Read Ebook: Le Négrier Vol. III Aventures de mer by Corbi Re Edouard
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Ebook has 787 lines and 59671 words, and 16 pages
--Le feu Saint-Elme, monsieur.
--Ah! c'est le feu Saint-Elme; jamais je ne l'avais vu encore. Ce feu-l? ne br?le pas?
--Mais comment peux-tu ajouter foi ? un tel conte? c'est tout simplement, ainsi que je crois me rappeler de l'avoir lu, un effet naturel, une aigrette ?lectrique, qui, comme le fluide de cette esp?ce, recherche les pointes.
--Ma foi, ? tout hasard, je veux voir si je pourrai toucher l'?me d'un mort, et je m'en vais de ce pas sur le marche-pied de la vergue de fortune, donner une chasse ? ton feu Saint-Elme.
Je montai, comme je l'avais dit, au bout de la vergue, ? la grande surprise de mon interlocuteur, qui voyait une esp?ce de profanation dans l'intention que j'avais d'aller, sans n?cessit?, tracasser ce qu'il appelait l'ami des matelots. A mesure que sa main s'avan?ait doucement vers le feu Saint-Elme, le fluide sautillait, s'?loignait, et ne revenait qu'apr?s que j'avais rentr? ma main. Cette esp?ce de petite guerre entre lui et moi, amusait beaucoup les gens de quart, qui me r?p?taient: <
Lorsque, fatigu? de me promener pendant quatre heures de quart, ? la file d'une dizaine d'hommes, qui n'avaient qu'un espace de vingt pieds ? parcourir, je c?dais au besoin suppliciant du sommeil; lorsqu'enfin, apr?s avoir frott? mes yeux apesantis, avec de l'eau de mer, et avoir tremp? ma t?te somnolente dans un sceau, je m'assoupissais devant, sur le bout de la dr?me, c'?tait en vain que mon chef de quart me r?veillait et me sermonait vertement: la nuit suivante, je retombais dans ma mauvaise habitude. Il me fallait une le?on forte pour me gu?rir de mon indolence. Le capitaine me la fit donner.
< L'ATT?RISSAGE. Oh! combien les passagers se montrent ravis quand ils croient enfin flairer la terre! Les soucis, que les ennuis de la travers?e ont accumul?s sur leur front, font place ? des lueurs de joie et de folie; leur attitude faible et g?n?e prend de l'assurance; leurs jarrets, bris?s par les roulis, de l'?lasticit?. Leurs yeux, plus vifs, errant sur tous les points de l'horizon, cherchent avec un instinct trompeur le rivage promis, presque toujours o? il n'est pas. Le nuage qui s'?l?ve devant eux est pris pour un mont, une ?le, un cap, que sais-je; et le fant?me s'?vanouit bient?t, pour faire place ? d'autres ravissantes illusions. Nos aimables compagnons ne se sentaient pas d'aise: ils chantaient, sautaient, faisaient leur toilette, ouvraient, fermaient leurs malles ? tout moment. C'?tait une nouvelle vie qui circulait dans leurs corps si longtemps abattus. La terre ?tait devant eux. Les ?motions p?nibles, les privations, les petites querelles, tout allait ?tre oubli?, ? la vue de la Martinique. Le jour o? l'on d?couvre la terre est un jour de r?demption et de pacification g?n?rale. Le capitaine se disposait aussi, en feuilletant ses papiers, ? se pr?senter bient?t aux autorit?s de Saint-Pierre, et ? ses correspondans. Il fit appeler un ? un les passagers dans la chambre, pour avoir, avec chacun d'eux, un petit entretien pr?paratoire. Plac? aupr?s du capot, j'entendis tout. --Comme, en arrivant ? Saint-Pierre, il me faudra rendre compte, au commissaire de la ville, de ce que vous venez faire dans la colonie, vous ne trouverez pas mauvais, leur dit-il, que je vous demande quels sont vos projets d?finitifs? Une de nos dames lui r?pondit qu'elle allait ? la Martinique, pour changer d'air et refaire sa sant?. --Mais jamais je n'ai entendu dire que l'air f?t meilleur ? la Martinique qu'en France! --Personne, je crois, monsieur le capitaine, ne peut m'emp?cher d'aimer la chaleur. --Et quels sont encore vos moyens d'existence, mademoiselle? --Mes moyens d'existence, monsieur? Un homme plus galant ou moins curieux que vous, m'aurait ?pargn? une telle question. En pronon?ant ces mots, mademoiselle Am?lia de Saint-Amour se mirait dans une glace, plac?e au fond de la chambre, en se prenant la taille avec complaisance. --Ah! j'entends, dit Niquelet apr?s une pause; au surplus, chacun son industrie! --Vous comprenez donc maintenant? Monsieur? C'est, ma foi! fort heureux. Arriva le tour d'un grand et beau jeune blond, qui pendant la travers?e, paraissait avoir fait la passion jalouse et l'heureux d?sespoir de nos deux jolies voyageuses. --Et vous, monsieur Isidore, vous allez ? la Martinique, autant que je puis me rappeler ce que vous m'avez dit, pour....? --Je vais ? la Martinique, capitaine, en pacotille. --Comment en pacotille? Mais vous n'avez embarqu? aucune esp?ce de marchandises ? bord! --Ne me suis-je pas embarqu? moi-m?me avec une taille de cinq pieds six pouces, ma figure, ma jambe et mes esp?rances enfin? --Mais sur quoi fondez-vous vos esp?rances? --Sur l'avenir. --Et votre avenir enfin? --Sur mes esp?rances. On dit que les blonds sont tr?s-rares et fort recherch?s dans le pays. --Grand Dieu, que je vous plains avec votre pacotille! --Oh! le d?bit de cette marchandise ne m'embarrassera nullement, je vous assure. --Pauvre jeune homme! Si le commerce pouvait aller pour vous encore aussi bien que pour mademoiselle de Saint-Amour!... Elle, au moins, a des charmes qui pourront porter int?r?t: c'est enfin un petit capital; mais vous? --N'ai-je pas, comme elle, les charmes de mon sexe? et peut-?tre qu'en r?unissant nos deux industries... Les renseignemens donn?s au capitaine, par nos autres chercheurs de fortune, ne pr?sent?rent rien d'int?ressant; tous allaient ramasser de l'or, et ils croyaient d?j? toucher ? la terre promise... Je ne saurais dire combien ces sc?nes si simples sont imposantes pour les marins, et avec quelle profondeur elles se gravent dans leur m?moire. Un navire, ?chappant par une manoeuvre adroite, ou par un incident heureux, ? la vigilance d'une croisi?re ennemie, est bien peu de chose, sans doute, pour les hommes ? qui on raconte cette manoeuvre ou cet ?v?nement. Mais, pour peu que vous naviguiez, vous ?couterez avec d?lices le r?cit d'une de ces circonstances si communes ? la mer, et vous concevrez alors que les marins sont rab?cheurs et conteurs, parce que tout est grand et d?cisif autour d'eux. Rappelez-vous seulement avec quels objets imposans ils sont sans cesse en rapport, avec les flots, les vents, les temp?tes, la foudre, les combats, l'immensit? de ces mers, dont une seule lame suffit pour vous ?pouvanter, vous, fussiez-vous assis sans danger sur le rivage!... N'y a-t-il pas, dans tout cela, assez de sources d'?motions, assez de motifs de narration, pour les entra?ner ? parler souvent d'eux-m?mes et des incidens les plus m?morables de leur vie aventureuse? Nous distinguions d?j? les lumi?res des habitations, scintillant ? des hauteurs in?gales, et disparaissant tout d'un coup, comme ces feux vifs et errans que le voyageur rencontre la nuit dans les campagnes. De vastes nuages se roulaient sur les flancs des montagnes, dont ils semblaient former la ceinture, et au dessus d'eux se dessinaient les formes gigantesques des pitons du Vauquelin. La mer, que l'?l?vation colossale de ces monts paraissait abaisser au dessous de son niveau ordinaire, battait avec un bruit sinistre les bords irr?guliers du Vent-de-l'Ile. Les nues, amoncel?es sur la cime des pitons, avaient l'air de se reposer, dans l'inaction de la nuit, de l'affaissement qu'?prouve la nature dans ces climats si pesans, o? chaque jour semble ?tre pour elle un jour d'?puisement. Le commandement du capitaine vint nous arracher ? cette contemplation et aux r?flexions tristes que faisaient quelques uns de nous: car, en abordant ces Antilles, tombeau de tant d'Europ?ens, il n'est gu?re de marin qui puisse s'abandonner, sans r?serve, au doux espoir de revoir encore une fois sa patrie. Oh! me disais-je, en voyant pour la premi?re fois la Martinique, si cette ?le est le reste ou le produit d'une des convulsions du globe, elle ne d?ment pas son effroyable origine; car c'est sans doute dans une de ces commotions qui ont ?branl? le monde, que cet archipel est rest? comme le d?bris d'un continent, ou comme l'indice d'un des avortemens de la nature! Nous aurions pu attaquer la Martinique par la passe du Diamant, en gouvernant sur le sud de l'?le; mais Niquelet, sachant que les croiseurs ennemis se tenaient plus particuli?rement dans cette partie, s'?tait d?cid? ? faire la passe de la Perle, par le nord, pour atteindre ensuite la rade de Saint-Pierre. --Que cette verdure est sombre, monsieur de Livonni?re! Comme ces for?ts doivent ?tre sinistres! --Qu'est-ce donc que cette fum?e qui s'?l?ve du haut de ces vilaines montagnes, que vous dites pourtant inaccessibles? --Comme il fait chaud! On respire ? peine, depuis que nous sommes pr?s de terre. Est-ce qu'on ?prouve toujours cet air humide et ?touffant? --On transpire d?j? ? n'y pas tenir... --L'hivernage! mais il doit faire plus frais alors que dans les autres saisons? --Pourquoi ces champs, encore fra?chement labour?s, sont-ils tomb?s dans la mer? --Tiens, pardieu! Parce qu'il y a des ?boulemens. --Il y a donc des ?boulemens fr?quens aux colonies? --Quel triste s?jour, si on n'y faisait pas si vite fortune! --Et que fit ce passager? --Oui, Livonni?re. Il re?oit la brise sud-sud-est du large, pendant que nous sommes en calme, abrit?s par la terre. Comme il pourrait bien ?tre arm?, nous allons nous pr?parer ? le recevoir. Ma?tre, faites donner la ration ? l'?quipage, et d?jeunons vivement, mes enfans, pour nous disposer apr?s ? nous donner un coup de peigne, s'il en est besoin. --Oui, capitaine, r?pondit le ma?tre. Un homme de chaque plat ? la cambuse, et d?jeune tout le monde en g?n?ral! --Oui, messieurs. --A quelle distance est-il encore de nous?
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