Read Ebook: Jean-Jacques Rousseau by Lema Tre Jules
Font size:
Background color:
Text color:
Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page
Ebook has 761 lines and 88796 words, and 16 pages
Il avait la terreur de l'enfer:
Et, parlant du P?re H?met et du P?re Coppier:
Leurs visites me faisaient grand bien: que Dieu veuille le rendre ? leurs ?mes!
Enfin, nous verrons que Jean-Jacques, de son propre aveu, n'eut jamais ? se plaindre du clerg? catholique , mais qu'il eut fort ? se plaindre des ministres protestants.
Tout ce que je veux dire ici, c'est que, chez lui, l'empreinte catholique est superpos?e ? l'empreinte protestante; que sa sensibilit? m?me est plut?t catholique. Nous expliquerons cela en son lieu: mais pourquoi ne dirai-je pas d?s maintenant qu'il y a, dans sa facilit? ? se confesser, et ? se confesser d'une certaine mani?re, et ? l'esp?ce de plaisir qu'il y prend, quelque chose au moins comme la d?pravation d'une sensibilit? catholique,--disposition qui n'est pas rare, dit-on, chez certaines p?nitentes ? qui la confession auriculaire permet de go?ter une seconde fois leur p?ch?, jusque dans la honte de l'aveu?
Tel est l'homme,--oh! avec de la candeur, de la bont?, et m?me d?j? des vell?it?s de r?forme morale,--et aussi avec cette singuli?re att?nuation que c'est par lui seul que nous savons ses hontes,--mais enfin tel est l'homme, enfant et adolescent vicieux, vagabond indisciplin?,--paresseux, faible et chim?rique,--menteur et larron, la derni?re fois voleur de vin ? vingt-huit ans, chez M. de Mably,--protestant compliqu? d'un catholique,--transfuge excusable, mais transfuge de sa patrie et de sa religion,--longtemps amant tol?rant d'une femme excellente et d?consid?r?e dont il est l'oblig?--d'ailleurs profond?ment malade, perdu de n?vrose, candidat ? la folie,--tel est l'homme qui, ? vingt-neuf ans, s'en va chercher fortune ? Paris et qui, quelques ann?es plus tard, entreprendra la r?forme de la soci?t? et s'?tablira professeur de vertu.
ROUSSEAU ? PARIS.--TH?R?SE.
J'ai d?crit l'?trange gar?on, plein de bizarreries, de souillures et d'orgueil, qui ? vingt-neuf ans vient ? Paris, pour y chercher simplement fortune , en attendant qu'il s'?tablisse, huit ans plus tard, r?formateur des moeurs et professeur de vertu. Mais il faut bien dire que, pendant ces huit ann?es, il n'y songe pas du tout.
Quel ?tait ce monde des lettres o? le vagabond de Gen?ve, des bords du lac L?man, de la Savoie, du Pi?mont et de Turin, le r?veur des Charmettes et l'amant de madame de Warens allait entrer?--Si l'on met ? part le seigneur de Ferney, et Montesquieu et Buffon, gentilshommes un peu d?daigneux qui, la plupart du temps, travaillaient enferm?s dans leur retraite,--ce monde-l?, c'?tait alors une vingtaine d'?crivains qui se rencontraient dans trois ou quatre caf?s et qui ?taient familiers chez une douzaine, au plus, soit de fermiers g?n?raux, soit de grands seigneurs et de grandes dames, de ceux et de celles qui se piquaient de libert? d'esprit, et qui se plaisaient ? prot?ger les gens de lettres parce qu'ils les trouvaient amusants, et aussi par un sentiment assez proche de ce que nous appelons aujourd'hui le <
Mais, d'autre part, il a une figure int?ressante, des yeux d'un ?clat extraordinaire; et de temps en temps, quand les choses le touchent, il lui arrive d'?tre ?loquent pendant quelques minutes, avec un effort qui donne alors plus d'accent ? sa parole. On le consid?re avec curiosit?. Et lui, qui s'en aper?oit, il s'y pr?te, et, sentant qu'il ne sera jamais <
Ce <
Mais les personnes auxquelles il ?tait recommand?, et aussi ses visites aux acad?miciens, lui ont fait faire des connaissances.--Au reste il dit lui-m?me: <
Peu apr?s l'?chec de son m?moire sur la musique, comme il attendait tranquillement la fin de son argent, un j?suite, le P?re Castel lui dit un jour: <
Voil? donc Rousseau dans le plus grand monde, et, s'il faut le dire, dans le plus voluptueux et le plus corrompu, et qui s'y trouve fort bien. Oui, nous sommes loin de Jean-Jacques citoyen de Gen?ve et philosophe selon la nature.
Cependant, ces dames s'occupent de lui, lui cherchent une situation. Vers avril ou mai 1743, il va rejoindre, en qualit? de secr?taire, M. de Montaigu, ambassadeur de France ? Venise. Il y passe dix-huit mois. Jean-Jacques s'?tend avec complaisance sur cette p?riode de sa vie.
A la v?rit?, il ne dit pas un mot de la beaut? de Venise, tant c?l?br?e depuis un si?cle par les ?crivains, et avec des mots si p?m?s!
Venise est une belle cit? grande comme la moiti? de Paris, assise sur la mer, tout environn?e d'eau qui court la plupart des rues de la ville; et vont les petits galiots et bateaux parmi les dites rues; et il y a des ponts, tant grands que petits, tant de bois que de pierre, environ de douze ? quinze cents. Et c'est la ville la plus peupl?e qu'on puisse gu?re voir, car on n'y voit point de jardins ni de places vides... Et il y a les plus belles boutiques de toutes marchandises qu'on puisse gu?re trouver, et la plupart des m?tiers sont faiseurs de soie et de velours. Et il y a quantit? de belles maisons qu'on appelle palais;... et chaque seigneur a sa barque pour aller o? il veut. Et dit-on qu'il y a plus de bateaux ? Venise qu'il n'y a de chevaux ni de mulets ? Paris. Et il y a au corps de la ville environ cent vingt ?glises, etc.
Et S?bastien Mamerot d?crit ensuite s?chement et minutieusement les mosa?ques de Saint-Marc.
Mais, surtout, au moment o? il nous parle de son s?jour ? Venise, Jean-Jacques est trop rempli du souvenir des fonctions qu'il y exer?ait, pour se soucier de Saint-Marc, du pont des Soupirs, des canaux et des gondoles. Visiblement, il est fier d'avoir ?t? secr?taire d'ambassade , d'avoir un jour occup? un poste honorable, officiel, dans la soci?t? r?guli?re. ?coutez le ton, l'accent:
Et il ?num?re ses services. Le ton, le s?rieux, l'air de satisfaction profonde, rappellent Chateaubriand racontant son ambassade ? Londres.
Mais, si nous en croyons Jean-Jacques, son patron M. de Montaigu ?tait un homme grossier, avare, ignorant et un peu fou. Il dut se s?parer de lui, sans pouvoir, dit-il, se faire payer ses appointements. De retour ? Paris, il demande inutilement justice de son ambassadeur. Les refus qu'il ?prouva laiss?rent dans son ?me, dit-il, <
Mais achevons les souvenirs v?nitiens de Jean-Jacques.
Dans cette ville d'amours et de plaisirs, dans cette Venise de Casanova , la vie amoureuse de Jean-Jacques se r?duit ? peu. Le malheureux nous dit lui-m?me qu'il n'avait pas renonc? ? ses habitudes honteuses. Sa seule rencontre effective, pendant ces dix-huit mois, est avec une personne qu'on appelait la Padoana. Une rencontre plus c?l?bre est avec Zulietta. Je vous renvoie au texte du r?cit; mais je dois vous en citer du moins le commencement:
Ne nous y trompons pas: bonnes ou mauvaises, c'est peut-?tre la premi?re fois qu'on ait ?crit des paroles de ce sentiment, de cet accent, de cette couleur. Et, si je ne m'abuse, pour obtenir ce ton, il a fallu toute une vie de timidit? douloureuse dans les choses de l'amour, et de sauvagerie, et de sensibilit? et d'imagination d'autant plus excit?es; il a fallu un demi-si?cle de maladie, et de d?sir non content?--et du g?nie par l?-dessus.
Rousseau continue:
Qui pourrait deviner la cause de mes larmes et ce qui me passait dans la t?te en ce moment? Je me disais: Cet objet dont je dispose est le chef-d'oeuvre de la nature et de l'amour; l'esprit, le corps, tout est parfait; elle est aussi bonne et g?n?reuse qu'elle est aimable et belle; les grands, les princes devraient ?tre ses esclaves; les sceptres devraient ?tre ? ses pieds. Cependant la voil?, mis?rable coureuse, livr?e au public; un capitaine de vaisseau marchand dispose d'elle, etc.
? Chaos ?ternel, prostituer l'enfance!... Pauvret?! Pauvret?! c'est toi la courtisane, C'est toi qui dans ce lit as pouss? cet enfant Que la Gr?ce e?t jet? sur l'autel de Diane!...
Et plus loin:
Jacque ?tait immobile et regardait Marie... Il se sentait fr?mir d'un frisson inconnu. N'?tait-ce pas sa soeur, cette prostitu?e?...
Oui, il me semble bien que l'emphase, la d?raison et ce que j'appellerai la disproportion romantique entre les sentiments et les choses est d?j? dans cet ?pisode de la Zulietta.
Nous arrivons ? Th?r?se.
De retour ? Paris, Jean-Jacques, tomb? de ses ambitions, ?tait fort triste et fort d?sempar?. Il s'installe de nouveau ? l'h?tel Saint-Quentin, rue des Cordiers, pr?s de la Sorbonne. Les pensionnaires mangeaient avec l'h?tesse et une jeune ling?re de vingt-deux ? vingt-trois ans, Th?r?se. La m?re, madame Levasseur, avait tenu boutique ? Orl?ans, o? son mari ?tait <
Bref, il lui fait la cour... Il lui d?clare d'avance que <
Arr?tons-nous sur Th?r?se.
Je crois bien qu'aucun des critiques ou historiens de Rousseau n'a manqu? de d?plorer sa rencontre avec Th?r?se: <
Jeune, Th?r?se, dut ?tre assez jolie fille. Nous parlant une fois de Diderot, Jean-Jacques nous dit, dans un esprit de rivalit? assez divertissant:
Il fallait bien que Th?r?se ne f?t pas si d?sagr?able, puisque les belles dames lui faisaient des caresses, que madame de Boufflers ? Montmorency allait go?ter chez elle, et que la mar?chale de Luxembourg l'embrassait comme du pain.--M?me plus tard, et quand Th?r?se a d?pass? la cinquantaine, un jeune Marseillais, M. Eymar, venu ? Paris en 1774 pour visiter Rousseau, nous dira: <
Th?r?se, ? vingt-trois ans, pouvait plaire. Ceci me para?t acquis.
Que cherchait Rousseau quand il la rencontra? Une infirmi?re et une servante autant qu'une compagne.
Th?r?se avait eu un malheur? Tant mieux! <
Th?r?se ?tait une ouvri?re en linge,--une grisette,--ignorante et d'esprit fort simple:
Je voulus, dit-il, d'abord former son esprit; j'y perdis ma peine... Son esprit est ce que l'a fait la nature; la culture et les soins n'y prennent pas. Je ne rougis point d'avouer qu'elle n'a jamais bien su lire, quoiqu'elle ?criv?t passablement... Elle n'a jamais pu suivre l'ordre des douze mois de l'ann?e, et ne conna?t pas un seul chiffre, malgr? tous les soins que j'ai pris pour les lui montrer. Elle ne sait ni compter l'argent, ni le prix d'aucune chose. Le mot qui lui vient en parlant est souvent l'oppos? de celui qu'elle veut dire. Autrefois, j'avais fait un dictionnaire de ses phrases pour amuser madame de Luxembourg, et ses quiproquos sont devenus c?l?bres dans les soci?t?s o? j'ai v?cu.
Excellent, tout cela! et c'est bien ce qu'il lui fallait. Il avait alors trente-trois ans. Or il nous dit qu'? partir de trente ans sa maladie s'aggrava. Il lui fallait une infirmi?re. Il lui fallait une femme qui lui f?t inf?rieure socialement et de toutes fa?ons; une fille du peuple, et qui f?t pauvre, et qui lui d?t de la reconnaissance, et qui ne f?t pas la d?licate et la rench?rie, et devant qui il n'e?t pas honte de ses mis?res physiques ni de ses d?faillances sexuelles, et qui lui donn?t les soins les plus intimes. Et voil? pourquoi il choisit Th?r?se.
Et il la choisit aussi parce qu'elle ?tait ignorante et <
Rousseau n'?pouse pas Th?r?se. Il en donne, en 1755, la raison ? madame de Francueil: <
Il n'?pouse pas Th?r?se. Mais certainement il l'aime.
Que pensera le lecteur quand je lui dirai que, du premier moment que je la vis jusqu'? ce jour je n'ai jamais senti la moindre ?tincelle d'amour pour elle, que je n'ai pas plus d?sir? la poss?der que madame de Warens, et que les besoins des sens, que j'ai satisfaits aupr?s d'elle, ont uniquement ?t? pour moi ceux du sexe, sans avoir rien de propre ? l'individu?
Il la voyait par ses meilleurs c?t?s. Il disait ce que disent souvent des hommes sup?rieurs vivant avec une b?te: <
Mais cette personne si born?e et, si l'on veut, si stupide, est d'un conseil excellent dans les occasions difficiles... Devant les dames du plus haut rang, devant les grands et les princes, ses sentiments, son bon sens, ses r?ponses et sa conduite lui ont attir? l'estime universelle, et ? moi, sur son m?rite, des compliments dont je sentais la sinc?rit?.
On conna?tra la force de mon attachement dans la suite, quand je d?couvrirai les plaies, les d?chirures dont elle a navr? mon coeur dans le plus fort de mes mis?res, sans que jusqu'au moment o? j'?cris ceci, il m'en soit ?chapp? un mot de plainte ? personne.
D'autre part, Th?r?se, sans doute, bien des fois lui nuisit malgr? elle. D'abord elle avait sa m?re, qui jouait ? la dame, et qui ?tait fort rapace. Rousseau nous dit:
Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page