Read Ebook: Le dernier vivant by F Val Paul
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Ebook has 4904 lines and 114328 words, and 99 pages
--Et pourquoi le faut-il, cher M. Thibaut?
--Parce que je le veux, r?pondis-je.
Je ne dis pas autre chose. Ce qu'il y avait dans mes yeux, je n'en sais rien, mais son regard se d?roba sous le mien.
--Ah! fit-elle avec lenteur, vous le voulez!... Alors vous croyez avoir les moyens de me contraindre?
--Je le crois, r?pondis-je.
Il est vrai que j'ajoutai un instant apr?s:
--J'en suis s?r.
La contenance d'Olympe avait peu chang? jusqu'? ce moment. Son effroi, si r?ellement elle en ?prouvait, se dissimulant derri?re un redoublement de hauteur.
Elle me dit en relevant les yeux sur moi d'un air de froid d?fi:
--Voyons vos moyens, M. Thibaut.
--Je n'en ai qu'un, Mme la marquise, r?pondis-je, mais il est bon: je sais votre secret.
Elle fit effort pour garder son sourire.
--Vous ?tes plus avanc? que moi, alors, pronon?a-t-elle, d'un ton l?ger qui n'?tait plus qu'un reste de fanfaronnade: je ne me connais pas de secret.
J'avais sur les l?vres les paroles cabalistiques que M. Louaisot de M?ricourt m'avait vendues au prix de 3.000 francs, mais quelque chose me retenait de les laisser tomber.
Ce n'?tait pas d?fiance du talisman: depuis que j'avais parl? de secret, Mme la marquise de Chambray vibrait sous ma main comme une feuille au vent.
Je sentais le tremblement de sa conscience.
Oh! certes, cette femme avait un secret, peut-?tre plusieurs. Les plus mauvais soup?ons que j'avais pu concevoir autrefois d'une fa?on passag?re, revenaient et prenaient racine en moi.
Non, ce n'?tait pas d?fiance, c'?tait plut?t exc?s de confiance en l'efficacit? du levier que j'avais dans ma main.
L'arme ?tait trop lourde, l'instinct de ma profession me le disait. J'avais pudeur d'en ?craser une femme....
Geoffroy, je viens de faire allusion ? mon ?tat de juge. Ce mot me fait mal ? ?crire. Je ne me souviens pas d'avoir commis une autre mauvaise action en toute ma vie. Ceci ?tait une mauvaise action.
Plus mauvaise parce que j'?tais un juge.
Ma profession affilait dans ma main l'arme ? moi livr?e par l'homme de la rue Vivienne.
Si j'eusse ?t? dans l'exercice public de ma fonction je n'aurais pas h?sit?. Dans l'int?r?t social qui lui est confi?, un magistrat a droit d'agir autrement qu'un simple citoyen. L'utilit? de tous, oppos?e au d?sastre m?rit? d'un seul est l'?ternelle excuse de certains agissements judiciaires.
Comment n'aurait-il pas le champ libre, les coud?es franches, la conscience d?brid?e celui qui cherche la v?rit? pour le compte de tous les honn?tes gens, ? l'encontre d'un seul malfaiteur?
Et pourtant, bien des fois, dans l'exercice public de mes fonctions, la r?pugnance m'a saisi au collet.
Bien des fois je me suis dit: Ce sont l? d'adult?res accommodements. Le Mal est toujours le Mal, m?me quand on l'emploie comme outil pour produire le Bien.
Ici, toute excuse professionnelle me manquait. J'agissais pour moi, pour mon amour qui ?tait moi-m?me.
J'h?sitai. Ma conscience me criait: <
C'?tait ici une occasion unique. Si je reculais, tout ?tait perdu.
Et l?-bas, dans ce pauvre r?duit o? chaque minute pouvait la d?noncer et la d?shonorer, je vis ma petite ador?e qui me regardait ? travers ses larmes souriantes, et qui me disait: <
Qu'aurais-tu fait, toi, Geoffroy?
J'avais ? prof?rer un mensonge, car le talisman ?tait vide, comme ces pistolets non charg?s qui effraient les voleurs de nuit.
Geoffroy! est-ce que tu aurais laiss? mourir ta Jeanne?...
Voici ce qui arriva:
Depuis que je ne parlais plus, Olympe me guettait de ses grands yeux avides. Elle voyait bien comme je souffrais; elle pouvait compter les gouttes de la sueur froide qui baignait mon front.
Elle crut que je m'?tais avanc? au hasard.
--Lucien, fit-elle tout bas et presque tendrement, n'est-ce qu'un jeu? un jeu cruel? Avez-vous tendu ? votre amie d'enfance le pi?ge qui vous sert, ? vous autres juges, pour prendre les criminels? Lucien, r?pondez-moi, je peux encore vous pardonner.
Elle avan?a la main. De son propre mouchoir, elle essuya l'eau glac?e qui coulait sur mes tempes.
Cela me redressa comme si une main d'homme m'e?t sangl? un soufflet au visage.
--C'est un duel entre vous deux! m'?criai-je, saisi par une exaltation soudaine, un duel ? mort entre celle que j'aime et celle que je hais! Vous ?tes la plus forte, dix fois, cent fois la plus forte! Vous avez tout ce que prodigue l'enfer: l'or, la beaut?, la science de la vie, et le monde imb?cile vous grandit encore de son respect. Elle n'a rien, elle est seule, le m?pris de ce m?me monde va l'accabler en face de vous, elle est bris?e d'avance! Elle ne saurait se d?fendre contre vous, puisqu'elle est la faiblesse et que vous ?tes la force. Pourquoi donc ne me mettrais-je pas au-devant d'elle pour emp?cher un assassinat? Pourquoi ne vous arr?terais-je pas comme un bouclier? Et si ce n'est pas assez, comme une ?p?e?
--Lucien, Lucien! fit-elle on va vous entendre.
Je la repoussai, car elle s'?tait lev?e et venait vers moi plut?t ?tonn?e qu'effray?e, et comme on s'approche d'un enfant pour le calmer.
Je venais de tomber dans ce qui ne fait jamais peur: la d?clamation.
La rage me mordit: la grande, celle qui est froide.
Rien qu'au son chang? de ma voix, je vis Olympe redevenir p?le quand je r?pliquai:
--Vous avez raison, Madame, il faut parler bas. Si tout le monde ?tait dans le secret, je ne pourrais plus vous le vendre.
--Le vendre! Et c'est vous qui parlez ainsi! murmura-t-elle, cherchant ?perdument une arme pour parer ce coup qu'elle voyait suspendu dans mes yeux. Elle crut l'avoir trouv?e, car elle ajouta:
--C'est affreux! Si j'en usais comme vous, si je vous d?non?ais au pr?sident Ferrand, votre chef et mon ami....
Ce fut ? mon tour de rire. Le nom du pr?sident Ferrand venait mal.
Elle recula jusqu'? chanceler contre son fauteuil.
Cela ne m'arr?ta pas, j'achevai:
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