y avait antinomie de conception. Non qu'elle e?t une th?orie pr?con?ue lorsqu'elle commen?a ? ?crire; mais son tour d'esprit devait la porter ? id?aliser les sentiments de ses personnages, alors que Balzac suivait une impulsion toute contraire et qu'il a d?finie ? merveille dans un entretien avec madame Sand: <> Et, apr?s avoir indiqu? son propre proc?d? qui consiste ? grandir ses personnages dans leur laideur ou leur b?tise, ? donner ? leurs difformit?s des proportions effrayantes ou grotesques, il conclut en disant ? sa rivale: <>

Apr?s deux s?jours ? Nohant au milieu et ? la fin de 1831, elle revient ? Paris en avril 1832, am?ne Solange et s'installe quai Saint-Michel, au cinqui?me ?tage d'une grande maison d'o? elle a une vue superbe sur Notre-Dame, Saint-Jacques la Boucherie et la Sainte-Chapelle. <> Disons plus exactement: trois petites pi?ces avec balcon pour trois cents francs par an. Mais les ?tages ?taient rudes ? monter, d'autant qu'il fallait porter Solange d?j? tr?s lourde. La porti?re faisait le m?nage pour quinze francs par mois; un gargotier du voisinage apportait la nourriture, moyennant deux francs par jour. George Sand savonnait, repassait son linge fin. Et elle ?tait plus heureuse que dans le bien-?tre mat?riel de Nohant. Elle avait emprunt? quelque argent ? Henri de Latouche pour s'acheter des meubles, somme qui fut rembours?e par M. Dudevant. Dans cette existence ?troite et presque mis?rable, elle go?tait les joies de la libert? et celles de la tendresse. <> Ici George Sand laisse transpara?tre l'enthousiasme de son premier amour vraiment complet, autrement fougueux que les expansions d'antan avec Aur?lien de S?ze. Elle confesse, en sa correspondance, l'ardeur qui circule dans ses veines, qui bouillonne dans son sein. Nous sommes sous le premier consulat, celui de Jules Sandeau.

De ce m?me style qui n'est pas exempt de mauvais go?t, le romancier se d?fend de <> et de <> Il n'aura garde de <> Apr?s nous avoir attest? qu'il n'emploiera pas son talent, <> il aboutit ? cette conclusion ampoul?e: <> Nous apprenons qu'Indiana, c'est un type d'?tre faible qui repr?sente les passions comprim?es ou supprim?es par les lois. Car George Sand, disciple de Jean-Jacques, estime que l'oeuvre de l'Etre supr?me est pervertie par notre pr?tendue civilisation. De l? les protestations qu'elle formule contre les iniquit?s sociales, tout en d?clarant, dans une langue singuli?re, n'avoir pas pour son livre <>

Je le ferais encor si j'avais ? le faire.

Si les th?ses propos?es sont discutables et captieuses, le roman en soi est attachant. L'intrigue n'offre aucune complication. Indiana, ?me sentimentale et romanesque, souffre aupr?s du colonel Delmare. Ce rude personnage a jur? de tuer quiconque braconne sur ses terres. Il atteint ainsi, mais d'un coup de fusil charg? de gros sel, un jeune voisin, Raymon de Rami?re, qui escaladait son mur pour rendre visite ? Noun, une cr?ole, soubrette d'Indiana. Assez vite, d'ailleurs, le Don Juan provincial est las de la femme de chambre en tablier blanc et en madras. Il ne demanderait qu'? passer de l'escalier de service au grand escalier. Noun s'en aper?oit et se jette dans la rivi?re prochaine. Indiana n'a-t-elle rien devin? ou ne s'alarme-t-elle pas de succ?der ? sa cam?riste? Du moins elle s'?prend de Raymon de Rami?re, malgr? les adjurations de sir Ralph Brown qui tient aupr?s d'elle l'emploi de soupirant volontairement platonique. Elle suit son mari ? l'?le Bourbon, mais sans pouvoir oublier l'amour qui la poss?de. Dans un acc?s d'exaltation, elle s'embarque pour la France, afin de rejoindre Raymon. Elle le trouve mari?. Crise de d?sesp?rance. Ralph la soigne, la gu?rit, et tous deux vont terminer leurs jours dans quelque chaumi?re indienne, renouvel?e de Bernardin de Saint-Pierre. Ainsi se manifeste l'apophtegme de George Sand: <> La d?monstration semble assez sinueuse.

Il est d?plaisant que les rendez-vous de Raymon et de Noun aient lieu dans la chambre m?me d'Indiana absente, <> Noun a pris soin d'effeuiller sur le parquet des roses du Bengale et de semer le divan de violettes. Elle a pr?par? un souper fin, et pourtant les regards de Raymon ne se dirigent pas vers les fruits et les flacons du gu?ridon, mais vers ce qui lui rappelle Indiana: ses livres, son m?tier, sa harpe, les gravures de l'?le Bourbon, et <> Accueilli par la cam?riste, c'est ? la ma?tresse qu'il va songer. Noun cependant a fait des frais de toilette, avec la garde-robe de madame Delmare, mais toute cette ?l?gance est visiblement emprunt?e. Elle a forc? le d?colletage. Voici comment George Sand nous l'explique: <> Bref, Raymon est satur? des amours ancillaires. Il demande ? monter en grade, c'est-?-dire ? descendre de la mansarde ? l'appartement.

Pour traduire ces fluctuations d'un amour qui va de l'office au boudoir, George Sand use assez volontiers du style hyperbolique et fleuri, ? la mode de 1830. Ce sont des exclamations: <> Ou bien de singuli?res manifestations de tendresse: <> Comment madame Delmare accueille-t-elle ces d?clarations adress?es ? ses pieds? Avec quelque complaisance, ce semble. <> Il est vrai que Raymon hausse le ton et secoue furieusement les cordes de sa lyre: <> Et des pages enti?res se d?roulent ainsi sur le mode d?clamatoire. Raymon s'y abandonne avec une particuli?re volubilit?. Au matin, quand il se retrouve dans cet appartement, o?, suivant l'?trange expression de George Sand, Noun s'?tait endormie souveraine et r?veill?e femme de chambre, il se jette ? genoux, <> et il prof?re une invocation: <>

Raymon de Rami?re pourrait continuer longtemps sur ce ton, si Noun n'arrivait avec son madras et son tablier, et ne s'?tonnait de le voir agenouill?, baisant et arrosant de ses larmes le lit d'Indiana. Elle crut qu'il faisait sa pri?re. Et George Sand ajoute: <> Noun ?tait na?ve, Indiana pareillement. Le romancier se charge de nous en faire part: <> D?sormais c'est suffisamment expliqu?.

Par bonheur, et pour effacer l'impression de ce pathos, il est des pages charmantes dans la partie descriptive. Voici, notamment, un paysage nocturne, qui encadre un rendez-vous d'amour: <> Ne trouvez-vous pas dans cette peinture des touches d?licates qui rappellent le proc?d? de Jean-Jacques et ?voquent la vision d'une toile de Corot?

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Sand, quand tu l'?crivais, o? donc l'avais-tu vue, Cette sc?ne terrible o? Noun, ? demi-nue, Sur le lit d'Indiana s'enivre avec Raymon? Qui donc te la dictait, cette page br?lante O? l'amour cherche en vain, d'une main palpitante, Le fant?me ador? de son illusion? En as-tu dans le coeur la triste exp?rience? Ce qu'?prouve Raymond, te le rappelais-tu? Et tous ces sentiments d'une vague souffrance Ces plaisirs sans bonheur, si pleins d'un vide immense, As-tu r?v? cela, George, ou t'en souviens-tu? N'est-ce pas le r?el dans toute sa tristesse, Que cette pauvre Noun, les yeux baign?s de pleurs, Versant ? son ami le vin de sa ma?tresse, Croyant que le bonheur, c'est une nuit d'ivresse, Et que la volupt?, c'est le parfum des fleurs? Et cet ?tre divin, cette femme ang?lique, Que dans l'air embaum? Raymon voit voltiger, Cette fr?le Indiana, dont la forme magique Erre sur les miroirs comme un spectre l?ger, O George! n'est-ce pas la p?le fianc?e Dont l'Ange du d?sir est l'immortel amant? N'est-ce pas l'Id?al, cette amour insens?e Qui sur tous les amours plane ?ternellement? Ah! malheur ? celui qui lui livre son ?me, Qui couvre de baisers sur le corps d'une femme Le fant?me d'une autre, et qui sur la beaut? Veut boire l'Id?al dans la r?alit?! Malheur ? l'imprudent qui, lorsque Noun l'embrasse, Peut penser autre chose, en entrant dans son lit, Sinon que Noun est belle et que le temps qui passe A compt? sur ses doigts les heures de la nuit!

Demain viendra le jour; demain, d?sabus?e, Noun, la fid?le Noun, par la douleur bris?e, Rejoindra sous les eaux l'ombre d'Oph?lia; Elle abandonnera celui qui la m?prise, Et le coeur orgueilleux qui ne l'a pas comprise Aimera l'autre en vain,--n'est-ce pas, L?lia?

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