Read Ebook: Le voleur by Darien Georges
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Ebook has 2466 lines and 135030 words, and 50 pages
Georges Darien
LE VOLEUR
Table des mati?res
La Fontaine
AVANT-PROPOS
Le livre qu'on va lire, et que je signe, n'est pas de moi.
Cette d?claration faite, on pourra supposer ? premi?re vue, ? la lecture du titre, que le manuscrit m'en a ?t? remis en d?p?t par un ministre d?chu, confi? ? son lit de mort par un notaire infid?le, ou l?gu? par un caissier pr?varicateur. Mais ces hypoth?ses bien que vraisemblables, je me h?te de le dire, seraient absolument fausses. Ce livre ne m'a point ?t? remis par un ministre, ni confi? par un notaire, ni l?gu? par un caissier.
Je l'ai vol?.
J'avoue mon crime. Je ne cherche pas ? ?luder les responsabilit?s de ma mauvaise action; et je suis pr?t ? compara?tre, s'il le faut, devant le Procureur du Roi.
?a se passe en Belgique. J'avais ?t? faire un petit voyage, il y a quelque temps, dans cette contr?e si peu connue . Ma raison pour passer ainsi la fronti?re? Mon Dieu! j'avais voulu voir le roi L?opold, avant de mourir. Un dada. Je n'avais jamais vu de roi. Quel est le R?publicain qui ne me comprendra pas?
J'?tais entr?, en arrivant ? Bruxelles, dans le Premier h?tel venu, l'h?tel du Roi Salomon. Je ne me fie gu?re aux maisons recommand?es par les guides, et je n'avais pas le temps de chercher; il pleuvait. D'ailleurs, qu'aurais-je trouv?? Je ne connais rien de rien, ? l'?tranger, n'ayant ?tudi? la g?ographie que sur les atlas universitaires et n'?tant jamais sorti de mon trou.
-- Monsieur est sans doute un ami de M. Randal, me dit l'h?teli?re comme je signe mon nom sur le registre.
-- Non, Madame; je n'ai pas cet honneur.
-- Tiens, c'est dr?le. Je vous aurais cru son parent. Vous vous ressemblez ?tonnamment; on vous prendrait l'un pour l'autre. Mais vous le connaissez sans aucun doute; dans votre m?tier ...
Quel m?tier? Mais ? quoi bon d?tromper cette brave femme?
-- Du reste, ajoute-t-elle en posant le doigt sur le livre, vous avez le m?me pr?nom; il s'appelle Georges comme vous savez -- Georges Randal -- Eh bien, puisque vous le connaissez, je vais vous donner sa chambre; il est parti hier et je ne pense pas qu'il revienne avant plusieurs jours. C'est la plus belle chambre de la maison; au premier; voulez-vous me suivre? ... L?! Une jolie chambre, n'est-ce pas? J'ai vu des dames me la retenir quelquefois deux mois ? l'avance. Mais ? pr?sent, savez-vous, il n'y a plus grand monde ici. Ces messieurs sont ? Spa, ? Dinan, ? Ostende, ou bien dans les villes d'eaux de France ou d'Allemagne; partout o? il y a du travail, quoi! C'est la saison. Et puis, ils ne peuvent pas laisser leurs dames toutes seules; les dames savez-vous, ?a fait des b?tises si facilement ...
Quels messieurs? Quelle saison? Quelles dames? L'h?tesse continue:
-- On va vous apporter votre malle de la gare. Vous pouvez ?tre tranquille, savez-vous; on ne l'ouvrira pas. C'est mon mari qui a ?t? la chercher lui-m?me; et avec lui, savez-vous, jamais de visite; il s'est arrang? avec les douaniers pour ?a. ?a nous co?te ce que ?a nous co?te; mais au moins, les bagages de nos clients c'est sacr?. Sans ?a, avec les droits d'entr?e sur les toilettes, ces dames auraient quelque chose ? payer, savez-vous. Et puis, vos instruments ? vous, ils auraient du mal ? ?chapper ? l'oeil, hein? Je sais bien qu'il vous en faut des solides et que vous ne pouvez pas toujours les mettre dans vos poches; mais enfin, on voit bien que ce n'est pas fait pour arracher les dents. Vaut mieux que tout ?a passe franco.
-- C'est bien certain. Mais,...
-- Ah! j'oubliais. La valise qui est dans le coin, l?, c'est la valise de M. Randal; il n'a pas voulu l'emporter, hier. Si elle ne vous g?ne pas, je la laisserai dans la chambre; elle est plus en s?ret? qu'ailleurs; car je sais bien qu'entre vous ... ? moins qu'elle ne vous embarrasse?
-- Pas le moins du monde.
-- J'esp?re que Monsieur sera satisfait, dit l'h?tesse en se retirant. Et pour le tarif, c'est toujours comme ces messieurs ont d? le dire ? Monsieur.
J'esquisse un sourire.
J'ai ?t? tr?s satisfait. Et le soir, retir? dans ma chambre, fort ennuy? -- car j'avais appris que le roi L?opold ?tait enrhum? et qu'il ne sortirait pas de quelque temps -- il m'est venu ? l'id?e, pour tromper mon chagrin, de regarder ce que contenait la valise de M. Randal. Curiosit? malsaine, je l'accorde. Mais, pourquoi avait-on laiss? ce portemanteau dans ma chambre? Pourquoi ?tais-je morose et d?soeuvr?? Pourquoi le roi L?opold ?tait-il enrhum?? Autant de questions auxquelles il faudrait r?pondre avant de me juger trop s?v?rement.
Bref, j'ouvris la valise; elle n'?tait point ferm?e ? cl?.; les courroies seules la bouclaient. Je n'aurai pas, Dieu merci, une effraction sur la conscience. Dedans, pas grand'chose d'int?ressant: des ferrailles, des instruments d'acier de diff?rentes formes et de diff?rentes grandeurs, dont, j'ignore l'usage. ? quoi ?a peut-il servir? Myst?re. Une petite bouteille ?tiquet?e: Chloroforme. Ne l'ouvrons pas! Une bo?te en fer avec des boulettes dedans. Qu'est-ce que c'est que ?a? N'y touchons pas, c'est plus prudent. Un gros rouleau de papiers. Je d?noue la ficelle qui l'attache. Qu'est-ce que cela peut ?tre? Je me mets ? lire...
J'ai lu toute la nuit. Avec int?r?t? Vous en jugerez; ce que j'ai lu cette nuit-l?, vous allez le lire tout ? l'heure. Et le matin, quand il m'a fallu sortir, je n'ai pas voulu laisser tra?ner sur une table le manuscrit dont je n'avais pas achev? la lecture, ni m?me le remettre dans la valise. On aurait pu l'enlever, pendant mon absence. Je l'ai enferm? dans ma malle.
Dans la journ?e, j'ai appris une chose tr?s ennuyante, l'h?tel o? j'habite est un h?tel interlope -- des plus interlopes. -Il n'est fr?quent? que par des voleurs; pas toujours c?libataires. Quel malheur d'?tre tomb?, du premier coup, dans une maison pareille -- une maison o? l'on ?tait si bien, pourtant ... -- Enfin! Je n'ai fait ni une ni deux. J'ai envoy? un commissionnaire chercher mes bagages et r?gler ma note, et je me suis install? ailleurs.
Et maintenant, maintenant que j'ai termin? la lecture des m?moires de M. Randal -- l'appellerai-je Monsieur? -- maintenant que j'ai en ma possession ce manuscrit que je n'aurais jamais d? lire, jamais d? toucher, qu'en dois-je faire, de ce manuscrit?
-- Le restituer! me crie une voix int?rieure, mais imp?rieuse.
Naturellement. Mais comment faire? Le renvoyer par la poste? Impossible, mon d?part pr?cipit? a d? d?j? sembler louche. On saura d'o? il vient, ce rouleau de papiers que rapportera le facteur; je passerai pour un mouchard narquois qui n'a pas le courage de sa fonction, et un de ces soirs <
Le rapporter moi-m?me, avec quelques plaisanteries en guise d'excuses? Ce serait le mieux, ? tous les points de vue. Malheureusement, c'est impraticable. Je suis entr? une fois dans cet h?tel interlope et, j'aime au moins ? l'esp?rer, personne ne m'a vu. Mais si j'y retourne et qu'on m'observe, si l'on vient ? remarquer ma pr?sence dans ce repaire de bandits cosmopolites, si l'on s'aper?oit que je fr?quente des endroits suspects -- que n'ira-t-on pas supposer? Quels jugements t?m?raires ne portera-t- on pas sur ma vie priv?e? Que diront mes ennemis?
La situation est embarrassante. Comment en sortir? Eh! bien, le manuscrit lui-m?me m'en donne le moyen. Lequel? Vous le verrez. Mais je viens de relire les derni?res pages -- et je me suis d?cid?. -- Je le garde, le manuscrit. Je le garde ou, plut?t? je le vole -- comme je l'ai ?crit plus haut et comme l'avait ?crit, d'avance, le sieur Randal. -- Tant pis pour lui; tant pis pour moi. Je sais ce que ma conscience me reproche; mais il n'est pas mauvais qu'on rende la pareille aux filous, de temps en temps. En fait de respect de la propri?t?, que Messieurs les voleurs commencent -- pour qu'on sache o? ?a finira.
Finir! C'est ce livre, que je voudrais bien avoir fini; ce livre que je n'ai pas ?crit, et que je tente vainement de r?crire. J'aurais ?t? si heureux d'?tendre, cette prose, comme le corps d'un malandrin, sur le chevalet de torture! de la tailler, de la rogner, de la fouetter de commentaires implacables -- de placer des phrases s?v?res en enluminures et des conclusions vengeresses en culs-de-lampe! -- J'aurais voulu moraliser -- moraliser ? tour de bras. -- C'aurait ?t? si beau, n'est-ce pas? un bon jugement, rendu par un bon magistrat, qui e?t envoy? le voleur dans une bonne prison, pour une bonne paire d'ann?es! J'aurais voulu mettre le repentir ? c?t? du forfait, le remords en face du crime -- et aussi parler des prisons, pour en dire du bien ou du mal -- J'ai essay?; pas pu. Je ne sais point comment il ?crit, ce Voleur-l?; mes phrases n'entrent pas dans les siennes.
Il m'aurait fallu d?molir le manuscrit d'un bout ? l'autre, et le reconstruire enti?rement; mais je manque d'exp?rience pour ces choses-l?. Qu'on ne m'en garde pas rancune.
Une chose qu'on me reprochera, pourtant -- et avec raison, je le sais, -- c'est de n'avoir point introduit un personnage, un ancien ?l?ve de l'?cole Polytechnique, par exemple, qui, tout le long du volume, aurait dit son fait au Voleur. Il aurait suffi de le faire appara?tre deux ou trois fois par chapitre et, en v?rit?, -- ? condition de ne changer son costume que de temps ? autre -- rien ne m'e?t ?t? plus facile.
Mais, r?flexion faite, je n'ai pas voulu cr?er ce personnage sympathique. Apr?s avoir ?chou? dans ma premi?re tentative, j'ai refus? d'en risquer une seconde. Et puis, si vous voulez que je vous le dise, je me suis aper?u qu'il y avait l?-dedans une question de conscience.
Moi qui ai vol? le Voleur, je ne puis gu?re le fl?trir. Que d'autres, qui n'ont rien ? se reprocher -- au moins ? son ?gard -- le stigmatisent ? leur gr?; je n'y vois point d'inconv?nient. Mais, moi, je n'en ai pas le droit. Peut-?tre.
Georges Darien.
Londres, 1896.
I -- AURORE
Mes parents ne peuvent plus faire autrement.
Tout le monde le leur dit. On les y pousse de tous les c?t?s. Mme Dubourg a laiss? entendre ? ma m?re qu'il ?tait grand temps; et ma tante Augustine, en termes voil?s, a mis mon p?re au pied du mur.
-- Comment! des gens ? leur aise, dans une situation commerciale superbe, avec une sant? florissante, vivre seuls? Ne pas avoir d'enfant? De gueux, de gens qui vivent comme l'oiseau sur la branche, sans lendemains assur?s, on comprend ?a. Mais, sapristi!... Et la fortune amass?e, o? ira-t-elle? Et les bons exemples ? l?guer, le fruit de l'exp?rience ? d?poser en mains s?res?... Voyons, voyons, il vous, faut un enfant -- au moins un. -- R?fl?chissez-y.
Le m?decin s'en m?le:
-- Mais, oui; vous ?tes encore assez jeune; pourtant, il serait peut-?tre imprudent d'attendre davantage.
Le cur? aussi:
-- Un des premiers pr?ceptes donn?s ? l'homme...
Que voulez-vous r?pondre ? ?a?
-- Oui, oui, il vous faut un enfant.
Eh! bien, puisque tout le monde le veut, c'est bon: ils en auront un.
Ils l'ont.
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