Read Ebook: Vie de Jésus by Renan Ernest
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Ebook has 610 lines and 110018 words, and 13 pages
VIE
DE J?SUS
PAR
ERNEST RENAN
MEMBRE DE L'INSTITUT
NEUVI?ME ?DITION
PARIS
MICHEL L?VY FR?RES, LIBRAIRES ?DITEURS
RUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15
A LA LIBRAIRIE NOUVELLE
HISTOIRE
DES ORIGINES
DU CHRISTIANISME
LIVRE PREMIER
OEUVRES COMPL?TES
D'ERNEST RENAN
FORMAT IN-8?
A L'AME PURE
DE MA SOEUR HENRIETTE
MORTE A BYBLOS, LE 24 SEPTEMBRE 1861.
INTRODUCTION
O? L'ON TRAITE PRINCIPALEMENT DES SOURCES
DE CETTE HISTOIRE.
Je ne sais si j'aurai assez de vie et de force pour remplir un plan aussi vaste. Je serai satisfait si, apr?s avoir ?crit la vie de J?sus, il m'est donn? de raconter comme je l'entends l'histoire des ap?tres, l'?tat de la conscience chr?tienne durant les semaines qui suivirent la mort de J?sus, la formation du cycle l?gendaire de la r?surrection, les premiers actes de l'?glise de J?rusalem, la vie de saint Paul, la crise du temps de N?ron, l'apparition de l'Apocalypse, la ruine de J?rusalem, la fondation des chr?tient?s h?bra?ques de la Batan?e, la r?daction des ?vangiles, l'origine des grandes ?coles de l'Asie-Mineure, issues de Jean. Tout p?lit ? c?t? de ce merveilleux premier si?cle. Par une singularit? rare en l'histoire, nous voyons bien mieux ce qui s'est pass? dans le monde chr?tien de l'an 50 ? l'an 75, que de l'an 100 ? l'an 150.
Le plan suivi pour cette histoire a emp?ch? d'introduire dans le texte de longues dissertations critiques sur les points controvers?s. Un syst?me continu de notes met le lecteur ? m?me de v?rifier d'apr?s les sources toutes les propositions du texte. Dans ces notes, on s'est born? strictement aux citations de premi?re main, je veux dire ? l'indication des passages originaux sur lesquels chaque assertion ou chaque conjecture s'appuie. Je sais que pour les personnes peu initi?es ? ces sortes d'?tudes, bien d'autres d?veloppements eussent ?t? n?cessaires. Mais je n'ai pas l'habitude de refaire ce qui est fait et bien fait. Pour ne citer que des livres ?crits en fran?ais, les personnes qui voudront bien se procurer les ouvrages suivants:
les personnes, dis-je, qui voudront bien consulter ces excellents ?crits, y trouveront expliqu?s une foule de points sur lesquels j'ai d? ?tre tr?s-succinct. La critique de d?tail des textes ?vang?liques, en particulier, a ?t? faite par M. Strauss d'une mani?re qui laisse peu ? d?sirer. Bien que M. Strauss se soit tromp? dans sa th?orie sur la r?daction des ?vangiles, et que son livre ait, selon moi, le tort de se tenir beaucoup trop sur le terrain th?ologique et trop peu sur le terrain historique, il est indispensable, pour se rendre compte des motifs qui m'ont guid? dans une foule de minuties, de suivre la discussion toujours judicieuse, quoique parfois un peu subtile, du livre si bien traduit par mon savant confr?re, M. Littr?.
Je crois n'avoir n?glig?, en fait de t?moignages anciens, aucune source d'informations. Cinq grandes collections d'?crits, sans parler d'une foule d'autres donn?es ?parses, nous restent sur J?sus et sur le temps o? il v?cut, ce sont: 1? les ?vangiles et en g?n?ral les ?crits du Nouveau Testament; 2? les compositions dites <
Jos?phe, ?crivant surtout pour les pa?ens, n'a pas dans son style la m?me sinc?rit?. Ses courtes notices sur J?sus, sur Jean-Baptiste, sur Juda le Gaulonite, sont s?ches et sans couleur. On sent qu'il cherche ? pr?senter ces mouvements si profond?ment juifs de caract?re et d'esprit sous une forme qui soit intelligible aux Grecs et aux Romains. Je crois le passage sur J?sus authentique. Il est parfaitement dans le go?t de Jos?phe, et si cet historien a fait mention de J?sus, c'est bien comme cela qu'il a d? en parler. On sent seulement qu'une main chr?tienne a retouch? le morceau, y a ajout? quelques mots sans lesquels il e?t ?t? presque blasph?matoire, a peut-?tre retranch? ou modifi? quelques expressions. Il faut se rappeler que la fortune litt?raire de Jos?phe se fit par les chr?tiens, lesquels adopt?rent ses ?crits comme des documents essentiels de leur histoire sacr?e. Il s'en fit, probablement au IIe si?cle, une ?dition corrig?e selon les id?es chr?tiennes. En tout cas, ce qui constitue l'immense int?r?t de Jos?phe pour le sujet qui nous occupe, ce sont les vives lumi?res qu'il jette sur le temps. Gr?ce ? lui, H?rode, H?rodiade, Antipas, Philippe, Anne, Ca?phe, Pilate sont des personnages que nous touchons du doigt et que nous voyons vivre devant nous avec une frappante r?alit?.
Il nous reste ? parler des documents qui, se pr?sentant comme des biographies du fondateur du christianisme, doivent naturellement tenir la premi?re place dans une vie de J?sus. Un trait? complet sur la r?daction des ?vangiles serait un ouvrage ? lui seul. Gr?ce aux beaux travaux dont cette question a ?t? l'objet depuis trente ans, un probl?me qu'on e?t jug? autrefois inabordable est arriv? ? une solution qui assur?ment laisse place encore ? bien des incertitudes, mais qui suffit pleinement aux besoins de l'histoire. Nous aurons occasion d'y revenir dans notre deuxi?me livre, la composition des ?vangiles ayant ?t? un des faits les plus importants pour l'avenir du christianisme qui se soient pass?s dans la seconde moiti? du premier si?cle. Nous ne toucherons ici qu'une seule face du sujet, celle qui est indispensable ? la solidit? de notre r?cit. Laissant de c?t? tout ce qui appartient au tableau des temps apostoliques, nous rechercherons seulement dans quelle mesure les donn?es fournies par les ?vangiles peuvent ?tre employ?es dans une histoire dress?e selon des principes rationnels?
Que les ?vangiles soient en partie l?gendaires, c'est ce qui est ?vident, puisqu'ils sont pleins de miracles et de surnaturel; mais il y a l?gende et l?gende. Personne ne doute des principaux traits de la vie de Fran?ois d'Assise, quoique le surnaturel s'y rencontre ? chaque pas. Personne, au contraire, n'accorde de cr?ance ? la <
On sait que chacun des quatre ?vangiles porte en t?te le nom d'un personnage connu soit dans l'histoire apostolique, soit dans l'histoire ?vang?lique elle-m?me. Ces quatre personnages ne nous sont pas donn?s rigoureusement comme des auteurs. Les formules <
Ce qui est indubitable, en tous cas, c'est que de tr?s-bonne heure on mit par ?crit les discours de J?sus en langue aram?enne, que de bonne heure aussi on ?crivit ses actions remarquables. Ce n'?taient pas l? des textes arr?t?s et fix?s dogmatiquement. Outre les ?vangiles qui nous sont parvenus, il y en eut une foule d'autres pr?tendant repr?senter la tradition des t?moins oculaires. On attachait peu d'importance ? ces ?crits, et les conservateurs, tels que Papias, y pr?f?raient hautement la tradition orale. Comme on croyait encore le monde pr?s de finir, on se souciait peu de composer des livres pour l'avenir; il s'agissait seulement de garder en son coeur l'image vive de celui qu'on esp?rait bient?t revoir dans les nues. De l? le peu d'autorit? dont jouissent durant cent cinquante ans les textes ?vang?liques. On ne se faisait nul scrupule d'y ins?rer des additions, de les combiner diversement, de les compl?ter les uns par les autres. Le pauvre homme qui n'a qu'un livre veut qu'il contienne tout ce qui lui va au coeur. On se pr?tait ces petits livrets; chacun transcrivait ? la marge de son exemplaire les mots, les paraboles qu'il trouvait ailleurs et qui le touchaient. La plus belle chose du monde est ainsi sortie d'une ?laboration obscure et compl?tement populaire. Aucune r?daction n'avait de valeur absolue. Justin, qui fait souvent appel ? ce qu'il nomme <
Qui ne voit le prix de documents ainsi compos?s des souvenirs attendris, des r?cits na?fs des deux premi?res g?n?rations chr?tiennes, pleines encore de la forte impression que l'illustre fondateur avait produite, et qui semble lui avoir longtemps surv?cu? Ajoutons que les ?vangiles dont il s'agit semblent provenir de celle des branches de la famille chr?tienne qui touchait le plus pr?s ? J?sus. Le dernier travail de r?daction, au moins du texte qui porte, le nom de Matthieu, para?t avoir ?t? fait dans l'un des pays situ?s au nord-est de la Palestine, tels que la Gaulonitide, le Hauran, la Batan?e, o? beaucoup de chr?tiens se r?fugi?rent ? l'?poque de la guerre des Romains, o? l'on trouvait encore au IIe si?cle des parents de J?sus, et o? la premi?re direction galil?enne se conserva plus longtemps qu'ailleurs.
Et d'abord, personne ne doute que, vers l'an 150, le quatri?me ?vangile n'exist?t et ne f?t attribu? ? Jean. Des textes formels de saint Justin, d'Ath?nagore, de Tatien, de Th?ophile d'Antioche, d'Ir?n?e, montrent d?s lors cet ?vangile m?l? ? toutes les controverses et servant de pierre angulaire au d?veloppement du dogme. Ir?n?e est formel; or, Ir?n?e sortait de l'?cole de Jean, et, entre lui et l'ap?tre, il n'y avait que Polycarpe. Le r?le de notre ?vangile dans le gnosticisme, et en particulier dans le syst?me de Valentin, dans le montanisme et dans la querelle des quartod?cimans, n'est pas moins d?cisif. L'?cole de Jean est celle dont on aper?oit le mieux la suite durant le IIe si?cle; or, cette ?cole ne s'explique pas si l'on ne place le quatri?me ?vangile ? son berceau m?me. Ajoutons que la premi?re ?p?tre attribu?e ? saint Jean est certainement du m?me auteur que le quatri?me ?vangile; or, l'?p?tre est reconnue comme de Jean par Polycarpe, Papias, Ir?n?e.
Mais c'est surtout la lecture de l'ouvrage qui est de nature ? faire impression. L'auteur y parle toujours comme t?moin oculaire; il veut se faire passer pour l'ap?tre Jean. Si donc cet ouvrage n'est pas r?ellement de l'ap?tre, il faut admettre une supercherie que l'auteur s'avouait ? lui-m?me. Or, quoique les id?es du temps en fait de bonne foi litt?raire diff?rassent essentiellement des n?tres, on n'a pas d'exemple dans le monde apostolique d'un faux de ce genre. Non-seulement, du reste, l'auteur veut se faire passer pour l'ap?tre Jean, mais on voit clairement qu'il ?crit dans l'int?r?t de cet ap?tre. A chaque page se trahit l'intention de fortifier son autorit?, de montrer qu'il a ?t? le pr?f?r? de J?sus, que dans toutes les circonstances solennelles il a tenu la premi?re place. Les relations, en somme fraternelles, quoique n'excluant pas une certaine rivalit?, de l'auteur avec Pierre, sa haine au contraire contre Judas, haine ant?rieure peut-?tre ? la trahison, semblent percer ?a et l?. On est tent? de croire que Jean, dans sa vieillesse, ayant lu les r?cits ?vang?liques qui circulaient, d'une part, y remarqua diverses inexactitudes, de l'autre, fut froiss? de voir qu'on ne lui accordait pas dans l'histoire du Christ une assez grande place; qu'alors il commen?a ? dicter une foule de choses qu'il savait mieux que les autres, avec l'intention de montrer que, dans beaucoup de cas o? on ne parlait que de Pierre, il avait figur? avec et avant lui. D?j?, du vivant de J?sus, ces l?gers sentiments de jalousie s'?taient trahis entre les fils de Z?b?d?e et les autres disciples. Depuis la mort de Jacques, son fr?re, Jean restait seul h?ritier des souvenirs intimes dont ces deux ap?tres, de l'aveu de tous, ?taient d?positaires. De l? sa perp?tuelle attention ? rappeler qu'il est le dernier survivant des t?moins oculaires, et le plaisir qu'il prend ? raconter des circonstances que lui seul pouvait conna?tre. De l?, tant de petits traits de pr?cision qui semblent comme des scolies d'un annotateur: <
Une circonstance, d'ailleurs, qui prouve bien que les discours rapport?s par le quatri?me ?vangile ne sont pas des pi?ces historiques, mais des compositions destin?es ? couvrir de l'autorit? de J?sus certaines doctrines ch?res au r?dacteur, c'est leur parfaite harmonie avec l'?tat intellectuel de l'Asie-Mineure au moment o? elles furent ?crites. L'Asie-Mineure ?tait alors le th??tre d'un ?trange mouvement de philosophie syncr?tique; tous les germes du gnosticisme y existaient d?j?. Jean para?t avoir bu ? ces sources ?trang?res. Il se peut qu'apr?s les crises de l'an 68 et de l'an 70 , le vieil ap?tre, ? l'?me ardente et mobile, d?sabus? de la croyance ? une prochaine apparition du Fils de l'homme dans les nues, ait pench? vers les id?es qu'il trouvait autour de lui, et dont plusieurs s'amalgamaient assez bien avec certaines doctrines chr?tiennes. En pr?tant ces nouvelles id?es ? J?sus, il ne fit que suivre un penchant bien naturel. Nos souvenirs se transforment avec tout le reste; l'id?al d'une personne que nous avons connue change avec nous. Consid?rant J?sus comme l'incarnation de la v?rit?, Jean ne pouvait manquer de lui attribuer ce qu'il ?tait arriv? ? prendre pour la v?rit?.
Il est impossible, ? distance, d'avoir le mot de tous ces probl?mes singuliers, et sans doute bien des surprises nous seraient r?serv?es, s'il nous ?tait donn? de p?n?trer dans les secrets de cette myst?rieuse ?cole d'?ph?se qui, plus d'une fois, para?t s'?tre complu aux voies obscures. Mais une exp?rience capitale est celle-ci. Toute personne qui se mettra ? ?crire la vie de J?sus sans th?orie arr?t?e sur la valeur relative des ?vangiles, se laissant uniquement guider par le sentiment du sujet, sera ramen?e dans une foule de cas ? pr?f?rer la narration de Jean ? celle des synoptiques. Les derniers mois de la vie de J?sus en particulier ne s'expliquent que par Jean; une foule de traits de la Passion, inintelligibles dans les synoptiques, reprennent dans le r?cit du quatri?me ?vangile la vraisemblance et la possibilit?. Tout au contraire, j'ose d?fier qui que ce soit de composer une vie de J?sus qui ait un sens en tenant compte des discours que Jean pr?te ? J?sus. Cette fa?on de se pr?cher et de se d?montrer sans cesse, cette perp?tuelle argumentation, cette mise en sc?ne sans na?vet?, ces longs raisonnements ? la suite de chaque miracle, ces discours raides et gauches, dont le ton est si souvent faux et in?gal, ne seraient pas soufferts par un homme de go?t ? c?t? des d?licieuses sentences des synoptiques. Ce sont ici, ?videmment, des pi?ces artificielles, qui nous repr?sentent les pr?dications de J?sus, comme les dialogues de Platon nous rendent les entretiens de Socrate. Ce sont en quelque sorte les variations d'un musicien improvisant pour son compte sur un th?me donn?. Le th?me peut n'?tre pas sans quelque authenticit?; mais dans l'ex?cution, la fantaisie de l'artiste se donne pleine carri?re. On sent le proc?d? factice, la rh?torique, l'appr?t. Ajoutons que le vocabulaire de J?sus ne se retrouve pas dans les morceaux dont nous parlons. L'expression de <
L'histoire litt?raire offre du reste un autre exemple qui pr?sente la plus grande analogie avec le ph?nom?ne historique que nous venons d'exposer, et qui sert ? l'expliquer. Socrate, qui comme J?sus n'?crivit pas, nous est connu par deux de ses disciples, X?nophon et Platon, le premier r?pondant par sa r?daction limpide, transparente, impersonnelle, aux synoptiques, le second rappelant par sa vigoureuse individualit? l'auteur du quatri?me ?vangile. Pour exposer l'enseignement socratique, faut-il suivre les <
Les parties narratives group?es dans le premier ?vangile autour de ce noyau primitif n'ont pas la m?me autorit?. Il s'y trouve beaucoup de l?gendes d'un contour assez mou, sorties de la pi?t? de la deuxi?me g?n?ration chr?tienne. L'?vangile de Marc est bien plus ferme, plus pr?cis, moins charg? de circonstances tardivement ins?r?es. C'est celui des trois synoptiques qui est rest? le plus ancien, le plus original, celui o? sont venus s'ajouter le moins d'?l?ments post?rieurs. Les d?tails mat?riels ont dans Marc une nettet? qu'on chercherait vainement chez les autres ?vang?listes. Il aime ? rapporter certains mots de J?sus en syro-chalda?que. Il est plein d'observations minutieuses venant sans nul doute d'un t?moin oculaire. Rien ne s'oppose ? ce que ce t?moin oculaire, qui ?videmment avait suivi J?sus, qui l'avait aim? et regard? de tr?s-pr?s, qui en avait conserv? une vive image, ne soit l'ap?tre Pierre lui-m?me, comme le veut Papias.
Une grande r?serve ?tait naturellement command?e en pr?sence d'un document de cette nature. Il e?t ?t? aussi peu critique de le n?gliger que de l'employer sans discernement. Luc a eu sous les yeux des originaux que nous n'avons plus. C'est moins un ?vang?liste qu'un biographe de J?sus, un <Add to tbrJar First Page Next Page