Read Ebook: Mémoires pour servir à l'Histoire de mon temps (Tome 8) by Guizot Fran Ois
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Ebook has 764 lines and 153530 words, and 16 pages
Il y a d'ailleurs, dans la vie publique, une r?signation p?nible ? acqu?rir, mais n?cessaire ? qui veut s'y engager efficacement et y laisser trace de son passage: c'est la r?signation ? la profonde imperfection de ce qu'on voit et de ce qu'on fait, ? l'imperfection des hommes comme des choses, de ses propres oeuvres et de ses propres succ?s. A la fois acteur et spectateur, pour peu qu'il ait le coeur droit et l'esprit fier, l'homme public est bien souvent choqu? et attrist? du drame dans lequel il joue un r?le, des sc?nes auxquelles il assiste et des associ?s qu'il rencontre. Que de fois ce sentiment a d? troubler l'?me du chancelier de l'H?pital dans le cours de sa carri?re! Quels d?plaisirs, quels m?comptes avec ses alli?s au milieu de ses indignations et de ses combats contre ses adversaires! Pourtant il est rest? dans la m?l?e; il a persist? dans la lutte, ? son grand honneur comme au grand profit de son pays; car non-seulement il a plac? son nom parmi les plus beaux de notre histoire, il a pos? en France les premi?res assises de la libert? religieuse et de l'ordre l?gal. La vie publique la plus heureuse est pleine de tristesses et la plus glorieuse de revers. Dieu n'a pas voulu faire aux meilleurs serviteurs des princes et des peuples un sort plus facile ni plus doux.
Cette ann?e 1846 fut, pour le ministre de l'int?rieur comme pour moi, une ?poque de grande activit? et de forte ?preuve: en m?me temps que se terminait la n?gociation des mariages espagnols, la Chambre des d?put?s fut dissoute apr?s quatre ans de dur?e, et renouvel?e par des ?lections g?n?rales. Pendant qu'on s'y pr?parait de part et d'autre, <
Il eut satisfaction dans son double voeu: <
Apr?s les ?lections de 1846, comme apr?s celles de 1842, comme apr?s toute grande lutte ?lectorale, les accusations de corruption ?lectorale et parlementaire se renouvel?rent contre le cabinet. Je n'ai garde de rentrer aujourd'hui dans l'examen des faits particuliers all?gu?s ? ce sujet, il y a vingt ans, par l'opposition; je n'h?site pas ? affirmer qu'en 1846 comme en 1842, les enqu?tes et les discussions dont ces faits furent l'objet eurent pour r?sultat de prouver qu'ils ?taient aussi peu graves que peu nombreux, et qu'? travers l'exag?ration de quelques paroles et l'inconvenance de quelques d?marches, les ?lections s'?taient accomplies librement, l?galement, loyalement. Non-seulement dans les Chambres, mais dans plusieurs r?unions publiques, je pris soin de mettre en ?vidence leur v?ritable et grand caract?re: <
Ce serait un curieux et instructif rapprochement ? faire, pourvu que la compl?te v?rit? des faits f?t mise ? d?couvert, que la comparaison des ?lections politiques en Angleterre, aux ?tats-Unis d'Am?rique et en France de 1814 ? 1848. J'y ai regard? attentivement, et je demeure convaincu que, de ces trois pays libres, le n?tre est celui o?, malgr? les abus inh?rents ? tout grand mouvement ?lectoral, les ?lections se sont accomplies, ? cette ?poque, avec le plus d'ind?pendance personnelle et de probit?. Je ne dis pas cela pour taxer de fausset? ou de v?nalit? g?n?rale les ?lections anglaises et am?ricaines; je ne doute pas qu'elles ne soient, ? tout prendre, la s?rieuse et sinc?re expression du sentiment public. Les institutions libres ont cette puissance que leur vertu surmonte les vices m?me qu'elle ne supprime pas, et qu'il r?sulte de leur action plus de v?rit? que de mensonge et plus de bien que de mal, quoique le mensonge y soit souvent grossier et le mal choquant.
En m?me temps qu'elle annon?ait bruyamment ses accusations, l'opposition demanda que la discussion n'en f?t pas publique. Le minist?re repoussa vivement cette pr?tention et r?clama la plus compl?te publicit?. A peine exprim?e, la demande du comit? secret parut si ?trange ? la Chambre que l'opposition y renon?a. C'est l'honneur du gouvernement libre que, plus les questions sont compliqu?es et les situations d?licates, plus la v?rit? a besoin du grand jour et raison de s'y confier. Le cabinet t?moigna, dans cette circonstance, que, loin de craindre le grand jour, il ?tait le premier, je pourrais dire le seul ? le vouloir.
Un abus existait avant et depuis la R?volution de 1830, non pas avou?, mais pratiqu? et tol?r? sous divers minist?res. Certains emplois de finance et de magistrature administrative ?taient quelquefois l'objet de transactions p?cuniaires entre les titulaires qui en donnaient leur d?mission et les pr?tendants qui esp?raient y ?tre nomm?s par le gouvernement. Non-seulement de nombreux exemples avaient, de 1821 ? 1847, autoris? cette pratique; la question de sa l?galit? avait ?t? port?e devant les tribunaux, et ? c?t? d'arr?ts qui l'avaient r?prouv?e, plusieurs arr?ts de cours souveraines, m?me un arr?t de la cour de cassation, l'avaient d?clar?e licite et valable. Ce n'?tait point l'ancienne v?nalit? des charges admise en principe; c'?tait une tol?rance abusivement appliqu?e ? certaines transactions particuli?res dont le gouvernement restait toujours libre de ne pas tenir compte. Un fait de ce genre excita, en 1847, de vives r?clamations et devint, dans la Chambre des d?put?s, l'occasion d'ardents d?bats. Avant ces d?bats, d?s que le fait fut attaqu?, le cabinet, reconnaissant la l?gitimit? du sentiment public ? cet ?gard, proposa au roi et fit pr?senter ? la Chambre des d?put?s par le garde des sceaux, M. H?bert, un projet de loi qui interdisait formellement toute transaction semblable et la frappait de peines positives. Au m?me moment, et sous l'empire du m?me sentiment, M. Dupin avait d?pos?, sur le bureau de la Chambre, une proposition tendant au m?me but. En pr?sence du projet de loi propos? par le gouvernement, <
Ni la pr?sentation du projet de la loi, ni le retrait de la proposition de M. Dupin, n'arr?t?rent les attaques dont l'opposition trouvait l? une occasion favorable. C'?tait surtout contre moi que ces attaques ?taient dirig?es. J'avais des amis parmi les personnes int?ress?es dans l'acte qu'on accusait; je n'avais pas ignor? leurs d?sirs et leurs d?marches. Le chef de mon cabinet particulier, M. G?nie, s'y ?tait trouv? m?l? sans y avoir, directement ni indirectement, le moindre int?r?t personnel, uniquement d'apr?s mes instructions et parce qu'il ?tait l'ami de M. Lacave-Laplagne, alors ministre des finances, aupr?s de qui ces d?marches avaient eu lieu. L'opposition se flattait qu'elle me mettrait dans une situation fausse en m'obligeant ? subir la responsabilit? d'incidents auxquels j'avais ?t? ?tranger, ou ? essuyer d'?luder toute responsabilit? en rappelant les actes semblables accomplis sous les minist?res pr?c?dents, et en me mettant ? couvert derri?re ce long pass?. Je me refusai ? l'une et ? l'autre de ces l?chet?s. Apr?s avoir ramen? et r?duit la question au fait m?me, ? un acte de tol?rance de l'autorit? en pr?sence d'une transaction entre particuliers, <
Le parti conservateur comprit et go?ta mon langage: sur la proposition d'un habile et aust?re magistrat, M. de Peyramont, la Chambre vota, ? 225 voix contre 146, que <
Il y a, pour le pouvoir, un s?r moyen de se prouver ?tranger ? toute corruption: c'est de la poursuivre partout o? il en aper?oit la trace. Corrompus ou seulement corruptibles, les int?ress?s ne s'y trompent pas; ils savent parfaitement que le pouvoir qui ne leur accorde pas la faveur du silence n'est pas plus leur pareil que leur complice; et le public, malgr? sa cr?dulit? m?fiante, en est bient?t aussi convaincu que les int?ress?s. Les tristes occasions ne nous manqu?rent pas de t?moigner, ? cet ?gard, notre r?solution: des d?sordres anciens furent signal?s dans quelques branches de l'administration, notamment dans celle de la guerre et de la marine; ils furent imm?diatement poursuivis et r?prim?s. De graves soup?ons s'?lev?rent contre un homme de talent, nagu?re membre du cabinet et qui en ?tait sorti pour devenir l'un des pr?sidents de la cour de cassation; nous y regard?mes avec une attention aussi scrupuleuse que douloureuse; et d?s que nous e?mes seulement des doutes, M. Teste fut traduit devant la cour des Pairs qui porta, dans l'instruction de son proc?s, autant de fermet? que de patience; et de question en question, de d?bat en d?bat, l'ancien ministre fut amen? ? l'aveu du crime et en subit, ainsi que ses complices, la juste peine.
C'?tait l?, de la part du cabinet, un de ces actes dont le m?rite n'est senti que tard, et dans lesquels le pouvoir porte le poids du mal au moment m?me o? il met ? le r?primer le plus de franchise et de courage. Des incidents d?plorables, l'odieux assassinat de la duchesse de Praslin, des proc?s scandaleux, des morts violentes se succ?d?rent coup sur coup, aggravant la tristesse du moment et le trouble de l'imagination publique; l'air semblait infect? de d?sordres moraux et de malheurs impr?vus qui venaient en aide aux attaques de parti et aux imputations mensong?res que le cabinet avait ? subir; c'?tait un de ces mauvais passages, un de ces coups de vent malsain qui se rencontrent dans la vie des gouvernements. Il n'y avait, contre ce mal, rien de direct ni d'efficace ? faire; mais j'avais ? coeur d'en exprimer hautement ma pens?e et d'assigner ? cette p?nible situation son vrai caract?re; j'en trouvai l'occasion ? la fin de la session de 1847, dans la discussion du budget ? la Chambre des pairs. On avait parl? de la corruption ?lectorale, et apr?s avoir dit, ? ce sujet, ce que j'avais ? dire, j'ajoutai, sans que rien m'y e?t provoqu?: <
Je parlais ainsi pour ma propre satisfaction et mon propre honneur plut?t que dans l'espoir de dissiper les mauvaises impressions qui agitaient alors l'esprit public; j'?tais loin d'attribuer ? mes observations et ? mes conseils une si prompte et si g?n?rale influence; mais dans l'ar?ne m?me o? nous combattions, aupr?s de mes amis politiques, mon langage ?tait bienvenu et efficace; il affermissait leur courage et les pr?munissait contre la contagion des erreurs et des humeurs vulgaires. Ainsi, ? travers de douloureuses ?preuves, nous nous formions tous, conseillers du prince et d?put?s du peuple, aux moeurs franches et viriles du gouvernement libre; ainsi, par l'union de jour en jour plus intime du parti conservateur et du cabinet, s'?tablissaient, entre la couronne et les Chambres, cette harmonie et cette action commune qui font la force du pouvoir et le gage de l'influence efficace de la libert? dans le gouvernement.
Ce progr?s des institutions comme des moeurs aurait ?t? bien plus complet et plus rapide si l'opposition, cet autre acteur naturel et n?cessaire dans le gouvernement libre, avait ?t? dans une situation aussi simple et aussi nette que celle du cabinet; mais elle ?tait loin de poss?der cet avantage. Le parti conservateur ?tait homog?ne, une m?me intention l'animait tout entier: il poursuivait tout entier le m?me but et travaillait ? la m?me oeuvre; il voulait le succ?s et la dur?e du gouvernement qu'il soutenait. L'opposition, au contraire, contenait dans son sein des ?l?ments, des d?sirs, des desseins, des efforts profond?ment divers: les partisans des r?gimes tomb?s avant ou en 1830, des l?gitimistes, des bonapartistes, des r?publicains s'y m?laient ? de sinc?res amis de la nouvelle monarchie constitutionnelle. L'opposition ne s'appliquait pas seulement et tout enti?re ? faire pr?valoir une politique diff?rente de celle du cabinet; elle avait des groupes qui repr?sentaient et cherchaient ? relever des ?tablissements contraires ? celui qui ?tait debout et l?gal. Quand on est oblig? de parler, il n'y a point d'habilet?, point de prudence, point d'?loquence qui puissent mettre la v?rit? sous le voile: les interpr?tes de ces desseins divers n'abdiquaient point leur origine ni leur tendance; elles se faisaient jour ? chaque instant; et cette incoh?rence, cette dissidence des ?l?ments de l'opposition d?naturaient tant?t sa physionomie, tant?t ses actes m?mes, et la condamnaient, chefs et parti, ? de continuels embarras dont son influence, dans un r?gime de publicit? et de discussion continue, avait beaucoup ? souffrir.
Je ne rappellerai qu'une seule des circonstances dans lesquelles ce vice de l'?tat int?rieur de l'opposition parlementaire et ses r?sultats se manifest?rent avec le plus d'?vidence et de bruit.
D?s le 7 novembre 1841, le comte de Sainte-Aulaire, alors ambassadeur ? Vienne, m'informa que M. le duc de Bordeaux se proposait de faire un voyage en Angleterre. La chute de cheval que le prince fit ? Kirchberg et le grave accident qu'elle amena firent ajourner ce projet. Dans l'automne de 1842, le baron Edmond de Bussierre, ministre du roi ? Dresde, m'?crivit que M. le duc de Bordeaux venait d'annoncer au roi de Saxe sa prochaine visite; il m'exposa les embarras auxquels cet incident pourrait donner lieu pour la l?gation fran?aise, et me demanda mes instructions. Je lui r?pondis sur-le-champ: <
Notre confiance ?tait fond?e comme notre pr?voyance. Le roi de Saxe t?moigna ? M. le duc de Bordeaux tous les sentiments, tous les ?gards qui lui ?taient dus; il lui donna, dans l'intimit? de sa famille et de sa cour, un concert auquel aucun des membres du corps diplomatique ne parut. Toute d?marche, toute apparence politique furent ?cart?es, et, apr?s avoir pass? huit jours ? Dresde, M. le duc de Bordeaux en partit sans que le ministre de France e?t ?prouv? le moindre embarras, et sans que nous eussions fait, sur son s?jour ? la cour de Saxe et sur l'accueil qu'il y avait re?u, aucune observation.
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Je r?pondis sur-le-champ ? M. de Humboldt:
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D'un commun accord, la limite ?tait ainsi trac?e: tant que les d?monstrations n'avaient point de caract?re politique, tant que la qualit? de pr?tendant n'?tait pas proclam?e et exploit?e, nous avions, pour la situation de M. le duc de Bordeaux, autant de m?nagement qu'aucune des cours europ?ennes, et nous nous f?licitions de n'avoir ? ajouter aucun d?plaisir ? son infortune, aucune g?ne ? porter dans sa libert?.
Nous pouvions esp?rer qu'? Londres comme ? Vienne, ? Dresde et Berlin, cette satisfaction ne nous manquerait pas: les dispositions du gouvernement anglais ?taient connues; la reine Victoria venait d'en donner, par sa visite au ch?teau d'Eu, le plus ?clatant t?moignage. Quand elle apprit que M. le duc de Bordeaux ?tait sur le point de venir en Angleterre, elle y attendait M. le duc et madame la duchesse de Nemours qui lui avaient promis de passer aupr?s d'elle quelques jours; elle exprima sur-le-champ son inqui?tude que la premi?re de ces deux visites ne d?range?t la seconde, et son d?sir que M. le duc de Bordeaux retard?t son arriv?e. Lord Aberdeen alla au-devant de ce que nous pourrions avoir ? lui dire au sujet du voyage annonc?:
Il ?tait sans doute du devoir de ceux qui l'entourent de le rendre digne, par son ?ducation, de toute chance plus favorable que la fortune pourrait lui r?server; mais il n'y en avait, en ce moment, aucune ? pr?voir ou ? pr?parer. Dans tout son s?jour, le prince prendrait pour r?gle de sa conduite les moindres d?sirs exprim?s par la reine ou par son conseil. Ceci pos?, a continu? lord Aberdeen, je vous dirai encore que la reine d?sire ne point voir le prince; et quant ? moi je prendrais la responsabilit? de lui conseiller de refuser sa visite si, par un motif quelconque, vous m'en exprimiez le d?sir au nom du gouvernement fran?ais. La question est entre vos mains, et vous connaissez assez ce que sont les dispositions de cette cour pour n'?prouver aucun scrupule ? nous faire conna?tre vos voeux.
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