Read Ebook: Les mystères de Paris Tome II by Sue Eug Ne
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Ebook has 3496 lines and 111042 words, and 70 pages
--Je le sais, mon p?re, j'avais tort, sans doute; mais je ne pouvais surmonter ma honte et ma crainte... Ce n'est pas tout... il me faut du courage pour achever...
--Continuez, Marie; jusqu'ici vos scrupules, ou plut?t vos remords, prouvent en faveur de votre coeur.
--Une fois Clara ?tablie ? la ferme, je fus aussi triste que j'avais d'abord cru ?tre heureuse en pensant au plaisir d'avoir une compagne de mon ?ge; elle, au contraire, ?tait toute joyeuse. On lui avait fait un lit dans ma chambre. Le premier soir, avant de se coucher, elle m'embrassa et me dit qu'elle m'aimait d?j?, qu'elle se sentait beaucoup d'attrait pour moi; elle me demanda de l'appeler Clara, comme elle m'appellerait Marie. Ensuite elle pria Dieu, en me disant qu'elle joindrait mon nom ? ses pri?res, si je voulais joindre son nom aux miennes. Je n'osai pas lui refuser cela. Apr?s avoir encore caus? quelque temps, elle s'endormit; moi, je ne m'?tais pas couch?e; je m'approchai d'elle; je regardais en pleurant sa figure d'ange; et puis, en pensant qu'elle dormait dans la m?me chambre que moi... que moi, qu'on avait trouv?e chez l'ogresse avec des voleurs et des assassins... je tremblais comme si j'avais commis une mauvaise action, j'avais de vagues frayeurs... Il me semblait que Dieu me punirait un jour... Je me couchai, j'eus des r?ves affreux, je revis les figures sinistres que j'avais presque oubli?es, le Chourineur, le Ma?tre d'?cole, la Chouette, cette femme borgne qui m'avait tortur?e ?tant petite. Oh! quelle nuit!... mon Dieu! quelle nuit! quels r?ves! dit la Goualeuse en fr?missant encore ? ce souvenir.
--Pauvre Marie! reprit le cur? avec ?motion; que ne m'avez-vous fait plus t?t ces tristes confidences! Je vous aurais rassur?e... Mais continuez.
--Je m'?tais endormie bien tard: Mlle Clara vint m'?veiller en m'embrassant. Pour vaincre ce qu'elle appelait ma froideur et me prouver son amiti?, elle voulut me confier un secret; elle devait s'unir, lorsqu'elle aurait dix-huit ans accomplis, au fils d'un fermier de Goussainville, qu'elle aimait tendrement; le mariage ?tait depuis longtemps arr?t? entre les deux familles. Ensuite, elle me raconta en peu de mots sa vie pass?e... vie simple, calme, heureuse: elle n'avait jamais quitt? sa m?re, elle ne la quitterait jamais; car son fianc? devait partager l'exploitation de la ferme avec M. Dubreuil. <
--Infortun?e! Que la col?re de Dieu s'appesantisse sur ceux qui, en vous jetant dans une abominable voie de perditions, vous forceront peut-?tre de subir toute votre vie les inexorables cons?quences d'une premi?re faute!
--Oh! oui, ceux-l? ont ?t? bien m?chants, mon p?re, reprit am?rement Fleur-de-Marie, car ma honte est ineffa?able. Ce n'est pas tout; ? mesure que Clara me parlait du bonheur qui l'attendait, de son mariage, de sa douce vie de famille, je ne pouvais m'emp?cher de comparer mon sort au sien; car, malgr? les bont?s dont on me comble, mon sort sera toujours mis?rable; vous et Mme Georges, en me faisant comprendre la vertu, vous m'avez fait aussi comprendre la profondeur de mon abjection pass?e; rien ne pourra m'emp?cher d'avoir ?t? le rebut de ce qu'il y a de plus vil au monde. H?las! puisque la connaissance du bien et du mal devait m'?tre si funeste, que ne me laissait-on ? mon malheureux sort!
--Oh! Marie! Marie!...
--N'est-ce pas, mon p?re... ce que je dis est bien mal? H?las voil? ce que je n'osais vous avouer... Oui, quelquefois je suis assez ingrate pour m?conna?tre les bont?s dont on me comble, pour me dire: <
--H?las! Marie, cela est fatal! Une nature, m?me g?n?reusement dou?e par le Cr?ateur, n'e?t-elle ?t? plong?e qu'un jour dans la fange dont on vous a tir?e, en garde un stigmate ineffa?able... Telle est l'immutabilit? de la justice divine!
--Vous le voyez bien, mon p?re, s'?cria douloureusement Fleur-de-Marie, je dois d?sesp?rer jusqu'? la mort!
--Vous devez d?sesp?rer d'effacer de votre vie cette page d?solante, dit le pr?tre d'une voix triste et grave, mais vous devez esp?rer en la mis?ricorde infinie du Tout-Puissant. Ici-bas, pour vous, pauvre enfant, larmes, remords, expiation, mais un jour, l?-haut, ajouta-t-il en ?levant sa main vers le firmament qui commen?ait ? s'?toiler, l?-haut, pardon, f?licit? ?ternelle!
--Piti?... piti?, mon Dieu!... je suis si jeune... et ma vie sera peut-?tre encore si longue!... dit la Goualeuse d'une voix d?chirante, en tombant ? genoux aux pieds du cur? par un mouvement involontaire.
Le pr?tre ?tait debout au sommet de la colline, non loin de laquelle s'?levait le presbyt?re; sa soutane noire, sa figure v?n?rable, encadr?e de longs cheveux blancs et doucement ?clair?e par les derni?res clart?s du cr?puscule, se dessinaient sur l'horizon, d'une transparence, d'une limpidit? profondes: or p?le au couchant, saphir au z?nith.
Le pr?tre levait au ciel une de ses mains tremblantes, et abandonnait l'autre ? Fleur-de-Marie, qui la couvrait de larmes.
Le capuchon de sa mante grise, ? ce moment rabattu sur ses ?paules, laissait voir le profil enchanteur de la jeune fille, son charmant regard suppliant et baign? de larmes... son cou d'une blancheur ?blouissantes, o? se voyait l'attache soyeuse de ses jolis cheveux blonds.
Cette sc?ne simple et grande offrait un contraste, une co?ncidence bizarre, avec l'ignoble sc?ne qui, presque au m?me instant, se passait dans les profondeurs du chemin creux entre le Ma?tre d'?cole et la Chouette.
Cach? dans les t?n?bres d'un noir ravin, assailli de l?ches terreurs, un effroyable meurtrier, portant la peine de ses forfaits, s'?tait aussi agenouill?... mais devant sa complice, furie railleuse, vengeresse, qui le tourmentait sans merci et le poussait ? de nouveaux crimes... sa complice... cause premi?re des malheurs de Fleur-de-Marie.
De Fleur-de-Marie que torturait un remords incessant.
L'exag?ration de sa douleur n'?tait-elle pas concevable? Entour?e depuis son enfance d'?tres d?grad?s, m?chants, inf?mes; quittant sa prison pour l'antre de l'ogresse, autre prison horrible; n'?tant jamais sortie des cours de sa ge?le ou des rues caverneuses de la Cit?, cette malheureuse jeune fille n'avait-elle pas v?cu jusqu'alors dans l'ignorance profonde du beau et du bien, aussi ?trang?re aux sentiments nobles et religieux qu'aux splendeurs magnifiques de la nature?
Et voil? que tout ? coup elle abandonne son cloaque infect pour une retraite charmante et rustique, sa vie immonde, pour partager une existence heureuse et paisible avec les ?tres les plus vertueux; les plus tendres, les plus compatissants ? ses infortunes...
Enfin tout ce qu'il y a d'admirable dans la cr?ature et dans la cr?ation se r?v?le ? la fois et en un moment ? son ?me ?tonn?e. ? ce spectacle imposant, son esprit s'agrandit, son intelligence se d?veloppe, ses nobles instincts s'?veillent... Et c'est parce que son esprit s'est agrandi, parce que son intelligence s'est d?velopp?e, parce que ses nobles instincts se sont ?veill?s... qu'ayant la conscience de la d?gradation premi?re, elle ressent pour sa vie pass?e une douloureuse et incurable horreur, et comprend, h?las! ainsi qu'elle le dit, qu'il est des souillures qui ne s'effacent jamais...
--? malheur ? moi! disait la Goualeuse d?sesp?r?e, ma vie tout enti?re, f?t-elle aussi longue, aussi pure que la v?tre, mon p?re, sera d?sormais fl?trie par la conscience et par le souvenir du pass?... Malheur ? moi!
--Bonheur pour vous, au contraire, Marie, bonheur pour vous, ? qui le Seigneur envoie ces remords pleins d'amertume, mais salutaires! Ils prouvent la religieuse susceptibilit? de votre ?me! Tant d'autres, moins noblement bien dou?es que vous, eussent, ? votre place, vite oubli? le pass? pour ne songer qu'? jouir de la f?licit? pr?sente! Une ?me d?licate comme la v?tre rencontre des souffrances l? o? le vulgaire ne ressent aucune douleur! Mais chacune de ces souffrances vous sera compt?e l?-haut. Croyez-moi, Dieu ne vous a laiss? un moment dans la voie mauvaise que pour vous r?server la gloire du repentir et la r?compense ?ternelle due ? l'expiation! Ne l'a-t-il pas dit lui-m?me: <
La Goualeuse allait r?pondre lorsqu'elle fut interrompue par la paysanne dont nous avons parl?, qui, suivant la m?me route que la jeune fille et l'abb?, venait de les rejoindre. C'?tait une des servantes de la ferme.
--Pardon, excuse, monsieur le cur?, dit-elle au pr?tre, mais Mme Georges m'a dit d'apporter ce panier de fruits au presbyt?re, et qu'en m?me temps je ram?nerais Mlle Marie, car il se fait tard; mais j'ai pris Turc avec moi, dit la fille de ferme en caressant un ?norme chien des Pyr?n?es, qui e?t d?fi? un ours au combat. Quoiqu'il n'y ait jamais de mauvaise rencontre dans le pays, c'est toujours plus prudent.
--Vous avez raison, Claudine; nous voici d'ailleurs arriv?s au presbyt?re; vous remercierez Mme Georges pour moi.
Puis, s'adressant tout bas ? la Goualeuse, le cur? lui dit d'un ton grave:
--Il faut que je me rende demain ? la conf?rence du dioc?se; mais je serai de retour sur les cinq heures. Si vous le voulez, mon enfant, je vous attendrai au presbyt?re. Je vois, ? l'?tat de votre esprit, que vous avez besoin de vous entretenir longuement encore avec moi.
--Je vous remercie, mon p?re, r?pondit Fleur-de-Marie; demain je viendrai, puisque vous voulez bien me le permettre.
--Mais nous voici arriv?s ? la porte du jardin, dit le pr?tre; laissez ce panier l?, Claudine, ma gouvernante le prendra. Retournez vite ? la ferme avec Marie; car la nuit est presque venue et le froid augmente. ? demain, Marie, ? cinq heures!
--? demain, mon p?re.
L'abb? rentra dans son jardin.
La Goualeuse et Claudine, suivies de Turc, reprirent le chemin de la m?tairie.
La rencontre
La nuit ?tait venue, claire et froide.
Suivant les avis du Ma?tre d'?cole, la Chouette avait gagn? avec ce brigand un endroit du chemin creux plus ?loign? du sentier et plus rapproch? du carrefour o? Barbillon attendait avec le fiacre.
Tortillard, post? en vedette, guettait le retour de Fleur-de-Marie, qu'il devait attirer dans ce guet-apens en la suppliant de venir ? son aide pour secourir une pauvre vieille femme.
Le fils de Bras-Rouge avait fait quelques pas en dehors du ravin pour aller ? la d?couverte, lorsque, pr?tant l'oreille, il entendit au loin la Goualeuse parler ? la paysanne qui l'accompagnait.
La Goualeuse n'?tant plus seule, tout ?tait manqu?. Tortillard se h?ta de redescendre dans le ravin et de courir avertir la Chouette.
--Il y a quelqu'un avec la jeune fille, dit-il d'une voix basse et essouffl?e.
--Avec qui est-elle? demanda le Ma?tre d'?cole.
--Sans doute avec la paysanne qui tout ? l'heure a pass? dans le sentier, suivie d'un gros chien. J'ai reconnu la voix d'une femme, dit Tortillard; tenez... entendez-vous... entendez-vous le bruit de leurs sabots?...
En effet, dans le silence de la nuit, les semelles de bois r?sonnaient au loin sur la terre durcie par la gel?e.
--Je ne suis pas fort; mais si vous voulez, je me jetterai aux jambes de la paysanne qui a un chien, je m'y accrocherai des mains et des dents: je ne l?cherai pas, allez!... Pendant ce temps-l? vous entra?nerez bien la petite... vous, la Chouette.
--Et si elles crient, si elles regimbent, on les entendra de la ferme, reprit la borgnesse, et on aura le temps de venir ? leur secours avant que nous ayons rejoint le fiacre de Barbillon... C'est pas d?j? si commode ? emporter une femme qui se d?bat!
--Et elles ont un gros chien avec elles! dit Tortillard.
--Bah! bah! si ce n'?tait que ?a, d'un coup de soulier je lui casserai la gargoine, ? leur chien, dit la Chouette.
--Elles approchent, reprit Tortillard en pr?tant de nouveau l'oreille au bruit de pas lointains, elles vont descendre dans le ravin.
--Mais parle donc, Fourline, dit la Chouette au Ma?tre d'?cole; qu'est-ce que tu conseilles, gros t?tard?... Est-ce que tu deviens muet?
--Il n'y a rien ? faire aujourd'hui, r?pondit le brigand.
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