Read Ebook: La Femme Abbé by Mar Chal Sylvain
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Ebook has 596 lines and 17832 words, and 12 pages
contrer l'objet qu'il me faut dans un homme qui ne peut ?tre ? moi. Ne me bl?me point; contente-toi de me plaindre, et permets-moi de te confier tout ce qui m'arrive. Est-on le ma?tre de sa destin?e? Mais si tu ne te rebutes point, si tu ne me d?savoues point pour ton amie, je sens que je ne puis ?tre tout ? fait malheureuse.
Sans doute j'aime; en vain je voudrais me le dissimuler. Mais si j'en fais l'aveu ? d'autres qu'? moi, ce ne sera jamais qu'? mon amie. Je me respecterai en elle; je la respecterai en moi: et le sentiment qui nous lie me pr?servera des fautes, s'il ne me pr?serve pas des chagrins ins?parables d'une passion avou?e par la nature, mais contrari?e par les convenances sociales.
Ne me parle donc pas d'aller vers toi; ne viens pas non plus me chercher. Laisse-moi ? mes illusions; elles sont telles qu'en voulant les d?truire, on leur ferait prendre un caract?re sinistre. Imite la bonne nature; sois indulgente comme elle.
Saint-Almont, pour se distraire sans doute de cette flamme sourde qui le mine, se livre tout entier aux devoirs de son ?tat. Il sait apparemment que l'occupation est l'un des plus puissans rem?des contre l'amour, comme l'oisivet? en est le plus actif poison. Je vois son plan de conduite; il est sage, et me donne la plus haute id?e de son jugement. Toutes ses journ?es sont sans lacune; la chaire et le confessionnal servent tour ? tour de th??tre ? son z?le apostolique. Il a fait le pr?ne dimanche dernier; je n'ai eu garde d'y manquer. J'ai charg? une femme qui se tient au portail de l'?glise de m'avertir. Cette bonne femme me croit une sainte. <
Ma ch?re Zo?! si tu savais comme il pr?che avec gr?ce, avec onction! Le sujet de son premier discours ?tait l'amour du prochain. Ma bonne maman, qui voulut l'entendre d'apr?s le r?cit que je lui en fis, et qui se conna?t en sermons, m'a dit en me serrant la main: <
Ma grand'maman n'a jamais rencontr? si juste. Saint-Almont persuade, rien qu'? le voir; il ne crie point; il ne gesticule pas comme un forcen?: c'est le coeur qui parle au coeur.
Une chose qui va t'?tonner, c'est qu'il a os? traiter de l'amour, et m?me en faire l'?loge; mais c'est qu'il voit cette passion comme l'un des plus beaux, des plus sublimes sentimens de la nature. <
Je m'?tais plac?e devant lui, derri?re une colonne; ses yeux en ce moment rayonnaient, ?tincelaient; une rougeur aimable colorait son visage. Toute sa physionomie ?tait ang?lique.
Ma ch?re Zo?! je te le dis na?vement, quel dommage que cet homme n'ait pas rencontr? la femme qui lui convenait! qu'elle est vile ? mes yeux, celle qui n'a pas senti tout le prix d'un tel homme! Une larme coule de mes yeux, en te faisant part de cette r?flexion am?re et inutile. J'en veux aussi ? Saint-Almont. Pourquoi, s'?tant mal adress? une premi?re fois, se rebute-t-il tout de suite? N'y avait-il donc qu'une femme au monde? Tout le mal qu'on voit sur la terre ne vient peut-?tre que de ce que peu de gens sont ? leur place. Adieu, Zo?; je n'ai pas le courage de t'en ?crire plus long. Le noir chagrin s'empare de moi. Que n'es-tu ? Paris! indulgente amie, tu me sauverais de moi-m?me. Adieu, encore une fois.
ZO? ? AGATHE.
Ma pauvre Agathe! ta derni?re lettre me fait de la peine. Il semble que tu te plaises ? creuser le pr?cipice sous tes pas. T?che de t'interroger dans le calme de la raison, et de te voir de sang-froid. Chaque jour ajoute ? ton d?lire. Tu ne pr?vois pas les maux que tu te pr?pares. Imite plut?t celui-l? m?me qui est la cause innocente de ton ?garement d'esprit. Vois, et tu en conviens toi-m?me, vois avec quelle prudence il s'?loigne de tous les objets capables de le rappeler ? sa malheureuse passion. Je t'en conjure, ne te flatte pas; c'est pr?cis?ment la puret? de ta flamme qui en augmente la chaleur. Je craindrais beaucoup moins pour ton repos, si tu avais choisi un sujet indigne de toi; ce ne serait que l'erreur d'un moment. Crains d'en avoir pour toute la vie. Ne badine pas avec les passions. D'abord nos jouets, elles finissent par devenir nos tyrans. Une seule r?flexion pourrait suffire pour te rappeler ? ta tranquillit? premi?re. Si quelqu'un me demandait: Que faites-vous de votre amie? que fait Agathe? Dis, mon Agathe, qu'aurais-je ? r?pondre? Il me faudrait donc, pour ?tre vraie, dire: <
Cela seul devrait te faire ouvrir les yeux. Un pr?tre n'est plus un homme pour une femme. Pense ? cela; ne reste point ? Paris; accours dans mes bras: c'est l? ta place. Donne-moi ta personne en garde; je t'en rendrai fid?le compte. Tu es mon tr?sor: que j'en sois la d?positaire! Mon mari me demande toujours quand nous te verrons, et je suis oblig?e de mentir toujours en lui disant: <
AGATHE ? ZO?.
J'ai lu trois fois ta lettre, sage Zo?; je me suis interrog?e de suite, et mon coeur a r?pondu qu'il sera toujours digne du tien. Je puis ?tre un jour tr?s-malheureuse, mais jamais capable de faire honte ? Zo?. J'en ai prononc? le voeu; je le r?p?te tous les matins en me levant, et le soir je m'endors avec la douce confiance que je n'ai point fauss? mon serment.
Cette d?claration faite, il faut que tu aies la complaisance de lire le reste de ma lettre. Tu seras toujours ma confidente discr?te, mais jamais ma complice, parce que jamais je n'aurai de faute grave ? me reprocher. Entends-tu bien, Zo??
Ma bonne vieille vint me dire hier matin: <
Je me trouvai donc aux environs du confessionnal, bien avant que Saint-Almont n'y entr?t. Ce qui me rassura un peu, c'est que je ne vis que quelques femmes ?g?es et de tr?s-jeunes-gens. Il ne se fit pas attendre long-temps. Il vint en surplis fort propre. Je ne m'?loignai pas. Il entendit plusieurs vieilles p?nitentes avec beaucoup de patience. Une d'elles en se retirant me dit: <
J'avais le d?sir le plus violent de me pr?senter ? mon tour, et de me faire entendre en confession ? celui de tous les hommes qui m'inspirait le plus de confiance. Je ne sais ce qui me retint. L'importance et la singularit? de cette d?marche s'offrirent ? ma pens?e. D'ailleurs, je m'?tais promis de ne rien oser, sans avoir consult? mon amie. Bonne et sage Zo?! conseille-moi donc. Me permets-tu cette nouvelle imprudence? car tu vas sans doute qualifier ainsi le dessein que je br?le d'ex?cuter. Quel mal pourras-tu trouver dans cet acte interdit aux profanes, je le sais, mais il ne peut en r?sulter d'inconv?nient grave; tout au plus, une estime mieux sentie encore pour Saint-Almont. Zo?, parle: tu es mon oracle.
ZO? ? AGATHE.
Agathe, tu me consultes, peut-?tre avec la ferme r?solution de ne point ex?cuter mes ordonnances. N'importe; j'aurai rempli mon devoir, en te tra?ant les tiens. N'entre point dans le confessionnal de Saint-Almont; n'ajoute point ce nouveau tort aux autres. Qu'irais-tu lui dire? Que tu l'aimes? Oui! tu br?les de lui faire cet aveu, sous le voile sacr? de la confession. C'est une d?claration d'amour que tu hasarderas, fille imprudente! J'aime ? croire ? l'honn?tet? de Saint-Almont; et je me repose m?me sur la tienne, s'il ?tait homme ? vouloir profiter de ta faiblesse. Mais o? tout cela te m?nera-t-il? Je pense que le r?le qu'il me convient de jouer dans cette affaire, est celui de spectatrice, de confidente tout au plus, en te renvoyant ? toi-m?me, en en appelant ? ton propre coeur, si les choses deviennent plus s?rieuses. Agathe, fais donc ce que tu voudras.
AGATHE ? ZO?.
Tu me regardes apparemment comme une malade d?sesp?r?e: tu m'abandonnes ? moi-m?me. Je te prends ? tes propres paroles, et j'esp?re que nous n'aurons pas ? nous en repentir. Voici donc ce que j'ai cru pouvoir me permettre.
Hier, je me suis pr?sent?e au confessionnal de Saint-Almont. Il y avait foule. J'ai laiss? passer les plus press?es, afin de me m?nager un entretien plus long; et le voici. Ma m?moire exacte et fid?le en conservera toute ma vie les expressions; je te fais gr?ce des pr?liminaires, et des formules consacr?es.
AGATHE
Mon p?re, la confiance que vous avez d?j? su inspirer ? plusieurs m?res de famille, m'am?ne ? vous. Je suis une orpheline de dix-neuf ans, que la m?re de mon p?re d?funt veut bien accueillir; elle veille sur le printemps de ma vie. Je soulage autant qu'il est en moi l'hiver de son ?ge.
SAINT-ALMONT.
Que d?sirez-vous de mon minist?re?
AGATHE.
Comment oserais-je...
SAINT-ALMONT.
Ma fille! vous ?tes dans la saison des passions. En ?prouveriez-vous une malheureuse? Vous ne seriez pas la seule expos?e aux orages du coeur. C'est un tribut qu'il faut payer t?t ou tard.
AGATHE.
Je commence ? l'?prouver.
SAINT-ALMONT.
Aimeriez-vous?
AGATHE.
H?las!
SAINT-ALMONT.
Pour la premi?re fois?
AGATHE.
Oui, et pour la derni?re; car on n'aime pas deux fois, m'a-t-on dit.
SAINT-ALMONT.
Aimer n'est pas toujours une faiblesse coupable; mais trop souvent c'est la cause innocente de bien des peines.
AGATHE.
C'est ce que je crains.
SAINT-ALMONT.
?prouveriez-vous quelques obstacles?
AGATHE.
Permettez-moi de vous ouvrir mon ?me tout enti?re.
SAINT-ALMONT.
Dites.
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