Read Ebook: Le pays des fourrures by Verne Jules
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Ebook has 2483 lines and 132051 words, and 50 pages
-- On ouvre,>> r?pondit le sergent Long, qui semblait v?ritablement ouvrir en douze temps.
Enfin les battants de la porte se rabattirent int?rieurement, et le sergent fut ? demi renvers? dans la neige par un tra?neau attel? de six chiens qui passa comme un ?clair. Un peu plus, le digne Long ?tait ?cras?. Mais se relevant, sans m?me prof?rer un murmure, il ferma la poterne et revint vers la maison principale, au pas ordinaire, c'est-?-dire en faisant soixante-quinze enjamb?es ? la minute.
Mais d?j? le capitaine Craventy, le lieutenant Jasper Hobson, le caporal Joliffe ?taient l?, bravant la temp?rature excessive et regardant le tra?neau, blanc de neige, qui venait de s'arr?ter devant eux.
Un homme, doubl? et encapuchonn? de fourrures, en ?tait aussit?t descendu.
< -- C'est ici, r?pondit le capitaine. -- Le capitaine Craventy? -- C'est moi. Qui ?tes-vous? -- Un courrier de la Compagnie. -- ?tes-vous seul? -- Non! j'am?ne un voyageur! -- Un voyageur! Et que vient-il faire? -- Il vient voir la lune.>> ? cette r?ponse, le capitaine Craventy se demanda s'il avait affaire ? un fou, et, dans de telles circonstances, on pouvait le penser. Mais il n'eut pas le temps de formuler son opinion. Le courrier avait retir? du tra?neau une masse inerte, une sorte de sac couvert de neige, et il se disposait ? l'introduire dans la maison, quand le capitaine lui demanda: < -- C'est mon voyageur! r?pondit le courrier. -- Quel est ce voyageur? -- L'astronome Thomas Black. -- Mais il est gel?! -- Eh bien, on le d?g?lera.>> Thomas Black, transport? par le sergent, le caporal et le courrier, fit son entr?e dans la maison du fort. On le d?posa dans une chambre du premier ?tage, dont la temp?rature ?tait fort supportable, gr?ce ? la pr?sence d'un po?le port? au rouge vif. On l'?tendit sur un lit, et le capitaine lui prit la main. Cette main ?tait litt?ralement gel?e. On d?veloppa les couvertures et les manteaux fourr?s qui couvraient Thomas Black, ficel? comme un paquet, et sous cette enveloppe on d?couvrit un homme ?g? de cinquante ans environ, gros, court, les cheveux grisonnants, la barbe inculte, les yeux clos, la bouche pinc?e comme si ses l?vres eussent ?t? coll?es par une gomme. Cet homme ne respirait plus ou si peu, que son souffle e?t ? peine terni une glace. Joliffe le d?shabillait, le tournait, le retournait avec prestesse, tout en disant: < Ce personnage, arriv? dans ces circonstances, semblait n'?tre plus qu'un cadavre. Pour rappeler en lui la chaleur disparue, le caporal Joliffe n'entrevoyait qu'un moyen h?ro?que, et ce moyen, c'?tait de plonger le patient dans le punch br?lant. Tr?s heureusement sans doute pour Thomas Black, le lieutenant Jasper Hobson eut une autre id?e. < Cette substance ne manquait pas dans la cour du Fort-Reliance. Pendant que le sergent allait chercher la neige demand?e, Joliffe d?shabilla l'astronome. Le corps du malheureux ?tait couvert de plaques blanch?tres qui indiquaient une violente p?n?tration du froid dans les chairs. Il y avait urgence extr?me ? rappeler le sang aux parties attaqu?es. C'?tait le r?sultat que Jasper Hobson esp?rait obtenir au moyen de vigoureuses frictions de neige. On sait que c'est le rem?de g?n?ralement employ? dans les contr?es polaires pour r?tablir la circulation qu'un froid terrible a arr?t?e, comme il arr?te le courant des rivi?res. Le sergent Long ?tant revenu, Joliffe et lui frictionn?rent le nouveau venu comme il ne l'avait jamais ?t? probablement. Ce n'?tait point une linition douce, une fomentation onctueuse, mais un massage vigoureux, pratiqu? ? bras raccourcis, et qui rappelait plut?t les ?raillures de l'?trille que les caresses de la main. Et pendant cette op?ration, le loquace caporal interpellait toujours le voyageur, qui ne pouvait l'entendre. < Il est probable que Thomas Black s'obstinait, car une demi-heure se passa sans qu'il consent?t ? donner signe de vie. On d?sesp?rait m?me de le ranimer, et les masseurs allaient suspendre leur fatigant exercice, quand le pauvre homme fit entendre quelques soupirs. < Apr?s avoir r?chauff? par les frictions l'ext?rieur du corps, il ne fallait point oublier l'int?rieur. Aussi le caporal Joliffe se h?ta-t-il d'apporter quelques verres de punch. Le voyageur se sentit v?ritablement soulag?; les couleurs revinrent ? ses joues, le regard ? ses yeux, la parole ? ses l?vres, et le capitaine put esp?rer enfin que Thomas Black allait lui apprendre pourquoi il arrivait en ce lieu et dans un ?tat si d?plorable. Thomas Black, bien envelopp? de couvertures, se souleva ? demi, s'appuya sur son coude, et d'une voix encore affaiblie: < -- C'est ici, r?pondit le capitaine. -- Le capitaine Craventy? -- C'est moi, et j'ajouterai, monsieur, soyez le bienvenu. Mais pourrai-je vous demander pourquoi vous venez au Fort-Reliance? -- Pour voir la lune!>> r?pondit le courrier, qui tenait sans doute ? cette r?ponse, car il la faisait pour la seconde fois. D'ailleurs, elle parut satisfaire Thomas Black, qui fit un signe de t?te affirmatif. Puis, reprenant: < -- Me voici, r?pondit le lieutenant. -- Vous n'?tes pas encore parti? -- Pas encore, monsieur. -- Eh bien, monsieur, reprit Thomas Black, il ne me reste plus qu'? vous remercier et ? dormir jusqu'? demain matin!>> Le capitaine et ses compagnons se retir?rent donc, laissant ce personnage singulier reposer tranquillement. Une demi-heure apr?s, la f?te s'achevait, et les invit?s regagnaient leurs demeures respectives, soit dans les chambres du fort, soit dans les quelques habitations qui s'?levaient en dehors de l'enceinte. Le lendemain, Thomas Black ?tait ? peu pr?s r?tabli. Sa vigoureuse constitution avait r?sist? ? ce froid excessif. Un autre n'e?t pas d?gel?, mais lui ne faisait pas comme tout le monde. Et maintenant, qui ?tait cet astronome? D'o? venait-il? Pourquoi ce voyage ? travers les territoires de la Compagnie, lorsque l'hiver s?vissait encore? Que signifiait la r?ponse du courrier? Voir la lune! Mais la lune ne luit-elle pas en tous lieux, et faut-il venir la chercher jusque dans les r?gions hyperbor?ennes? Telles furent les questions que se posa le capitaine Craventy. Mais le lendemain, apr?s avoir caus? pendant une heure avec son nouvel h?te, il n'avait plus rien ? apprendre. Thomas Black ?tait, en effet, un astronome attach? ? l'observatoire de Greenwich, si brillamment dirig? par M. Airy. Esprit intelligent et sagace plut?t que th?oricien, Thomas Black, depuis vingt ans qu'il exer?ait ses fonctions, avait rendu de grands services aux sciences uranographiques. Dans la vie priv?e, c'?tait un homme absolument nul, qui n'existait pas en dehors des questions astronomiques, vivant dans le ciel, non sur la terre, un descendant de ce savant du bonhomme La Fontaine qui se laissa choir dans un puits. Avec lui pas de conversation possible si l'on ne parlait ni d'?toiles ni de constellations. C'?tait un homme ? vivre dans une lunette. Mais quand il observait, quel observateur sans rival au monde! Quelle infatigable patience il d?ployait! Il ?tait capable de guetter pendant des mois entiers l'apparition d'un ph?nom?ne cosmique. Il avait d'ailleurs une sp?cialit?, les bolides et les ?toiles filantes, et ses d?couvertes dans cette branche de la m?t?orologie m?ritaient d'?tre cit?es. D'ailleurs, toutes les fois qu'il s'agissait d'observations minutieuses, de mesures d?licates, de d?terminations pr?cises, on recourait ? Thomas Black, qui poss?dait < On sait que pendant une ?clipse totale de soleil, la lune est entour?e d'une couronne lumineuse. Mais quelle est l'origine de cette couronne? Est-ce un objet r?el? N'est-ce plut?t qu'un effet de diffraction ?prouv? par les rayons solaires dans le voisinage de la lune? C'est une question que les ?tudes faites jusqu'? ce jour n'ont pu permettre de r?soudre. D?s 1706, les astronomes avaient scientifiquement d?crit cette aur?ole lumineuse. Louville et Halley pendant l'?clipse totale de 1715, Maraldi en 1724, Antonio de Ulloa en 1778, Bouditch et Ferrer en 1806, observ?rent minutieusement cette couronne; mais de leurs th?ories contradictoires on ne put rien conclure de d?finitif. ? propos de l'?clipse totale de 1842, les savants de toutes nations, Airy, Arago, Peytal, Laugier, Mauvais, Otto- Struve, Petit, Baily, etc., cherch?rent ? obtenir une solution compl?te touchant l'origine du ph?nom?ne; mais quelque s?v?res qu'eussent ?t? les observations, < Cependant, cette question int?ressait au plus haut point les ?tudes s?l?nographiques. Il fallait la r?soudre ? tout prix. Or, une occasion nouvelle se pr?sentait d'?tudier la couronne lumineuse si discut?e jusqu'alors. Une nouvelle ?clipse totale de soleil, totale pour l'extr?mit? nord de l'Am?rique, l'Espagne, le nord de l'Afrique, etc., devait avoir lieu le 18 juillet 1860. Il fut convenu entre astronomes de divers pays que des observations seraient faites simultan?ment aux divers points de la zone pour laquelle cette ?clipse serait totale. Or, ce fut Thomas Black que l'on d?signa pour observer ladite ?clipse dans la partie septentrionale de l'Am?rique. Il devait donc se trouver ? peu pr?s dans les conditions o? se trouv?rent les astronomes anglais qui se transport?rent en Su?de et en Norv?ge ? l'occasion de l'?clipse de 1851. On le pense bien, Thomas Black saisit avec empressement l'occasion qui lui ?tait offerte d'?tudier l'aur?ole lumineuse. Il devait ?galement reconna?tre autant que possible la nature de ces protub?rances rouge?tres qui apparaissent sur divers points du contour du satellite terrestre. Si l'astronome de Greenwich parvenait ? trancher la question d'une mani?re irr?futable, il aurait droit aux ?loges de toute l'Europe savante. Thomas Black se pr?para donc ? partir, et il obtint de pressantes lettres de recommandation pour les agents principaux de la Compagnie de la baie d'Hudson. Or, pr?cis?ment, une exp?dition devait se rendre prochainement aux limites septentrionales du continent afin d'y cr?er une factorerie nouvelle. C'?tait une occasion dont il fallait profiter. Thomas Black partit donc, traversa l'Atlantique, d?barqua ? New-York, gagna ? travers les lacs l'?tablissement de la rivi?re Rouge, puis de fort en fort, emport? par un tra?neau rapide, sous la conduite d'un courrier de la Compagnie, malgr? l'hiver, malgr? le froid, en d?pit de tous les dangers d'un voyage ? travers les contr?es arctiques, le 17 mars, il arriva au Fort-Reliance dans les conditions que l'on conna?t. Telles furent les explications donn?es par l'astronome au capitaine Craventy. Celui-ci se mit tout entier ? la disposition de Thomas Black.
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