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Read Ebook: Le juif errant - Tome II by Sue Eug Ne

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Ebook has 6900 lines and 284179 words, and 138 pages

-- Ah!... les jeunesses... les jeunesses!... dit la fruiti?re.

-- ?coutez donc, m?re Ars?ne, vous avez ?t? jeune aussi... vous...

-- Ma foi, c'est tout au plus! et ? vrai dire, je me suis toujours vue ? peu pr?s comme vous me voyez.

-- Et les amoureux, m?re Ars?ne?

-- Les amoureux! ah bien, oui! D'abord j'?tais laide, et puis j'?tais trop bien pr?serv?e.

-- Votre m?re vous surveillait donc beaucoup?

-- Non, mademoiselle... mais j'?tais attel?e...

-- Comment, attel?e? s'?cria Rose-Pompon ?bahie, en interrompant la fruiti?re.

-- Oui, mademoiselle, attel?e ? un tonneau de porteur d'eau avec mon fr?re. Aussi, voyez-vous, quand nous avions tir? comme deux vrais chevaux pendant huit ou dix heures par jour je n'avais gu?re le coeur de penser aux gaudrioles.

-- Pauvre m?re Ars?ne, quel rude m?tier! dit Rose-Pompon avec int?r?t.

-- L'hiver surtout, dans les gel?es... c'?tait le plus dur... moi et mon fr?re nous ?tions oblig?s de nous faire clouter ? glace, ? cause du verglas.

-- Et une femme encore... faire ce m?tier-l?!... ?a fend le coeur... et on d?fend d'atteler les chiens!... ajouta tr?s sens?ment Rose-Pompon.

-- Dame! c'est vrai, reprit la M?re Ars?ne, les animaux sont quelquefois plus heureux que les personnes; mais que voulez-vous? Il faut vivre... O? la b?te est attach?e, faut qu'elle broute... mais c'?tait dur... J'ai gagn? ? cela une maladie de poumons, ce n'est pas ma faute! Cette esp?ce de bricole dont j'?tais attel?e... en tirant, voyez-vous, ?a me pressait tant et tant la poitrine, que je ne pouvais pas respirer... aussi j'ai abandonn? l'attelage et j'ai pris une boutique. C'est pour vous dire que si j'avais eu des occasions et de la gentillesse, j'aurais peut-?tre ?t? comme tant de jeunesses qui commencent par rire et finissent...

-- Par tout le contraire, c'est vrai, m?re Ars?ne; mais aussi, tout le monde n'aurait pas le courage de s'atteler pour rester sage... Alors on se fait une raison, on se dit qu'il faut s'amuser tant qu'on est jeune et gentille... et puis qu'on n'a pas dix-sept ans tous les jours... Eh bien, apr?s... apr?s... la fin du monde, ou bien on se marie...

-- Dites donc, mademoiselle, il aurait peut-?tre mieux valu commencer par l?.

-- Oui, mais on est trop b?te, on se sait pas enj?ler les hommes, ou leur faire peur; on est simple, confiante, et ils se moquent de vous... Tenez, moi, m?re Ars?ne, c'est ?a qui serait un exemple ? faire fr?mir la nature si je voulais... Mais c'est bien assez d'avoir eu des chagrins sans s'amuser encore ? s'en faire de la graine de souvenirs.

-- Comment ?a, mademoiselle?... vous si jeune, si gaie, vous avez eu des chagrins?

-- Ah! m?re Ars?ne: je crois bien: ? quinze ans et demi j'ai commenc? ? fondre en larmes, et je n'ai tari qu'? seize ans... C'est assez gentil, j'esp?re?

-- On vous a tromp?e, mademoiselle?

-- On m'a fait pis... comme on fait ? tant d'autres pauvres filles qui pas plus que moi, n'avaient d'abord envie de mal faire... Mon histoire n'est pas longue... Mon p?re et ma m?re sont des paysans du c?t? de Saint-Val?ry, mais si pauvres, si pauvres, que sur cinq enfants que nous ?tions ils ont ?t? oblig?s de m'envoyer ? huit ans chez ma tante, qui ?tait femme de m?nage ici, ? Paris. La bonne femme m'a prise par charit?; et c'?tait bien ? elle, car elle ne gagnait pas grand'chose. ? onze ans, elle m'a envoy?e travailler dans une des manufactures du faubourg Saint-Antoine. C'est pas pour dire du mal des ma?tres de fabriques, mais ?a leur est bien ?gal que les petites filles et les petits gar?ons soient p?le-m?le entre eux... Alors vous concevez... il y a l?-dedans, comme partout, des mauvais sujets; ils ne se g?nent ni en paroles ni en actions, et je vous demande quel exemple pour des enfants qui voient et qui entendent plus qu'ils n'en ont l'air! Alors, que voulez-vous?... on s'habitue en grandissant ? entendre et ? voir tous les jours des choses qui plus tard ne vous effarouchent plus.

-- C'est vrai, au moins, ce que vous dites l?, mademoiselle Rose- Pompon, pauvres enfants! qui est-ce qui s'en occupe? Ni le p?re ni la m?re; ils sont ? leur t?che...

-- Oui, oui, allez, m?re Ars?ne, on a bien vite dit d'une jeune fille qui a mal tourn?: <>, mais si on savait le pourquoi des choses, on la plaindrait plus qu'on ne la bl?merait... Enfin, pour en revenir ? moi, ? quinze ans j'?tais tr?s gentille... Un jour, j'ai une r?clamation ? faire au premier commis de la fabrique. Je vais le trouver dans son cabinet; il me dit qu'il me rendra justice, et que m?me il me prot?gera si je veux l'?couter, et il commence par vouloir m'embrasser. Je me d?bats... Alors il me dit: <>

-- Oh! le m?chant homme! dit la m?re Ars?ne.

-- Je rentre chez nous tout en larmes, ma pauvre tante m'encourage ? ne pas c?der et ? me placer ailleurs... Oui... mais impossible; les fabriques ?taient encombr?es. Un malheur ne vient jamais seul: ma tante tombe malade; pas un sou ? la maison: je prends mon grand courage; je retourne ? la fabrique, supplie le commis. Rien n'y fait. <> Que voulez-vous que je vous dise, m?re Ars?ne? La mis?re ?tait l?, je n'avais pas d'ouvrage; ma tante ?tait malade; le commis disait qu'il m'?pouserait... j'ai fait comme tant d'autres.

-- Et quand plus tard, vous lui avez demand? le mariage?

-- Il m'a ri au nez, bien entendu, et, au bout de six mois, il m'a plant?e l?... C'est alors que j'ai tant pleur? toutes les larmes de mon corps... qu'il ne m'en reste plus... J'en ai fait une maladie... et puis enfin, comme on se console de tout... je me suis consol?e... De fil en aiguille, j'ai rencontr? Phil?mon. Et c'est sur lui que je me revenge des autres... Je suis son tyran, ajouta Rose-Pompon d'un air tragique.

Et l'on vit se dissiper le nuage de tristesse qui avait assombri son joli visage pendant son r?cit ? la m?re Ars?ne.

-- C'est pourtant vrai, dit la m?re Ars?ne en r?fl?chissant. On trompe une pauvre fille... qu'est-ce qui la prot?ge, qu'est-ce qui la d?fend? Ah! oui, bien souvent le mal qu'on fait ne vient pas de vous... et...

-- Tiens!... Nini-Moulin!... s'?cria Rose-Pompon en interrompant la fruiti?re et en regardant de l'autre c?t? de la rue; est-il matinal!... Qu'est-ce qu'il peut me vouloir?

Et Rose-Pompon s'enveloppa de plus en plus pudiquement dans son manteau.

-- Comment! ma pupille d?j? lev?e!... ?a se trouve bien!... moi qui venais pour la b?nir au lever de l'aurore!

Et Nini-Moulin s'avan?a, les bras ouverts, ? l'encontre de Rose- Pompon qui recula d'un pas.

-- Comment! enfant ingrat... reprit l'?crivain religieux, vous refusez mon accolade matinale et paternelle?

-- Eh bien, ma pupille ch?rie! nous pourrons d?guster le ratafia de famille et festoyer en attendant Phil?mon et ses sept cents francs.

Ce disant, Nini-Moulin frappa sur les poches de son gilet, qui rendirent un son m?tallique et il ajouta:

-- Je venais vous proposer d'embellir ma vie aujourd'hui et m?me demain, et m?me apr?s demain, si le coeur vous en dit...

-- Si c'est des amusements d?cents et paternels, mon coeur ne dit pas non.

-- Soyez tranquille, je serai pour vous un a?eul, un bisa?eul, un portrait de famille... Voyons, promenade, d?ner, spectacle, bal costum?, et souper ensuite, ?a vous va-t-il?

-- ? condition que cette pauvre C?physe en sera. ?a la distraira.

-- Va pour C?physe.

-- Ah ?a, vous avez donc fait un h?ritage, gros ap?tre?

-- Mieux que cela, ? la plus rose de toutes les Rose-Pompon... Je suis r?dacteur en chef d'un journal religieux... Et comme il faut de la tenue dans cette respectable boutique, je demande tous les mois un mois d'avance et trois jours de libert?; ? cette condition-l?, je consens ? faire le saint pendant vingt-sept jours sur trente, et ? ?tre grave et assommant comme le journal.

-- Un journal, vous? En voil? un qui sera dr?le, et qui dansera tout seul, sur les tables des caf?s, des pas d?fendus.

Et, pour p?roraison, Nini-Moulin imita le bruit que fait en sautant le bouchon d'une bouteille de vin de Champagne, ce qui fit beaucoup rire Rose-Pompon.

-- Et comment s'appelle-t-il, votre journal de sacristains? reprit-elle.

-- ? la bonne heure! voil? un joli nom!

-- Attendez donc, il en a un second.

-- C'est aussi ce que dit toujours Phil?mon dans ses batailles ? la Chaumi?re en faisant le moulinet.

-- Ce qui prouve que le g?nie de l'aigle de Meaux est universel. Je ne lui reproche qu'une chose, c'est d'avoir ?t? jaloux de Moli?re.

-- Bah! jalousie d'acteur, dit Rose-Pompon.

-- M?chante!... reprit Nini-Moulin en la mena?ant du doigt.

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