Read Ebook: Histoires incroyables Tome I by Lermina Jules
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Ebook has 915 lines and 46678 words, and 19 pages
HISTOIRES INCROYABLES
PAR
JULES LERMINA
PARIS, L. BOULANGER, ?DITEUR 90, boulevard Montparnasse, 90
COLLECTION LECTURES POUR TOUS AVENTURES ET VOYAGES
La liste des volumes composant cette collection se trouve ? la fin de l'ouvrage.
HISTOIRES INCROYABLES
PAR
JULES LERMINA
TOME PREMIER
PR?FACE
J'ai toujours beaucoup aim? les histoires fantastiques. L'incroyable est une des formes de la po?sie. Le r?el, lorsqu'il se d?forme par l'hallucination ou le r?ve, devient tout aussit?t ?norme et plus attirant peut-?tre que la v?rit? m?me. Tels ces visages que certains miroirs concaves ou convexes allongent ou d?priment de fa?ons bizarres. Ils nous fascinent. On les regarde avec une fixit? un peu hagarde, tandis qu'on laisserait peut-?tre passer une jolie femme sans l'admirer.
Le fantastique hypnotise. Quand j'?tais enfant, j'ai souvent entendu raconter l'histoire de mon grand-oncle Gillet, mort grenadier de la garde. ? Nantes, quand il rentrait chez sa m?re, il avait l'habitude de prendre chaque soir un peu de sable et de le jeter, du dehors, contre la vitre pour avertir qu'il arrivait. On courait ? la porte du jardin et on ouvrait. Cadet entrait, joyeux. Un soir, on entend le bruit du gravier contre la vitre. Mon arri?re-grand'm?re se l?ve joyeuse et dit:
--C'est Cadet!
Cadet ?tait pourtant soldat ? l'arm?e et loin de France. Bah! c'est qu'il revenait! Et la m?re court ouvrir la porte. Personne!
--Mon Dieu! dit l'a?eule, il est arriv? malheur ? Cadet.
Et elle regarda sa montre.
En effet, ? cette heure m?me, ? l'heure cr?pusculaire, entre chien et loup, le pauvre gar?on recevait d'un chasseur tyrolien, cach? derri?re une botte de foin, une balle qui le tuait net. C'?tait le soir de Wagram. Il n'y avait pas deux heures que Napol?on l'avait, de sa main, d?cor? sur le champ de bataille d'une petite croix d?tach?e de sa poitrine. Je l'ai l?, cette petite croix. Je la regarde tandis que j'?cris. Elle me rappelle cette inoubliable histoire qui a fait tant d'impression sur mon enfance.
C'est cette ?tude de la pens?e malade que Jules Lermina a essay?e, dans une singuli?re abstraction de son propre moi, qui est une force. Le temps de la synth?se, m?re du romantisme, est pass?. Le temps de l'analyse est venu. Corpuscules, microbes, mon?res d'Haeckel, inconscient d'Hartmann, tout aujourd'hui est regard? de pr?s. C'est l'?ge du microscope. On ?tudie les mat?riaux du grand monument humain pour en reconstruire l'architecture premi?re. Dans le fou, dans l'alcoolique, il y a disjonction des pens?es: d'o? une certaine facilit? pour les soumettre ? l'action du microscope.
Jules Lermina est de cette ?cole. Il tr?pane le cr?ne et regarde agir le cerveau; et il y voit des spectacles mille fois plus ?tranges que les fant?mes ridicules, blancs dans le noir, mille fois plus effrayants que les goules p?les ou les vampires verd?tres du bon Nodier.
Quoi qu'il en soit, on placera certainement ces pages au meilleur rang de la biblioth?que des conteurs, entre les visions romantiques d'Hoffmann et les conceptions po?tiquement scientifiques d'Edgar Allan Po?; et l'auteur, qu'on va fort applaudir, a d?couvert un joli coin d'Am?rique, plein de fleurs rares et ?tranges, inqui?tantes comme ces fleurs empoisonn?es du conte d'Hawthorne, le jour o? il a souffl?, tout bas, ? William Cobb les histoires troublantes et remarquables que ce William Cobb contait si bien et que recueille aujourd'hui, pour nous, Jules Lermina.
JULES CLARETIE.
HISTOIRES INCROYABLES
LES FOUS
Pourquoi six heures? Non pas six heures moins cinq minutes ni six heures cinq, mais bien six heures juste. Cela me pr?occupait plus que je ne voulais me l'avouer, et cependant je ne m'?tais pas tromp?. Tenez, hier encore, j'?tais all? chez lui, pour mon proc?s.
Car il est temps que je vous dise de quoi je veux parler ou plut?t de qui.
Je suis un homme comme vous, ami lecteur, mais peut-?tre ai-je en moi telle disposition qui chez vous n'existe qu'? l'?tat latent.
C'est ainsi que cela se passa avec Me Golding, homme r?gulier, comme le balancier d'une pendule, marchant comme un rouage, vivant automatiquement ou plut?t math?matiquement. ? dix heures du matin, je le trouvais ? son bureau pour ses consultations. Et, remarquez-le, jamais une minute avant ni apr?s dix heures; ? une heure, au tribunal; ? cinq heures, dans son cabinet; ? six heures... c'est l? ce qui me frappa.
Non, ce n'?tait pas par impolitesse, ennui ou fatigue qu'il s'?tait ainsi d?rob? ? notre entretien. Par impolitesse? Golding ?tait la courtoisie en personne. Par ennui? Un sollicitor ne s'ennuie que de ce qui ne rapporte pas. Par fatigue? Un client ou un autre, qu'importe?
Pourquoi la question vint-elle dix fois sur mes l?vres, et pourquoi dix fois ne me sentis-je pas le courage de parler? Quelques minutes avant six heures, j'attendais... oh! comme j'attendais que le timbre f?l? retent?t... mais on vint nous d?ranger, je dus partir, je descendis dans la rue. ? six heures, il passa aupr?s de moi, sans me voir... ou du moins je suis s?r qu'il ne me vit pas, quoiqu'il m'e?t regard?... Je pouvais le suivre, mais je jugeai qu'il ne fallait pas proc?der ainsi. Je m'en allai, pour revenir encore le lendemain, le surlendemain.
Mais le hasard--?tait-ce bien le hasard?--?tait contre moi; je ne pouvais me trouver dans son cabinet jusqu'? six heures. Seulement, alors que je me tenais, en bas, blotti aupr?s de la porte, l'?piant, comme aurait fait un voleur qui en e?t voulu ? sa bourse, je le voyais passer, froid, calme, insensible ? tout ce qui se passait autour de lui... toujours dans la m?me direction, sans tourner la t?te ? droite ni ? gauche, regardant droit vers un but...
Celui-l?--avec ses cheveux gris, ses yeux bleus, son front haut et sans rides, son pas r?gulier, cette absence totale d'agitation externe--celui-l? devait avoir des rides en dedans et son coeur devait battre dans sa poitrine d'un heurt saccad?, quelque chose comme le hal?tement f?brile du remords ou le tressautement de la terreur.
Cette pens?e ?tait devenue fixe. J'?tais arriv? ? consid?rer Golding comme un ennemi dont la vie m'appartenait. Il n'avait pas le droit de garder son secret: car l'anormal qui existait en lui se r?percutait en moi et me causait un malaise continuel. Je r?solus d'en finir.
J'avais dit lunch, car ce mot impliquait le matin, et j'avais besoin de l'avoir ? ma table vers midi ou une heure.
Mais voil? que sa t?te s'alourdit, ses yeux se ferment, je le conduis au canap?, j'allume un cigare et j'attends...
Et six heures sonnent...
Et il dort, d'un sommeil que je sais pesant et invincible. Il n'a pu rien entendre, d'ailleurs l'heure n'a pas sonn? ? ma pendule. Je l'ai arr?t?e. Moi, j'?tais trop attentif pour ne pas saisir l'?cho venant de l'horloge voisine. Il n'a pas fait un mouvement.
Je pris son chapeau et le mis sur sa t?te... un peu de travers, et j'eus la compassion de placer sa canne entre ses doigts. Et tout cela dut ?tre fait bien vite, car depuis le moment o? il s'?tait redress?, il n'avait pas cess? d'agir.
Il avait travers? la salle o? nous avions lunch?, ouvert la porte; il descendait l'escalier.
Oui, mais s'il s'en va! Eh bien! apr?s, que saurai-je? le suivre, c'est banal. Il me semble qu'il y a mieux ? faire. Maintenant, je ne doute plus. Il y a un secret, ce secret est mon bien, ma proie, il ne faut pas qu'il m'?chappe...
Une id?e infernale traverse mon cerveau. Si je l'enfermais! je rentrerai tard, je lui dirai qu'il s'?tait endormi, que j'ai cru devoir respecter son sommeil.
Et comme ces pens?es ?taient ?closes en moi en une seconde, je me trouvai dehors, et je fermai la porte ? double tour.
Il ?tait enferm?. Et toutes les voix de la ville, comme dans un appel d?sesp?rant, r?p?taient: Une, deux, trois, quatre, cinq, six... cinq, six... cinq, six.
Moi, je courus ? une petite fen?tre basse par laquelle je pouvais plonger ? l'int?rieur. Je vis vraiment un spectacle bizarre.
Je ne sais pourquoi cela me sembla d?mesur?ment grotesque. Je partis d'un violent ?clat de rire, et...
--?videmment, il sera tomb? de fatigue! dis-je ? demi-voix.
Mon partner posa son cigare sur le rebord de la table, lan?a dans le foyer un long jet de salive brune et r?pondit:
--J'invite ? coeur, et vous coupez! par la mort diable! cela devient intol?rable.
Si par hasard il parvenait ? ouvrir ma porte, s'il s'enfuyait... tout ?tait perdu. Car, ce que je voulais avant tout, c'est qu'il ne p?t pas aller l? o? il allait d'ordinaire. Je voulais d?ranger cette machine, briser un engrenage, affoler la roue.
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