Read Ebook: Le capitaine Pamphile by Dumas Alexandre
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Ebook has 1154 lines and 68483 words, and 24 pages
Alexandre Dumas
LE CAPITAINE PAMPHILE
Table des mati?res
PR?FACE.
Conclusion.
Pi?ces justificatives.
PR?FACE
Ce r?cit plein de fantaisie, ?crit en 1840, m?le histoires d'animaux et aventures maritimes. Avec une dose de satire sociale aux d?pens du r?gime de Louis-Philippe.
Ce roman trop oubli? est un chef-d'oeuvre unique chez Dumas. Il aurait pu ?tre sign? de Sterne, ou de Swift: c'est dans leur ton qu'il ?voque la traite des noirs. Le r?cit est plein de gaiet? et de verve, de burlesque parodique: on y trouve les grandes sc?nes du roman d'aventures, la prise du navire marchand, la mutinerie ? bord, l'Am?rique de Fenimore Cooper. Les personnages sont emprunt?s ? la tradition comique: l'Anglais en proie au spleen, le trompeur, le gourmand, le niais, le chef indien. C'est aussi une oeuvre sombre: une suite de morts, animaux massacr?s, esclaves tu?s en route, immigrants anglais d?cim?s par la maladie, indig?nes extermin?s. Le h?ros, Pamphile, incarne la soci?t? commer?ante et pharisienne dans laquelle l'artiste est condamn? ? vivre. C'est le monde de Monte-Cristo sans le comte.
Chapitre I
L'air de r?signation profonde avec lequel le pauvre animal se laissait examiner, sans m?me essayer de se soustraire en rentrant dans son ?caille, au regard cruellement gastronomique de son ennemi, me toucha. Il me prit une envie soudaine de l'arracher ? la marmite, dans laquelle ?taient d?j? plong?es ses pattes de derri?re; j'entrai dans le magasin, o? j'?tais fort connu ? cette ?poque, et, faisant un signe de l'oeil ? madame Beauvais, je lui demandai si elle m'avait conserv? la tortue que j'avais retenue, la veille, en passant.
Madame Beauvais me comprit avec cette soudainet? d'intelligence qui distingue la classe marchande parisienne, et, faisant glisser poliment la b?te des mains du marchandeur, elle la remit entre les miennes, en disant, avec un accent anglais tr?s prononc?, ? notre insulaire, qui la regardait la bouche b?ante:
--Pardon, milord, la petite tortue, il ?tre vendue ? monsieur depuis ce matin.
--Ah! me dit en tr?s bon fran?ais le milord improvis?, c'est ? vous, monsieur, qu'appartient cette charmante b?te?
--Yes, yes, milord, r?pondit madame Beauvais.
--Eh bien, monsieur, continua-t-il, vous avez l? un petit animal qui fera d'excellente soupe; je n'ai qu'un regret, c'est qu'il soit le seul de son esp?ce que poss?de en ce moment madame la marchande.
--Demain, il sera trop tard, r?pondit froidement l'Anglais; j'ai arrang? toutes mes affaires pour me br?ler la cervelle cette nuit, et je d?sirais, auparavant, manger une soupe ? la tortue.
En disant ces mots, il me salua et sortit.
--Pardieu! me dis-je apr?s un moment de r?flexion, c'est bien le moins qu'un aussi galant homme se passe un dernier caprice.
Et je m'?lan?ai hors du magasin en criant, comme madame Beauvais:
--Milord! milord!
Mais je ne savais pas o? milord ?tait pass?; il me fut impossible de mettre la main dessus.
Je revins chez moi tout pensif: mon humanit? envers une b?te ?tait devenue une inhumanit? envers un homme. La singuli?re machine que ce monde, o? l'on ne peut faire le bien de l'un sans le mal de l'autre! Je gagnai la rue de l'Universit?, je montai mes trois ?tages, et je d?posai mon acquisition sur le tapis.
Or, la tortue de marais ou la tortue d'eau douce tient ? peu pr?s, dans l'ordre social des ch?loniens, le rang correspondant ? celui que tiennent chez nous, dans l'ordre civil, les ?piciers, et, dans l'ordre militaire, la garde nationale.
C'?tait bien, du reste, le plus singulier corps de tortue qui e?t jamais pass? les quatre pattes, la t?te et la queue par les ouvertures d'une carapace. ? peine se sentit-elle sur le plancher, qu'elle me donna une preuve de son originalit? en piquant droit vers la chemin?e avec une rapidit? qui lui valut ? l'instant m?me le nom de Gazelle, en faisant tous ses efforts pour passer entre les branches du garde-cendre, afin d'arriver jusqu'au feu, dont la lueur l'attirait; enfin, voyant, au bout d'une heure, que ce qu'elle d?sirait ?tait impossible, elle prit le parti de s'endormir, apr?s avoir pr?alablement pass? sa t?te et ses pattes par l'une des ouvertures les plus rapproch?es du foyer, choisissant ainsi, pour son plaisir particulier, une temp?rature de cinquante ? cinquante-cinq degr?s de chaleur, ? peu pr?s; ce qui me fit croire que, soit vocation, soit fatalit?, elle ?tait destin?e ? ?tre r?tie un jour ou l'autre, et que je n'avais fait que changer son mode de cuisson en la retirant du pot-au-feu de mon Anglais pour la transporter dans ma chambre. La suite de cette histoire prouvera que je ne m'?tais pas tromp?.
Comme j'?tais oblig? de sortir et que je craignais qu'il n'arriv?t malheur ? Gazelle, j'appelai mon domestique.
--Joseph, lui dis-je, lorsqu'il parut, vous prendrez garde ? cette b?te.
Il s'en approcha avec curiosit?.
--Ah! tiens, dit-il, c'est une tortue... ?a porte une voiture.
--Oui, je le sais; mais je d?sire qu'il ne vous en prenne jamais l'envie d'en faire l'exp?rience.
--Oh! ?a ne lui ferait pas de mal, reprit Joseph, qui tenait ? d?ployer devant moi ses connaissances en histoire naturelle; la diligence de Laon passerait sur son dos, qu'elle ne l'?craserait pas.
Joseph citait la diligence de Laon, parce qu'il ?tait de Soissons.
--?a ne veut rien dire, reprit Joseph: c'est fort comme un Turc, ces petites b?tes-l?; et, voyez-vous, une charrette de roulier passerait...
--C'est bien, c'est bien; vous lui ach?terez de la salade et des escargots.
--Tiens! des escargots?... Est-ce qu'elle a mal ? la poitrine? Le ma?tre chez lequel j'?tais avant d'entrer chez monsieur prenait du bouillon d'escargots parce qu'il ?tait physique; eh bien, ?a ne l'a pas emp?ch?...
Je sortis sans ?couter le reste de l'histoire; au milieu de l'escalier, je m'aper?us que j'avais oubli? mon mouchoir de poche: je remontai aussit?t. Je trouvai Joseph, qui ne m'avait pas entendu rentrer, faisant l'Apollon du Belv?d?re, un pied pos? sur le dos de Gazelle et l'autre suspendu en l'air, afin que pas un grain des cent trente livres que le dr?le pesait ne f?t perdu par la pauvre b?te.
--Que faites-vous l?, imb?cile?
--Je vous l'avais bien dit, monsieur, r?pondit Joseph tout fier de m'avoir prouv? en partie ce qu'il avan?ait.
--Donnez-moi un mouchoir, et ne touchez jamais ? cette b?te.
--Voil?, monsieur, me dit Joseph en m'apportant l'objet demand?... Mais il n'y a aucune crainte ? avoir pour elle... un wagon passerait dessus...
Je m'enfuis au plus vite; mais je n'avais pas descendu vingt marches, que j'entendis Joseph qui fermait ma porte en marmottant entre ses dents:
--Pardieu! je sais ce que je dis... Et puis, d'ailleurs, on voit bien, ? la conformation de ces animaux, qu'un canon charg? ? mitraille pourrait...
Heureusement, le bruit qu'on faisait dans la rue m'emp?cha d'entendre la fin de la maudite phrase.
Le soir, je rentrai assez tard, comme c'est ma coutume. Aux premiers pas que je fis dans ma chambre, je sentis que quelque chose craquait sous ma botte. Je levai vitement le pied, rejetant tout le poids de mon corps sur l'autre jambe: le m?me craquement se fit entendre de nouveau; je crus que je marchais sur des oeufs. Je baissai ma bougie... Mon tapis ?tait couvert d'escargots.
Joseph m'avait ponctuellement ob?i: il avait achet? de la salade et des escargots, avait mis le tout dans un panier au milieu de ma chambre; dix minutes apr?s, soit que la temp?rature de l'appartement les e?t d?gourdis, soit que la peur d'?tre croqu?s se f?t empar?e d'eux, toute la caravane s'?tait mise en route, et elle avait m?me d?j? fait passablement de chemin; ce qui ?tait facile ? juger par les traces argent?es qu'ils avaient laiss?es sur les tapis et sur les meubles.
Quant ? Gazelle, elle ?tait rest?e au fond du panier, contre les parois duquel elle n'avait pu grimper. Mais quelques coquilles vides me prouv?rent que la fuite des Isra?lites n'avait pas ?t? si rapide, qu'elle n'e?t mis la dent sur quelques-uns avant qu'ils eussent le temps de traverser la mer Rouge.
Je commen?ai aussit?t une revue exacte du bataillon qui manoeuvrait dans ma chambre, et par lequel je me souciais peu d'?tre charg? pendant la nuit; puis, prenant d?licatement de la main droite tous les promeneurs, je les fis rentrer, les uns apr?s les autres, dans leur corps de garde, que je tenais de la main gauche, et dont je fermai le couvercle sur eux.
Au bout de cinq minutes, je m'aper?us, que, si je laissais toute cette m?nagerie dans ma chambre, je courais le risque de ne pas dormir une minute; c'?tait un bruit, comme si on e?t enferm? une douzaine de souris dans un sac de noix: je pris donc le parti de transporter le tout ? la cuisine.
Je remontai bien vite et m'endormis, persuad? que j'?tais l'homme de France le plus ing?nieux en exp?dients.
Le lendemain, Joseph me r?veilla d?s le matin.
--Oh! monsieur, en voil? une farce! me dit-il en se plantant devant mon lit.
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