Read Ebook: Le capitaine Pamphile by Dumas Alexandre
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Ebook has 1154 lines and 68483 words, and 24 pages
--Oh! monsieur, en voil? une farce! me dit-il en se plantant devant mon lit.
--Quelle farce?
--Celle que votre tortue a faite.
--Comment?
--Eh bien, croiriez-vous qu'elle est sortie de votre appartement, ?a, je ne sais pas comment... qu'elle a descendu les trois ?tages, et qu'elle a ?t? se mettre au frais dans le vivier du restaurateur?
--Imb?cile! tu n'as pas devin? que c'?tait moi qui l'y avais port?e?
--Ah bon!... Vous avez fait l? un beau coup, alors!
--Pourquoi cela?
--Pourquoi? Parce qu'elle a mang? la tanche, une tanche superbe qui pesait trois livres.
--Allez me chercher Gazelle, et apportez-moi des balances.
Pendant que Joseph ex?cutait cet ordre, j'allai ? ma biblioth?que, j'ouvris mon Buffon ? l'article tortue; car je tenais ? m'assurer si ce ch?lonien ?tait ichtyophage, et je lus ce qui suit:
--Diable! diable! dis-je; le restaurateur a pour lui M. de Buffon: ce qu'il dit pourrait bien ?tre vrai.
J'?tais en train de m?diter sur la probabilit? de l'accident, lorsque Joseph rentra, tenant l'accus?e d'une main et les balances de l'autre.
--Voyez-vous, me dit Joseph, ?a mange beaucoup, ces sortes d'animaux, pour entretenir leurs forces, et du poisson surtout, parce que c'est tr?s nourrissant; est-ce que vous croyez que, sans cela, ?a pourrait porter une voiture?... Voyez, dans les ports de mer, comme les matelots sont robustes; c'est parce qu'ils ne mangent que du poisson.
J'interrompis Joseph.
--Combien pesait la tanche?
--Trois livres: c'est neuf francs que le gar?on r?clame.
--Et Gazelle l'a mang?e tout enti?re?
--Oh! elle n'a laiss? que l'ar?te, la t?te et la vessie.
--C'est bien cela! M. de Buffon est un grand naturaliste. Cependant, continuai-je ? demi-voix, trois livres... cela me parait fort.
Je mis Gazelle dans la balance; elle ne pesait que deux livres et demie avec sa carapace.
Il r?sultait de cette exp?rience, non point que Gazelle f?t innocente du fait dont elle ?tait accus?e, mais qu'elle devait avoir commis le crime sur un c?tac? d'un plus m?diocre volume.
Il para?t que ce fut aussi l'avis du gar?on; car il parut fort content de l'indemnit? de cinq francs que je lui donnai.
L'aventure des lima?ons et l'accident de la tanche me rendirent moins enthousiaste de ma nouvelle acquisition; et, comme le hasard fit que je rencontrai, le m?me jour, un de mes amis, homme original et peintre de g?nie, qui faisait ? cette ?poque une m?nagerie de son atelier, je le pr?vins que j'augmenterais le lendemain sa collection d'un nouveau sujet, appartenant ? l'estimable cat?gorie des ch?loniens, ce qui parut le r?jouir beaucoup.
Gazelle coucha cette nuit dans ma chambre, o? tout se passa fort tranquillement, vu l'absence des escargots.
Le lendemain, Joseph entra chez moi, comme d'habitude, roula le tapis de pied de mon lit, ouvrit la fen?tre, et se mit ? le secouer pour en extraire la poussi?re; mais tout ? coup il poussa un grand cri et se pencha hors de la fen?tre comme s'il e?t voulu se pr?cipiter.
--Qu'y a-t-il donc, Joseph? dis-je ? moiti? ?veill?.
--Ah! monsieur, il y a que votre tortue ?tait couch?e sur le tapis, je ne l'ai pas vue...
--Et...?
--Et, ma foi! sans le faire expr?s, je l'ai secou?e par la fen?tre.
--Imb?cile!...
Je sautai ? bas de mon lit.
--Tiens! dit Joseph, dont la figure et la voix reprenaient une expression de s?r?nit? tout ? fait rassurante, tiens! elle mange un chou!
En effet, la b?te, qui avait rentr? par instinct tout son corps dans sa cuirasse, ?tait tomb?e par hasard sur un tas d'?cailles d'hu?tres, dont la mobilit? avait amorti le coup, et, trouvant ? sa port?e un l?gume ? sa convenance, elle avait sorti tout doucement la t?te hors de sa carapace, et s'occupait de son d?jeuner aussi tranquillement que si elle ne venait pas de tomber d'un troisi?me ?tage.
--Je vous le disais bien, monsieur! r?p?tait Joseph dans la joie de son ?me, je vous le disais bien, qu'? ces animaux rien ne leur faisait. Eh bien, pendant qu'elle mange, voyez-vous, une voiture passerait dessus...
--N'importe, descendez vite et allez me la chercher.
Joseph ob?it. Pendant ce temps, je m'habillai, occupation que j'eus termin?e avant que Joseph repar?t; je descendis donc ? sa rencontre et le trouvai p?rorant au milieu d'un cercle de curieux, auxquels il expliquait l'?v?nement qui venait d'arriver.
Je lui pris Gazelle des mains, sautai dans un cabriolet, qui me descendit faubourg Saint-Denis, n? 109; je montai cinq ?tages, et j'entrai dans l'atelier de mon ami, qui ?tait en train de peindre.
Il y avait autour de lui un ours couch? sur le dos, et jouant avec une b?che; un singe assis sur une chaise et arrachant, les uns apr?s les autres, les poils d'un pinceau; et, dans un bocal, une grenouille accroupie sur la troisi?me traverse d'une petite ?chelle, ? l'aide de laquelle elle pouvait monter jusqu'? la surface de l'eau.
Mon ami s'appelait Decamps, l'ours Tom, le singe Jacques Ier, et la grenouille mademoiselle Camargo.
Chapitre II
Mon entr?e fit r?volution.
Tom se laissa tomber sur le nez la b?che avec laquelle il jouait, et s'enfuit en grognant dans sa niche, b?tie entre les deux fen?tres.
Jacques Ier jeta vivement son pinceau derri?re lui et ramassa une paille qu'il porta innocemment ? sa bouche avec sa main droite, tandis qu'il se grattait la cuisse de la main gauche et levait b?atement les yeux au ciel.
Enfin, mademoiselle Camargo monta languissamment un degr? de son ?chelle; ce qui, dans toute autre circonstance, aurait pu ?tre consid?r? comme un signe de pluie.
Et moi, je posai Gazelle ? la porte de la chambre, sur le seuil de laquelle je m'?tais arr?t? en disant:
--Cher ami, voil? la b?te. Vous voyez que je suis de parole.
Gazelle n'?tait pas dans un moment heureux: le mouvement du cabriolet l'avait tellement d?sorient?e, que, pour rassembler probablement toutes ses id?es et r?fl?chir ? sa situation le long de la route, elle avait rentr? toute sa personne sous sa carapace; ce que je posais par terre avait donc l'air tout bonnement d'une ?caille vide.
N?anmoins, lorsque Gazelle sentit, par la reprise de son centre de gravit?, qu'elle adh?rait ? un terrain solide, elle se hasarda de montrer son nez ? l'ouverture sup?rieure de son ?caille; pour plus de s?ret?, cependant, cette partie de sa personne ?tait prudemment accompagn?e de ses deux pattes de devant; en m?me temps, et comme si tous les membres eussent unanimement ob?i ? l'?lasticit? d'un ressort int?rieur, les deux pattes de derri?re et la queue parurent ? l'extr?mit? inf?rieure de la carapace. Cinq minutes apr?s, Gazelle avait mis toutes voiles dehors.
Elle resta cependant encore un instant en panne, branlant la t?te ? droite et ? gauche comme pour s'orienter; puis tout ? coup ses yeux devinrent fixes, et elle s'avan?a, aussi rapidement que si elle e?t disput? le prix de la course au li?vre de la Fontaine, vers une carotte gisant aux pieds de la chaise qui servait de pi?destal ? Jacques Ier.
Celui-ci regarda d'abord avec assez d'indiff?rence la nouvelle arriv?e s'avancer de son c?t?; mais, d?s qu'il s'aper?ut du but qu'elle paraissait se proposer, il donna des signes d'une inqui?tude r?elle, qu'il manifesta par un grognement sourd, qui d?g?n?ra, au fur et ? mesure qu'elle gagnait du terrain, en cris aigus interrompus par des craquements de dents. Enfin, lorsqu'elle ne fut plus qu'? un pied de distance du pr?cieux l?gume, l'agitation de Jacques prit tout le caract?re d'un d?sespoir r?el; il saisit, d'une main, le dossier de son si?ge, et, de l'autre, la traverse recouverte de paille, et, probablement dans l'espoir d'effrayer la b?te parasite qui venait lui rogner son d?ner, il secoua la chaise de toute la force de ses poignets, jetant ses deux pieds en arri?re comme un cheval qui rue, et accompagnant ses ?volutions de tous les gestes et de toutes les grimaces qu'il croyait capables de d?monter l'impassibilit? automatique de son ennemi. Mais tout ?tait inutile; Gazelle n'en faisait pas pour cela un pas moins vite que l'autre. Jacques Ier ne savait plus ? quel saint se vouer.
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