Read Ebook: Oeuvres illustrées de George Sand Les visions de la nuit dans les campagnes - La vallée noire - Une visite aux catacombes by Sand George
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Ebook has 90 lines and 24882 words, and 2 pages
OEUVRES ILLUSTR?ES DE GEORGE SAND PR?FACES ET NOTICES NOUVELLES PAR L'AUTEUR
DESSINS DE TONY JOHANNOT ET MAURICE SAND
<
Je vois fort bien comme l'on entre, Et ne vois pas comme on en sort.
Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui, Ce ne sont pas l? mes affaires.
Quant ? la popularit? , le peuple compte les ?mes ind?pendantes, v?races et fortes, que le sentiment de la charit? humaine a fait tressaillir, que la r?v?lation de la fraternit? a jet?es dans ses bras. Il y en a peu, fort peu malheureusement, dans vos classes ?clair?es; mais on s'en contente. M. La Mennais en vaut bien quelques-uns comme ceux qui vous restent. Le peuple le sait, et ne traduit pas ses d?serteurs devant le jury.
Puis, vous vous attaquez ? son style, ? son ?nergie, ? la grandeur de sa forme, ? la br?lante indignation de sa parole. Vous les qualifiez de rage concentr?e, de sombre vengeance, de haine d?magogique. Vraiment, vous avez trop de douceur et de charit? pour souffrir cela, et vous dites dans votre style, ? vous, qui est b?nin et apostolique au dernier point: <
C'est V?nus tout enti?re ? sa proie attach?e,
se montrait bien ennemi des convenances et bien entach? d'inceste et d'adult?re dans ses secrets instincts. On n'y prit pas garde d'abord. Le si?cle ?tait si corrompu! Mais on doit s'en offenser et condamner Racine, aujourd'hui qu'on est pieux et aust?re jusqu'? ne pas permettre ? l'art et ? la po?sie de peindre le vice et le crime sous des couleurs sombres et avec l'?nergie que comporte le sujet. J'avoue cependant, pour ma part, que c'est une m?thode de critique ? laquelle je ne comprends rien du tout.
< < < < < < < < < < GEORGE SAND LES VISIONS DE LA NUIT DANS LES CAMPAGNES Vous dire que je m'en moque, serait mentir. Je n'en ai jamais eu, c'est vrai: j'ai parcouru la campagne ? toutes les heures de la nuit, seul ou en compagnie de grands poltrons, et sauf quelques m?t?ores inoffensifs, quelques vieux arbres phosphorescents et autres ph?nom?nes qui ne rendaient pas fort lugubre l'aspect de la nature, je n'ai jamais eu le plaisir de rencontrer un objet fantastique et de pouvoir raconter ? personne, comme t?moin oculaire, la moindre histoire de revenant. Les aberrations des sens sont-elles explicables? ont-elles ?t? expliqu?es? Je sais qu'elles ont ?t? constat?es, voil? tout; mais il est tr?s-faux de dire et de croire qu'elles sont uniquement l'ouvrage de la peur. Cela peut ?tre vrai en beaucoup d'occasions; mais il y a des exceptions irr?cusables. Des hommes de sang-froid, d'un courage naturel ?prouv?, et plac?s dans des circonstances o? rien ne semblait agir sur leur imagination, m?me des hommes ?clair?s, savants, illustres, ont eu des apparitions qui n'ont troubl? ni leur jugement ni leur sant?, et dont cependant il n'a pas d?pendu d'eux tous de ne pas se sentir affect?s plus ou moins apr?s coup. Parmi grand nombre d'int?ressants ouvrages publi?s sur ce sujet, il faut noter celui du docteur Brierre de Boismont, qui analyse aussi bien que possible les causes de l'hallucination. Je n'apporterai apr?s ces travaux s?rieux qu'une seule observation utile ? enregistrer, c'est que l'homme qui vit le plus pr?s de la nature, le sauvage, et apr?s lui le paysan, sont plus dispos?s et plus sujets que les hommes des autres classes aux ph?nom?nes de l'hallucination. Sans doute l'ignorance et la superstition les forcent ? prendre pour des prodiges surnaturels ces simples aberrations de leurs sens; mais ce n'est pas toujours l'imagination qui les produit, je le r?p?te; elle ne fait le plus souvent que les expliquer ? sa guise. Dira-t-on que l'?ducation premi?re, les contes de la veill?e, les r?cits effrayants de la nourrice et de la grand'm?re disposent les enfants et m?me les hommes ? ?prouver ce ph?nom?ne? Je le veux bien. Dira-t-on encore que les plus simples notions de physique ?l?mentaire et un peu de moquerie voltairienne en purgeraient ais?ment les campagnes? Cela est moins certain. L'aspect continuel de la campagne, l'air qu'il respire ? toute heure, les tableaux vari?s que la nature d?roule sous ses yeux, et qui se modifient ? chaque instant dans la succession des variations atmosph?riques, ce sont l? pour l'homme rustique des conditions particuli?res d'existence intellectuelle et physiologique; elles font de lui un ?tre plus primitif, plus normal peut-?tre, plus li? au sol, plus confondu avec les ?l?ments de la cr?ation que nous ne le sommes quand la culture des id?es nous a s?par?s pour ainsi dire du ciel et de la terre, en nous faisant une vie factice enferm?e dans le moellon des habitations bien closes. M?me dans sa hutte ou dans sa chaumi?re, le sauvage ou le paysan voit encore dans le nuage, dans l'?clair et le vent qui enveloppent ces fragiles demeures. Il y a sur l'Adriatique des p?cheurs qui ne connaissent pas l'abri d'un toit; ils dorment dans leur barque, couverts d'une natte, la face ?clair?e par les ?toiles, la barbe caress?e par la brise, le corps sans cesse berc? par le flot. Il y a des colporteurs, des boh?miens, des conducteurs de bestiaux, qui dorment toujours en plein air comme les Indiens de l'Am?rique du Nord. Certes, le sang de ces hommes-l? circule autrement que le n?tre, leurs nerfs ont un ?quilibre diff?rent, leurs pens?es un autre cours, leurs sensations une autre mani?re de se produire. Interrogez-les, il n'en est pas un qui n'ait vu des prodiges, des apparitions, des sc?nes de nuit ?tranges, inexplicables. Il en est parmi eux de tr?s-braves, de tr?s-raisonnables, de tr?s-sinc?res, et ce ne sont pas les moins hallucin?s. Lisez toutes les observations recueillies ? cet ?gard, vous y verrez, par une foule de faits curieux et bien observ?s, que l'hallucination est compatible avec le plein exercice de la raison. C'est un ?tat maladif du cerveau; cependant il est presque toujours possible d'en pressentir la cause physique ou morale dans une perturbation de l'?me ou du corps; mais elle est quelquefois inattendue et myst?rieuse au point de surprendre et de troubler un instant les esprits les plus fermes. Chez les paysans, elle se produit si souvent qu'elle semble presque une loi r?guli?re de leur organisation. Elle les effraie autrement que nous. Notre grande terreur, ? nous autres, quand le cauchemar ou la fi?vre nous pr?sentent leurs fant?mes, c'est de perdre la raison, et plus nous sommes certains d'?tre la proie d'un songe, plus nous nous affectons de ne pouvoir nous y soustraire par un simple effort de la volont?. On a vu des gens devenir fous par la crainte de l'?tre. Les paysans n'ont pas cette angoisse; ils croient avoir vu des objets r?els; ils en ont grand'peur; mais la conscience de leur lucidit? n'?tant point ?branl?e, l'hallucination est certainement moins dangereuse pour eux que pour nous. L'hallucination n'est d'ailleurs pas la seule cause de mon penchant ? admettre, jusqu'? un certain point, les visions de la nuit. Je crois qu'il y a une foule de petits ph?nom?nes nocturnes, explosions ou incandescences de gaz, condensations de vapeurs, bruits souterrains, spectres c?lestes, petits a?rolithes, habitudes bizarres et inobserv?es, aberrations m?me chez les animaux, que sais-je? des affinit?s myst?rieuses ou des perturbations brusques des habitudes de la nature, que les savants observent par hasard et que les paysans, dans leur contact perp?tuel avec les ?l?ments, signalent ? chaque instant sans pouvoir les expliquer. Mais pourquoi ne pas admettre qu'un homme qui vit au sein des for?ts, qui peut, ? toutes les heures du jour et de la nuit, surprendre et observer les moeurs des animaux sauvages, aurait pu d?couvrir, par hasard, ou par un certain g?nie d'induction, le moyen de les soumettre et de s'en faire aimer? J'irai plus loin: pourquoi n'aurait-il pas un certain fluide sympathique ? certaines esp?ces? Nous avons vu, de nos jours, de si intr?pides et de si habiles dompteurs d'animaux forc?es en cage, qu'un effort de plus, et on peut admettre la domination de certains hommes sur les animaux sauvages en libert?. Mais pourquoi ces hommes cacheraient-ils leur secret, et ne tireraient-ils pas profit et vanit? de leur puissance? Cette tradition est universelle. Il y a peu de ruines, ch?teaux ou monast?res, peu de monuments celtiques qui ne rec?lent leur tr?sor. Tous sont gard?s par un animal diabolique. M. Jules Canougo, dans un charmant recueil de contes m?ridionaux, a rendu gracieuse et bienfaisante la po?tique apparition de la ch?vre d'or, gardienne des richesses cach?es au sein de la terre. Dans nos climats moins riants, autour des dolmens qui couronnent les collines pel?es de la Marche, c'est un boeuf blanc, ou un veau d'or, ou une g?nisse d'argent qui font r?ver les imaginations avides; mais ces animaux sont m?chants et terribles ? rencontrer. On y court tant de risques, que personne encore n'a os? les saisir par les cornes. Et cependant il y a des si?cles que les grosses pierres druidiques dansent et grincent sur leurs fr?les supports pendant la messe de minuit, pour ?veiller la convoitise des passants. Mais voici la plus effrayante des visions de la nuit. Autour des mares stagnantes, dans les bruy?res comme au bord des fontaines ombrag?es dans les chemins creux, sous les vieux saules comme dans la plaine nue, on entend au milieu de la nuit le battoir pr?cipit? et le clapotement furieux des lavandi?res. Dans beaucoup de provinces, on croit qu'elles ?voquent la pluie et attirent l'orage, en faisant voler jusqu'aux nues avec leur battoir agile l'eau des sources et des mar?cages. Chez nous, c'est bien pire, elles battent et tordent quelque objet qui ressemble ? du linge, mais qui, vu de pr?s, n'est autre chose que des cadavres d'enfants. Il faut se garder de les observer ou de les d?ranger, car eussiez-vous six pieds de haut et des muscles en proportion, elles vous saisiraient, vous battraient et vous tordraient dans l'eau ni plus ni moins qu'une paire de bas. Nous avons entendu souvent le battoir des lavandi?res fantastiques r?sonner dans le silence de la nuit autour des mares d?sertes. C'est ? s'y tromper. C'est une esp?ce de grenouille qui produit ce bruit formidable. Mais c'est bien triste de faire cette pu?rile d?couverte, et de ne plus esp?rer l'apparition des terribles sorci?res tordant leurs haillons immondes ? la brume des nuits de novembre, aux premi?res clart?s d'un croissant blafard refl?t? par les eaux. Un mien ami, homme de plus d'esprit que de sens, je dois l'avouer, sujet ? l'ivresse, tr?s-brave cependant devant les choses r?elles, mais facile ? impressionner par les l?gendes du pays, fit deux rencontres de lavandi?res qu'il ne racontait qu'avec une grande ?motion. Un soir, vers onze heures, dans une tra?ne charmante qui court en serpentant et en bondissant, pour ainsi dire, sur le flanc ondul? du ravin d'Ormous, il vit, au bord d'une source, une vieille qui battait et tordait en silence. Quoique la fontaine soit mal fam?e, il ne vit rien l? de surnaturel, et dit ? cette vieille:--Vous lavez bien tard, la m?re!--Elle ne r?pondit point. Il la crut sourde et approcha. La lune ?tait brillante et la source ?clairait comme un miroir. Il vit distinctement les traits de la vieille: elle lui ?tait compl?tement inconnue, et il en fut ?tonn?, parce qu'avec sa vie de cultivateur, de chasseur et de fl?neur dans la campagne, il n'y avait pas pour lui de visage inconnu ? plusieurs lieues ? la ronde. Voici comme il me raconta lui-m?me ses impressions en face de cette laveuse singuli?rement vigilante: < Une seconde fois, le m?me ami passait aupr?s des ?tangs de Thevet vers deux heures du matin. Il venait de Limi?res, o? il assure qu'il n'avait ni mang? ni bu, circonstance que je ne saurais garantir; il ?tait seul, en cabriolet, suivi de son chien. Son cheval ?tant fatigu?, il mit pied ? terre ? une mont?e et se trouva au bord de la route, pr?s d'un foss? ou trois femmes lavaient, battaient et tordaient avec une grande activit?, sans rien dire. Son chien se serra tout ? coup contre lui sans aboyer. Il passa sans trop regarder; mais ? peine eut-il fait quelques pas, qu'il entendit marcher derri?re lui et que la lune dessina ? ses pieds une ombre tr?s-allong?e. Il se retourna et vit une de ces femmes qui le suivait. Les deux autres venaient ? quelque distance comme pour appuyer la premi?re. < Ce d?tail n'est consign? dans aucune histoire, mais la tradition est l? qui en fait foi; et maintenant voici la l?gende de l'Orme R?teau qui est jolie, malgr? la nature des animaux qui y jouent leur r?le. Un jeune gar?on gardait un troupeau de porcs autour de l'Orme R?teau. Il regardait du cot? de la Ch?tre, lorsqu'il vit accourir une grande bande arm?e qui d?vastait les champs, br?lait les chaumi?res, massacrait les paysans et enlevait les femmes. C'?taient les Anglais qui descendaient de la Marche sur le Berry et qui s'en allaient ravager Saint-Chartier. Le porcher ?loigna son troupeau, se tint ? distance, et vit passer l'ennemi comme un ouragan. Quand il revint sous l'orme avec son troupeau, la peur qu'il avait ressentie fit place ? une grande col?re contre les Anglais et contre lui-m?me. < Une autre tradition plus confuse attribue ? l'Orme R?teau une moins b?nigne influence. Des enfants, saisis de vertige, auraient eu l'horrible id?e de jouer leur vie aux petits palets et auraient enterr? vivant le perdant sous la pierre de saint Antoine. La France populaire des campagnes est tout aussi fantastique cependant que les nations slaves ou germaniques; mais il lui a manqu?, il lui manquera probablement un grand po?te pour donner une forme pr?cise et durable aux ?lans, d?j? affaiblis, de son imagination. Qu'est-ce donc que cette race armoricaine qui s'est nourrie, depuis le druidisme jusqu'? la chouannerie, d'une telle moelle? Nous la savions bien forte et fi?re, mais pas grande ? ce point avant qu'elle e?t chant? ? nos oreilles. G?nie ?pique, dramatique, amoureux, guerrier, tendre, triste, sombre, moqueur, na?f, tout est l?! Et au-dessus de ce monde de l'action et de la pens?e plane le r?ve: les sylphes, les gn?mes, les djiins de l'Orient, tous les fant?mes, tous les g?nies de la mythologie pa?enne et chr?tienne voltigent sur ces t?tes exalt?es et puissantes. En v?rit?, aucun de ceux qui tiennent une plume ne devrait rencontrer un Breton sans lui ?ter son chapeau. Le Berry a sa musique, mais il n'a pas sa litt?rature, ou bien elle s'est perdue comme aurait pu se perdre la po?sie bretonne si M. de la Villemarqu? ne l'e?t recueillie ? temps. Ces richesses in?dites s'alt?rent insensiblement dans la m?moire des bardes illettr?s qui les propagent. Je sais plusieurs complaintes et ballades berrichonnes qui n'ont plus ni rime ni raison, et o?, ?a et l?, brille un couplet d'une facture charmante, qui appartient ?videmment ? un texte original affreusement corrompu quant au reste. Pour ?tre priv?e de ses archives po?tiques, l'imagination de nos paysans n'est pas moins riche que celle des Allemands, et ce sens particulier de l'hallucination dont j'ai parl? pr?c?demment, l'atteste suffisamment. On est ?tonn? de voir combien les sc?nes de la nature impressionnent le paysan. Il semblerait qu'elles doivent agir davantage sur l'imagination des habitants des villes, et que l'homme, accoutum? d?s son enfance ? errer ou ? travailler le jour et la nuit dans une m?me localit?, en conna?t si bien les d?tails et les diff?rents aspects qu'il ne puisse plus y ressentir ni ?tonnement ni trouble. C'est tout le contraire: le braconnier qui, depuis quarante ans, chasse au collet ou ? l'aff?t, ? la nuit tombante, voit les animaux m?mes dont il est le fl?au prendre, dans le cr?puscule, des formes effrayantes pour la menacer. Le p?cheur de nuit, le meunier qui vit sur la rivi?re m?me, peuplent de fant?mes les brouillards argent?s par la lune; l'?leveur de bestiaux qui s'en va lier les boeufs ou conduire les chevaux au p?turage, apr?s la chute du jour ou avant son lever, rencontre dans sa haie, dans son pr?, sur ses b?tes m?mes, des ?tres inconnus, qui s'?vanouissent ? son approche, mais qui le menacent en fuyant. Heureuses, selon nous, ces organisations primitives, ? qui sont r?v?l?s les secrets du monde surnaturel, et qui ont le don de voir et d'entendre de si ?tranges choses! Nous avons beau faire, nous autres, ?couter des histoires ? faire dresser les cheveux sur la t?te, nous battre les flancs pour y croire, courir la nuit dans les lieux hant?s par les esprits, attendre et chercher la peur inspiratrice, m?re des fant?mes, le diable nous fuit comme si nous ?tions des saints: Lucifer d?fend ? ses milices de se montrer aux incr?dules.--Les animaux sorciers ne sont pas rares: c'est pourquoi il faut faire attention ? ce qu'on dit devant certains d'entre eux. Un m?tayer de de nos environs voyait tous les jours un vieux li?vre s'arr?ter ? peu de distance de lui, se l?cher les pattes, et le regarder d'un air narquois: or ce m?tayer finit, en y faisant bien attention, par reconna?tre son propri?taire sous le d?guisement dudit li?vre. Il lui ?ta son chapeau, pour lui faire entendre qu'il n'?tait point sa dupe, et que la plaisanterie ?tait inutile. Mais le bourgeois, qui ?tait malin, parut ne pas comprendre, et continua ? le surveiller sous cette apparence. Cela f?cha le m?tayer, qui ?tait honn?te homme, et que le soup?on blessait d'autant plus, que son ma?tre, lorsqu'il venait chez lui sous figure de chr?tien, ne lui marquait aucune m?fiance. Il prit son fusil un beau soir, comptant bien lui faire peur, et le corriger de cette manie de faire le li?vre. Il essaya m?me de le coucher en joue; mais la preuve que cet animai n'?tait pas plus li?vre que vous et moi, c'est que le fusil ne l'inqui?ta nullement, et qu'il se mit, ? rire.--Ah ?a, ?coutez, not' ma?tre! s'?cria le brave homme perdant patience, ?tez-vous de l?, ou, aussi vrai que j'ai re?u le bapt?me, je vous flanque mon coup de fusil. On a vu souvent des animaux de ce genre, frapp?s et bless?s, dispara?tre ?galement; mais le lendemain, la personne soup?onn?e ne se montrait pas, et, si on allait chez elle, on la trouvait au lit, fort endommag?e. On aurait pu retirer de son corps le plomb qui ?tait entr? dans celui de la b?te, car aussi vrai que ces choses se sont vues, c'?tait le m?me plomb. C'est une maladie du crin, une sorte de plique chevaline, assez fr?quente dans nos p?turages. Ce crin est impossible ? d?m?ler, cela est certain; mais il est certain aussi qu'on peut le couper sans que l'animal en souffre, et que c'est le seul parti ? prendre. Les paysans s'en gardent bien. Ce sont les ?triers du follet; et, s'il ne les trouvait plus pour y passer ses petites jambes, il pourrait tomber; et, comme il est fort col?re, il tuerait imm?diatement la pauvre b?te tondue. La nuit de No?l est, en tous pays, la plus solennelle crise du monde fantastique. Toujours par suite de ce besoin qu'?prouvent les hommes primitifs de compl?ter le miracle religieux par le merveilleux de leur vive imagination dans tous les pays chr?tiens, comme dans toutes les provinces de France, le coup de minuit de la messe de No?l ouvre les prodiges du sabbat, en m?me temps qu'il annonce la comm?moration de l'?re divine. Le ciel pleut de bienfaits ? cette heure sacr?e; aussi l'enfer vaincu, voulant disputer encore au Sauveur la conqu?te de l'humanit?, vient-il s'offrir ? elle pour lui donner les biens de la terre, sans m?me exiger en ?change le sacrifice du salut ?ternel: c'est une flatterie, une avance gratuite que Satan fait ? l'homme. Le paysan pense qu'il peut en profiter. Il est assez malin pour ne pas se laisser prendre au pi?ge; il se croit bien aussi rus? que le diable, et il ne se trompe gu?re. Dans ma propre maison, moi qui vous raconte ceci, la chose se passe ainsi tous les ans, non pas sous nos yeux, mais au su de tout le monde, et de l'aveu m?me des m?tayers. Je dis: non pas sous nos yeux, car le charme est impossible si un regard indiscret vient le troubler. Le m?tayer, plus d?fiant qu'il n'est possible d'?tre curieux, se barricade de mani?re ? ne pas laisser une fente; et d'ailleurs, si vous ?tes l? quand il veut entrer dans l'?table, il n'y entrera point; il ne fera pas sa conjuration, et gare aux reproches et aux contestations s'il perd des bestiaux dans l'ann?e: c'est vous qui lui aurez caus? le dommage. Quant ? sa famille, ? ses serviteurs, ? ses amis et voisins, il n'y a pas de risque qu'ils le g?nent dans ses op?rations myst?rieuses. Tous convaincus de l'utilit? souveraine de la chose, ils n'ont garde d'y apporter obstacle. Ils s'en vont bien vite ? la messe, et ceux que leur ?ge ou la maladie retient ? la maison ne se soucient nullement d'?tre initi?s aux terribles ?motions de l'op?ration. Ils se barricadent de leur c?t?, frissonnant dans leur lit si quelque bruit ?trange fait hurler les chiens et mugir les troupeaux.
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