Read Ebook: Tarass Boulba by Gogol Nikolai Vasilevich Viardot Louis Translator
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Ebook has 619 lines and 50173 words, and 13 pages
Nikola? Vassilievitch Gogol
TARASS BOULBA
Traduit du russe par Louis Viardot
Table des mati?res
PR?FACE
Pr?face ? l??dition de la Librairie Hachette et Cie, 1882.
CHAPITRE I
-- Voyons, tourne-toi. Dieu, que tu es dr?le! Qu'est-ce que cette robe de pr?tre? Est-ce que vous ?tes tous ainsi fagot?s ? votre acad?mie?
Voil? par quelles paroles le vieux Boulba accueillait ses deux fils qui venaient de terminer leurs ?tudes au s?minaire de Kiew, et qui rentraient en ce moment au foyer paternel.
Ses fils venaient de descendre de cheval. C'?taient deux robustes jeunes hommes, qui avaient encore le regard en dessous, comme il convient ? des s?minaristes r?cemment sortis des bancs de l'?cole. Leurs visages, pleins de force et de sant?, commen?aient ? se couvrir d'un premier duvet que n'avait jamais fauch? le rasoir. L'accueil de leur p?re les avait fort troubl?s; ils restaient immobiles, les yeux fix?s ? terre.
-- Attendez, attendez; laissez que je vous examine bien ? mon aise. Dieu! que vous avez de longues robes! dit-il en les tournant et retournant en tous sens. Diables de robes! je crois qu'on n'en a pas encore vu de pareilles dans le monde. Allons, que l'un de vous essaye un peu de courir: je verrai s'il ne se laissera pas tomber le nez par terre, en s'embarrassant dans les plis.
-- P?re, ne te moque pas de nous, dit enfin l'a?n?.
-- Voyez un peu le beau sire! et pourquoi donc ne me moquerais-je pas de vous?
-- Mais, parce que... quoique tu sois mon p?re, j'en jure Dieu, si tu continues de rire, je te rosserai.
-- Quoi! fils de chien, ton p?re! dit Tarass Boulba en reculant de quelques pas avec ?tonnement.
-- Oui, m?me mon p?re; quand je suis offens?, je ne regarde ? rien, ni ? qui que ce soit.
-- De quelle mani?re veux-tu donc te battre avec moi, est-ce ? coups de poing?
-- La mani?re m'est fort ?gale.
-- Va pour les coups de poing, r?pondit Tarass Boulba en retroussant ses manches. Je vais voir quel homme tu fais ? coups de poing.
Et voil? que p?re et fils, au lieu de s'embrasser apr?s une longue absence, commencent ? se lancer de vigoureux horions dans les c?tes, le dos, la poitrine, tant?t reculant, tant?t attaquant.
-- Voyez un peu, bonnes gens: le vieux est devenu fou; il a tout ? fait perdu l'esprit, disait la pauvre m?re, p?le et maigre, arr?t?e sur le perron, sans avoir encore eu le temps d'embrasser ses fils bien-aim?s. Les enfants sont revenus ? la maison, plus d'un an s'est pass? depuis qu'on ne les a vus; et lui, voil? qu'il invente, Dieu sait quelle sottise... se rosser ? coups de poing!
-- Mais il se bat fort bien, disait Boulba s'arr?tant. Oui, par Dieu! tr?s bien, ajouta-t-il en rajustant ses habits; si bien que j'eusse mieux fait de ne pas l'essayer. ?a fera un bon Cosaque. Bonjour, fils; embrassons-nous.
Et le p?re et le fils s'embrass?rent.
-- Bien, fils. Rosse tout le monde comme tu m'as ross?; ne fais quartier ? personne. Ce qui n'emp?che pas que tu ne sois dr?lement fagot?. Qu'est-ce que cette corde qui pend? Et toi, nigaud, que fais-tu l?, les bras ballants? dit-il en s'adressant au cadet. Pourquoi, fils de chien, ne me rosses-tu pas aussi?
-- Voyez un peu ce qu'il invente, disait la m?re en embrassant le plus jeune de ses fils. On a donc de ces inventions-l?, qu'un enfant rosse son propre p?re! Et c'est bien le moment d'y songer! Un pauvre enfant qui a fait une si longue route, qui s'est si fatigu? , il aurait besoin de se reposer et de manger un morceau; et lui, voil? qu'il le force ? se battre.
-- Eh! eh! mais tu es un freluquet ? ce qu'il me semble, disait Boulba. Fils, n'?coute pas ta m?re; c'est une femme, elle ne sait rien. Qu'avez-vous besoin, vous autres, d'?tre dorlot?s? Vos dorloteries, ? vous, c'est une belle plaine, c'est un bon cheval; voil? vos dorloteries. Et voyez-vous ce sabre? voil? votre m?re. Tout le fatras qu'on vous met en t?te, ce sont des b?tises. Et les acad?mies, et tous vos livres, et les ABC, et les philosophies, et tout cela, je crache dessus.
Ici Boulba ajouta un mot qui ne peut passer ? l'imprimerie.
-- Quoi! ils ne resteront qu'une semaine ici? disait d'une voix plaintive et les larmes aux yeux la vieille bonne m?re. Les pauvres petits n'auront pas le temps de se divertir et de faire connaissance avec la maison paternelle. Et moi, je n'aurai pas le temps de les regarder ? m'en rassasier.
-- Cesse de hurler, vieille; un Cosaque n'est pas fait pour s'avachir avec les femmes. N'est-ce pas? tu les aurais cach?s tous les deux sous ta jupe, pour les couver comme une poule ses oeufs. Allons, marche. Mets-nous vite sur la table tout ce que tu as ? manger. Il ne nous faut pas de g?teaux au miel, ni toutes sortes de petites fricass?es. Donne-nous un mouton entier ou toute une ch?vre; apporte-nous de l'hydromel de quarante ans; et donne-nous de l'eau-de-vie, beaucoup d'eau-de-vie; pas de cette eau-de-vie avec toutes sortes d'ingr?dients, des raisins secs et autres vilenies; mais de l'eau-de-vie toute pure, qui p?tille et mousse comme une enrag?e.
-- Allons, seigneurs et fr?res, dit Tarass, asseyez-vous chacun o? il lui plaira. Et vous, mes fils, avant tout, buvons un verre d'eau-de-vie. Que Dieu nous b?nisse! ? votre sant?, mes fils! ? la tienne, Ostap ! ? la tienne, Andry ! Dieu veuille que vous ayez toujours de bonnes chances ? la guerre, que vous battiez les pa?ens et les Tatars! et si les Polonais commencent quelque chose contre notre sainte religion, les Polonais aussi! Voyons, donne ton verre. L'eau-de-vie est-elle bonne? Comment se nomme l'eau-de-vie en latin? Quels sots ?taient ces Latins! ils ne savaient m?me pas qu'il y e?t de l'eau-de-vie au monde. Comment donc s'appelait celui qui a ?crit des vers latins? Je ne suis pas trop savant; j'ai oubli? son nom. Ne s'appelait-il pas Horace?
-- Voyez-vous le sournois, se dit tout bas le fils a?n?, Ostap; c'est qu'il sait tout, le vieux chien, et il fait mine de ne rien savoir.
-- Je crois bien que l'archimandrite ne vous a pas m?me donn? ? flairer de l'eau-de-vie, continuait Boulba. Convenez, mes fils, qu'on vous a vertement ?trill?s, avec des balais de bouleau, le dos, les reins, et tout ce qui constitue un Cosaque. Ou bien peut- ?tre, parce que vous ?tiez devenus grands gar?ons et sages, vous rossait-on ? coups de fouet, non les samedis seulement, mais encore les mercredis et les jeudis.
-- Il n'y a rien ? se rappeler de ce qui s'est fait, p?re, r?pondit Ostap; ce qui est pass? est pass?.
-- Qu'on essaye maintenant! dit Andry; que quelqu'un s'avise de me toucher du bout du doigt! que quelque Tatar s'imagine de me tomber sous la main! il saura ce que c'est qu'un sabre cosaque.
-- Bien, mon fils, bien! par Dieu, c'est bien parl?. Puisque c'est comme ?a, par Dieu, je vais avec vous. Que diable ai-je ? attendre ici? Que je devienne un planteur de bl? noir, un homme de m?nage, un gardeur de brebis et de cochons? que je me dorlote avec ma femme? Non, que le diable l'emporte! je suis un Cosaque, je ne veux pas. Qu'est-ce que cela me fait qu'il n'y ait pas de guerre! j'irai prendre du bon temps avec vous. Oui, par Dieu, j'y vais.
Et le vieux Boulba, s'?chauffant peu ? peu, finit par se f?cher tout rouge, se leva de table, et frappa du pied en prenant une attitude imp?rieuse.
-- Nous partons demain. Pourquoi remettre? Qui diable attendons- nous ici? ? quoi bon cette maison? ? quoi bon ces pots? ? quoi bon tout cela?
En parlant ainsi, il se mit ? briser les plats et les bouteilles. La pauvre femme, d?s longtemps habitu?e ? de pareilles actions, regardait tristement faire son mari, assise sur un banc. Elle n'osait rien dire; mais en apprenant une r?solution aussi p?nible ? son coeur, elle ne put retenir ses larmes. Elle jeta un regard furtif sur ses enfants qu'elle allait si brusquement perdre, et rien n'aurait pu peindre la souffrance qui agitait convulsivement ses yeux humides et ses l?vres serr?es.
-- Eh bien! mes enfants, leur dit-il en rentrant fatigu? ? la maison, il est temps de dormir, et demain nous ferons ce qu'il plaira ? Dieu. Mais qu'on ne nous fasse pas de lits; nous dormirons dans la cour.
La nuit venait ? peine d'obscurcir le ciel; mais Boulba avait l'habitude de se coucher de bonne heure. Il se jeta sur un tapis ?tendu ? terre, et se couvrit d'une pelisse de peaux de mouton , car l'air ?tait frais, et Boulba aimait la chaleur quand il dormait dans la maison. Il se mit bient?t ? ronfler; tous ceux qui s'?taient couch?s dans les coins de la cour suivirent son exemple, et, avant tous les autres, le gardien, qui avait le mieux c?l?br?, verre en main, l'arriv?e des jeunes seigneurs. Seule, la pauvre m?re ne dormait pas. Elle ?tait venue s'accroupir au chevet de ses fils bien-aim?s, qui reposaient l'un pr?s de l'autre. Elle peignait leur jeune chevelure, les baignait de ses larmes, les regardait de tous ses yeux, de toutes les forces de son ?tre, sans pouvoir se rassasier de les contempler. Elle les avait nourris de son lait, ?lev?s avec une tendresse inqui?te, et voil? qu'elle ne doit les voir qu'un instant.
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Depuis longtemps la lune ?clairait du haut du ciel la cour et tous ses dormeurs, ainsi qu'une masse de saules touffus et les hautes bruy?res qui croissaient contre la cl?ture en palissades. La pauvre femme restait assise au chevet de ses enfants, les couvant des yeux et sans penser au sommeil. D?j? les chevaux, sentant venir l'aube, s'?taient couch?s sur l'herbe et cessaient de brouter. Les hautes feuilles des saules commen?aient ? fr?mir, ? chuchoter, et leur babillement descendait de branche en branche. Le hennissement aigu d'un poulain retentit tout ? coup dans la steppe. De larges lueurs rouges apparurent au ciel. Boulba s'?veilla soudain et se leva brusquement. Il se rappelait tout ce qu'il avait ordonn? la veille.
-- Assez dormi, gar?ons; il est temps, il est temps! faites boire les chevaux. Mais o? est la vieille ? Vite, vieille! donne-nous ? manger, car nous avons une longue route devant nous.
Priv?e de son dernier espoir, la pauvre vieille se tra?na tristement vers la maison. Pendant que, les larmes aux yeux, elle pr?parait le d?jeuner, Boulba distribuait ses derniers ordres, allait et venait dans les ?curies, et choisissait pour ses enfants ses plus riches habits. Les ?tudiants chang?rent en un moment d'apparence. Des bottes rouges, ? petits talons d'argent, remplac?rent leurs mauvaises chaussures de coll?ge. Ils ceignirent sur leurs reins, avec un cordon dor?, des pantalons larges comme la mer Noire, et form?s d'un million de petits plis. ? ce cordon pendaient de longues lani?res de cuir, qui portaient avec des houppes tous les ustensiles du fumeur. Un casaquin de drap rouge comme le feu leur fut serr? au corps par une ceinture brod?e, dans laquelle on glissa des pistolets turcs damasquin?s. Un grand sabre leur battait les jambes. Leurs visages, encore peu h?l?s, semblaient alors plus beaux et plus blancs. De petites moustaches noires relevaient le teint brillant et fleuri de la jeunesse. Ils ?taient bien beaux sous leurs bonnets d'astrakan noir termin?s par des calottes dor?es. Quand la pauvre m?re les aper?ut, elle ne put prof?rer une parole, et des larmes craintives s'arr?t?rent dans ses yeux fl?tris.
-- Allons, mes fils, tout est pr?t, plus de retard, dit enfin Boulba. Maintenant, d'apr?s la coutume chr?tienne, il faut nous asseoir avant de partir.
Tout le monde s'assit en silence dans la m?me chambre, sans excepter les domestiques, qui se tenaient respectueusement pr?s de la porte.
-- ? pr?sent, m?re, dit Boulba, donne ta b?n?diction ? tes enfants; prie Dieu qu'ils se battent toujours bien, qu'ils soutiennent leur honneur de chevaliers, qu'ils d?fendent la religion du Christ; sinon, qu'ils p?rissent, et qu'il ne reste rien d'eux sur la terre. Enfants, approchez de votre m?re; la pri?re d'une m?re pr?serve de tout danger sur la terre et sur l'eau.
La pauvre femme les embrassa, prit deux petites images en m?tal, les leur pendit au cou en sanglotant.
-- Que la Vierge... vous prot?ge... N'oubliez pas, mes fils, votre m?re. Envoyez au moins de vos nouvelles, et pensez...
Elle ne put continuer.
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