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Read Ebook: Le voleur by Darien Georges

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Ebook has 2466 lines and 135030 words, and 50 pages

Ils l'ont.

Je me pr?sente -- tr?s bien -- un matin d'avril, sur le coup de dix heures un quart.

-- Je m'en souviendrai toute ma vie, disait plus tard Agla?, la cuisini?re; il faisait un temps magnifique et le barom?tre marquait: variable.

Quel pr?sage!

Et l?-dessus, si vous voulez bien, nous allons passer plusieurs ann?es.

Qu'est-ce que vous diriez, ? pr?sent, si j'apparaissais ? vous en costume de coll?gien? Vous diriez que ma tunique est trop longue, que mon pantalon est trop court, que mon k?pi me va mal, que mes doigts sont tach?s d'encre et que j'ai l'air d'un serin.

Peut-?tre bien. Mais ce que vous ne diriez pas, parce que c'est difficile ? deviner, m?me pour les grandes personnes, c'est que je suis un ?l?ve mod?le: je fais l'honneur de ma classe et la joie de ma famille. On vient de loin, tous les ans, pour me voir couronner de papier vert, et m?me de papier dor?; le ban et l'arri?re-ban des parents sont convoqu?s pour la circonstance. Solennit? majestueuse! C?r?monie imposante! La robe d'un professeur enfante un discours latin et les broderies d'un fonctionnaire ?tincellent sur un discours fran?ais. Les p?res applaudissent majestueusement.

-- C'est ? moi, cet enfant-l?. Vous le voyez, hein? Eh! bien, c'est ? moi!

Les m?res ont la larme ? l'oeil.

-- Cher petit! Comme il a d? travailler! Ah! c'est bien beau, l'instruction...

Les parents de province s'agitent. Des chapeaux barbares, ?chapp?s pour un jour de leur prison d'acajou, font des gr?ces avec leurs plumes. Des redingotes 1830 s'emp?sent de gloire. Des parapluies centenaires allongent fi?rement leurs grands becs. On voit tressaillir des ch?les-tapis.

Et je sors de l? acclam?, triomphant, avec le fil de fer des couronnes qui me d?chire le front et m'?gratigne les oreilles, avec des livres plein les bras -- des livres verts, jaunes, rouges, bleus et dor?s sur tranche, ? faire hurler un Peau-Rouge et ? me donner des excitations terribles ? la sauvagerie, si j'?tais moins raisonnable.

Mais je suis raisonnable. Et c'est justement pourquoi ?a m'est bien ?gal, d'avoir une tunique trop longue et l'air b?te. Si je suis un serin, c'est un de ces serins auxquels on cr?ve les yeux pour leur apprendre ? mieux chanter. Si mes v?tements sont ridicules, est-ce ma faute si l'on me harnache aujourd'hui en garde-national, comme on m'habillera en l?zard ? cornes quand je serai acad?micien?

J'ai le temps, d'ailleurs. Je n'ai encore que quinze ans.

-- Un bel ?ge! dit mon oncle. On est d?j? presque un jeune homme et l'on a encore toute la candeur de l'enfance.

Candeur!... Mon enfance? Je ne me rappelle d?j? plus. Mes souvenirs voguent confus?ment, fouett?s de la brise des claques et mouill?s de la moiteur des embrassades, sur des lacs d'huile de foie de morue.

Comment me rappellerais-je quelque chose? J'ai ?t? un petit prodige. Je crois que je savais lire avant de pouvoir marcher. J'ai appris par coeur beaucoup de livres; j'ai noirci des fourgons de papier blanc; j'ai ?cout? parler les grandes personnes. J'ai ?t? bien ?lev?...

Des souvenirs? En v?rit?, m?me aujourd'hui, c'est avec peine que j'arrive ? faire ?voluer des personnages devant le tableau noir qui a servi de fond ? la tristesse de mes premi?res ann?es. Oui, m?me en faisant voyager ma m?moire dans tous les coins de notre maison de Paris.; dans les all?es ratiss?es de notre jardin de la campagne -- un jardin o? je ne peux me promener qu'avec pr?caution, o? des all?es me sont d?fendues parce que j'effleurerais des branches et que j'arracherais des fleurs, o? les rosiers ont des ?tiquettes, les g?raniums des scapulaires et les girofl?es un ?tat-civil ? la planchette; -- dans l'herbe et sous les arbres de la propri?t? de mon grand'p?re qui pourtant ne demanderait pas mieux, lui, que de me laisser vacciner les h?tres et d?capiter les boutons d'or...

Des souvenirs? Si vous voulez.

Mon p?re? j'ai deux souvenirs de lui.

Un dimanche, il m'a emmen? ? une f?te de banlieue. Comme j'avais fait manoeuvrer sans succ?s les diff?rents tourniquets charg?s de pav?s de Reims, de porcelaines utiles et de lapins m?lancoliques, il s'est mis en col?re.

-- Tu vas voir, a-t-il dit, que Phanor est plus adroit que toi.

Il a fait dresser le chien contre la machine et la lui a fait mettre en mouvement d'un coup de patte autoritaire. Phanor a gagn? le gros lot, un grand morceau de pain d'?pice.

-- Puisqu'il l'a gagn?, a prononc? mon p?re, qu'il le mange!

Il a d?pos? le pain d'?pice sur l'herbe et le chien s'est mis ? l'entamer, avec plaisir certainement, mais sans enthousiasme. Des hommes v?tus en ouvriers, derri?re nous, ont murmur?.

-- C'est honteux, ont-ils dit, de jeter ce pain d'?pice ? un chien lorsque tant d'enfants seraient si heureux de l'avoir.

Mon p?re n'a pas bronch?. Mais, quand nous avons ?t? partis, je l'ai entendu qui disait ? ma m?re:

-- Ce sont des souteneurs, tu sais.

J'ai demand? ce que c'?tait que les souteneurs. On ne m'a pas r?pondu. Alors, j'ai pens? que les souteneurs ?taient des gens qui aimaient beaucoup les enfants.

Plus tard, mon p?re m'a procur? une joie plus grave. Il m'a fait voir Gambetta. C'?tait au Palais de Versailles, o? se tenait alors l'Assembl?e Nationale. La s?ance ?tait ouverte quand nous sommes entr?s. Un monsieur chauve, fortifi? d'un gilet blanc, ?tait ? la tribune. Il disait que le ma?s est tr?s mauvais pour les chevaux. J'ai cru que c'?tait Gambetta.

Mon p?re s'est mis en col?re. Comment! je ne reconnais pas Gambetta! Il est assez facile ? distinguer des autres, pourtant. Ne m'a-t-on pas dit mille fois qu'il s'?tait crev? un oeil parce que ses parents ne voulaient pas le retirer d'un coll?ge de J?suites?

Si, on me l'a dit mille fois. Je sais ainsi qu'un fils a le droit de d?sob?ir ? ses parents quand ils le mettent chez les J?suites, mais qu'il doit leur ob?ir aveuglement lorsqu'ils l'enferment ailleurs!

-- Ah! tu es vraiment bien nigaud, mon pauvre enfant! ? quoi ?a sert-il, alors, d'avoir mis dans ta chambre le portrait du grand patriote? Je parie que tu ne le regardes seulement pas, avant de te coucher... En tous cas, tu n'es gu?re physionomiste; combien a- t-il d'yeux, le d?put? qui parle ? la tribune? Un, ou deux?

Je ne sais pas, je ne sais pas. Je crois bien qu'il en a trois. Il a des yeux partout. Il en est plein. Je le vois bien, ? pr?sent; mais, tout ? l'heure, je ne pouvais rien voir; j'?tais ?bloui. Ah! j'ai ?t? tellement ?mu, en p?n?trant dans l'auguste enceinte, dans le sanctuaire des lois! J'en suis encore tout agit?. Et puis, je croyais que Gambetta ne quittait pas la tribune, que c'?tait lui qui parlait tout le temps -- que les autres n'?taient l? que pour l'?couter.

Mon p?re donne des explications aux voisins qui ?bauchent des gestes indulgents, apr?s avoir souri de piti?.

-- Je ne comprends vraiment pas comment il a pu confondre ainsi... Il a toujours le premier prix d'Histoire et il reconna?trait M. Thiers ? une demi-lieue...

Puis, il se tourne vers moi.

-- Le voil?, Gambetta! Tiens, l?, l?!

Oui, c'est lui, c'est bien lui. Je reconnais son oeil -- la plac? de son oeil. -- Il est l?, au premier banc -- le banc de la commission, dit un voisin qui s'y conna?t -- ?tendu de tout son long, ou presque, les mains dans les poches et la cravate de travers. Et, de toute l'apr?s-midi, il ne desserre point les dents, pas une seule fois. Il se contente de renifler. Une s?ance fort int?ressante, cependant, o? l'on discute la qualit? des fourrages -- paille, foin, luzerne, avoine, son et recoupette.

-- C'est bien dommage que Gambetta n'ait pas parl?, dis-je ? mon p?re, comme nous sortons.

-- La parole est d'argent et le silence est d'or, me r?pond-il d'une voix qui me fait comprendre qu'il m'en veut de ma b?vue de tout ? l'heure. Mais je ne t'avais pas promis de te faire entendre Gambetta; ?a ne d?pend point de moi. Je t'avais promis de te le faire voir. Tu l'as vu. Tu n'esp?rais pas quelque chose d'extraordinaire, je pense?

Moi? Pas du tout. Je ne m'attendais pas, bien s?r, ? voir le tribun rincer son oeil de plomb dans le verre d'eau sucr?e, ou le lancer au plafond pour le rattraper dans la cuiller. Je sais qu'il est trop bien ?lev? pour ?a.

-- Que son exemple te serve de le?on, reprend mon p?re. Avec de l'?conomie et en faisant son droit, on peut aujourd'hui arriver ? tout. Il d?pend de toi de monter aussi haut que lui.

Je crois que j'aurais peur, en ballon. Du reste, bien que je ne l'avoue qu'? moi-m?me, j'ai ?t? tr?s d?sillusionn?. Le Gambetta que j'ai vu n'est point celui que j'esp?rais voir, Non, pas du tout. Je ne me rappelle d?j? plus sa figure: et si sa face -- de profil -- ne prot?geait pas mon sommeil, pendant les vacances, j'ignorerais demain comment il a le nez fait. Est-ce que je ne suis pas physionomiste, comme l'assure mon p?re?

Si, je le suis; au moins quelquefois. Et le monsieur chauve, en gilet blanc, qui parlait quand nous sommes entr?s, je vous jure que je ne l'ai point oubli?. Ses traits se sont grav?s en moi sans que le temps ait jamais pu les effacer. Quand je veux, dans les circonstances graves, me repr?senter un homme d'?tat, c'est son visage que j'?voque, c'est son linge et son attitude que vient m'offrir ma m?moire. Oui, malgr? mon p?re, dont les admirations ?taient certainement justifi?es, ce n'est pas Gambetta, ni m?me M. Thiers, qui symbolisent pour moi le gouvernement n?cessaire d'un peuple libre, mais polic?. C'est ce monsieur, dont j'ignore le nom, dont les cheveux avaient quitt? la France dans le fiacre ? Louis-Philippe, dont la blanchisseuse avait un si joli coup de fer, et qui condamnait le ma?s, formellement et sans appel, au nom de la cavalerie tout enti?re.

J'ai trois souvenirs de ma m?re.

Un jour, comme j'?tais tout petit, elle me tenait sur ses genoux quand on est venu lui annoncer qu'une traite souscrite par un client ?tait demeur?e impay?e. Elle m'a pos? ? terre si rudement que je suis tomb? et que j'ai eu le poignet foul?.

Une fois, elle m'a r?compens? parce que j'avais r?pondu ? un vieux mendiant qui venait demander aum?ne ? la grille: <>

-- C'est tr?s bien, mon enfant, m'a-t-elle dit. Le travail est le seul rem?de ? la mis?re et emp?che bien des mauvaises actions; quand on travaille, on ne pense pas ? faire du mal ? autrui.

Et elle m'a donn? une petite carabine avec laquelle on peut ais?ment tuer des oiseaux.

Une autre fois, elle m'a puni parce que <> Ma m?re avait raison, je l'ai vu depuis. C'est tout ? fait ridicule, de demander o? m?nent les chemins. Ils vous conduisent toujours o? vous devez aller.

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