Read Ebook: Oeuvres illustrées de George Sand Les visions de la nuit dans les campagnes - La vallée noire - Une visite aux catacombes by Sand George
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Ebook has 90 lines and 24882 words, and 2 pages
Quant ? sa famille, ? ses serviteurs, ? ses amis et voisins, il n'y a pas de risque qu'ils le g?nent dans ses op?rations myst?rieuses. Tous convaincus de l'utilit? souveraine de la chose, ils n'ont garde d'y apporter obstacle. Ils s'en vont bien vite ? la messe, et ceux que leur ?ge ou la maladie retient ? la maison ne se soucient nullement d'?tre initi?s aux terribles ?motions de l'op?ration. Ils se barricadent de leur c?t?, frissonnant dans leur lit si quelque bruit ?trange fait hurler les chiens et mugir les troupeaux.
D'abord, pendant la messe de minuit, les b?tes parlent, et le m?tayer doit s'abstenir d'entendre leur conversation. Un jour, le p?re Casseriot, qui ?tait faible ? l'endroit de la curiosit?, ne put se tenir d'?couter ce que son boeuf disait ? son ?ne. <<--Pourquoi que t'es triste, et que tu ne manges point? disait le boeuf.--Ah! mon pauvre vieux, j'ai un grand chagrin, r?pondit l'?ne. Jamais nous n'avons eu si bon ma?tre, et nous allons le perdre!--Ce serait grand dommage, reprit le boeuf, qui ?tait un esprit calme et philosophique.--Il ne sera plus de ce monde dans trois jours, reprit l'?ne, dont la sensibilit? ?tait plus expansive, et qui avait des larmes dans la voix.--C'est grand dommage, grand dommage! r?pliqua le boeuf en ruminant.--Le p?re Casseriot eut si grand peur, qu'il oublia de faire son charme, courut se mettre au lit, y fut pris de fi?vre chaude, et mourut dans les trois jours.
GEORGE SAND
LA VALL?E-NOIRE
Un habitant de la Brenne, en m'adressant des paroles trop flatteuses, me demandait, il y a quelque temps, o? je prenais la Vall?e-Noire. Cette question me pique, je l'avoue. Je viens dire aux gens de M?zi?res-en-Brenne, aussi bien qu'? ceux de La Ch?tre, o? je prends la Vall?e-Noire.
Eh, mes chers compatriotes, je la prends o? elle est! N'y a-t-il pas une g?ographie naturelle dont ne peuvent tenir compte les d?nominations et les d?limitations administratives? Cette g?ographie de fait existera toujours, et chacun a le droit de la r?tablir dans la logique de ses regards et de sa pens?e. Si c'est un pur caprice de romancier qui m'a fait donner un nom quelconque , ? cette admirable r?gion que nous avons le bonheur d'habiter, ce n'en est pas moins apr?s un examen raisonn? que j'ai fait, de ce coin du Berry, un point particulier, ayant sa physionomie, ses usages, son costume, sa langue, ses moeurs et ses traditions. Je pensais devoir garder pour moi-m?me cette d?couverte innocente. Il me plaisait seulement de ramener souvent l'action de mes romans dans ce cadre de pr?dilection. Mais puisqu'on veut que la Vall?e-Noire n'existe que dans ma cervelle, je pr?tends prouver qu'elle existe, distincte de toutes les r?gions environnantes, et qu'elle m?ritait un nom propre.
Elle fait partie de l'arrondissement de La Ch?tre; mais cet arrondissement s'?tend plus loin, vers Eguzon et l'ancienne Marche. L?, le pays change tellement d'aspect, que c'est bien r?ellement un autre pays, une autre nature. La Vall?e-Noire s'arr?te par l? ? Cluis. De cette hauteur on plonge sur deux versants bien diff?rents. L'un sombre de v?g?tation, fertile, profond et vaste, c'est la Vall?e-Noire: l'autre maigre, ondul?, sem? d'?tangs, de bruy?res et de bois de ch?taigniers. Ce pays-l? est superbe aussi pour les yeux, mais superbe autrement. C'est encore le ressort du tribunal de La Ch?tre, mais ce n'est plus la Vall?e-Noire. Plus vous avancez vers le Pin et le cours de la Creuse et de la Gargilesse, plus vous entrez dans la Suisse du Berry. La Vall?e-Noire en est le bocage, comme la Brenne en est la steppe.
Je veux d'abord, pour me d?barrasser de toute chicane, tracer la carte de cette vall?e. Faites courir une ligne circulaire, partant, si vous voulez, de Cluis-Dessus, qui est le point de mire de tous les horizons de la Vall?e-Noire, et faites-la passer par toutes les hauteurs qui enferment et prot?gent notre bocage. Du c?t? de Cluis, toutes les hauteurs sont bois?es, c'est ce qui donne ? nos lointains cette belle couleur bleue qui devient violette et quasi noire dans les jours orageux. C'est, d'un c?t?, le bois Fonteny; de l'autre, le bois Mavoye, le bois Gros, le bois Saint-George. Dirigez votre ligne d'enceinte vers les plateaux d'Aigurande, de Sazeray, Vijon, les sources de l'Indre, les bois de Vicher, la for?t de Maritet, Ch?teau-meillant, le bois de Boulaise, Thevet, Verneuil, Vilch?re, Corlay. De l? vous dirigez votre vol d'oiseau vers les bois du Magni?, o? la vall?e s'abaisse et se perd avec le cours de l'Indre dans les brandes d'Ardentes. Si vous voulez la retrouver, il faut vous ?loigner de ces tristes steppes et remonter vers le Lys-Saint-George, d'o? vous la verrez se perdre ? votre droite, avec le cours de la Bouzanne, dans la direction de Jeu-les-Bois et des brandes d'Arthon. A votre gauche, elle se creuse majestueusement, pour se relever vers Neuvy-Saint-S?pulchre et vous ramener au clocher de Cluis, votre point de d?part, que, dans toute cette tourn?e, vous n'avez gu?re perdu de vue.
Si vous traversez cette vall?e, qui comprend une grande partie de l'arrondissement de La Ch?tre, vous trouverez des d?tails charmants ? chaque pas. Mais ne vous ?tonnez pourtant point, voyageurs exigeants, si vous avez ? traverser certaines r?gions plates et nues. De loin, ces clairi?res fromentales m?laient admirablement leurs grandes raies jaunes ? la verdure des prairies bocag?res. De pr?s, se trouvant presque de niveau avec de l?gers rel?vements de terrain, elles offrent peu d'horizon, peu d'ombrage, et l'on ne se croirait plus dans ce pays enchant? qu'on va bient?t retrouver. C'est qu'il est impossible de ne pas traverser des veines de ce genre sur une aussi grande ?tendue de terrain. La Vall?e-Noire, a, selon moi, une quarantaine de lieues de superficie, quarante-cinq ? cinquante mille habitants, et une vingtaine de petites rivi?res formant affluents aux principales, qui sont l'Indre, la Bouzanne, la Vauvre, et l'Igneraie.
Je lui recommande l?, tout pr?s du gu?, le moulin d'Angibault, h?las! bien ?branch? et bien ?clairci depuis l'ann?e derni?re. Puis il reprendra le chemin de Transault. Il s'arr?tera un instant au petit ?tang de Lajon, o? les poules d'eau gloussent au printemps parmi les n?nuphars blancs et les joncs serr?s. Il traversera Transault, et, s'il prend le plus long pour arriver au Lys-Saint-George, c'est-?-dire s'il oblique par le chemin de gauche, il verra le vallon de Neuvy se pr?senter sous un aspect enchanteur. Au Lys, il visitera le ch?teau et l'affreux cachot o? Ludovic Sforce a langui dix-huit mois. Il d?jeunera en plein air, je le lui conseille, pour admirer le pays environnant, et ensuite il ira gagner le Magni? par Fourche et la grande prairie.
Du Lys ? Fourche, le pays change d'aspect. C'est l? que la vall?e s'ouvre sur des landes tourment?es, et commence ? cesser d'?tre Vall?e-Noire. Les arbres deviennent plus rares, les horizons moins harmonieux, les terres plus froides. Mais l'aspect de cette r?gion transitoire et grandiose, quand le soleil fait ?tinceler les flaques d'eau en s'abaissant derri?re les buttes in?gales o? la bruy?re commence ? se montrer, plante folle et charmante, qui s'?tale fi?rement ? c?t? du dernier sillon trac? par le laboureur sur cette limite du fromental g?n?reux et de la brande inf?conde.
Bon voyageur, tu t?cheras de ne pas te tromper de chemin, car tu pourrais courir longtemps avant de trouver l'Indre gu?able. Pour rentrer dans la Vall?e-Noire, tu demanderas Fourche; car si tu prends par Mers , tu ne verrais pas ce soir un coin de bois qu'il faut traverser avant Fourche, et qui est, sur ma parole, un joli coin de bois. Le petit castel du Magni?, les jardins et les bois si bien plant?s et si bien situ?s qui l'entourent, son air d'abandon, son silence et sa po?sie, ont bien aussi leur m?rite.
Mais, dans cette tourn?e, o? mangeras-tu, o? dormiras-tu, o? trouveras-tu du caf?, des journaux, des cigares, et quelqu'un ? qui parler? Nulle part, je t'en pr?viens. Tu feras comme tu pourras, et m?me, pour te diriger ? travers ce labyrinthe de chemins verdoyants et perfides, tu trouveras peu d'aide. Les passants sont rares, les m?tairies sont vides ? la saison des travaux d'?t?, seule saison o? le pays ne soit pas inond? et impraticable. Tu n'es pas ici en Suisse; si tu demandes ? un paysan de te servir de guide, il te r?pondra en riant: <
Et, au fait, pourquoi voudrait-on venir de loin pour le voir, ce pays modeste qui n'appelle personne, et dont l'humble et calme beaut? n'est pas faite pour piquer la curiosit? des oisifs? Dans les pays ? grands accidents, comme les montagnes ?lev?es, la nature est orgueilleuse et semble d?daigner les regards, comme ces fi?res beaut?s qui sont certaines de les attirer toujours. Dans d'autres contr?es moins grandioses, elle se fait coquette dans les d?tails, et inspire des passions au paysagiste. Mais elle n'est ni farouche ni pr?venante dans la Vall?e-Noire elle est tranquille, sereine, et muette sous un sourire de bont? myst?rieuse. Si l'on comprend bien sa physionomie, on peut ?tre s?r que l'on conna?t le caract?re de ses habitants. C'est une nature qui ne se farde en rien et qui s'ignore elle-m?me. Il n'y a pas l? d'exub?rance irr?fl?chie, mais une f?condit? patiente et in?puisable. Point de luxe, et pourtant la richesse; aucun d?tail qui m?rite de fixer l'attention, mais un vaste ensemble dont l'harmonie vous p?n?tre peu ? peu, et fait entrer dans l'?me le sentiment du repos. Enfin on peut dire de cette nature qu'elle poss?de une am?nit? grave, une majest? forte et douce, et qu'elle semble dire ? l'?tranger qui la contemple: <
J'ai dit que comprendre la physionomie de cette contr?e, c'?tait conna?tre le caract?re de ses habitants, et j'ai dit l? une grande na?vet?. Le sol ne communique-t-il pas ? l'homme des instincts et une organisation analogue ? ses propri?t?s essentielles? La terre, et le bras et le cerveau de l'homme qui la cultive ne r?agissent-ils pas continuellement l'un sur l'autre? A intensit? ?gale de soleil, le plus ou moins de vertu du sol fait un air plus ou moins souple et sain, plus ou moins pur et vivifiant. L'air est admirablement doux et respirable dans la Vall?e-Noire. Point de grandes rivi?res, conducteurs ?lectriques des ouragans et des maladies; point d'eaux stagnantes, de mar?cages conservateurs perfides des germes pestilentiels. Partout des mouvements de terrain dont la science agricole pourrait tirer sans doute un meilleur parti, mais qui du moins facilitent naturellement un rapide ?coulement aux inondations; des terres qui ne s?chent pas vite, mais qui ne s'imbibent pas vite non plus, et qui ne communiquent pas de brusques transitions ? l'atmosph?re. L'homme qui na?t dans cet air tranquille ne conna?t ni l'excitation f?brile des pays des montagnes, ni l'accablement des r?gions br?lantes. Il se fait un temp?rament pacifique et soutenu. Ses instincts manquent d'?lan; mais s'il ignore les mouvements imp?tueux de l'imagination, il conna?t les douceurs de la m?ditation, et la puissance de l'ent?tement, cette force du paysan, qui raisonne ? sa mani?re, et s'arrange, en d?pit du progr?s, pour l'esp?ce de bonheur et de dignit? qu'il con?oit. Les gens civilis?s parlent bien ? leur aise de bouleverser tout cela, oubliant qu'il y a bien des choses ? respecter dans ces antiques habitudes de sobri?t? morale et physique, et que le paysan ne fera jamais bien que ce qu'il fera de bonne gr?ce.
Si le sol agit lentement et myst?rieusement sur le temp?rament et le caract?re de l'homme, l'homme, ? son tour, agit ostensiblement sur la physionomie du sol. Son action para?t plus prompte, il faut moins de temps pour ?brancher un arbre, ou creuser un foss?, que pour faire des dents de sagesse: mais cette action du bras humain ?tant moins soutenue, est soumise ? des lois moins fixes; celle du sol reste victorieuse ? la longue, et l'homme ne change pas plus dans la Vall?e-Noire, que le syst?me du labourage et l'aspect des campagnes.
C'est un pays de petite propri?t?, et c'est ? son morcellement qu'il doit son harmonie. Le morcellement de la terre n'est pas mon id?al social; mais, en attendant le r?gne de la Fraternit?, qui n'aura pas de raisons pour abattre les arbres et priver le sol de sa verdure, j'aime mieux ces petits lots divis?s o? subsistent des familles ind?pendantes, que les grandes terres o? le cultivateur n'est pas chez lui, et o? rien ne manque, si ce n'est l'homme.
Dans une grande partie du Berry, dans la Brenne particuli?rement, la terre est inculte ou abandonn?e: la fi?vre et la mis?re ont emport? la population. La solitude n'est interrompue que par des fermes et des ch?teaux, pour le service desquels se rassemblent le peu de bras de la contr?e. Mais je connais une solitude plus triste que celle de la Brenne, c'est la Brie. L? ce ne sont pas la terre ingrate et l'air insalubre qui ont exil? la population, c'est la grande propri?t?, c'est la richesse. Pour certains habitants s?dentaires de Paris qui n'ont jamais vu de campagne que la Brie ou la Beauce, la nature est un mythe, le paysan un habitant de la lune. Il y a autant de diff?rence entre cette sorte de campagne et la Vall?e-Noire, qu'entre une chambre d'auberge et une mansarde d'artiste.
Voici la Brie: des villages o? le pauvre exerce une petite industrie ou la mendicit?; des ch?teaux ? tourelles reblanchies, de grandes fermes neuves, des champs de bl? ou des luzernes ? perte de vue, des rideaux de peupliers, des meules de fourrages, quelques paysans qui ont pos? dans le sillon leur chapeau rond et leur redingote de drap pour labourer ou moissonner; et d'ailleurs, la solitude, l'uniformit?, le d?sert de la grande propri?t?, la morne solennit? de la richesse qui bannit l'homme de ses domaines et n'y souffre que des serviteurs. Ainsi rien de plus affreux que la Brie, avec ses villages malpropres, peupl?s de blanchisseuses, de vivandi?res, et de pourvoyeurs; ses ch?teaux dont les parcs semblent vouloir accaparer le peu de futaie et le peu d'eau de la contr?e; ses paysans, demi-messieurs, demi-valets; ses froids horizons o? vous ne voyez jamais fumer derri?re la haie la chaumine du propri?taire rustique. Il n'y a pas un pouce de terrain perdu ou n?glig?, pas un foss?, pas un buisson, pas un caillou, pas une ronce. L'artiste se d?sole.
Mais, dira-t-on, l'artiste est un songe-creux qui voudrait arr?ter les bienfaits de l'industrie et de la civilisation. Une charrue perfectionn?e le r?volte, un grand toit de tuiles bien neuves et bien rang?es, un paysan bien mis, lui donnent des naus?es; il ne demande que haillons, broussailles, chaumes moisis, haies ?chevel?es.
Il semble, en effet, quand on songe au positif, que l'artiste soit un fou et un barbare. Je vais vous dire pourquoi l'artiste a raison dans son instinct: c'est qu'il sent la grandeur et la po?sie de la libert?; c'est que le paysan n'est un homme qu'? la condition d'?tre chez soi et de pouvoir travailler souvent sa propre terre. Or le paysan, dans l'?tat de notre soci?t?, a encore la n?gligence ou la parcimonie de sa race. Lors m?me qu'il arrive ? l'aisance, il d?daigne encore les superfluit?s de la sym?trie, et peut-?tre que, po?te lui-m?me, il trouve un certain charme au d?sordre de son hangar et ? l'exub?rance de son berceau de vignes. Quoi qu'il en soit, cet air d'abandon, cette souriante bonhomie de la nature respect?e autour de lui, sont comme le drapeau de libert? plant? sur son petit domaine.
Il est bien vrai qu'en chassant l'homme de la terre, en le parquant dans les fermes ou dans les villages, le riche ?loigne de ses bl?s les troupeaux errants, et de son jardin les poules maraudeuses. Aussi loin que sa vue peut s'?tendre, et bien plus loin encore, tout est ? lui, ? lui seul. Un petit enclave impertinent vient-il ? l'inqui?ter? Il s'en rend ma?tre ? tout prix. Il n'aura besoin ni de foss?s, ni de cl?tures. Si une vache foule indolemment sa prairie artificielle, cette vache est ? lui; si un poulain s'?chappe ? travers ses jeunes plantations, ce poulain sort de ses ?curies. On grondera le palefrenier, et tout sera dit. Le garde-champ?tre n'aura point ? intervenir.
Mais qu'il est ? plaindre dans sa s?curit?, ce solitaire de la Brie! Il n'a de voisins qu'? une lieue de chez lui, ? la limite de son vaste territoire. Il n'entend pas chanter son laboureur: son laboureur ne chante pas: il n'est pas gai, lorsqu'il laboure cette terre dont il ne partagera pas les produits. Mais le propri?taire n'est pas moins grave ni moins ennuy?. Il ne s'entend jamais appeler par la fileuse qui l'attend sur le pas de sa porte, pour lui montrer un enfant malade, ou le consulter sur le mariage de sa fille a?n?e. Il ne verra pas les gar?ons jouer aux quilles entre sa cour et celle du voisin, et lui crier quand il passe ? cheval: <
Quel contraste entre ces pays ? habitudes f?odales et la partie du Berry que j'ai baptis?e Vall?e-Noire! Chez nous, presque pas de ch?teaux, beaucoup de forteresses seigneuriales, mais en ruines, ouvertes ? tous les vents, et servant d'?tables aux m?tayers, ou de p?turages aux ch?vres insouciantes. Comme on ne repl?tre pas chez nous la f?odalit?, les murs envahis par le lierre et les tours noircies par le temps n'attirent pas de loin les regards. C'est tout au plus si un rayon du couchant vous les fait distinguer un instant dans le paysage. La chaumi?re est tapie sous le buisson, la m?tairie est voil?e derri?re ses grands noyers. Le pays semble d?sert, et sauf les jours de march?, les routes ne sont fr?quent?es que par les deux ou trois bons gendarmes qui font une promenade de sant?, ou par le quidam poudreux qui porte une mine et un passeport suspects. Mais ce pays de silence et d'immobilit? est tr?s-peupl?; dans chaque chemin de traverse, le petit troupeau du m?nageot est pendu aux ronces de la haie, et, dans chaque haie, vous trouverez, cach? comme un nid de grives, un groupe d'enfants qui jouent gravement ensemble, sans trop se soucier de la ch?vre qui p?le les arbres, et des oies qui se glissent dans le bl?. Autour de chaque maisonnette verdoie un petit jardin, o? les oeillets et les roses commencent ? se montrer autour des l?gumes. C'est l? un signe notable de bien-?tre et de s?curit?: l'homme qui pense aux fleurs a d?j? le n?cessaire, et il est digne de jouir du superflu.
Encore une d?limitation de la Vall?e-Noire, qui en vaut bien une autre, et qui parle aux yeux. Tant que vous verrez une coiffe ? barbes coquettement relev?es, et rappelant les figures du moyen ?ge, vous n'?tes pas sorti de la Vall?e-Noire. Cette coiffure est charmante quand elle est port?e avec go?t, et qu'elle encadre sans exag?ration un joli visage. Elle est grave et aust?re quand elle s'?largit lourdement sur la nuque d'une a?eule. Son originalit? caract?rise l'attachement ? d'anciennes coutumes, et le vieux Berry, si longtemps ?cras? par les Anglais, et si bravement disput? et repris, se montre ici dans un dernier vestige des modes du temps pass?. Sainte-S?v?re, la derni?re forteresse o? se retranch?rent nos ennemis, et d'o? ils furent si fi?rement expuls?s par Du Guesclin soutenu de ses bons hommes d'armes et des rudes gars de l'endroit, ?l?ve encore, au bord de l'Indre, comme une glorieuse vigie, sa grande tour effondr?e de haut en bas par la moiti?, en pleine Vall?e-Noire, dans un site moins riant que ceux du nord de la vall?e, mais d?j? empreint de la tristesse romantique de la Marche et des mouvements plus accus?s de cette r?gion montagneuse.
Il ne faudrait pas que je m'y accoutumige, que tu t'y accoutumigis, qu'il s'y accoutumig?t, que nous nous y accoutumigiens, que vous vous y accoutumiege, qu'il s'y accoutumiengent.
Il faudrait pouvoir retrouver et retracer l'histoire de la Vall?e-Noire. Je ne la sais point, mais je crois pouvoir la r?sumer par induction. Presque nulle part on ne retrouve de titres, et la r?volution a fait une telle lacune dans les esprits, que tout ce qui existait la veille de ces grands jours n'a laiss? que des traditions vagues et contradictoires. Seul, dans ma paroisse, j'ai mis la main sur quelques parchemins relatifs ? Nohant, et aux seigneuries qui en relevaient, ou dont relevait Nohant. Voici ce que je crois pouvoir conclure des relations de paysans ? seigneurs.
Il para?t que personne ne se pr?senta, et que les damn?s tabellions ne retrouv?rent pas le plus petit parchemin, ce qui irrita fort monseigneur. De leur cot?, les paysans furent r?volt?s de ces pr?tentions surann?es. Le cur? de Nohant, qui avait par avance des instincts jacobins, fit une chanson contre monseigneur. Monseigneur exigea qu'? l'offertoire monsieur le cur? lui offrit l'encens dans sa tribune. On n'a jamais dit ce que le cur? mit dans l'encensoir, mais le seigneur en fut quasi asphyxi?, et s'abstint de respirer pendant toute la messe.
La r?volution grondait d?j? au loin. Les paysans couchaient en joue le seigneur dans son jardin, en passant le canon de fusils non charg?s par dessus la haie. Ce n'?tait encore qu'une menace: monseigneur la comprit et ?migra.
Je crois que cette histoire ressemble ? celle de toutes les localit?s de la Vall?e-Nuire, et pour s'en convaincre, il ne faut que voir le paysan propri?taire, ma?tre chez lui, ind?pendant par position et par nature, calme et bienveillant avec ses amis riches, traitant d'?gal ? ?gal avec eux, se moquant beaucoup des grands airs, nullement servile dans sa gratitude; il se sent fort, et ne ferait pourtant usage de sa force qu'? la derni?re extr?mit?. Il se souvient que sa libert? date de loin et qu'il lui a suffi de menacer pour mettre la f?odalit? en fuite.
Que le gouvernement ne s'?tonne donc pas trop de voir la bourgeoisie indocile de La Ch?tre nommer ses repr?sentants et ses magistrats ? sa guise: le paysan incr?dule rit quand on lui parle des chemins de fer qui vont, tout expr?s pour lui, se d?tourner des grands plateaux dont la Vall?e-Noire est environn?e et se plonger dans nos terrains tourment?s, o? on ne trouverait pas un m?tre du sol de niveau avec le m?tre du voisin. On a promis ? plus d'un meunier d'?tablir un d?barcad?re dans sa prairie; on dit qu'un seul a ?t? s?duit par cette promesse. Il est vrai qu'il ne l'avait pas bien comprise et qu'il s'en allait disant ? tout le monde: <
GEORGE SAND
UNE VISITE AUX CATACOMBES
...Terra parens...
Ce qui nous frappe le plus en visitant les Catacombes, ce fut une source qu'on appelle le Puits de la Samaritaine.
Nous avions err? entre deux longues murailles d'ossements, nous nous ?tions arr?t?s devant des autels d'ossements, nous avions foul? aux pieds de la poussi?re d'ossements. L'ordre, le silence et le repos de ces lieux solennels ne nous avaient inspir? que des pens?es de r?signation philosophique. Rien d'affreux, selon moi, dans la face d?charn?e de l'homme. Ce grand front impassible, ces grands yeux vides, cette couleur sombre aux reflets de marbre, ont quelque chose d'aust?re et de majestueux qui commande m?me ? la destruction. Il semble que ces t?tes inanim?es aient retenu quelque chose de la pens?e et qu'elles d?fient la mort d'effacer le sceau divin imprim? sur elles. Une observation qui nous frappa et nous r?concilia beaucoup avec l'humanit?, fut de trouver un infiniment petit nombre de cr?nes disgraci?s. La monstruosit? des organes de l'instinct ou l'atrophie des protub?rances de l'intelligence et de la moralit? ne se pr?sentent que chez quelques individus, et des masses imposantes de cr?nes bien conform?s attestent, par des signes sacr?s, l'harmonie intellectuelle et morale qui r?unit et anima des millions d'hommes.
Quand nous e?mes quitt? la ville des Morts, nous descend?mes encore plus bas et nous suiv?mes la raie noire trac?e sur le banc de roc calcaire qui forme le plafond des galeries. Cette raie sert ? diriger les pas de l'homme dans les d?tours inextricables qui occupent huit ou neuf lieues d'?tendue souterraine. Au bas d'un bel escalier, taill? r?guli?rement dans le roc, nous trouv?mes une source limpide incrust?e comme un diamant sans facettes dans un cercle de pierre froide et blanche; cette eau, dont le souffle de l'air ext?rieur n'a jamais rid? la surface, est tellement transparente et immobile, qu'on la prendrait pour un bloc de cristal de roche. Qu'elle est belle, et comme elle semble r?veuse dans son impassible repos! Triste et douce nymphe assise aux portes de l'?r?be, vous avez pleur? sur des d?pouilles amies; mais dans le silence de ces lieux glac?s, vos larmes se sont r?pandues dans votre urne de pierre, et maintenant on dirait une large goutte de l'onde du L?th?. Aucun ?tre vivant ne se meut sur cette onde ni dans son sein; le jour ne s'y est jamais refl?t?, jamais le soleil ne l'a r?chauff?e d'un regard d'amour, aucun brin d'herbe ne s'est pench? sur elle, berc? par une brise voluptueuse: nulle fleur ne l'a couronn?e, nulle ?toile n'y a r?fl?chi son image fr?missante. Ainsi, votre voix s'est ?teinte, et les larves plaintives qui cherchent votre coupe pour s'y d?salt?rer ne sont point averties par l'appel d'un murmure tendre et m?lancolique. Elles s'embrassent dans les t?n?bres, mais sans se reconna?tre, car votre miroir ne renvoie aucune parcelle de lumi?re; et vous aussi, immortelle, vous ?tes morte, et votre onde est un spectre.
Larmes de la terre, vous semblez n'?tre point l'expression de la douleur, mais celle d'une joie terrible, silencieuse, implacable. Cavernes ?plor?es, retenez-vous donc votre proie avec d?lices, pour ne la rendre jamais ? la chaleur du soleil? Mais non! on est frapp? d'un autre sentiment en parcourant ? la lueur des torches les fun?bres galeries des carri?res qui ont fourni ? la capitale ses mat?riaux de construction. La ville souterraine a livr? ses entrailles au monde des vivants, et, en retour, la cit? vivante a donn? ses ossements ? la terre dont elle est sortie. Les bras qui creus?rent le roc reposent maintenant sous les cryptes profondes qu'ils baigneront de leurs sueurs. L'?ternel suintement des parois glac?es retombe en larmes intarissables sur les d?bris humains. Cyb?le en pleurs presse ses enfants morts sur son sein glac?, tandis que ses fortes ?paules supportent avec patience le fardeau des tours, le vol des chars et le tr?pignement des arm?es, les iniquit?s et les grandeurs de l'homme, le brigand qui se glisse dans l'ombre et le juste qui marche ? la lumi?re du jour. M?re infatigable, in?puisable nourrice, elle donne la vie ? ceux-ci, le repos ? ceux-l?; elle alimente et prot?ge, elle livre ses mamelles f?condes ? ceux qui s'?veillent, elle ouvre ses flancs pleins d'amour et de piti? ? ceux qui s'endorment.
Homme d'un jour, pourquoi tant d'effroi ? l'approche du soir? Enfant poltron, pourquoi tressaillir en p?n?trant sous les vo?tes du tombeau? Ne dormiras-tu pas en paix sous l'aisselle de ta m?re? Et ces montagnes d'ossements ne te feront-elles pas une place assez large pour t'asseoir dans l'oubli, supr?me asile de la douleur? si tu n'es que poussi?re, vois comme la poussi?re est paisible, vois comme la cendre humaine aspire ? se m?ler ? la cendre r?g?n?ratrice du monde! Pleures-tu sur le tronc du vieux ch?ne abattu dans l'orage, sur le feuillage dess?ch? du jeune palmier que le vent embras? du sud a touch? de son aile? Non, car tu vois la souche antique reverdir au premier souffle du printemps, et le pollen du jeune palmier, port? par le m?me vent de mort qui frappa la tige, donner la semence de vie au calice de l'arbre voisin. Soul?ve sans horreur ce vieux cr?ne dont la pesanteur accuse la fatigue d'une longue vie. A quelques pieds au-dessus du s?pulcre o? ce cadavre d'a?eul est enfoui, de beaux enfants grandissent et fol?trent dans quelque jardin par? des plus belles fleurs de la saison. Encore quelques ann?es, et celle g?n?ration nouvelle viendra se coucher sur les membres affaiss?s de ses p?res. Et pour tous la paix du tombeau sera profonde, et toujours la caverne humide travaillera ? la dissolution de ses squelettes. Bouche immense, avide, incessamment occup?e ? broyer la poussi?re humaine, ? communier pour ainsi dire avec sa propre substance, afin de reconstituer la vie, de la retremper dans ses sources inconnues et de la reproduire ? sa surface, faisant sortir ainsi le mouvement du repos, l'harmonie du silence, l'esp?rance de la d?solation. Vie et mort, indissoluble fraternit?, union sublime, pourquoi repr?senteriez-vous pour l'homme le d?sir et l'effroi, la jouissance et l'horreur? Loi divine, myst?re ineffable, quand m?me tu ne le r?v?lerais que par l'auguste et merveilleux spectacle de la mati?re assoupie et de la mati?re renaissante, tu serais encore Dieu, esprit, lumi?re et bienfait.
GEORGE SAND.
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