Read Ebook: Histoires incroyables Tome II by Lermina Jules
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Ebook has 893 lines and 46946 words, and 18 pages
LE PR?SIDENT.--Expliquez-nous ce qui s'est pass? le 23 avril?
BEAUJON.--Je vais r?p?ter les explications que j'ai donn?es au commissaire de police, au juge d'instruction, ? tous ceux enfin qui m'ont interrog? depuis cette triste affaire. Defodon et moi nous avons quitt? la pension vers sept heures; il se disait un peu malade. En g?n?ral, il n'?tait pas d'une bonne sant?; de plus, il s'?coutait beaucoup. Nous nous moquions m?me souvent de lui ? ce sujet, en l'appelant <
LE PR?SIDENT.--Mais n'aviez-vous pas dit ? la pension m?me que vous passeriez la soir?e avec lui? Cela impliquerait une contradiction avec cette demande dont vous parlez pour la premi?re fois.
BEAUJON.--Le d?tail n'a pas d'importance... Je ne me le rappelle pas exactement. Toujours est-il que je restai.
LE PR?SIDENT.--Encore un mot: le croyiez-vous assez malade pour que son indisposition p?t se prolonger plusieurs jours?
BEAUJON.--Je ne comprends pas le sens de cette question.
LE PR?SIDENT.--Je m'explique. Comme un de ses amis lui disait: ? demain! vous avez r?pondu: Oh! je ne crois pas... il a besoin de repos.
BEAUJON.--Ai-je dit cela? c'est possible. Je ne m'en souviens pas.
LE PR?SIDENT.--Messieurs les jur?s entendront le t?moin. Continuez, Beaujon.
BEAUJON.--S'il fallait se rappeler tous les mots sans importance... enfin! Je disais donc que je m'installai aupr?s de son lit...
LE PR?SIDENT.--D?crivez-nous la chambre o? vous vous trouviez.
BEAUJON.--C'est bien facile. C'est une chambre d'h?tel, pareille ? toutes les autres; le mobilier se compose d'un lit ? rideaux blancs, d'un secr?taire, d'une table recouverte d'un tapis et formant bureau, une table de nuit, quelques chaises et un fauteuil. Le lit fait face ? la fen?tre. J'?tais assis dans le fauteuil, devant la chemin?e dans laquelle il n'y avait pas de feu. Je voyais Defodon de trois quarts. Il ?tait tr?s gai, et nous nous m?mes ? causer.
LE PR?SIDENT.--Quel ?tait le sujet de votre conversation?
BEAUJON.--Il me serait assez difficile de vous le retracer avec ordre. Nous avons parl? th??tre; nous ?tions all?s trois jours auparavant voir ? l'Od?on la pi?ce nouvelle de George Sand. Puis nous caus?mes voyages. Nous avions envie de partir tous les deux pour quelque pays ?loign?... vous savez, un de ces projets comme on en fait tous les jours et qu'on n'ex?cute pas, faute d'argent.
LE PR?SIDENT.--N'avez-vous pas parl? aussi de la fille Gangrelot?
LE PR?SIDENT.--Je vous interrogerai tout ? l'heure sur vos relations avec cette fille; achevez votre r?cit.
BEAUJON.--Mais vous m'interrompez ? chaque instant... J'aurais d?j? fini. Je vous disais donc que nous causions de toutes sortes de choses, en tr?s bons amis, je vous assure. La nuit ?tait tout ? fait venue, j'allumai une lampe ? l'huile de p?trole qui, par parenth?se, n'avait ni globe, ni abat-jour. Je la mis sur la chemin?e. Elle ?clairait en plein le lit et le visage de Defodon. C'est alors que se passa la sc?ne inexplicable qui m'a amen? ici... Ah! je me souviens, nous nous rappelions ? ce moment un vieux souvenir de Bullier, une noce de l'ann?e derni?re... Ce qui suit a ?t? si rapide que j'ai eu beaucoup de peine ? ressaisir quelques d?tails. Defodon me parut pr?occup?; le regard fixe, il ne me r?pondait que par monosyllabes... Tout ? coup son visage s'est contract?; je ne sais pas; mais il me semble avoir vu sur sa figure, aupr?s de la bouche, quelque chose de noir comme une tache... Il a bondi sur lui-m?me en poussant un cri rauque, ?touff?, comme si le larynx e?t ?t? violemment serr?. Il a ?tendu les bras en l'air et battu l'air de ses mains... puis il a saut? en bas de son lit, en chemise, et s'est jet? sur moi. Je me suis lev? et l'ai repouss?, mais il s'est accroch? ? moi, m'a serr? le cou d'une main, l'?paule de l'autre. Il semblait se d?battre contre un horrible cauchemar. J'ai cru qu'il devenait fou; pour le faire reculer je lui ai port? la main ? la gorge, ?videmment; dans ma surprise, je n'ai pas mesur? la force de la pression... j'ai d? serrer tr?s fort. Il a port? la t?te en arri?re, je l'ai l?ch?; il est tomb? de toute sa hauteur. Je me suis baiss? vers lui... sa face ?tait horriblement convuls?e. C'est alors que je l'ai cru mort... j'ai eu peur et me suis sauv? en criant.
LE PR?SIDENT.--Comment votre premi?re pens?e ?tait-elle de vous enfuir plut?t que d'appeler du secours?
BEAUJON.--J'ai perdu la t?te.
D.--Ainsi, vous pr?tendez que c'est Defodon qui vous a attaqu?, sans aucune provocation de votre part, et que vous vous ?tes seulement d?fendu?
R.--Attaqu? ne me para?t pas le mot propre. Il n'avait pas plus de raison de m'attaquer que je n'en avais moi-m?me pour lui faire du mal. Je croirais plut?t ? un acc?s de fi?vre chaude.
LE PR?SIDENT .--Nous entendrons les m?decins ? ce sujet.-- Expliquez-nous quelles ?taient vos relations avec la fille Gangrelot.
L'accus? sourit.
LE PR?SIDENT.--Accus?, je vous invite ? vous exprimer convenablement et ? quitter ce ton ironique qui n'est pas en rapport avec la gravit? de votre situation. Ainsi, vous niez qu'il y ait eu jalousie entre vous et Defodon au sujet de cette fille?
<<--Avec qui des deux? demanda-t-elle.
<<--Attends, lui dit Defodon, nous allons jouer cela au piquet. Et en effet, nous l'avons jou?e en cent cinquante li?s. C'est moi qui ai gagn?.
On comprend facilement l'impression d?favorable produite sur l'auditoire et le jury par ces explications inconvenantes. Le pr?sident, en quelques paroles bien senties, invite l'accus? ? se respecter lui-m?me et ? respecter le tribunal.
--Qu'est-ce que vous voulez? reprend Beaujon, vous me demandez la v?rit?, je vous la dis. Vous avez affaire ? des ?tudiants, qui ne valent pas moins que d'autres, qui sont de tr?s honn?tes gar?ons, mais ne sont point des vestales.
D.--Vous cherchez ? jeter sur la victime une d?faveur qui rejaillit sur vous-m?me. Je vous engage ? changer de syst?me. La seule excuse de l'acte commis est, au contraire, dans une passion violente pour une cr?ature qui, ? tous ?gards, en para?t peu digne. Il est d'ailleurs ?tabli par l'instruction que vous et Defodon cachiez avec le plus grand soin vos relations avec cette personne.
R.--Nous nous cachions si peu qu'on nous a vus, ? tous moments, d?nant soit ? trois, soit en partie carr?e.
D.--Pr?tendez-vous que vous n'ignoriez pas les infid?lit?s de la fille Gangrelot?
D.--Vous persistez dans ce syst?me: et vous oubliez que toutes les circonstances d?mentent cette indiff?rence pr?tendue. Le 15 mars, vous vous ?criez: Si la Bestia me trompait, je lui tordrais le cou...
R.--En effet, je crois me souvenir que je lui ai dit quelque chose comme cela. Mais vous pourrez lui demander ? elle-m?me si jamais elle a consid?r? ces paroles comme une menace s?rieuse. C'est l? une de ces plaisanteries dont je ne pr?tends pas affirmer le bon go?t, mais qui s'entendent tous les jours au quartier Latin.
D.--On pourrait admettre cette explication, tout ?trange qu'elle paraisse, si le m?me fait ne s'?tait plusieurs fois renouvel?. N'avez-vous pas eu, quelques jours plus tard, avec cette fille, une discussion des plus violentes? Vous avez voulu frapper celle que vous appelez la Bestia?
R.--J'?tais un peu gris. Elle m'aura dit quelque impertinence, genre d'am?nit?s dont ces dames ne sont pas avares, et, n'ayant pas bien la t?te ? moi, j'ai voulu la corriger un peu vivement...
D.--Je vous le r?p?te, c'?tait ?videmment par jalousie...
R.--Je vous r?p?te ? mon tour que c'est une erreur. Jamais je n'ai de ma vie ?t? jaloux de cette brave fille, qui ?tait bien libre de faire ce qu'elle voulait. Est-ce que d'ailleurs je pouvais l'entretenir? Elle venait nous trouver quand elle n'avait rien de mieux ? faire...
D.--Ces expressions et ces explications t?moignent d'une telle absence de moralit? que je vous adjure pour la derni?re fois d'abandonner ce syst?me qui, pour votre dignit? personnelle, est inacceptable et r?pugnant...
R.--Mon Dieu, monsieur le pr?sident, je n'ai pas la moindre intention de blesser qui ce soit: je ne fais pas l'apologie de nos moeurs. Il y a ?videmment l? un laisser-aller regrettable, et, comme vous le dites, un manque de dignit?: je suis le premier ? le reconna?tre. Mais, je l'avoue, j'aime mieux cent fois, en disant la v?rit?, m'exposer ? un bl?me m?rit?, que de donner corps, par des aveux fictifs, ? une accusation monstrueuse et que je repousse de toutes mes forces...
D.--Comment expliquez-vous la pr?sence chez vous d'une carte photographique, portrait de la fille Gangrelot, dont le visage ?tait en partie lac?r? ? coups de canif?--Greffier, faites passer cette photographie ? messieurs les jur?s...
D.--Justement, la jalousie explique cette violence.
R.--La jalousie... mais, encore une fois, je n'?tais ni assez amoureux, ni assez niais pour ?tre jaloux de cette fille.
D.--En admettant que vous fussiez aussi indiff?rent que vous le dites, il est n?anmoins de la derni?re ?vidence que l'affection de Defodon pour elle ?tait r?elle: il avait ?crit sur une photographie ces mots explicites: ? toi mon coeur! ? toi ma vie!
R.--C'?tait une plaisanterie.
R.--S'il est des t?moins qui donnent une importance quelconque ? ce propos, ils sont fous ou de mauvaise foi: ce n'?tait l? qu'une menace faite en riant et dont, je vous l'affirme, Defodon n'?tait nullement effray?.
D.--Malgr? ces explications, il ressort de l'enqu?te que vous avez toujours ?t? d'un caract?re violent.
R.--Je ne suis pas un mouton, mais je ne suis pas un tigre.
D.--Je fais encore une fois appel ? votre franchise: dans la soir?e du 23 avril, une discussion s'est-elle, oui ou non, ?lev?e entre vous et Defodon?...
R.--Non.
D.--Vous persistez ? dire qu'il s'est jet? sur vous sans provocation, et que c'est seulement en vous d?fendant que vous lui avez donn? la mort?
R.--Je le jure.
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