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Read Ebook: Voyages du capitaine Robert Lade en differentes parties de l'Afrique de l'Asie et de l'Amérique by Pr Vost Abb

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Ebook has 562 lines and 148256 words, and 12 pages

VOYAGES DU CAPITAINE ROBERT LADE

EN DIFF?RENTES PARTIES DE L'AFRIQUE, DE L'ASIE

DE L'AM?RIQUE:

CONTENANT

L'Histoire de sa fortune, & ses Observations sur les Colonies & le Commerce des Espagnols, des Anglois, des Hollandois, &c.

OUVRAGE traduit de l'Anglois.

TOME PREMIER.

? PARIS,

Chez DIDOT, Quai des Augustins, ? la Bible d'or.

Avec Approbation & Privil?ge du Roy.

PR?FACE.

De qui attendroit-on des Relations de Voyages plus utiles & plus interessantes que des Anglois? La moiti? de leur Nation est sans cesse en mouvement vers les parties du monde les plus ?loign?es. L'Angleterre a presqu'autant de Vaisseaux que de maisons, & l'on peut dire de l'Isle enti?re ce que les Historiens de la Chine rapportent de Nankin; qu'une grande partie d'un Peuple si nombreux, demeure habituellement sur l'eau. Aussi voit-on paro?tre ? Londres plus de Journaux de Mer, & de Recueils d'observations, que dans tout autre lieu. Les Anglois joignent ? la facilit? de s'instruire par les voies de la Navigation, le d?sir d'apprendre, qui vient du go?t des sciences & de la culture des beaux Arts. D'ailleurs ce n'est pas seulement en qualit? de Voyageurs, qu'ils acqui?rent la connoissance des Pays ?loign?s. Ils y possedent des R?gions d'une vaste ?tendue, dont ils ne n?gligent pas toujours les curiosit?s. Leurs Auteurs pr?tendent que les terres qui sont occup?es par leur Nation depuis l'extr?mit? de la Nouvelle ?cosse au Nord, jusqu'? celle de la Nouvelle Georgie au Sud, n'ont pas moins de seize ou dix-sept cent milles de longueur; sans compter leurs Iles, qui forment encore un Domaine si consid?rable, que la Jama?que & la Barbade contiennent seules plus de deux cent mille Anglais.

On y voit surtout quel est l'esprit de nos voisins, non-seulement ? l'?gard des possessions qu'ils ont dans les Indes, mais par rapport m?me ? celles d'autrui. Ils poussent la jalousie si loin, qu'un Anglois se tua, dans le si?cle pass?, du seul regret qu'il avoit con?u de ce que les Espagnols & les Portugais sont ma?tres de la plus belle & de la plus riche partie de l'Am?rique. Mais cette disposition les portant ? ne rien n?gliger dans leurs voyages & ? publier toutes les remarques qui peuvent ?tre utiles ? leur commerce, il ne se passe gu?res de semaines o? l'on ne voie para?tre ? Londres, le r?cit de quelque nouvelle Navigation. Les Anglois qui ont fait des voyages remarquables, sont s?rs de l'immortalit? dans leur Patrie; On voit grav?s, dans mille endroits de l'Angleterre, les noms de ceux qui ont fait le tour du monde. En effet ces illustres Avanturiers, ne m?ritent pas moins d'?tre connus, dans tous les lieux o? la hardiesse & l'industrie donnent droit ? la gloire.

Celle que je donne au Public n'a point un objet si vaste; mais elle n'est pas moins propre ? faire conno?tre l'ardeur des Anglois pour tous les objets de fortune & de curiosit?. Quoiqu'elle ait ?t? mise en ordre depuis plusieurs ann?es, sur les Journaux & les M?moires de l'Auteur, elle n'est tomb?e que depuis fort peu de tems entre mes mains. Toutes les parties en sont si agr?ables & si interessantes qu'elle m'a paru digne d'une prompte traduction. La na?vet? des d?tails personels; l'importance des observations qui regardent le commerce, la politique la situation des lieux & la connoissance de ce qu'ils renferment de plus curieux ou de plus utile; en un mot la vari?t? des objets & la multitude des entreprises y pr?sentent sans cesse de nouvelles sc?nes. Il y a m?me de l'avantage ? tirer pour la morale, du caract?re de droiture & de probit? qui se soutient constamment dans les deux N?gocians, dont on lit les projets & les exp?ditions. S'ils ?toient conduits par la passion de s'enrichir, leurs motifs ?toient fort differens de ceux de l'avarice; & l'int?r?t qu'on prend au cours de leurs affaires, en fait voir avec joie le succ?s.

On n'a joint ? cet Ouvrage, avec la Carte g?n?rale, qu'une seule Carte particuliere qui convient aux principaux ?v?nemens, parce qu'il en auroit fallu trop souvent de particulieres, si l'on avoit entrepris de suivre nos Voyageurs a la trace. L'?crivain Anglois laisse entrevoir dans plus d'une occasion, le motif qui lui a fait supprimer les hauteurs, lorsqu'il est question de cette riche C?te d'Afrique, qui devint le fondement de sa fortune. Ce n'est pas la premi?re fois que l'int?r?t ait fait garder le silence aux N?gocians sur les voies du commerce. Mais on peut regarder cette suppression m?me, si elle est volontaire, dans un lieu o? l'on est port? ? la regr?ter, comme un caract?re de bonne foi pour le reste de l'Ouvrage; puisqu'avec moins de respect pour la v?rit?, il auroit ?t? facile de remplir ce vuide par des suppositions imaginaires.

VOYAGES DU CAPITAINE ROBERT LADE ET DE SA FAMILLE

La pauvret? est un puissant aiguillon pour le courage & j'ose dire pour toutes les vertus, sur-tout dans ceux qui sont tomb?s de l'?tat d'opulence & qui ont pour double motif la mis?re d'une ?pouse & de plusieurs enfans. Mes Voyages & mes plus difficiles entreprises n'ont point eu d'autre cause. J'avois re?u de mes Anc?tres un bien consid?rable, dont je me vis d?pouill? dans l'espace de peu de jours par les fameuses r?volutions de l'affaire du Sud. Je me trouvois mari? depuis quinze ans, ?g? d'environ quarante, & charg? d'une nombreuse famille. Le d?sespoir m'auroit fait prendre quelque r?solution funeste ? ma vie, si l'exemple d'un grand nombre de mes amis, qui ?toient sortis de l'indigence par la voye du Commerce, ne m'eut paru une ressource qui me restoit encore ? tenter.

On con?oit qu'?tant sans biens, je ne me proposois pas d'imiter ceux qui avoient accumul? des richesses sur leur propre fond. Il falloit commencer par me rendre utile au service d'autrui, & je n'avois ? mettre dans mon entreprise que de la probit? & de l'industrie, deux qualit?s par lesquelles je m'?tois fait conno?tre assez heureusement. Apr?s avoir fait le calcul de ce que je pouvois tirer de mes meubles, unique reste de ma fortune, sur lequel je ne laissois pas de fonder quelques esp?rances particulieres, je fis confidence de mon embarras & de mes desseins ? Georges Sprat, un de nos plus riches Marchands, qui avoit deux Comptoirs ?galement accr?dit?s, l'un dans nos Colonies d'Am?rique, & l'autre aux grandes Indes. Il connoissoit anciennement ma famille, & quoique je n'eusse point de liaisons fort ?troites avec lui, j'?tois s?r qu'ayant toujours fait ma demeure dans son voisinage, il ne pouvoit avoir qu'une favorable opinion de mon caractere. Il re?ut honn?tement mes ouvertures, il me fit expliquer non-seulement l'histoire de ma disgr?ce, mais l'?tat pr?sent de mes affaires, & celui de ma famille. Sa curiosit?, ou l'int?r?t qu'il prit tout d'un coup ? ma fortune, l'amena chez moi d?s le lendemain, & la v?e de ma femme & de mes enfans, dont la tristesse rendoit assez t?moignage au malheur de notre condition, acheva d'?chauffer son z?le en ma faveur.

Apr?s avoir laiss? passer quelques jours sans me communiquer ses desseins, il me parla d'un Vaisseau qu'il faisoit partir pour Bengale avant la fin du mois, & pour lequel il avoit besoin d'un Supercargoes, que je pouvois ?tre, si je voulois confier mes esp?rances ? la Mer. J'acceptai cette offre, comme une faveur qui les surpassoit beaucoup; car dans mes premi?res v?es, je n'avois pens? qu'? obtenir quelque emploi plus born? dans l'un de ses deux Comptoirs. Je con?us qu'avec l'autorit? & les privileges d'un Supercargoes, je pourrais tirer un profit consid?rable des marchandises que je voulois acqu?rir du prix de mes meubles, sans compter les autres avantages qui sont propres ? cette commission. M. Sprat m'apprit lui-m?me tout ce que je devois esp?rer d'un premier Voyage. Mais en prenant soin d'arranger mes pr?paratifs, il supposa trop g?n?reusement que je me reposerois sur lui dans mon absence, de la conduite & de l'entretien de ma famille; elle ?toit compos?e de trois gar?ons & de deux filles. Mon a?n? avoit quatorze ans, la premi?re de mes filles en avoit treize, & la seconde un peu plus d'onze; le plus jeune de mes deux derniers fils n'en avoit que sept.

Mes v?es n'?toient pas encore bien ?claircies sur la mani?re dont je devois pourvoir ? leur subsistance pendant mon Voyage. J'avois pens? que l'a?n? de mes fils pouvoit m'accompagner, & je n'?tois pas sans esp?rance que la mere de ma femme, qui vivoit encore dans une fortune fort m?diocre, consentiroit ? se charger de sa fille & de nos quatre autres enfans; ce fut la r?ponse que je fis aux propositions de M. Sprat. Mais sa chaleur paroissant redoubler pour me rendre service, il me repr?senta que cette disposition de ma famille feroit trop conno?tre au Public la ruine de mes affaires; qu'? la veille de les r?tablir, il falloit soutenir les apparences jusqu'? mon retour; que remettant ses int?r?ts entre mes mains, il ne pouvoit trop faire pour m'attacher ? lui, & que la d?pense d'une ann?e d'entretien dont il vouloit se charger pour ma maison, seroit bien compens?e par la fatigue & les peines ausquelles j'allois m'exposer, pour le soin de son Commerce. Je ne voyois encore dans toutes ces instances que des attentions honn?tes, ausquelles l'int?r?t pouvoit avoir autant de part que l'amiti?; mais ma femme qui m'aimoit avec beaucoup de tendresse, avoit fait d'autres observations qu'elle se h?ta de me communiquer. M. Sprat n'?toit pas venu chez moi, sans ouvrir les yeux sur le m?rite de ma fille a?n?e, ses sentimens n'avoient p? se d?rober aux yeux d'une mere, & l'affectation m?me qu'il avoit apport?e ? les d?guiser, sembloit les rendre suspects. Ce r?cit ne me causa point toute l'inqui?tude que je voyois ? ma femme: Que devois-je craindre de l'amour de M. Sprat pour une fille de treize ans, qui ne s'?loigneroit pas un moment de sa mere? D'ailleurs il n'?toit point mari?, & ma naissance ?tant sup?rieure ? la sienne, je pouvois me flater que son inclination, joint aux services que j'allois lui rendre, pourroit le faire passer quelque jour sur l'in?galit? de la fortune. Ma femme surprise de mes objections, ne balan?a plus ? s'ouvrir tout-?-fait. Elle m'apprit que si sa fille avoit gagn? le coeur de M. Sprat, le Commis de ce N?gociant, pour qui son Ma?tre avoit une confiance absolue, n'avoit pas pris des sentimens moins tendres pour elle-m?me; & que dans les visites qu'ils nous avoient rendues depuis moins de quinze jours, ils lui avoient fait entendre assez clairement ce qu'ils se proposoient tous deux, aussi-t?t que je serois ?loign?. Malgr? le triste ?tat de mes affaires, l'int?r?t n'?toit pas capable de me faire oublier l'amour & l'honneur. J'?prouvai m?me ? l'instant toute la force d'une passion que je n'avois jamais connue, parce que la conduite de ma femme n'avoit jamais ?t? propre ? me la faire sentir. Je parle de la jalousie, qui fut assez violente d?s le premier moment, pour me faire renoncer ? toutes les esp?rances que j'avois con?ues de M. Sprat. Cependant apr?s quelques r?fl?xions sur son projet, je me persuadai que devant beaucoup moins de reconnoissance ? un homme qui se proposoit de s?duire ma femme & ma fille, il m'?toit permis d'employer quelque honn?te artifice pour assurer tout ? la fois ma fortune, & l'honneur de ma famille. Je revins ? l'id?e que j'avois eue de me procurer un office de Comptoir, sans renoncer ? celui de Supercargoes; & pensant ainsi ? m'?tablir dans les Indes, je r?solus de ne quitter l'Angleterre qu'avec ma femme & mes enfans. Il falloit d?guiser ce dessein ? M. Sprat; j'?vitai de lui parler de ma famille, comme si j'eusse accept? ses premi?res offres, & je lui demandai pour nouvelle faveur, de m'accorder quelque emploi dans un de ses Comptoirs. Loin de m'arr?ter par des objections, il se pr?ra si facilement ? mes d?sirs, que je demeurai plus persuad? que jamais de ses v?es sur ma fille, & de l'avantage qu'il esp?roit tirer de mon ?loignement.

Dans cette situation je me h?tai de vendre mes meubles, & j'en convertis le prix en Montres d'or, & en ouvrages d'Orf?vrie. Quelques Diamans de ma femme avoient fait la principale partie de ma somme; car outre que la valeur de mes meubles ?toit m?diocre, je fus oblig? de laisser toute meubl?e, jusqu'? mon d?part, la Salle o? j'?tois accoutum? de recevoir M. Sprat; & ne voulant point qu'il eut le moindre soup?on de mon projet, je convins avec ma femme, que suivant les r?solutions que nous pr?mes ensemble, elle disposeroit de ce reste de nos biens, dans les derniers momens. Le jour ?tant arriv? pour mettre ? la voile, je pris cong? d'elle & de mes enfans le 2 d'Avril 1722, dans la pr?sence de M. Sprat & de son Commis, qui m'accompagnerent ensuite jusqu'? Gravesend; mais d?s la nuit suivante ma femme s'?tant d?livr?e heureusement de tous les embarras dont elle restoit charg?e, partit avec mes enfans pour me venir joindre ? Sandwich, o? je devois rel?cher. Son voyage & le mien se firent avec tant de bonheur, que je la re?us ? bord le troisi?me jour, avec des mouvemens incroyables de tendresse & de joie.

Notre Vaisseau, qui se nommoit le Depfort, portoit vingt-deux hommes d'?quipage, & la Cargaison consistoit presque entierement en Draps & en ?toffes d'Angleterre. M. Rindekly, notre Capitaine, parut surpris de l'arriv?e de ma famille; je l'avois si peu pr?venu, que manquant de plusieurs commodit?s n?cessaires, nous fumes oblig?s de passer un jour entier ? Sandwich, pour nous les procurer. Nos int?r?ts ?tant li?s par des esp?rances communes de profit, je ne balan?ai point ? lui communiquer l'?tat de mes affaires, & les raisons myst?rieuses de ma conduite. Il m'applaudit, en me promettant son amiti? & ses services. Les premi?res occupations de sa vie n'avoient pas ?t? des affaires de Commerce; il s'?toit ruin? comme moi, mais par le d?sordre de sa conduite, & cherchant des ressources sur Mer, il ?toit parvenu ? commander successivement plusieurs Vaisseaux, qu'il avoit conduits fort heureusement. La confiance des Marchands ? sa bonne fortune, alloit jusqu'? se le disputer pour Capitaine, & chacun cherchoit ? se l'attacher par les plus grandes r?compenses. Notre amiti? n'ayant fait qu'augmenter tous les jours, il m'apprit l'histoire de sa ruine, qui ne fut qu'une relation d'avantures voluptueuses, mais qui servit ? me faire estimer d'autant plus le fond de son caract?re, qu'il ne s'?toit perdu que par des exc?s de g?n?rosit? & de bonne foi.

Le vent fut si favorable ? notre navigation, qu'ayant doubl? les Caps d'Espagne en six jours, nous d?couvr?mes vers le soir du neuvi?me jour les C?tes d'Afrique. Cependant le tems ?tant devenu plus gros ? l'entr?e de la nuit, & l'eau de la Mer paroissant jaune du c?t? de la terre, nous sond?mes, avec quelque inqui?tude pour les Bancs de sable, qui ?toient marqu?s sur nos Cartes. Nous trouv?mes trente brasses, & puisant un seau de cette eau jaun?tre, nous reconn?mes que le go?t n'en ?toit pas diff?rent des autres eaux de la Mer. Le lendemain, qui ?toit le 14 d'Avril, nous continu?mes d'appercevoir les C?tes, & nous v?mes divers Oiseaux de la grandeur des Ramiers. L'eau ne nous parut plus jaune, elle ?toit verte & azur?e; nous ne trouv?mes aucun fond fur 70 brasses d'eau. Le 15 nous pr?mes un bon fond de sable sur 22 brasses, la sonde amena de petites pierres luisantes, ce qui nous fit croire qu'il y avoit l? quelque mati?re Min?rale. Le 16 nous e?mes un fond sur 70 brasses, & vers le Midi nous v?mes flotter autour de notre Vaisseau quantit? de bois. ? deux heures apr?s midi, la terre se montra fort clairement, & le Capitaine continuant sa route sans aucune marque d'embarras, me dit que nous n'avions aucune raison de nous en ?loigner. Une heure apr?s, nous v?mes du c?t? de la C?te, dont nous n'?tions plus gu?res qu'? douze mille, une Chaloupe ? voiles & ? rames, ?quipp?e de huit hommes. Nous les pr?mes d'abord pour des Chr?tiens, ?chapp?s de quelque orage, mais quand ils furent plus pr?s, nous les reconn?mes pour des N?gres. Ils jett?rent des cris en nous appercevant, nos gens en jetterent aussi; enfin nous ayant fait un signe d'amiti?, ils s'avancerent, & l'un d'eux nous fit une harangue assez longue, ? laquelle nous r?pond?mes sans l'entendre, & sans nous flater d'?tre entendus. Ensuite ils monterent hardiment sur notre Bord, leurs ?paules ?toient couvertes d'une peau de quelque animal sauvage; ils en portoient une autre autour des reins, qui leur couvrait les parties naturelles. Leur Orateur, qui paroissoit aussi leur Chef, ?toit habill? de noir, il avoit une culotte, des bas, des souliers, une ceinture, un chapeau, & deux ou trois de ses gens avoient aussi des habillemens ? la Chr?tienne. Ils se servirent d'un morceau de craye, pour nous faire le plan de la C?te voisine, en pronon?ant divers mots qui nous parurent en usage chez les Chr?tiens. Nous jugions m?me ? leurs mani?res, qu'ils nous entendoient mieux que nous ne croyions les entendre; & par leurs signes du moins ils s'effor?oient de nous assurer, que nous pouvions approcher de la terre sans aucun risque.

Nous n'avions pas d'autre besoin que de bois ? chauffer, dont nous avions fait mauvaise provision, parce que nous avions compt? sur un tems plus doux. Le Capitaine appercevant de beaux arbres, & d'agr?ables collines charg?es de bois, r?solut de mouiller derri?re un Cap qui s'avan?oit vers nous, & qu'il prit m?me pour une Isle. Nous y trouv?mes 15 brasses de fond, & toutes les apparences ?tant tranquilles, nous pr?mes le parti d'y passer la nuit. D?s le matin, nous descend?mes ? terre au nombre de douze, arm?s de fusils & de haches, pour couper du bois. Le rivage ?toit bas & sablonneux, mais en montant sur la premi?re colline qui n'en ?toit ?loign?e que d'un mille, nous f?mes surpris d'y trouver quantit? de pois & de fraises, & surtout une multitude ?tonnante de figuiers sauvages; le bois de chauffage que nous y pr?mes, ?toit du cypr?s & du bouleau. Le bruit de nos haches attira quelques N?gres, qui n'oserent s'approcher; ce qui nous confirma dans l'opinion, que les premiers n'?toient pas des habitans du m?me Pays, ou que s'ils ?toient Afriquains, ils ?toient de la C?te qui regarde l'Europe.

Nous eumes jusqu'au 24 une Navigation douce & paisible. Il n'y avoit personne dans le Vaisseau qui conn?t assez la G?ographie, pour nous faire prendre une autre id?e de ces parties de l'Afrique que par leur hauteur. ? 20 milles d'un Cap que nous quittions, nous trouv?mes une autre pointe, qui nous fit ?prouver pour la premi?re fois quelques mouvemens de crainte; car tandis que nous faisions des bord?es pour doubler ce passage, nous tomb?mes tout d'un coup dans un bas-fond, d'o? nous eumes une peine mortelle ? nous tirer. Nous port?mes ensuite le Cap vers la C?te, & nous mouill?mes ? l'entr?e de la nuit sur huit brasses de bon fond. J'?tois surpris de cette maneuvre du Capitaine, qui affectoit de ranger continuellement une C?te si dangereuse. Le tems ?tant fort beau, nous envoi?mes notre Chaloupe pour sonder au-del? d'un Banc de sable, pr?s d'une autre pointe. Le fond s'y trouva bon, & le Capitaine nous fit prendre aussi-t?t cette route. Avant la fin du jour, plusieurs petits Bateaux joignirent notre bord. Les N?gres qui les conduisoient avoient tous ? leurs oreilles des anneaux jaunes que nous pr?mes pour de l'or. Ce fut alors que je crus p?n?trer le dessein du Capitaine, & lui ayant communiqu? ma pens?e, il me confessa secr?tement que je ne me trompois pas dans ma conjecture. Il avoit appris d'un autre Capitaine Anglois, que dans plusieurs endroits de cette C?te, les N?gres avoient des amas consid?rables de poudre d'or, & qu'?tant sans commerce avec les Europ?ens, ils en connoissoient peu la valeur. La couleur de leurs anneaux ayant achev? de le persuader, il me recommanda le silence avec tous les Gens du Vaisseau, & me faisant esperer quelque occasion de nous enrichir, il se flatta que nous pourrions en profiter sans admettre personne ? notre secret.

Quoique nous ne pussions tirer aucun ?claircissement des N?gres, qui nous avoient abord?s, nos propres observations nous firent juger que cette C?te ?toit fort peupl?e. Outre beaucoup de fum?e que nous appercevions du c?t? de la terre, nous crumes d?couvrir quantit? de N?gres qui couroient le long du rivage. La douceur des premiers fit prendre au Capitaine une id?e favorable de leur Nation. D'ailleurs il falloit risquer quelque chose avec de si grandes esp?rances. Il me d?clara d'un air ferme que sa r?solution ?toit de se mettre dans la Chaloupe avec cinq ou six de ses Matelots les plus stupides, & il me demanda si je me sentois assez de courage pour l'accompagner. Le regret que j'avois d'abandonner ma femme & mes enfans, me fit na?tre d'abord quelques objections; mais consid?rant aussi que le Ciel m'offroit peut-?tre une occasion que je ne retrouverois jamais, je ne mis qu'une condition ? notre entreprise: ce fut d'arr?ter dix des onze N?gres qui ?toient mont?s dans notre Bord, apr?s les avoir trait?s assez civilement, pour leur faire comprendre que notre dessein n'?toit pas de leur nuire, & d'emmener avec nous l'onzi?me, qui ne manqueroit pas de rendre t?moignage de notre conduite & de nos intentions. Ma pens?e ?toit de nous pr?cautionner contre la trahison, en gardant ainsi des Otages; & le danger d'irriter toute la Nation par cette espece de violence, me paroissoit bien moindre que celui de nous livrer sans aucune sorte de pr?cautions. Ayant fait go?ter cet avis au Capitaine, nous offr?mes des rafra?chissements aux N?gres, nous leur fimes divers pr?sens que nous accompagn?mes de beaucoup de caresses, & t?chant de leur faire comprendre notre dessein par nos signes, nous les laiss?mes dans notre Bord apr?s avoir donn? ordre ? nos Gens de ne pas se rel?cher de leurs civilit?s. Celui que nous f?mes descendre avec nous dans la Chaloupe avoit le visage peint de rouge, & la t?te entour?e de plumes, ce qui nous le fit prendre pour un homme de quelque rang dans sa Nation. Il marqua si peu de r?sistance ? nous suivre & ? laisser derriere lui ses Compagnons, que ne doutant plus qu'il n'eut p?n?tr? nos sentimens, nous ne f?mes aucune difficult? de suivre la route qu'il nous marqua pour gagner le rivage. ? mesure que nous avancions, le nombre des N?gres nous paroissoit augmenter sur la C?te, et commen?ant ? les appercevoir distinctement, nous juge?mes que c'?toit l'admiration qui les attiroit pour nous voir arriver. Le Capitaine s'?toit muni de plusieurs petits Miroirs, de quelques paires de Cizeaux, & d'un grand nombre de Mouchoirs de toile rouge. Il mit un de ces Mouchoirs au cou du N?gre qui nous accompagnoit. Il lui avoit d?ja donn? un Miroir, qui lui avoit paru un pr?sent merveilleux, & dans lequel il ne se lassoit point de se regarder.

Nos armes ?toient nos ?p?es, des Fusils & des Haches, que nous avions cru devoir porter particulierement ? toutes sortes de hazards. Nous ?tions sept, en y comprenant le Capitaine & moi. En arrivant au rivage, qui ?toit bord? d'une foule de N?gres, nous ?tend?mes les mains en signe de paix & d'amiti?. Mais notre Guide nous ?pargna l'embarras de nous expliquer davantage. Ayant saut? ? terre aussi-t?t, ou pl?t?t s'?tant ?lev? dans l'eau qu'il avoit encore jusqu'? la ceinture, il d?t faire en peu de mots un r?cit bien favorable ? tous ceux qu'il rencontra, puisqu'il s'?leva des cris & des t?moignages de joie qui ne purent nous paro?tre ?quivoques. Nous f?mes re??s effectivement comme des Anges du Ciel. Plusieurs N?gres, qui paroissoient distingu?s entre leurs Compagnons, nous offrirent la main pour nous aider ? descendre de la Chaloupe, & remarquant que nous faisions passer le Capitaine ? notre t?te, ils con??rent que c'?toit lui qu'ils devoient regarder comme notre Chef.

Ils nous conduisirent jusqu'? leur Habitation, qui n'?toit qu'? un demi mille du rivage. Quoique les t?moignages de leur amiti? ne se d?mentissent point sur la route, leur curiosit? nous ?toit souvent incommode. Ils vouloient voir nos ?p?es & nos Fusils. Ils examinoient la figure de nos Habits. Ils nous prenoient les mains, comme s'ils en eussent admir? la couleur. Le Capitaine ayant refus? de leur abandonner son Fusil & son ?p?e, nous suiv?mes son exemple; ce qui n'emp?choit point qu'ils ne portassent continuellement la main ? nos armes, pour y fixer plus curieusement leurs yeux. Enfin nous arriv?mes ? leur Bourgade, qui n'?toit qu'un mis?rable assemblage de Cabanes sans ordre, & la pl?part compos?es de terre & de branches d'arbres. Nous cr?mes entendre par leurs signes qu'il y avoit plus loin une Habitation nombreuse & mieux b?tie, o? leur Roi faisoit apparemment sa r?sidence. Le Pa?s n'?tant point couvert par des Montagnes, ni par des Bois, comme celui dont nous avions approch? trois jours auparavant, il ?toit si sec & si st?rile, qu'? peine avions-nous apper?? quelques arbres, & quelques traces de verdure dans le chemin que nous avions fait depuis la Mer.

Toute la Nation, hommes & femmes, ?toit nu? jusqu'? la ceinture, & n'?toit couverte autour des reins que d'une large bande de peau, dont le poil avoit ?t? coup? ou br?l?. La pl?part portoient des anneaux aux oreilles, & l'avidit? du Capitaine augmentant ? cette v??, il avoit d?j? fait entendre ? quelques N?gres, que pour leurs anneaux il donneroit volontiers un petit Miroir ou une paire de Cizeaux. Il en obtint ainsi quelques-uns, & se persuadant, plus il les consid?roit, que c'?toit v?ritablement de l'or, il m'avertissoit ? voix basse que nous touchions au tems de la fortune. Je ne pouvois rien opposer ? cette pr?vention. Cependant mes yeux ne me rendoient pas le m?me t?moignage que les siens, & la couleur du m?tail qui me paroissoit un jaune beaucoup plus fonc? que l'or, me laissoit des soup?ons. J'essayai m?me de plier quelques anneaux, & la facilit? avec laquelle ils c?d?rent ? des efforts assez m?diocres, augmenta mon incr?dulit?. Un Chef des N?gres, qui ?toit, sans doute, le premier de l'Habitation, nous ayant fait entrer dans sa Cabanne, on nous y offrit des Viandes cru?s, avec une Liqueur dont nous ne p?mes boire apr?s en avoir go?t?. Mais nous mange?mes volontiers d'une esp?ce de fruit, qui avec moins de grosseur que nos Melons, en avoit ? peu pr?s le go?t & la couleur. Notre confiance augmentant pour des H?tes si doux & si caressans, nous ne f?mes plus difficult? de laisser manier nos armes ? celui qui nous traitoit. Il nous parut qu'il ne connoissoit point l'usage de nos fusils; mais le plaisir qu'il prenoit ? consid?rer nos haches, nous ayant fait juger qu'il en concevoit l'utilit?, le Capitaine lui offrit la sienne qu'il accepta avec des transports de joie; & pour ne laisser rien manquer au pr?sent, nous y joign?mes deux miroirs, & quatre mouchoirs de toile rouge.

Les N?gres avoient fort bien compris que leurs anneaux nous plaisoient. Nous f?mes agr?ablement surpris ? la fin du repas, de nous en voir offrir deux ou trois poign?es, que le Chef tira lui-m?me d'un trou pratiqu? dans le mur. Nous ne nous f?mes pas presser pour les recevoir, & le Capitaine charm? de cette galanterie, r?solut aussi-t?t d'en marquer sa reconnoissance avec ?clat. Il avoit observ? sur le Vaisseau que rien n'avoit fait plus de plaisir aux N?gres, que l'Eau-de-vie qu'on leur avoit fait boire, & quelques pi?ces de Boeuf sal? qu'on leur avoit abandonn?es sans pr?paration. Il fit partir deux de nos Gens, accompagn?s du N?gre qui nous avoit conduits, avec ordre d'apporter du Vaisseau un baril d'Eau-de-vie, & un tonneau de viande sal?e. Il recommanda qu'on y joign?t du Biscuit pour notre propre usage; & le N?gre qui nous avoit servi de Guide, comprenant par nos signes qu'il alloit apporter de cette Liqueur dont il avoit pris tant de plaisir ? boire, ne manqua point de r?pandre une si bonne nouvelle. Il fut suivi jusqu'au rivage par un grand nombre de ses Compagnons, qui marquerent beaucoup d'envie d'entrer dans la Chaloupe; mais l'ordre ?toit donn? de n'y recevoir que lui, & n'ayant point dout? que les plus curieux ne se missent dans leurs petits Bateaux pour gagner notre Bord, le Capitaine avoit ordonn? aussi que sans employer aucune violence, on leur perm?t seulement d'approcher au pied du Vaisseau, afin qu'ils pussent apprendre de leurs Compagnons avec quelles caresses on les y avoit retenus.

Pendant ce tems-l?, nous raisonnions, le Capitaine & moi, non sur la qualit? du M?tail, que nous ?tions r?solus d'emporter malgr? mes doutes, mais sur les moyens de nous en procurer la plus grande quantit? qu'il nous seroit possible. Nous aurions souhait? de pouvoir d?couvrir d'o? les N?gres le tiroient, & nous balan??mes dans cette pens?e si nous ne devions pas p?n?trer plus loin dans les terres, pour gagner cet autre lieu o? nous avions cr? comprendre que r?sidoit leur Chef. Mais quelle apparence de nous ?loigner du Vaisseau, & de porter la confiance ? ce point pour des Barbares? Nous travers?mes n?anmoins l'Habitation, pour en observer les environs, du c?t? oppos? ? la Mer. Nous n'y trouv?mes que des champs st?riles, ? la r?serve de quelques langues de terre qui paroissoient cultiv?es dans les fonds, & qui servoient de p?turage ? diff?rentes sortes d'animaux. Nous en d?couvr?mes de beaucoup plus ?tendu?s ? mesure que nous avancions; & la seule curiosit? nous y auroit conduits pour observer quelle sorte d'herbes ou de grains elles produisoient, si nous n'avions ?t? frapp?s tout d'un coup par la v?? d'une grande Rivi?re, dont nous n'avions encore apper?? ni le lit, ni l'embouchure. Nous tourn?mes aussi-t?t de ce c?t?-l?, & quelques petites collines, qui nous avoient jusqu'?lors d?rob? la perspective, s'abaissant bien-t?t devant nous, nos regards eurent une carriere sans fin pour s'?tendre. Nous v?mes dans l'?loignement, non-seulement de vastes For?ts, mais des Prairies immenses, ou du moins des terres couvertes de de verdure. La v?? se perdoit ? remonter la Rivi?re, & quantit? de Bateaux qui la descendoient ou qui ?toient attach?s au long des rives, ne nous permirent pas de douter qu'il n'y eut quelque relation de commerce entre les Habitans du Pa?s. Ayant gagn? le bord de l'eau, nous y trouv?mes deux Barques charg?es d'onze ou douze N?gres qui ?toient arm?s d'arcs & de fl?ches. Ils s'occupoient ? mettre ? terre deux Taureaux qu'ils paroissoient avoir tu?s ? coup de Fl?ches, & quantit? d'autres animaux sauvages; ce qui nous fit juger qu'ils revenoient de la chasse, & que la Rivi?re leur servoit ainsi ? rapporter leur proie des For?ts. Sa largeur ?toit au moins d'un demi mille. Entre plusieurs autres Bateaux que nous v?mes passer, nous remarqu?mes que les uns ?toient charg?s aussi d'animaux tu?s, & d'autres de bois & de branches d'arbres. L'attention de notre Capitaine s'attachoit moins ? ce spectacle, qu'? examiner le sable de la Rivi?re d'o? il soup?onnoit que les N?gres tiroient la mati?re de leurs anneaux. Il en prit plusieurs poign?es, qu'il passoit soigneusement dans ses doigts; & quelques pailletes jaun?tres qui refl?tent sur sa main ne lui permettant plus de m?conno?tre ce qu'il cherchoit, il les approcha de l'oreille d'un N?gre, pour lui faire entendre qu'il croyoit leurs anneaux du m?me m?tail. Ce N?gre, qui ?toit celui dont nous avions re?u des rafra?chissemens, comprit tout d'un coup sa pens?e; & nous faisant descendre au long de la Rivi?re l'espace d'environ deux milles, il l'attira dans un endroit fort sablonneux, o? nous d?couvr?mes tout d'un coup ce qu'il vouloit nous faire remarquer. C'?toit un grand nombre de claies fort serr?es, qui formoient diff?rens angles, & qui en donnant passage ? l'eau, pouvoient retenir les petits corps ?trangers qu'elle charioit avec elle. Mais l'id?e que nous avions du sable d'or ne s'accordoit point encore avec ces machines; car il n'?toit pas vraisemblable qu'il p?t ?tre arr?t? par des claies, qui toutes serr?es qu'elles ?toient, ne retenoient pas le sable ordinaire. Cependant l'ardeur du Capitaine lui ayant fait examiner toutes ces claies, tandis que les N?gres qui ?toient avec nous faisoient de leur c?t? les m?mes recherches, il s'y trouva, non pas du sable d'or, comme nous nous l'?tions imagin?, mais quelques petits lingots de diff?rente forme & de grosseur in?gale, dont l'un n'?toit gu?res moins ?pais que le petit doigt de la main, sur la longueur d'environ deux pouces. Quoiqu'il ne f?t point sans m?lange, nous le reconn?mes si clairement pour un m?tail, qui ressembloit ? celui des anneaux, que le Capitaine ne put mod?rer sa joie. Il me fit observer que la grossieret? des N?gres leur faisoit sans doute n?gliger la poudre d'or qu'ils ne pouvoient convertir ? leur usage, & que s'attachant aux lingots dont ils composoient leurs anneaux, ils m?prisoient absolument le reste. Comme il ne s'en trouvoit qu'un fort petit nombre, nos esp?rances paroissoient r?duites aux anneaux des N?gres, dont nous ?tions bien r?solus de ne laisser derri?re nous que ce qu'ils refuseroient de changer contre nos Marchandises; ? moins que nous ne p?ssions nous m?nager la libert? de passer quelque tems dans le Pa?s, & d'employer notre industrie sur la Rivi?re avec plus de soin & de discernement, que les N?gres.

Cependant lorsque nous f?mes retourn?s ? l'Habitation, il nous vint ? l'esprit, que recueillant sans cesse ce qui se trouvoit dans leurs claies, ils pouvoient avoir quelque amas de ce pr?cieux m?tail, & notre curiosit? du moins nous faisoit souhaiter d'apprendre s'ils le changeoient aussi-t?t en anneaux, & quelle m?thode ils avoient pour lui donner cette forme. Les Gens que nous avions envoy?s au Vaisseau en ?toient revenus dans notre absence, avec ce que nous leur avions ordonn? d'apporter. Ils n'avoient pas eu peu d'embarras jusqu'? notre retour, ? repousser les N?gres qui vouloient faire l'essai de nos provisions. Mais nous ne p?mes douter que celui qui nous avoit accompagn?s ne f?t leur Chef, lorsqu'? son arriv?e toute la foule qui environnoit nos Gens se dissipa. Nous lui offr?mes aussi-t?t un verre d'Eau-de-vie, qu'il ne voulut prendre qu'apr?s nous avoir v? boire avant lui. Il en fut si satisfait, quoiqu'il ne l'e?t pas b? sans faire quelques grimaces, qu'il s'en fit donner un second verre; & loin d'en offrir aux autres, il se h?ta de prendre quelques grands vaisseaux de terre dans lesquels il vuida le baril, & ne les serra pas moins promptement dans un trou de sa Cabane. Notre boeuf sal? flatta beaucoup aussi son go?t. Il vuida de m?me le tonneau, en examinant successivement toutes les pi?ces, & la satisfaction qui parossoit sur son visage marquoit la joie qu'il ressentoit de notre pr?sent. Le Capitaine prit ce moment pour lui t?moigner par des signes que nous pouvions lui renouveller la m?me faveur, & ne perdant pas de v?? nos propres int?r?ts, il s'effor?a de lui faire entendre, en lui montrant les petits lingots & les anneaux, que l'eau-de-vie & le boeuf sal? ne seroient point ?pargn?s ? ceux de qui nous recevrions de l'or. La nature ne manque point d'?loquence dans ses signes lorsqu'il est question d'exprimer ce qu'elle d?sire avec beaucoup d'ardeur. Le N?gre nous entendit, & nous faisant passer dans une autre Cabane qui touchoit ? la sienne, il nous y fit voir un tas de ces petits lingots pour lesquels notre passion ?toit si vive. Un mouvement d'avidit? naturelle porta d'abord le Capitaine ? remplir ses poches de ce pr?cieux m?tail; mais la charge devenant bien-t?t trop pesante, je lui fis faire attention que si le N?gre ne nous ?toit pas la permission, qu'il paroissoit nous accorder, il ?toit beaucoup plus simple de commencer par remplir le tonneau & le baril qui ?toient demeur?s vuides dans la Cabane voisine. Je les fis apporter par nos Gens, & tandis que notre Capitaine ass?roit le N?gre, par de nouveaux signes, que nous lui donnerions du Boeuf sal? & de l'Eau-de-vie pour ces lingots, je remplis nos deux tonneaux de ce que je p?s d?m?ler de plus pr?cieux dans le tas. On n'y fit pas la moindre opposition. Les Mouchoirs, les Cizeaux, les Miroirs, une ?p?e & deux Haches, dont le Capitaine fit un autre tas qu'il offrit au N?gre, parurent ? ce Barbare un ?quivalent fort sup?rieur ? des richesses dont il ne connoissoit pas le prix.

La difficult? ?toit de transporter avant la nuit une proie si riche, mais si pesante, jusqu'? la Chaloupe. Cette entreprise nous co?ta beaucoup de peine & de tems. Il fallut rouler les tonneaux sur des troncs d'arbres que nos Haches rendirent propres ? cet office. Enfin nous gagn?mes le rivage, & renouvellant nos caresses au Chef des N?gres, qui n'avoit pas cess? de nous accompagner, nous retourn?mes au Vaisseau avec celui qui nous avoit d'abord servi de Guide. Loin de manquer ? nos promessess, nous ?tions r?solus d'envoyer le m?me soir ? de si honn?tes gens, deux tonneaux de Viande sal?e, & deux barils au lieu d'un, bien persuad?s que le lendemain ils nous reviendroient pleins de lingots. Ce fut en effet notre premier soin en arrivant ? bord. Nous pr?mes aussi le parti de renvoyer les dix N?gres que nous avions retenus pour otages. Le Capitaine joignit ? son pr?sent une piece de Drap, & quelques ustenciles plus commodes que pr?cieux, dont il ne douta point que les Sauvages ne fissent autant de cas que des Miroirs.

Nous pass?mes la nuit dans les plus agr?ables id?es du monde, & l'impatience de voir augmenter le lendemain nos richesses, ne nous permit pas de fermer un moment les yeux. ? peine v?mes-nous les premiers rayons du jour, que nous pr?parant ? regagner la terre, nous faisions d?ja disposer la Chaloupe, lorsque nous d?couvr?mes entre la terre & nous, une prodigieuse quantit? de Bateaux qui nous parurent charg?s de N?gres. Quoique la confiance f?t ?tablie sur de si bons fond?mens entre ces Barbares & nous, la prudence demandoit quelques pr?cautions. Le Capitaine ayant fait retirer la Chaloupe, donna ordre que toutes les armes fussent pr?par?es. Nous n'avions que dix mauvaises pi?ces de Canon, quoique le Vaisseau f?t perc? pour trente. Mais nous ne manquions ni de Fusils, ni de Pistolets. Les N?gres s'approchant ? mesure que le jour s'?claircissoit, nous remarqu?mes qu'ils ?toient tous arm?s d'Arcs & Fl?ches, & comptant plus de cent Bateaux, sur chacun desquels il n'y avoit pas moins de sept ou huit hommes, il nous parut trop certain qu'une troupe si nombreuse ne venoit point avec de favorables intentions. Notre conjecture fut qu'ayant ?t? tent?s par nos pr?sens, ils avoient fait r?flexion pendant la nuit qu'ils pouvoient se rendre ma?tres de notre Vaisseau; ou que la nouvelle de notre arriv?e s'?tant r?pandu? jusqu'? des Habitations plus ?loign?es, d'autres N?gres, ou leur Roi m?me, s'?toient h?t?s de descendre la Rivi?re pour avoir part au butin.

Ils n'?toient plus qu'? la port?e du fusil. La Mer ?toit tranquille, & tous nos signes d'amiti? n'emp?chant point qu'ils ne se serrassent fort adroitement pour avancer, il ne nous resta plus aucun doute que leur dessein ne fut d'en venir ? l'attaque. Dans cet embarras, le Capitaine se fiant peu ? la d?fense de trente deux hommes, qui composoient notre ?quipage, contre une troupe de sept ou huit cens Barbares, esp?ra de les ?pouvanter par le bruit. Il fit faire une d?charge g?n?rale de notre artillerie, & quoiqu'il nous cr?v?t quatre pi?ces de Canon d?s le premier coup, cet exp?dient fit un effet merveilleux. Les Barbares, qui vraisemblablement n'avoient jamais eu aucune connoissance des armes ? feu, furent si constern?s de ce bruit & du m?lange de la fum?e & des flammes, que la pr?cipitation de leur fuite rendit t?moignage ? leur crainte. Nous en v?mes tomber quelques-uns dans la Mer, & ne pouvant attribuer leur ch?te ? nos balles, puisque l'ordre ?toit de ne pas tirer vers eux, nous n'en accus?mes que leur frayeur. Toutes nos allarmes se chang?rent en ris?e; mais apr?s cette avanture, nous concl?mes que soit par la d?fiance des Sauvages ou par la n?tre, nous devions renoncer ? tout espoir de renouer avec eux, & nous ?loigner d'une C?te o? nous ne pouvions rien obtenir par la force. Ce ne fut pas n?anmoins sans avoir pris toutes sortes de connoissances & de mesures maritimes pour nous ass?rer quelque jour le pouvoir d'y revenir.

Un vent de terre fort imp?tueux aida bien-t?t notre r?solution. Il devint si violent ? neuf heures du matin, que nous f?mes oblig?s de caller toutes nos voiles, & de nous abandonner pendant tout le reste du jour ? la fureur de l'orage. Notre grand m?t fut bris? avec un fracas ?pouvantable. L'obscurit? s'?tant r?pandu? de bonne heure, nous trembl?mes ? l'entr?e de la nuit pour le sort de notre Vaisseau, dans une Mer sans bornes & sans fond. Si nous avions eu quelque reproche ? nous faire dans notre commerce avec les N?gres, nous aurions regard? une temp?te si furieuse, comme un ch?timent. Le vent changeoit ? chaque instant, sans rien perdre de sa violence. Notre Vaisseau ?tant sans cesse couvert par les flots, & les secousses que nous ?prouvions continuellement ?toient si terribles, que la seule agitation de l'air ne nous permettoit pas de tenir une chandelle allum?e. Nous pass?mes pr?s de dix heures dans cet affreux ?tat, n'attendant qu'une mort in?vitable. La lumi?re du jour diminua un peu l'horreur de notre situation; mais elle ne changea rien ? l'imp?tuosit? du vent, qui continua de faire son jouet de notre Vaisseau pendant cinquante-quatre heures. Tout l'art de nos Matelots s'?tant ?puis? dans leurs premiers efforts, rien n'?toit si triste que de voir, & le Capitaine & tout l'?quipage, couch?s le visage contre le plancher du Vaisseau, roulant quelquefois les uns sur les autres, ou se chocquant ? chaque secousse que le Vaisseau recevoit des flots, & n'esp?rant plus que du Ciel l'assistance qui ne pouvoit nous venir d'aucun secours humain. Personne ne pensant ? manger ni ? boire dans une si terrible extr?mit?, je fus peut-?tre le seul qui eut l'attention de prendre quelque liqueur forte & d'en faire avaller ? ma femme & ? mes enfans. J'avois ?t? oblig? de les lier aux piliers de ma Cabane, sans quoi ils auroient couru mille fois risque de se tuer contre les planches, ou l'un contre l'autre.

Enfin le Ciel, qui ne vouloit mettre que notre constance ? l'?preuve, nous d?livra de la plus horrible temp?te dont on puisse prendre l'id?e dans l'histoire ou dans les r?cits des Matelots. Mais en revenant de cette espece de mort, nous nous trouv?mes aussi embarrass?s que des gens qui ne feroient qu'arriver ? la vie. La pl?part de nos instrumens de marine ?toient bris?s, jusqu'? notre Boussole qui ne se trouvoit plus en ?tat de nous servir. Cependant l'?tat o? nous ?tions pass?s nous paroissant d?licieux apr?s celui dont nous ?tions sortis, nous pens?mes moins ? r?gler notre route qu'? prendre les alimens qui nous ?toient devenus si n?cessaires, & ? r?parer les dommages du Vaisseau. Pendant cinq jours & cinq nuits que dura, ou la temp?te, ou cette esp?ce de d?lassement que nous pr?mes apr?s nos peines, en continuant de suivre, comme au hazard, la direction du vent; nous cr?mes qu'une navigation si aveugle & si violente, n'avoit p? manquer de nous faire parcourir une bonne partie du Globe. Cependant vers le midi du sixi?me jour, un de nos Matelots ayant cri? qu'il voyoit la terre, d'autres gens de l'?quipage qui avoient fait le Voyage d'Angleterre en Am?rique nous ass?r?rent que la terre qui se pr?sentoit effectivement devant nous ?toit une des Isles Canaries, nomm?e Ferro. Nous sond?mes aussi-t?t, & nous trouv?mes trente brasses. L'?tat de notre Vaisseau nous faisant juger tout lieu du monde propre ? le r?tablir & ? nous reposer, nous ne balan??mes point ? tourner nos voiles vers la terre. Un grand nombre d'oiseaux que nous commen??mes ? voir autour de nous, acheva de nous rendre le courage. Nous n'?tions plus qu'? deux lieu?s de l'Isle, lorsque nous d?couvr?mes un Vaisseau, qui paroissoit en avoir fait le tour, pour gagner apparemment, comme nous, le Port que nous cherchions. Nous ayant d?couvert en m?me-tems, il arbora aussi-t?t le Pavillon Anglois; & voyant le n?tre, que nous f?mes paro?tre au moment, il nous salua de deux coups de Canon, que nous ne p?mes lui rendre dans le d?sordre o? ?toit notre artillerie. Mais notre Capitaine, qui ?toit bien aise de prendre langue avant que d'entrer dans l'Isle, me proposa de descendre dans la Chaloupe, & d'aller faire ses excuses ? nos Compatriotes, que nous cr?mes aussi maltrait?s que nous par la temp?te. J'acceptai volontiers cette commission. Le Vaisseau qui venoit ? nous ?toit Marchand comme le n?tre. Il se nommoit la Trinit?, & le Capitaine M. Flint. Sans avoir souffert autant que nous, il avoit besoin de quelques r?parations, qui lui avoient fait choisir l'Isle de Ferro, pl?t?t que celle de Canarie, dans l'esp?rance de s'y radouber ? meilleur march?. Nous entr?mes ensemble dans la Rade, qui est naturellement s?re & commode, & qui pourroit le devenir encore plus avec quelque secours de l'art. La Bourgade qui en occupe les bords, n'est compos?e que d'Artisans, de P?cheurs & de Vignerons; l'Isle n'a gu?res d'autres propri?t?s que de porter d'excellent raisin & d'autres fruits. Elle est sans Rivi?re, & m?me sans aucune source d'eau, du moins si ce n'en est pas une que l'Arbre qu'on nous fit voir, & d'o? l'eau coule continuellement dans des r?servoirs dont on ne nous permit point d'approcher. Les Habitans pr?tendent que cette eau descend d'une Nu?e que nous v?mes effectivement au-dessus de l'arbre, & qui se r?sout continuellement sur les feuilles d'o? elle coule dans les r?servoirs. Ils donnent ? cet arbre le nom de Saint. La grosseur du tronc paro?t ?tre d'environ dix pieds. Il est d'une hauteur m?diocre; mais la circonf?rence de ses branches est fort ?tendu?; & son fruit, qui est une esp?ce de gland, nous parut d'un excellent go?t. Cependant le soin qu'on a d'en ?carter les ?trangers, nous fit croire que cette eau merveilleuse qu'on fait descendre du Ciel, vient de quelque source dont on a d?termin? le cours vers le pied de l'Arbre, ou qui en sort naturellement.

Pendant qu'on travaillent ? r?parer les deux Vaisseaux, M. Flint nous apprit les circonstances de son Voyage, & celles de la temp?te qu'il avoit essuy?e. Il venoit des parties m?ridionnales de l'Am?rique, o? il ?toit all? de Carthag?ne pour recueillir des sommes consid?rables qui lui ?toient dues dans divers Ports. Comme il avoit fait un long s?jour ? Carthag?ne, il nous communiqua des Observations si curieuses sur la situation de cette fameuse Ville & sur l'?tat de son commerce, que l'int?r?t commun ? tous les Anglois de conno?tre un des principaux centres de leurs affaires, me fit souhaiter de prendre une copie de ses M?moires. Je la placerai ici, telle qu'il eut la bont? de me l'accorder.

MEMOIRE

Sur la Situation & le Commerce de Carthag?ne

Carthag?ne est divis?e en haute & basse Ville. La Ville haute, qui est proprement la Cit?, est b?tie dans l'Isthme; elle s'y ?tend environ trois quarts de mille. Dans cet endroit il tend au Nord-Est & au Sud-Ouest, sur un mille de largeur; apr?s quoi faisant un coude d'un mille & demi au Sud-Ouest, il reprend ensuite au Sud-Est, environ l'espace d'un demi mille; mais imm?diatement au-dessus & au-dessous de la Cit?, il n'est ?tendu que de quelques pas plus qu'elle. En un mot la Cit? couvre toute la largeur de l'isthme, & commence ? l'entr?e du Canal; de sorte qu'au Nord-Ouest elle est arros?e par la Mer, & ? l'Est par le Canal, dans lequel la Mer entre aussi du Port.

Apr?s la d?couverte de ce Port les Espagnols y aborderent souvent, & firent la guerre aux Indiens, mais sans y former d'?tablissement, quoiqu'ils l'eussent entrepris plusieurs fois. Enfin l'ann?e 1527 Dom Pedro de Eredia eut ordre d'y b?tir une Ville, & la commen?a; elle fut achev?e huit ans apr?s par Georges Robledo.

Xemani est d'une fondation plus r?cente, car le Colonel Beeston n'en parle point dans son Voyage de Carthag?ne en 1671, & ce silence s'accorde fort bien avec les plus anciens M?moires qu'on a de cette Place; o? l'on observe que de la Cit? l'on passoit aux Marais de Canapot? sur un Pont, ou sur une sorte de Chauff?e longue de deux cent pas, o? l'on avoit pratiqu? deux arches, pour le passage du flux & du reflux.

Carthag?ne est une tr?s-belle Ville, & la plus belle apr?s M?xico, de toute la Partie Orientale de l'Am?rique. Elle est compos?e de cinq grandes ru?s, dont chacune a pr?s d'un demi mille de longueur; les maisons sont de pierre, & fort bien b?ties. Une ru? plus longue & plus large que toutes les autres, traverse la Ville entiere, & forme une grande Place au centre. On y compte cinq ?glises, outre la Cath?drale qui s'?leve au-dessus de tous les autres ?difices, & qui ne renferme pas moins de richesses dans son sein, qu'elle ?talle de magnificence au dehors; onze Maisons Religieuses de l'un & de l'autre sexe; une magnifique Maison de Ville, & un ?difice qui ne l'est pas moins pour la Douane. En un mot les B?timens y sont g?n?ralement d'une beaut? extraordinaire. Elle est fort peupl?e, pour une Ville Espagnole d'Am?rique; on fait monter le nombre des Habitans ? plus de vingt-quatre mille, dont plus de quatre mille sont Espagnols, & le reste N?gres & Mul?tres; tous si ais?s, qu'ils passeroient pour riches dans tout autre lieu du monde.

On apporte tous les ans ? Carthag?ne, sur de petites Fr?gates, la plus grande partie de l'Indigo, de la Cochenille, & du Sucre, qui se tire de la Province de Guatemala. Les Espagnols trouvent plus de s?ret? ? faire passer toutes ces richesses au travers du Lac de Grenade jusqu'? Nicaragua, & par cette voie jusqu'? Carthag?ne, o? les Gallions s'en chargent pour l'Espagne, qu'? les envoyer par les Vaisseaux de Honduras, qui ont ?t? fort souvent enlev?s par les Hollandois, comme ces Fr?gates pourroient l'?tre par les Anglois, si les Espagnols n'avoient chass? ceux-ci de l'Isle de la Providence dont ils ?toient oblig?s de s'approcher trop dans leur course.

Cette forte de commerce devint ?galement pernicieuse au revenu du Roi d'Espagne, & aux int?r?ts des Marchands de bonne foi. La Cour d'Espagne n'y apportant aucun rem?de, quoiqu'elle n'ignor?t point la grandeur du mal, il fut bien-t?t impossible au Gouverneur de Carthag?ne de soutenir l'int?r?t de sa Nation. On vit paro?tre les Hollandois avec des Vaisseaux de vingt, de trente & de trente-six Canons. Les Anglois se pr?sentoient de leur c?t? avec de grandes Chaloupes, & des Brigantins de huit, de dix, de seize Canons, & quelquefois m?me avec des Vaisseaux de la premi?re force; de sorte qu'ils se trouverent en ?tat de prot?ger les Canots contre les Chaloupes Espagnoles lorsqu'elles entreprirent de les surprendre. ? la fin m?me il auroit ?t? difficile aux Espagnols de se saisir des Canots quand ils n'auroient trouv? personne pour les d?fendre; car les Contrebandiers, inform?s par les espions qu'ils avoient sur le rivage, ne faisoient pas difficult? de r?sister aux Officiers du Roi, & les maltrait?rent dans plusieurs occasions. Ainsi la contrebande s'exer?oit ouvertement ? la v?? de la Ville, & fut port?e si loin, qu'elle diminua beaucoup le commerce des Gallions, sur-tout pour les Provinces de Carthag?ne, de Santa Marta, Papagan, Grenade & Venezuela, qui se trouverent fournies par ces voies indirectes de toutes les marchandises d'Europe dont elles avoient besoin.

Les Habitans des cantons voisins de Carthag?ne sont les plus fiers & les plus intraitables de tout le Pa?s. Jamais les Espagnols n'ont p? les faire entrer dans aucun trait?, ni dans aucune association de commerce. Ils n'y ont trouv? que des ennemis cruels, toujours dispos?s ? les attaquer, & qui ne font pas difficult? d'empoisonner leurs fl?ches pour en rendre les blessures incurables; si adroits d'ailleurs ? se servir de leur arc, qu'ils tuent d'un coup de fl?che aussi s?rement que les Espagnols d'un coup de mousquet. La pl?part ont ?t? d?truits dans divers combats, ou se sont retir?s plus loin dans les terres; mais les Espagnols ont tir? peu d'avantage de leur victoire, parce que le Pa?s demande un grand nombre d'Habitans pour le cultiver, & plus encore pour le d?fendre. Aussi seroit-il peu capable de d?fense s'il ?toit attaqu? avec vigueur, & surtout si l'on se m?nageoit l'assistance des anciens Habitans, qui seroient charm?s d'en chasser les Espagnols ? toute sorte de prix.

Suivant les Observations du Pere Feuill?e de l'ann?e 1705, qui ont ?t? v?rifi?es par celles de Dom Juan de Herrera en 1722, 1723 & 1724, la longitude de Carthag?ne ? l'Occident de Paris est de 77. degr?s 46. minutes 15. secondes, & par cons?quent de Londres 75 d. 21. m. 15. s. La latitude observ?e la m?me ann?e par Feuill?e, ?toit de 10. degr?s 30. m. 35. s. Mais Herrera dans ses calculs des ann?es 1709 & 1719, n'a trouv? que 10. degr?s 26. m. 35. s. Cette Observation paro?t la plus exacte, parce que suivant celle de Feuill?e ? Bocachica, dont il trouva que la latitude ?toit de 10. degr?s, 20. m. 24. s. il se trouveroit dix minutes de diff?rence entre la Ville & Bocachica, ce qui feroit dix milles g?ographiques; tandis qu'il est certain que Bocachica & la Ville ne sont ?loign?es que de sept milles & demi. Suivant les Cartes de Pople & de Moll, la latitude de Carthag?ne est de 10. degr?s 34. m. & la longitude de 76. degr?s 35. m. C'est une erreur d'un degr? 14. m. dans laquelle ces deux Auteurs sont tomb?s par pr?cipitation, ou par ignorance.

? ce M?moire, le Capitaine ajo?ta une Relation fort curieuse de la prise de Carthag?ne en 1585 par le Chevalier Drake. Il la tenoit de son pere, qui servoit alors dans la Flotte Angloise, & qui avoit ?crit les ?venemens dont il avoit ?t? t?moin.

Les Hollandois ayant offert ? la Reine Elisabeth de la reconno?tre pour leur Souveraine, cette grande Princesse fit de s?rieuses r?flexions sur leurs offres, & consid?rant les troubles que l'Espagne avoit suscit?s dans ses ?tats depuis le commencement de son r?gne, la haine mortelle des Espagnols pour ses Sujets & pour sa Religion, les ressentimens particuliers dont leur Roi ?toit anim? contr'elle, & les violences qu'il avoit exerc?es nouvellement en faisant saisir dans ses Ports les Vaisseaux & les marchandises des Anglois; enfin plus excit?e encore par les ambitieux desseins de Philippe II, elle r?solut, de l'avis de son Conseil, de recevoir les Hollandois sous sa protection, & de les assister de toutes ses forces suivant l'engagement des anciens Trait?s. Mais elle refusa la Souverainet? de leur Pa?s, & formant au contraire des v??s beaucoup plus nobles, elle entreprit de les r?tablir dans leur ancienne libert?. Comme il s'agissoit d'abord de les d?livrer de l'oppression des Espagnols, elle leur envoya un secours de six mille hommes, & ne doutant point que cette d?marche ne fut regard?e en Espagne comme une d?claration de guerre, elle se crut oblig?e pour garantir ses propres ?tats, de mettre une Flotte en Mer, qui attir?t d'un autre c?t? l'attention des Espagnols.

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