Read Ebook: Le juif errant - Tome I by Sue Eug Ne
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Ebook has 6971 lines and 271864 words, and 140 pages
Eug?ne Sue
LE JUIF ERRANT
Tome I
Table des mati?res
Eug?ne Sue vu par Alexandre Dumas
Quel malheur invisible et inconnu p?se donc sur la France, qu'elle laisse tomber de pareilles larmes dans le gouffre de l'?ternit??
Ce que nous avons perdu depuis dix ans suffirait ? enrichir la litt?rature d'un peuple: Fr?d?ric Souli?, Chateaubriand, Balzac, G?rard de Nerval, Augustin Thierry, Mme de Girardin, Alfred de Musset, B?ranger, Eug?ne Sue!
Le dernier fut le plus ? plaindre de tous; lui mourut deux fois: l'exil est une premi?re mort.
? nous de raconter cette vie de luttes, de jeunesse folle et de sombre ?ge mur; ? nous de montrer l'homme comme il fut aux diff?rentes p?riodes de sa vie.
Allons, plume et coeur, ? l'oeuvre!
Nous diviserons la vie d'Eug?ne Sue en trois phases, et nous laisserons ? chacune d'elles le caract?re qu'elle a eu.
L'enfant insoucieux et gai. Le jeune homme inquiet et douteur. L'homme d?senchant? et triste.
L'enfant.
? vingt kilom?tres de Grasse, existe un petit port de mer qu'on appelle La Calle; c'est le berceau de la famille Sue, c?l?bre ? la fois dans la science et dans les lettres.
La Calle est encore peupl?e des membres de cette famille, qui composent ? eux seuls, peut-?tre, la moiti? de la population.
Ayant r?ussi, il appela ses neveux dans la capitale, o? deux d'entre eux se distingu?rent particuli?rement.
Ce dernier eut pour successeur et continuateur Jean-Joseph Sue, qui, outre la place des Beaux-Arts, dont il h?rita de son p?re, devint m?decin en chef de la garde imp?riale, et, plus tard, m?decin en chef de la maison militaire du roi.
Ce fut le p?re d'Eug?ne Sue.
Et, ici, constatons un fait: c'est que Jean Sue, p?re d'Eug?ne Sue, fut celui qui soutint contre Cabanis la fameuse discussion sur la guillotine, lorsque son inventeur, M. Guillotin, affirma ? l'Assembl?e nationale que les guillotin?s en seraient quittes pour une l?g?re fra?cheur sur le cou. Jean-Joseph Sue, au contraire, soutint la persistance de la douleur au-del? de la s?paration de la t?te, et il d?fendit son opinion par des arguments qui prouvaient sa science profonde de l'anatomie, et par des exemples pris, les uns chez des m?decins allemands, les autres sur la nature.
On a dit derni?rement, ? propos de la mort d'Eug?ne Sue, qu'il ?tait n? en 1801.
Il me dit un jour, ? moi, qu'il ?tait n? le 1er janvier 1803, et nous calcul?mes qu'il avait cinq mois de moins que moi, quelques jours de plus que Victor Hugo.
Il eut pour parrain le prince Eug?ne, pour marraine, l'imp?ratrice Jos?phine; de l? son pr?nom d'Eug?ne.
Il fut nourri par une ch?vre et conserva longtemps les allures brusques et sautillantes de sa nourrice.
Il fit, ou plut?t ne fit pas ses ?tudes au coll?ge Bourbon; car, ainsi que tous les hommes qui doivent conqu?rir dans les lettres un nom original et une position ?minente, Eug?ne Sue fut un ex?crable ?colier.
Son p?re, m?decin de dames surtout, faisait un cours d'histoire naturelle ? l'usage des gens du monde; il s'?tait remari? trois fois, et ?tait riche de deux millions, ? peu pr?s.
Il demeurait rue du Rempart, rue qui a disparu depuis, et qui ?tait situ?e alors derri?re la Madeleine.
Tout ce quartier ?tait occup? par des chantiers; le terrain n'y valait pas le dixi?me de ce qu'il vaut aujourd'hui. M. Sue y poss?dait une belle maison, avec un magnifique jardin.
Dans la m?me maison que M. Sue, demeurait sa soeur, m?re de Ferdinand Langl?, qui, en collaboration avec Villeneuve, a fait, de 1822 ? 1830, une cinquantaine de vaudevilles.
Eug?ne avait un r?p?titeur ? domicile. J'ai encore connu ce brave homme: c'?tait un digne Auvergnat de cinq pieds de haut, qui, ?tant entr? pour faire r?p?ter Eug?ne Sue, et tenant ? gagner honn?tement son argent, n'h?sitait pas ? soutenir des luttes corps ? corps avec son ?l?ve, qui avait la t?te de plus que lui.
Ordinairement, lorsqu'une de ces luttes mena?ait, Eug?ne Sue prenait la fuite, mais, comme Horace, pour ?tre poursuivi et vaincre son vainqueur.
Le p?re Delteil -- c'est ainsi que se nommait le digne r?p?titeur -- se laissait constamment prendre ? cette manoeuvre strat?gique, si simple qu'elle f?t.
Eug?ne fuyait au jardin, le r?p?titeur l'y suivait; mais, arriv? l?, l'?colier rebelle se trouvait ? la fois au milieu d'un arsenal d'armes offensives et d?fensives.
Les armes d?fensives, c'?taient les plates-bandes du jardin botanique, le labyrinthe, dans lequel il se r?fugiait, et o? le p?re Delteil n'osait le poursuivre, de peur de fouler aux pieds les plantes rares, que l'?colier fugitif ?crasait impitoyablement et ? pleine semelle; les armes offensives, c'?taient les ?chalas portant sur des ?tiquettes les noms scientifiques des plantes, ?chalas qu'Eug?ne Sue, comme le fils de Th?s?e, convertissait en javelots pour pousser au monstre, et qu'il lui lan?ait avec une adresse qui e?t fait honneur ? Castor et ? Pollux, les deux plus habiles lanceurs de javelots de l'Antiquit?, avant que Racine e?t invent? Hippolyte.
Oh! ne nous reprochez pas la gaiet? qui s'?tendra sur cette premi?re phase de la vie de notre ami, qui fut notre confr?re sans ?tre notre rival. C'est le rayon de soleil auquel a droit toute jeunesse qui n'est point maudite du Seigneur. La fin de la vie sera assez triste, allez! assez sombre, assez orageuse!
Suivons donc l'enfant dans son jardin, nous retrouverons l'homme dans son d?sert.
Quand il fut d?montr? au p?re d'Eug?ne Sue que la vocation de son fils ?tait de lancer le javelot et non d'expliquer Horace et Virgile, il le tira du coll?ge et le fit entrer, comme chirurgien sous-aide, ? l'h?pital de la Maison du roi, dont il ?tait chirurgien en chef, et qui ?tait situ? rue Blanche.
Eug?ne Sue y retrouva son cousin Ferdinand Langl? et le futur docteur Louis V?ron, qui devait aussi abandonner la m?decine, non pour faire, mais pour faire faire de la litt?rature.
Nous avons dit qu'Eug?ne Sue avait beaucoup du caract?re de sa nourrice la ch?vre. C'?tait, en effet, et nous l'avons encore connu ainsi, un franc gamin de bonne maison, toujours pr?t ? faire quelque m?chant tour, m?me ? son p?re, et, disons plus, surtout ? son p?re, qui venait de se remarier et le traitait fort rudement.
Mais aussi, comme on se vengeait de cette rudesse!
Le docteur Sue occupait ses ?l?ves ? lui pr?parer son cours d'histoire naturelle; la pr?paration se faisait dans un magnifique cabinet d'anatomie qu'il a laiss? par testament aux Beaux-Arts. Ce cabinet, entre autres curiosit?s, contenait le cerveau de Mirabeau, conserv? dans un bocal.
Les pr?parateurs en titre ?taient Eug?ne Sue, Ferdinand Langl? et un de leurs amis nomm? Delattre, qui fut, depuis, et est probablement encore docteur m?decin; les pr?parateurs amateurs ?taient un nomm? Achille Petit et un vieil et spirituel ami ? nous, James Rousseau.
Les s?ances de pr?paration ?taient assez tristes, d'autant plus tristes que l'on avait devant soi, ? port?e de la main, deux armoires pleines de vins pr?s desquels le nectar des dieux n'?tait que de la blanquette de Limoux.
Ces vins ?taient des cadeaux qu'apr?s l'invasion de 1815, les souverains alli?s avaient faits au docteur Sue. Il y avait des vins de tokai donn?s par l'empereur d'Autriche; des vins du Rhin donn?s par le roi de Prusse, du johannisberg donn? par M. de Metternich, et, enfin, une centaine de bouteilles de vin d'Alicante, donn?es par Mme de Morville, et qui portaient la date respectable, mieux que respectable, v?n?rable de 1750.
On avait essay? de tous les moyens pour ouvrir les armoires: les armoires avaient vertueusement r?sist? ? la persuasion comme ? la force.
On d?sesp?rait de faire jamais connaissance avec l'alicante de Mme de Morville, avec le johannisberg de M. de Metternich, avec le liebfraumilch du roi de Prusse, et avec le tokai de l'empereur d'Autriche, autrement que par les ?chantillons que, dans ses grands d?ners, le docteur Sue versait ? ses convives dans des d?s ? coudre, lorsqu'un jour, en fouillant dans un squelette, Eug?ne Sue trouva par hasard un trousseau de clefs.
C'?taient les clefs des armoires!
D?s le premier jour, on mit la main sur une bouteille de vin de tokai au cachet imp?rial, et on la vida jusqu'? la derni?re goutte; puis on fit dispara?tre la bouteille.
Le lendemain, ce fut le tour du johannisberg; le surlendemain, celui du liebfraumilch; le jour suivant, de l'alicante.
On en fit autant de ces trois bouteilles que de la premi?re.
Mais James Rousseau, qui ?tait l'a?n? et qui, par cons?quent, avait une science du monde sup?rieure ? celle de ses jeunes amis, qui hasardaient leurs pas sur le terrain glissant de la soci?t?, James Rousseau fit judicieusement observer qu'au train dont on y allait, on creuserait bien vite un gouffre, que l'oeil du docteur Sue plongerait dans ce gouffre et qu'il y trouverait la v?rit?.
Il fit alors cette proposition astucieuse de boire chaque bouteille au tiers seulement, de la remplir d'une composition chimique qui, autant que possible, se rapprocherait du vin d?gust? ce jour-l?, de la reboucher artistement et de la remettre ? sa place.
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