Read Ebook: L'hôtel hanté by Collins Wilkie
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Ebook has 1563 lines and 60934 words, and 32 pages
Elle se leva, fit le tour de la chambre.
< --Je ne vous demande pas de noms, les faite seuls me suffisent. --Les faits sont de peu d'importance, reprit-elle, je n'ai que des impressions personnelles ? vous r?v?ler, et vous me prendrez probablement pour une folle imaginaire, quand vous m'aurez entendue. Qu'importe! Je vais faire mon possible pour vous contenter. Je commence par les faits, puisque vous le voulez. Mais croyez-moi, cela ne vous servira pas ? grand'chose.>> Elle s'assit de nouveau et commen?a avec la plus grande sinc?rit? la plus ?trange et la plus bizarre de toutes les confessions qu'e?t jamais entendues le docteur. < Elle s'arr?ta et sourit ? quelque pens?e qui lui traversa l'esprit. Ce sourire fit mauvaise impression sur le docteur Wybrow: il avait quelque chose de triste et de cruel ? la fois, il se dessina lentement sur ses l?vres et disparut soudain. Le docteur se demanda s'il avait bien fait de c?der ? son premier mouvement. Il songea avec un certain regret ? ses malades qui l'attendaient. La dame continua: < Elle tremblait r?ellement; elle fut oblig?e de s'arr?ter quelques instants avant de reprendre. Le docteur, attendant toujours la r?v?lation de quelque fait important, commen?ait ? craindre d'avoir ? subir un long r?cit. L'?trange sourire si triste et si froid reparut sur les l?vres de l'inconnue: < Elle continua en ces termes: Le docteur commen?ait ? s'int?resser au r?cit. < --Rien, r?pondit-on brusquement. Voici son portrait: une Anglaise comme elles le sont toutes, avec des yeux bleus, froids et clairs, le teint ros?, les mani?res pleines de politesse et de froideur, la bouche grande et r?jouie, des joues et un menton gros, et c'est tout. --Quand vos yeux se sont rencontr?s, y avait-il dans son regard une expression quelconque qui vous ait frapp?e? --Je n'y ai d?couvert que la curiosit? bien naturelle de voir la femme qui lui avait ?t? pr?f?r?e, et peut-?tre aussi quelque ?tonnement de ne pas la trouver plus belle et plus charmante: ces deux sentiments, contenus dans les limites des convenances du monde, sont les seuls que j'aie pu deviner; ils n'ont du reste fait que para?tre et dispara?tre. En proie ? une horrible agitation, toutes mes facult?s se troublaient; si j'avais pu marcher, je me serais pr?cipit?e hors de la chambre, tant cette femme me faisait peur. Mais c'est ? peine si je pus me lever, je tombai ? la renverse sur ma chaise, regardant toujours ces yeux bleus et calmes qui me fixaient alors avec une douce expression de surprise, et cependant j'?tais l? comme un oiseau fascin? par un serpent. Son ?me plongeait dans la mienne, l'enveloppant d'une crainte mortelle. Je vous dis mon impression telle que je l'ai ressentie, dans toute son horreur et dans toute sa folie. Cette femme, j'en suis s?re, est destin?e, sans le savoir, ? ?tre le mauvais g?nie de ma vie. Ses yeux limpides ont d?couvert en moi des germes de m?chancet? cach?e que je ne connaissais pas moi-m?me jusqu'au moment o? je les ai sentis tressaillir sous son regard. ? partir d'aujourd'hui, si dans ma vie je commets des fautes, si je me laisse entra?ner au crime, c'est elle qui m'en fera payer la peine involontairement, je le crois; mais involontairement ou non, ce sera elle. En un instant, toutes ces pens?es travers?rent mon esprit et se peignirent sur mes traits. Cette bonne cr?ature s'inqui?ta de moi. < Non! La personne ? qui je m'adressais avait ?t? son amie d'enfance, elle la connaissait aussi bien que si elle e?t ?t? sa soeur, elle m'affirma qu'elle ?tait aussi bonne, aussi douce, aussi incapable de ha?r que la sainte la plus parfaite qui ait jamais ?t?. Mon seul, mon unique espoir m'?chappait donc. J'aurais voulu croire que ce que j'avais ?prouv? en pr?sence de cette femme ?tait un avertissement de me tenir en garde contre elle, comme contre un ennemi; apr?s ce qu'on venait de m'en dire, cela ?tait impossible. Il me restait encore un effort ? faire, je le fis. J'allai chez celui que je dois ?pouser lui demander de me rendre ma parole. Il refusa, Je d?clarai que, malgr? tout, je voulais rompre. Il me fit voir alors des lettres de ses soeurs, des lettres de ses fr?res et de ses meilleurs amis; toutes l'engageaient ? bien r?fl?chir avant de faire de moi sa femme; toutes r?p?tant les bruits qui ont couru sur moi ? Paris, ? Vienne et ? Londres, autant de mensonges inf?mes. < Le docteur Wybrow se leva de sa chaise pour terminer l'entretien. Il ?tait fortement et p?niblement impressionn? par ce qu'il avait entendu. < Elle l'?couta avec une sorte de r?signation soumise jusqu'? la fin. < --C'est tout, r?pondit-il. --Permettez-moi de vous remercier, monsieur, reprit-elle en mettant un petit rouleau d'argent sur la table>>. Elle se leva. Ses yeux noirs et brillants avaient une expression de d?sespoir si poignant et si horrible dans leur plainte silencieuse, que le docteur d?tourna la t?te, incapable d'en supporter la vue. L'id?e de garder non seulement de l'argent, mais m?me une chose qui lui e?t appartenu, ou ? laquelle elle e?t touch?, lui ?tait insupportable. Soudain, toujours sans la regarder, il lui tendit le rouleau en disant: < Elle, sans faire attention, sans entendre, les yeux toujours lev?s au ciel se parlant ? elle-m?me, s'?cria: < Elle rabattit son voile sur son visage, salua le docteur et quitta le cabinet. Il sonna, la reconduisit jusqu'? l'antichambre, et, comme le domestique refermait la porte derri?re elle, un ?clair de curiosit? indigne de lui et en m?me temps irr?sistible traversa l'esprit du docteur. C'est en rougissant qu'il dit ? son domestique: < Pendant un instant le serviteur regarda le ma?tre, se demandant s'il en croirait ses oreilles. Le docteur Wybrow le fixa en silence. Le domestique comprit ce que ce silence signifiait, il prit son chapeau et s'?lan?a dans la rue. Le docteur rentra dans son cabinet. ? peine y fut-il qu'un changement subit se fit en lui. Cette femme avait-elle donc apport? chez lui une ?pid?mie de mauvais sentiments. Y avait-il d?j? succomb?? Quel besoin avait-il de se rabaisser aux yeux de son propre domestique? Sa conduite ?tait indigne d'un honn?te homme; d'un homme qui l'avait fid?lement servi depuis des ann?es, il venait de faire un espion! Irrit? ? cette seule pens?e, il courut ? l'antichambre et en ouvrit la porte. Le domestique avait disparu; il ?tait trop tard pour le rappeler. Il ne lui restait qu'un moyen d'oublier le m?pris qu'il se sentait pour lui-m?me: le travail. Il monta en voiture et fit ses visites ? ses malades. Si ce fameux m?decin avait pu d?truire sa r?putation, il l'aurait fait cet apr?s-midi m?me. Jamais encore il ne s'?tait montr? si peu soigneux de ses malades. Jamais encore il n'avait remis au lendemain l'ordonnance qui aurait d? ?tre ?crite ? l'instant m?me, le diagnostic qui aurait d? ?tre donn? instantan?ment. Il rentra chez lui de meilleure heure que de coutume, fort m?content. Le domestique ?tait de retour. Le docteur Wybrow n'osait plus le questionner; mais avant d'?tre interrog?, il rendit compte du r?sultat de sa mission. < Sans en entendre davantage, le docteur fit un signe de t?te comme pour remercier et entra dans son cabinet. L'argent qu'il avait refus? ?tait encore sur la table, dans son petit rouleau de papier blanc. Il le mit sous une enveloppe qu'il cacheta: il le destinait au tronc pour les pauvres du bureau de police voisin; puis, appelant le domestique, il lui donna l'ordre de le porter au magistrat d?s le lendemain matin. Fid?le ? ses devoirs, le domestique fit la question accoutum?e: < Apr?s un moment d'h?sitation, le docteur dit: < De toutes les qualit?s morales, celle qui se perd le plus facilement est sans contredit la conscience. L'esprit humain, dans certains cas, n'a pas de juge plus s?v?re qu'elle; dans d'autres, au contraire, l'esprit et la conscience sont au mieux ensemble et vivent en harmonie comme deux complices. Quand le docteur Wybrow sortit de chez lui pour la seconde fois, il ne chercha m?me pas ? se cacher ? lui-m?me que la seule raison pour d?ner au cercle ?tait de chercher ? savoir ce que le monde disait de la comtesse Narona. Il fut un temps o? l'homme, ? l'aff?t de toutes les m?disances recherchait la soci?t? des femmes. Maintenant l'homme fait mieux: il va ? son cercle et entre dans le fumoir. Un cri soudain de protestation partant de tous les c?t?s de la salle arr?ta la r?v?lation qui allait suivre et d?livra le docteur d'une plus longue pers?cution. < C'est en ces termes ou ? peu pr?s que chacun s'exprima. En causant intimement avec son plus proche voisin, le docteur d?couvrit que la dame de laquelle on causait lui ?tait d?j? connue par la confession de la comtesse: c'?tait la personne abandonn?e par lord Montbarry. Son nom ?tait Agn?s Lockwood. On disait qu'elle ?tait de beaucoup sup?rieure ? la comtesse et qu'elle ?tait en outre de quelques ann?es moins ?g?e. Faisant d'ailleurs toutes les r?serves possibles sur les mauvaises actions que les hommes commettent chaque jour dans leurs relations avec les femmes, la conduite de Montbarry semblait des plus bl?mables. Sur ce point, chacun ?tait d'accord, y compris l'avocat. Aucun d'entre eux ne put ou ne voulut se souvenir des monstrueux exemples qu'il y a de l'influence irr?sistible que certaines femmes ont sur les hommes, en d?pit de leur laideur. Les membres du cercle qui s'?tonnaient le plus du choix de Montbarry ?taient justement ceux que la comtesse, malgr? son d?faut de beaut?, e?t tr?s ais?ment fascin?s si elle e?t voulu s'en donner la peine. Pendant que le mariage de la comtesse ?tait encore le pivot de la conversation, un membre du cercle entra dans le fumoir. Son apparition fit faire aussit?t un silence absolu. Le voisin du docteur Wybrow lui dit tout bas:
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