Read Ebook: Voyages du capitaine Robert Lade en differentes parties de l'Afrique de l'Asie et de l'Amérique by Pr Vost Abb
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Les Hollandois ayant offert ? la Reine Elisabeth de la reconno?tre pour leur Souveraine, cette grande Princesse fit de s?rieuses r?flexions sur leurs offres, & consid?rant les troubles que l'Espagne avoit suscit?s dans ses ?tats depuis le commencement de son r?gne, la haine mortelle des Espagnols pour ses Sujets & pour sa Religion, les ressentimens particuliers dont leur Roi ?toit anim? contr'elle, & les violences qu'il avoit exerc?es nouvellement en faisant saisir dans ses Ports les Vaisseaux & les marchandises des Anglois; enfin plus excit?e encore par les ambitieux desseins de Philippe II, elle r?solut, de l'avis de son Conseil, de recevoir les Hollandois sous sa protection, & de les assister de toutes ses forces suivant l'engagement des anciens Trait?s. Mais elle refusa la Souverainet? de leur Pa?s, & formant au contraire des v??s beaucoup plus nobles, elle entreprit de les r?tablir dans leur ancienne libert?. Comme il s'agissoit d'abord de les d?livrer de l'oppression des Espagnols, elle leur envoya un secours de six mille hommes, & ne doutant point que cette d?marche ne fut regard?e en Espagne comme une d?claration de guerre, elle se crut oblig?e pour garantir ses propres ?tats, de mettre une Flotte en Mer, qui attir?t d'un autre c?t? l'attention des Espagnols.
Cette Flotte ?toit compos?e de vingt Voiles, tant Vaisseaux que Piraces, & portoit ? bord 2300. hommes, sous le commandement du Chevalier Drake, qui fut honor? tout ? la fois du titre de G?n?ral & d'Amiral. Ses Officiers de terre ?toient Christophe Carlisle, Lieutenant G?n?ral; Antoine Powell, Sergent Major; Mathieu Morgan & Jean Samson, Marechaux de Champ. Les Capitaines se nommoient Antoine Plat, ?douard Winter, Jean Goring, Robert Pen, Georges Barton, Jean Marchant, Guillaume Ceril, Walter Biggs, Jean Haman, & Richard Slanton. Les noms des Vaisseaux & de leurs Capitaines ?toient, Martin Frobisher, Vice-Amiral, commandant le Primrose; Fran?ois Knolles, Contre-Amiral, commandant le Gallion Leicester; Thomas Venner, l'Elisabeth Bonaventure; ?douard Winter, l'Aid; Christophe Carlisle, le Tygre; Henry White, le Seadragon; Thomas Drake, le Thomas; Thomas Scely, le Minion; Samuel Cagley, le Talbot; Robert Crosse, le Bond; Georges Fortescue, le Bonner; ?douard Carelesse, le Hope; James Erizo, le White Lyon; Thomas Maon, le Francis; Jean Rivers, le Vantage; Jean Vaughan, le Drake; Jean Varneg, le George; Jean Martin, le Benjamin; Richard Gilman, le Stout; Richard Hawkins, le Duk; James Bitfield, le Swallow.
Le 12. de Septembre toute la Flotte mit ? la voile du Port de Plimouth, pour gagner la C?te d'Espagne. Elle y fit quelque butin aux environs de Vigo, d'o? elle passa au Cap Verd. Elle y br?la San-Jago ou Plaga, Capitale d'une Isle du m?me nom. Ni le Gouverneur, ni l'?v?que, ni personne de la Ville, ne parut pour demander grace; ce que les Anglois attribuerent au remord que les Espagnols conservoient d'avoir massacr? cinq ans auparavant avec autant de l?chet? que de perfidie, le Capitaine Guillaume Hawkins de Plymouth, & tous ses gens. Ces barbares avoient raison de craindre encore notre ressentiment pour la cruaut? qu'ils avoient exerc?e ? l'?gard d'un petit gar?on de la Flotte, dont ils s'?toient saisis. Apr?s lui avoir coup? la t?te, ils lui avoient arrach? le coeur, & mis en pi?ces tous ses membres: ce fut pour tirer vangeance d'une action si cruelle, que les Anglois br?lerent non-seulement la Ville, mais toutes les maisons du Pa?s, & qu'ils mirent en plusieurs endroits, sur-tout ? l'H?pital, que le feu avoit ?pargn?, des Affiches qui rendoient t?moignage du crime & du ch?timent.
Del?, ils prirent directement la route des Indes Occidentales; mais la maladie se mit quelques jours apr?s dans leurs troupes, & leur fit perdre un grand nombre de Soldats. C'?toit une fi?vre ardente, qui les emportoit en peu de jours, & qui leur laissoit apr?s leur mort des taches dans toutes les parties du corps, comme celles de la peste. Ils l'attribuerent au mauvais air, & ceux qui eurent le bonheur d'en revenir, sentirent long-tems apr?s un affoiblissement consid?rable dans leurs forces, & particulierement dans leur m?moire. N'ayant pas laiss? de continuer leur course, ils passerent par l'Isle de la Dominique & par celle de Saint Christophe, d'o? ils se rendirent ? Hispaniola. C'?toit le premier jour de l'an: ils le c?l?brerent par l'incendie d'une partie de la Capitale, apr?s avoir inutilement propos? aux Espagnols de payer une ran?on pour s'exempter de cette perte; & les vingt-cinq mille ducats qu'ils donnerent ensuite pour sauver le reste de la Ville, n'emp?cherent point les Anglois d'emporter tout le butin qu'ils y avoient d?ja fait.
Ils passerent ensuite au continent de l'Am?rique m?ridionale, & s'approcherent de la C?te de Carthag?ne ? la port?e du mousquet. N'ayant point trouv? de r?sistance ? l'entr?e du Port, le Vice-Amiral & les Capitaines des Barques & des Pinaces re?urent l'ordre d'attaquer le premier Fort qui la d?fend, & le G?n?ral d?barqua ses troupes vers le soir ? quelque distance. Il marcha le long du rivage avec beaucoup de silence, & s'?toit d?ja avanc? fort heureusement ? deux milles de la Ville, lorsqu'il rencontra un corps de cent Cavaliers qu'il attaqua brusquement, & qui tournerent le dos ? la premi?re d?charge de la mousqueterie Angloise. Dans le m?me instant il entendit quelques vol?es de canon. C'?toit le signal dont le Vice-Amiral ?toit convenu avec lui, pour l'avertir qu'il avoit commenc? l'attaque du Fort; mais cette entreprise ?toit plus difficile qu'on ne s'y ?toit attendu. Le Fort, quoique petit, ?toit en ?tat de faire une vigoureuse d?fense; & l'endroit le plus ?troit du Canal, qui fait l'entr?e du Port, ?toit travers? par une cha?ne qui en bouchoit le passage. Ainsi le bruit du canon ne servit qu'? donner l'allarme aux autres parties de la C?te.
Cependant le G?n?ral avoit continu? d'avancer, & n'?toit plus qu'? un demi mille des murs de Carthag?ne. Il trouva que le passage se r?trecissoit tout d'un coup, & n'avoit plus cinquante pas de largeur. D'un c?t? c'?toit la Mer, & de l'autre le grand Bassin qui forme le Port. Il observa la Place, qui ?toit environn?e d'un mur de pierres & d'un foss?, flanqu? de diff?rens ouvrages. Il n'y avoit qu'un seul chemin pour les chevaux & les voitures, & les Habitans l'avoient d?ja bouch? avec quantit? de tonneaux remplis de terre. Il ?toit d?fendu d'ailleurs par six grosses pi?ces de canon. Les Habitans en firent une d?charge ? l'approche des Anglois. Ils firent avancer en m?me-tems deux grandes Galeres, mont?es chacune d'onze pi?ces de canon, qui jouoient sur l'Isthme en travers; outre trois ou quatre cens Mousquetaires qu'elles avoient ? bord. Ils en avoient post? aussi trois cens sur terre pour garder ce passage.
Toute cette artillerie fit un feu terrible sur les Anglois; mais le Lieutenant G?n?ral Carlisle prenant avantage de l'obscurit?, marcha le long de la C?te, & trouvant l'eau qui commen?oit ? baisser, il se mit facilement ? couvert des coups de feu. Tous les Anglois ayant ordre de ne pas tirer avant que d'?tre arriv?s aux murs de la Ville, ils s'avancerent jusqu'? la barricade des tonneaux sans s'?tre servis de leurs mousquets. Mais aussi-t?t qu'ils y furent arriv?s, ils renvers?rent imp?tueusement la barricade, & faisant leur d?charge sur l'ennemi, ils en vinrent tout d'un coup aux picques & aux ?p?es. Les Espagnols se virent forc?s de tourner le dos & d'abandonner le passage. On les poursuivit si furieusement, qu'ayant recommenc? deux fois ? faire face, ils furent pouss?s, sans avoir le tems de respirer, jusqu'? la grande Place de la Ville; & desesp?rant enfin de pouvoir r?sister plus long-tems, ils sortirent de la Place pour rejoindre leurs femmes & leurs enfans, qu'ils avoient eu la pr?caution d'envoyer ? la campagne.
Ils avoient ?lev? ? l'entr?e de chaque ru? d'autres barricades de terre, avec une espece de retranchement qui co?ta quelque chose ? forcer. Mais ceux qui les d?fendoient s'?tant bien-t?t dispers?s, les Anglois y perdirent peu de monde. Ils avoient post? aussi dans des lieux avantageux un grand nombre d'Indiens, avec leurs arcs, & ces fl?ches empoisonn?es, dont la moindre blessure ?toit mortelle. Ces Barbares nous tuerent quelques Soldats. Au long des ru?s, les Espagnols avoient plant? dans la terre une infinit? de pointes de fer, qui ?toient empoisonn?es comme les fl?ches des Indiens; mais nos Officiers s'en ?tant apper?us firent marcher leurs gens sur le bord de la Mer, qui baigne la Place jusqu'au pied des maisons; desorte que ces odieuses inventions, si contraires aux loix de la guerre, ne furent pernicieuses qu'? un petit nombre d'Anglois. Ce soin qu'ils avoient eu de se pr?parer avec tant de pr?cautions, venoit d'un avis qu'ils avoient re?u de l'approche de notre Flotte vingt jours avant notre arriv?e; ce qui avoit m?me donn? assez de loisir aux Habitans pour mettre tous leurs effets ? couvert.
Dans cette action les Anglois firent prisonnier Dom Alonzo Bravo, qui commandoit ? la premi?re barricade. Ne trouvant plus d'ennemis ? combattre, ils pass?rent six semaines dans la Place. Mais dans cet intervalle, ils furent repris de la calenture, mal dangereux que les Espagnols m?me attribuent ? l'air, & qui se gagne le soir au serein. Les tristes effets de cette maladie emp?ch?rent le Chevalier Drake de suivre le dessein qu'il avoit d'aller ? Nombre de Dios, & de gagner ainsi par terre la fameuse ville de Panama, o? il esp?roit de trouver assez de richesses pour se d?dommager des fatigues du Voyage. Pendant le s?jour qu'il fit ? Carthag?ne, il traita les Habitans avec beaucoup de civilit?; & le Gouverneur, l'?v?que, avec quantit? d'autres personnes de distinction, ne firent pas difficult? de lui rendre les m?mes politesses.
Cependant il arriva aux Anglois un accident qui leur apprit ? ne jamais faire trop de fond sur les apparences de l'amiti?, dans un Pa?s subjugu? par la force. Une de nos sentinelles, qui avoit son poste sur le plus haut clocher de la Ville, ayant un jour d?couvert deux petites Barques qui s'avan?oient sur la Mer, quantit? d'Officiers & de Matelots entr?rent aussi-t?t dans deux Pinaces, pour aller au-devant d'elles & s'en saisir, avant qu'elles pussent ?tre inform?es que nous nous ?tions rendus ma?tres de la Ville. Malgr? toute la diligence des Anglois, les deux Barques avoient d?j? re?u quelque signal qui les avoit averties du danger. Elles gagn?rent le rivage en voyant approcher nos Pinaces, & leur ?quipage se cacha aussi-t?t dans les bruy?res, avec quelques Espagnols de qui elles avoient re?u le signal. Nos Anglois voyant les Barques vuides, y entr?rent t?m?rairement, & se tinrent ? d?couvert sur le pont, o? ils furent salu?s d'une d?charge de mousqueterie, qui leur tua deux Capitaines, Wancy & Moon, avec cinq ou six de leurs gens. Les autres ne se trouvant point assez forts pour se vanger sur le champ de cette perfidie, & la pl?part ?tant des Matelots qui n'avoient pas m?me apport? leurs armes, parce qu'ils avoient cr? que leur canon suffisoit pour forcer les deux Barques, retournerent ? la Ville, & n'y remporterent que le chagrin de leur perte.
Les Espagnols, suivant l'usage auquel ils ne manquent jamais, de s'obstiner trop long-tems contre toutes sortes de propositions, & d'accepter ensuite servilement toutes les conditions qu'on veut leur imposer, refus?rent d'abord de convenir d'une somme pour racheter la Ville. Mais lorsqu'ils nous virent r?solus de la br?ler, & que cette m?nace fut m?me ex?cut?e dans quelque partie, ils consentirent ? payer cent dix mille ducats pour sauver le reste. Ainsi quoique Carthag?ne ne f?t pas la moiti? aussi consid?rable que Saint Domingue, nous en exige?mes une ran?on beaucoup plus grosse, parce que l'excellence de son Port, la nature de son commerce & les richesses de ses Habitans, en font une Place beaucoup plus importante; l'autre n'?tant gu?res habit?e que par des gens de Robbe ou des personnes sans emploi, comme la r?sidence du Conseil supr?me, o? ressortissent toutes les Provinces du Continent, & toutes les Isles.
La somme ayant ?t? pay?e suivant les conventions, nous quitt?mes la Ville; mais ce fut pour nous rendre ? l'Abbaye voisine, qui est situ?e proche du Port, & d?fendu? par un bon mur de pierres. Nous y m?mes une garnison, en repr?sentant aux Espagnols que ce lieu n'avoit point ?t? compris dans la capitulation. Ils sentirent que nous les surpassions en adresse, & ne s'?loignerent point de payer une nouvelle ran?on; mais ils y vouloient comprendre un Fort voisin, quoique nous demandassions s?par?ment mille livres sterlings pour chacune de ces deux Places. Leur dessein sans doute ?toit de nous ?prouver; cette difficult? leur co?ta cher, car le Chevalier Drake ennuy? de leur lenteur, fit sauter le fort par le moyen d'une mine. Les Espagnols publi?rent dans ce tems-l?, qu'outre des sommes inestimables en or & en argent, nous leur avions enlev? 230. pi?ces d'Ordonnance; mais il n'y en avoit point alors un si grand nombre dans la Ville. Il est certain, par nos propres calculs, que dans toute cette exp?dition, nous n'en tir?mes que 240. de toutes les Villes dont nous nous perm?mes le pillage.
Notre Flotte ?tant remont?e ensuite ? l'embouchure du Port, s'arr?ta pr?s d'une Isle extr?mement agr?able, remplie d'Orangers & d'autres arbres, qui ?toient couverts des fruits les plus d?licieux. Ils ?toient plant?s si r?gulierement, que l'Isle entiere, dont le circuit est d'environ trois milles, ne paroissoit compos?e que de Vergers & de Jardins. Ce ne peut ?tre la m?me Isle dont on a parl? dans la description, o? est ? pr?sent le Fort de San-Josepho.
Le Chevalier Drake ayant fait renouveller les provisions d'eau ? toute sa Flotte, d'un excellent puits qui se trouvoit dans la m?me Isle, se remit en Mer le 31 de Mars. Deux jours apr?s, on s'apper?ut qu'un grand Vaisseau que nous avions pris ? S. Domingue, charg? de marchandises & bien mont? d'Artillerie, commen?oit ? faire eau de toutes parts, ce qui nous obligea de retourner ? Carthag?ne, o? nous employ?mes dix jours ? transporter sur un autre Vaisseau cette riche Cargaison. Ensuite remettant ? la voile, nous pr?mes notre route vers le Cap de S. Antoine, qui fait la pointe la plus occidentale de l'Isle de Cuba, o? nous arriv?mes le 27 d'Avril.
Je ne pr?voyois point en tirant la copie de ce M?moire, qu'il d?t jamais contribuer ou nuire ? ma s?ret?. L'envie de m'instruire ?toit mon unique motif, & ce fut elle encore qui me fit commencer d?s le m?me jour ? faire exactement le Journal de mon Voyage. Je commis seulement une imprudence en gardant ? part le M?moire de Carthag?ne, & l'on me fit conno?tre dans la suite qu'il m'auroit ?t? moins dangereux, si j'eusse pris soin de le m?ler comme indiff?remment dans mon Journal.
Apr?s avoir pris huit jours de repos aux Canaries, nous retourn?mes vers l'Afrique avec le premier vent favorable. Sans nous ?tre ouverts particulierement aux Anglois que nous quittions, nous les avions trouv?s mieux instruits que nous, sur la partie de l'Afrique dont nous avions d?ja parcouru les C?tes. Leur Pilote, qui avoit fait plus d'une fois la m?me route, nous donna des lumi?res que nous regret?mes de n'avoir pas eu?s pl?t?t, & qui nous servirent encore dans la suite de notre Navigation. Mais nous leur cach?mes soigneusement le butin que nous avions fait parmi les N?gres; & les esp?rances que nous emportions pour l'avenir. Quoique nous n'eussions trouv? personne ? Ferro qui s??t distinguer mieux que nous la qualit? des M?taux, quelques essais que nous avions faits secretement ne nous laissoient aucun doute de la r?alit? de notre or, & notre Capitaine m?ditoit d?ja divers moyens de retourner plus heureusement ? la source.
Nous eumes d?s le lendemain la v?e du Cap de Boyador, & continuant notre route sans avancer plus pr?s du Continent, nous pr?mes seulement la r?solution, en passant pour la seconde fois au long de la m?me C?te, d'observer plus exactement que jamais les lieux o? nous avions abord?. Il ne nous fut pas difficile de les reconno?tre, & celui qui attiroit encore tous nos d?sirs nous parut tel que nous l'avions grav? dans notre m?moire. Nous ne doubl?mes point cette heureuse pointe, sans ?tre vivement tent?s de nous exposer aux hazards d'une nouvelle descente; & pendant quelques momens que nous conserv?mes cette pens?e, nous pr?mes plaisir ? nous flatter, qu'il ne nous seroit pas impossible d'enlever le reste des Lingots, avant que les N?gres eussent le tems de se reconno?tre. Mais notre petit nombre, & la n?cessit? de laisser du moins la moiti? de nos gens ? la garde du Vaisseau, r?froidirent cette chaleur. D'ailleurs, comme si le Ciel e?t voulu nous fortifier contre une tentation si dangereuse, le vent nous servit si favorablement ? ce passage qu'ayant dur? quatre jours avec la m?me force, nous f?mes malgr? nous plus de 300 lieu?s dans un espace si court. Nous f?mes ensuite arr?t?s pendant neuf jours par un calme si profond, que la Mer paroissoit immobile. Quoique nous nous crussions fort ?loign?s de la terre, il ne se passoit pas de jour o? nous ne vissions quelques oiseaux qui s'approchoient de nous ? la port?e du fusil; nous en tu?mes quelques-uns, que les Matelots allerent prendre dans la Chaloupe, avec le secours des Rames. Nous dissip?mes encore l'ennui d'un si long retardement par l'amusement de la P?che. Enfin le dixi?me jour, il s'?leva au Nord un orage violent qui nous fit craindre une nouvelle temp?te; mais qui se termina bient?t par une affreuse pluye.
Nous f?mes surpris sous la Ligne d'un autre calme, qui auroit co?t? la vie ? ma femme, s'il eut dur? plus long-tems. Elle se trouva si affoiblie, qu'ayant perdu la connoissance pendant plus de quatre heures, elle ne revint ? elle-m?me qu'? l'aide de plusieurs soufflets, avec lesquels je fis agiter l'air dans ma Cabanne. Cette langueur la reprenant aussit?t que le mouvement de l'air cessoit, je fus oblig? pendant trois jours d'acheter par des sommes immenses les services de quelques Matelots, qui se trouvant eux-m?mes fort incommod?s de leur situation, se crurent en droit de me faire payer leur secours. Nous sort?mes de cet embarras pour retomber dans un nouveau danger; le vent, dont la joye de le sentir rena?tre nous fit user d'abord avec peu de pr?caution, poussa notre Vaisseau avec tant de violence sur un Banc de sable, qui n'?toit pas marqu? sur nos Cartes, que nous demeur?mes beaucoup plus immobiles que nous ne l'avions ?t? pendant les deux calmes. Notre Capitaine mortellement allarm?, fit d'abord visiter toutes les parties du Vaisseau, elles se trouverent saines; mais il n'en fut pas plus rassur? contre un accident qui paroissoit sans remede. Cependant deux heures apr?s, nous cr?mes sentir que le Vaisseau recommen?oit ? flotter. Il reprit en effet le cours du vent, & nous rend?mes graces au Ciel de nous avoir sauv? d'un p?ril, que nous ne connoissions pas mieux en le voyant finir, que lorsqu'il avoit commenc?. Quelques-uns de nos Matelots nous assurerent n?anmoins qu'ils en avoient v? des exemples, & donnerent ? la cause de nos frayeurs le nom de Sable mouvant, qui se forme quelquefois par le seul choc des flots, sur-tout dans les momens qui pr?cedent un grand calme, & qui se r?sout ensuite lorsque l'agitation recommence. Depuis notre d?part de Londres, j'avois cru reconno?tre dans la conduite du Capitaine, & dans toute la manoeuvre du Vaisseau, que je n'?tois pas avec les plus habiles gens du monde; & je ne p?s m'emp?cher, en sortant de ce dernier danger, de lui faire entrevoir l'opinion que j'en avois. Loin d'en paro?tre offens?, il me confessa que dans la n?cessit? de r?parer sa fortune, il avoit donn? beaucoup au hazard, & qu'il apportoit ? son m?tier moins de lumi?res que de r?solution. Nous gagn?mes enfin le Cap de Bonne-Esp?rance, o? la crainte qu'il ne fut arriv? quelque dommage au Vaisseau en donnant sur le Banc de sable, lui servit de pr?texte pour entrer dans la Rade.
Nous ?tions si bien avec les Hollandois, que n'ayant que de l'assistance ? nous en promettre, nous abord?mes ? pleines voiles au rivage. On nous y fit l'accueil que nous avions esper?. Je con?us par les discours du Capitaine qu'il avoit d'autres v??s, que celles dont il s'?toit fait un pr?texte. Il ne me les dissimula point lorsque nous f?mes ? terre. La Compagnie Hollandoise des Indes Orientales ayant form? un tr?s-bel ?tablissement ? cette extr?mit? de l'Afrique, il se proposoit non-seulement de v?rifier la r?alit? de notre tr?sor, mais de prendre adroitement les connoissances qui nous manquoient pour le succ?s de nos esp?rances, & de jetter les fondemens de l'entreprise qu'il m?ditoit ? son retour. Nous trouv?mes dans la grande Habitation des Hollandois, qui est pr?s du Fort, des gens d'autant plus entendus sur la mati?re des M?taux, que cette partie de l'Afrique n'?tant point sans Mines d'or & d'argent, ils s'exer?oient continuellement ? cette recherche. Mais la crainte de nous trahir nous emp?cha d'abord de nous ouvrir avec trop de confiance, sur-tout lorsque nous e?mes remarqu? que les Hollandois faisoient eux-m?mes un profond mystere de leurs Mines.
Ils nous permirent n?anmoins de visiter pour notre amusement tous les endroits qu'ils ont cultiv?s, & la seule pr?caution qu'ils prirent avec nous, fut de nous faire accompagner d'un Interpr?te, qui ?toit sans doute en m?me tems notre Espion. Peut-?tre que sous ombre de satisfaire notre curiosit?, ils ?toient ravis d'avoir l'occasion de faire conno?tre aux Anglois la force & la beaut? de cette Colonie. Apr?s nous avoir fait voir le Jardin de la Compagnie, qui est d'une beaut? rare, & o? l'on trouve avec toutes sortes de fruits d?licieux, les arbres & les Plantes les plus rares de l'Europe; on nous fit traverser une grande montagne, sur laquelle nous pr?mes plaisir ? chasser de gros Singes qui y sont en abondance. Comme nous n'?tions munis de rien pour nous faciliter cette chassee, & que l'occasion seule nous en avoit fait na?tre l'envie, tous nos efforts ne purent nous en faire prendre que deux dans le cours d'un apr?s-midi. Nous ?tions quatre; le Capitaine & moi, avec notre Guide & l'?crivain du Vaisseau. Je ne puis repr?senter toutes les souplesses des animaux que nous poursuivions, ni avec combien de l?geret? & d'impudence ils revenoient sur leurs pas, apr?s avoir pris la fuite devant nous. Quelquefois ils se laissoient approcher ? si peu de distance, que m'arr?tant vis-?-vis d'eux pour prendre mes mesures, je me croyois presque certain de les saisir; mais d'un seul saut ils s'?lan?oient ? dix pas de moi, ou montant avec la m?me agilit? sur un arbre, ils demeuroient ensuite tranquilles ? nous regarder, comme s'ils eussent pris plaisir ? se faire un spectacle de notre ?tonnement. Il y en avoit de si gros, que si notre Interpr?te ne nous eut point assur? qu'ils n'?toient pas d'une f?rocit? dangereuse, notre nombre ne nous auroit pas paru suffisant pour nous garantir de leurs insultes. Comme il nous auroit ?t? inutile de les tuer, nous ne f?mes aucun usage de nos fusils. Mais le Capitaine s'?tant avis? d'en coucher en jou? un fort gros qui ?toit mont? au sommet d'un arbre, apr?s nous avoir long tems fatigu?s ? le poursuivre, cette espece de menace dont il se souvenoit peut-?tre d'avoir v? quelquefois l'execution sur quelqu'un de ses semblables, lui causa tant de frayeur qu'il tomba presqu'immobile ? nos pieds; & dans l'?tourdissement de sa ch?te nous n'e?mes aucune peine ? le prendre: cependant lorsqu'il fut revenu ? lui, nous e?mes besoin de toute notre adresse & de tous nos efforts pour le conserver, en lui liant ?troitement les pattes. Il se d?fendoit encore par ses morsures, ce qui nous mit dans la n?cessit? de lui couvrir la t?te, & de la serrer avec nos mouchoirs. Nous en pr?mes un autre, que l'?crivain renversa d'un coup de pierre, & qui en fut si bless?, qu'il mourut quelques jours apr?s.
En descendant de l'autre c?t? de la montagne, nous f?mes surpris qu'au lieu du terrain sec & sablonneux que nous avions v? jusqu'alors, il ne se pr?senta qu'une perspective riante dans une Plaine ? perte de v??. C'?toient, en plusieurs endroits, des Habitations, qui ressembloient ? nos Bourgs & ? nos meilleurs Villages. La pl?part des maisons ?toient b?ties de briques, & ne le c?doient point pour la propret? & l'agr?ment, aux jolies maisons de Hollande. La Campagne ?toit couverte de verdure. Notre Interpr?te nous assura que la terre y ?toit aussi bonne, que dans les cantons les plus fertiles de l'Europe, & qu'elle y produisoit toutes sortes de grains & de fruits. Mais cette belle Plaine, qui n'a pas moins de quinze lieu?s d'?tendu?, est infest?e continuellement par un grand nombre de b?tes sauvages, qui descendent des montagnes arides dont elle est bord?e. Quoique tous ces animaux n'en veuillent point ? la vie des hommes, il s'y trouve des Lions, des Tigres, des L?opards, des Chiens sauvages, des Loups, & d'autres ennemis de la race humaine, ? qui la faim fait quelquefois commettre des d?sordres fort sanglans. Les Laboureur ne conduisent point la charu? sans ?tre arm?s, & l'entr?e de toutes les Habitations est d?fendu? par des foss?s & par des portes. On trouve d'ailleurs dans le Pa?s toutes sortes de gibiers, particulierement des cerfs, dont le nombre est prodigieux. Il y a quantit? de chevaux sauvages, parmi lesquels il s'en trouve d'une beaut? extraordinaire. Ils ont la peau diversifi?e de rayes blanches & noires. Mais on parvient difficilement ? les dompter. Les eaux des Sources & des Rivi?res ?tant excellentes & fort poissonneuses, il ne manque rien ? ce beau canton pour la commodit? & l'agr?ment de la vie.
L'amusement qui nous avoit arr?t?s sur la Montagne ayant consum? une grande partie du jour, notre Interpr?te nous fit craindre que si l'admiration nous retenoit plus long-tems ? considerer la plaine, nous ne fussions expos?s ? la rencontre de ces terribles animaux dont il nous avoit peint la f?rocit?. Nous press?mes notre marche. Toutes les Habitations ayant beaucoup de ressemblances, il nous suffisoit d'en voir une pour prendre une id?e de toutes les autres. Celle o? nous arriv?mes se nomme Delpht, du nom apparemment d'une Ville de Hollande. On nous y re?ut avec toutes sortes de caresses. Le Capitaine, qui savoit quelques mots de Hollandois, nous quitta pour se promener seul dans les ru?s. Il revint une heure apr?s, avec une femme Angloise qu'il avoit rencontr?e, & qui marquoit une joie extr?me de se trouver avec trois personnes de son Pa?s. Elle s'?toit mari?e en Hollande ? un Tailleur, qui n'ayant p? se procurer une vie commode dans sa Patrie, s'?toit d?termin? ? venir chercher une meilleure fortune au Cap. Elle n'?toit pas sans agr?ment, & le Capitaine qui conservoit son ancien go?t pour le plaisir, lui ayant propos? en badinant de nous suivre, elle nous surprit par la facilit? qu'elle e?t ? go?ter cette offre. Nous profit?mes du moins d'une si favorable disposition pour nous faire expliquer mille choses que nous n'esp?rions point d'apprendre de notre Interpr?te. Elle nous dit que les Hollandois n'avoient gu?res d'autre commerce avec les Naturels du Pa?s, que celui de l'or & des dents d'?lephans. S'ils ont des mines ausquelles ils fassent travailler eux-m?mes, le secret en est bien imp?n?trable, puisqu'apr?s plusieurs ann?es de s?jour au Cap, elle ignoroit qu'ils y eussent cette sorte de richesse; mais elle nous ass?ra que dans divers tems de l'ann?e, plusieurs nations Caffres leur apportoient de la poudre d'or & de petits lingots, tels que ceux dont nous avions rempli nos deux tonneaux. Ces Barbares, plus grossiers que tous les autres peuples de l'Afrique, comptent pour rien les petits miroirs, les ?toffes, & toutes les denr?es qui servent ? apprivoiser les Sauvages. Ils ne cherchent dans leur trafic que de l'Eau-de-vie, qu'ils aiment avec une violente passion, des haches & d'autres instrumens fabriqu?s. La pl?part sont entierement nuds, & d'une noirceur surprenante. Ils ne se nourrissent que de chair cru?. On ne leur conno?t ni Loix, ni Religion. Leurs habitations, qui consistent en Cabanes form?es de branches d'arbres, sont r?pandu?s dans les montagnes, & n'offrent qu'un amas d?go?tant de salet?s qui infectent l'air. Ils sont riches en troupeaux de toute esp?ce. ? peu de distance du lieu o? nous ?tions, vers une pointe qu'on nomme le Cap des Eguilles, on compte plus de cent mille b?tes ? cornes dans une Nation qui n'est pas compos?e de plus de deux mille N?gres, & qui n'occupe pas plus de dix lieu?s dans tout son terroir. Toutes les entreprises qu'on a tent?es pour les civiliser n'ont abouti qu'? faire prendre au plus grand nombre la r?solution de se retirer plus loin dans les montagnes. Ils ont tant d'aversion pour l'ordre & pour la police, qu'il est rare qu'on en puisse accoutumer quelques-uns ? rendre des services r?guliers dans les Habitations des Hollandois. Cependant lorsqu'on parvient ? les apprivoiser parfaitement, ils sont capables de travail & de fid?lit?.
Le commerce qu'ils exercent eux-m?mes, non-seulemeut des prisonniers qu'ils font ? la guerre, mais de leurs propres enfans, & de tous ceux sur qui la force, ou des usages inconnus leur donnent quelque droit & quelque pouvoir, ne leur rapporte gu?res que des liqueurs fortes & des ustenciles de peu de valeur. Mais les malheureux qui sont ainsi vendus pour l'esclavage n'acceptent jamais volontairement leur sort, & mettent tout en usage pour s'en garantir. Il est arriv? plus d'une fois qu'au jour marqu? pour les ?changes, la pl?part se donnoient la mort par diff?rentes voies, ou qu'ils se pr?cipitoient dans la Mer en mettant le pied dans le Vaisseau, & que les Marchands d'Europe se trouvoient frustr?s de leur proie sans ?tre en droit d'en faire un reproche ? ceux de qui ils l'avoient re???. Malgr? les pr?cautions que l'exp?rience fait prendre, il s'en trouve toujours plusieurs qui r?ussissent ? se d?livrer de la vie pour ?viter tout ce qu'ils se figurent d'affreux dans l'esclavage.
Au lieu de perdre le tems ? visiter d'autres Habitations Hollandoises qui ne nous auroient rien offert que nous n'eussions d?ja v? dans la premi?re, nous propos?mes ? notre Interpr?te de nous conduire le lendemain dans quelque canton habit? par des N?gres. Il consentit ? nous en faire voir un qui n'?toit qu'? quatre lieu?s de Delpht, dans une gorge de la Montagne que nous avions travers?e. Nos chevaux ?toient assez bons pour nous faire esp?rer de revenir commod?ment avant la fin du jour. L'intention du Capitaine, en proposant ce Voyage, ?toit de se familiariser plus que jamais avec les signes & les usages des N?gres, pour nous faciliter le grand dessein auquel ses m?ditations se rapportoient continuellement. Il promit ? l'Angloise de se charger d'elle ? notre retour, & lorsque je lui demandai s?rieusement ? quoi il la destinoit, il me dit qu'elle pourroit ?tre utile, en qualit? de Servante, ? ma femme & ? mes enfans. Mais croyant p?n?trer ses v??s, je le priai d'abandonner un projet qui blessoit la biens?ance, & j'obtins de lui qu'il ne favoriseroit point le libertinage d'une femme qui ?toit lasse apparememt de son mari.
En g?n?ral les Caffres ont le teint bazan? & oliv?tre, quoique plusieurs Nations l'a?ent d'un noir extr?mement fonc?. Ils ont les l?vres grosses, & le visage affreux; ceux qui ont quelque communication avec les Hollandois, se civilisent insensiblement, les autres sont sauvages, & vivent dans une profonde ignorance. Leurs armes sont l'arc & les fl?ches, avec une zagaye, qui est une espece de Javelot. Ils ne se nourrissent que de racines cuites dans l'eau, ou roties sur des charbons, de la chair de leurs plus m?chantes b?tes, qu'ils ne tuent point si elles ne sont vieilles ou malades, ou du poisson qu'ils trouvent mort sur le rivage. Ils se font un morceau d?licat d'un Chien de mer, & ils n'en manquent point, car la C?te en est remplie. Les Caffres vivent fort long-tems, & la pl?part vont jusqu'? cent & six-vingt ans. Ils enterrent leurs Morts assis & nuds, & dans les fun?railles ils observent une c?r?monie tr?s-f?cheuse, car tous les parens du mort sont oblig?s de se couper le doigt de la main gauche, pour le jetter dans la fosse; aussi regardent-t-ils comme un malheur extr?me de voir mourir leurs parens. Leurs maisons sont g?n?ralement compos?es de branches d'arbres, & couvertes de jonc; ? la r?serve de quelques Peuples qui se retirent dans des cavernes. Plusieurs de ces cabannes sont si grandes, qu'elles peuvent contenir une famille de trente personnes. Il paro?t que la Langue de toutes les Nations Caffres est ? peu pr?s la m?me; mais elle est si confuse & si mal articul?e, que les ?trangers ne peuvent l'apprendre. Au contraire les Caffres apprennent assez facilement celle des ?trangers, & dans le voisinage du Cap il s'en trouve beaucoup qui se font entendre en Hollandois. Quoiqu'ils n'ayent aucune trace de culte religieux, on croit qu'ils reconnoissent un ?tre Souverain, mais ils ne pensent gu?res ? lui rendre le moindre hommage. Ils poussent n?anmoins des cris vers le Ciel, lorsqu'apr?s un mauvais tems ils voyent que l'air commence ? devenir plus doux ou plus serein. Ils rendent aussi quelques respects ? la Lune lorsqu'elle commence ? para?tre, du moins si l'on en juge par l'ardeur avec laquelle ils passent alors toute la nuit ? chanter & ? danser.
S'il avoit pu nous rester quelque curiosit? apr?s avoir pass? quelques heures dans l'Habitation des Sauvages, elle auroit regard? le Fort d'Hallenbock que les Hollandois ont construit ? dix lieu?s du Cap, & qui est devenu un lieu consid?rable par le grand nombre d'Habitans qui s'y sont ?tablis. Il est fait pour arr?ter les Sauvages, qui peuvent quelquefois s'attrouper. Une garnison assez nombreuse rend le Cap & les autres Habitations tranquilles de ce cot? l?. Mais ayant peu de lumi?res ? esp?rer dans une Place de Guerre, nous retourn?mes au Cap le lendemain de notre d?part.
J'y ?tois attendu par une disgr?ce que j'?tois fort ?loign? de pr?voir, & qui m'auroit ?t? n?anmoins beaucoup plus f?cheuse si elle eut ?t? diff?r?e plus long-tems. Depuis huit jours que nous ?tions arriv?s au Cap, on avoit eu le tems de r?parer ce qui pouvoit manquer ? notre Vaisseau, & nous pensions ? nous remettre en mer au premier vent. Mais en partant vingt-quatre heures pl?t?t, je me serois expos? au chagrin de ne recevoir que dans les Indes une nouvelle qui auroit rendu mon Voyage absolument inutile. Pendant la nuit que nous avions pass?e ? visiter les Habitations Hollandoises, il ?toit arriv? au Cap un Vaisseau Anglois, qui ne s'?toit arr?t? comme nous que pour quelques n?cessit?s de Navigation. Il faisoit aussi le Voyage des Indes, & n'?toit parti de Londres qu'environ quinze jours apr?s le n?tre. M. Sprat mortellement picqu? de l'innocente tromperie qu'il avoit ? me reprocher, avoit saisi la premi?re occasion d'en tirer vengeance. Le Capitaine, qui se nommoit M. Rut, ?toit charg? d'un ordre cruel, qu'il devoit me remettre au premier lieu o? il pourroit me rencontrer.
N'ayant point compt? de trouver notre Vaisseau au Cap, il n'avoit appris qu'avec un extr?me ?tonnement que nous y ?tions depuis huit jours; & dans mon absence il avoit d?ja cherch? ? voir ma femme, mais il ne lui avoit fait aucune ouverture de sa Commission. Je lui en s?us bon gr? en l'apprenant moi-m?me, parce que cette nouvelle, annonc?e sans pr?paration, auroit caus? trop de chagrin ? toute ma famille. M. Rut m'ayant fait demande la permission de me voir, commen?a son discours par un compliment fort civil sur le tort qu'il m'alloit faire, & dont le ressentiment ne devoit pas tomber sur lui. Ensuite, me remettant une Lettre de M. Sprat, il me dit qu'il en avoit une autre ? rendre ? mon Capitaine, qui contenoit les m?mes ordres. Je me h?tai de lire la mienne. C'?toit une r?vocation de la Charge de Supercargoes dont j'?tois rev?tu dans le Vaisseau, & de la Commission que M. Sprat m'avoit accord?e dans son Comptoir. Il ne me cachoit pas, que sensible ? l'outrage qu'il pr?tendoit avoir re?? par ma conduite, il ?toit charm? de m'en faire porter la peine; & seulement, disoit-il, il plaignoit ma malheureuse famille qui alloit peut-?tre se trouver r?duite ? bien des extr?mit?s f?cheuses par mon injustice & ma mauvaise foi.
J'avo?e que ce malheur me parut terrible. Cependant, je remerciai int?rieurement le Ciel d'avoir permis que M. Rut m'e?t rencontr? au Cap, pour m'?pargner une course dont le terme auroit augment? mes embarras. Les Marchandises que j'avois sur le Vaisseau ne pouvoient m'?tre enlev?es, & ce seul fond suffisoit pour me soutenir pendant quelque tems au Cap. Les Hollandois sont d'un excellent caractere. Je ne doutai point qu'en leur expliquant la cause de mon infortune & le besoin que j'avois de leur assistance, ils ne m'accordassent toutes les faveurs qui conviendroient ? ma situation.
On voit que dans ces premi?res r?flexions je ne faisois point entrer la ressource des lingots d'or, dont je ne me flatai point effectivement que notre Capitaine me f?t jamais la moindre part. Je n'avois aucun titre pour y pr?tendre. Quoiqu'il m'e?t donn? quelques t?moignages d'amiti?, & que je lui crusse un bon naturel, je jugeai que l'ardeur qu'il avoit pour s'enrichir, lui feroit oublier des promesses dont l'execution ne d?pendoit que de sa volont?. Enfin, je comptai si peu sur la g?n?rosit? de son coeur, que ne pensant pas m?me ? le solliciter par des prieres inutiles, j'employai mes premiers soins ? calmer les inqui?tudes de ma femme. De l? je me rendis au Vaisseau, pour faire d?charger mes Marchandises. Le Vent ?toit devenu si favorable depuis une heure, que j'apprehendois tout de l'empressement de l'?quipage. Mais je trouvai le Capitaine ? Bord, o? il avoit re?u la Lettre de M. Sprat. Il vint ? moi, les bras ouverts & la larme ? l'oeil. Apr?s m'avoir fait conno?tre qu'il ?toit instruit de mon malheur, & qu'il regrettoit am?rement de n'y pouvoir rem?dier, il me f?licita d'en avoir re?u la nouvelle dans un lieu o? je pouvois trouver mille moyens de l'adoucir. D'ailleurs, ajouta-t-il, vous ne serez pauvre nulle part avec une bonne partie de nos Lingots, que mon intention est de vous ceder.
Il ne falloit que mon embarras, sans aucun attachement aux richesses, pour me faire trouver le sujet d'une vive satisfaction dans ce discours. J'embrassai ? mon tour un Ami si fidelle & si g?nereux, & les premiers t?moignages de ma reconnoissance tomberent sur sa bont? plus que sur le tresor qu'il me promettoit. Mais enfin, dans l'?tat o? j'allois me trouver, je ne lui cachai point que ses g?nereuses promesses me rendoient la vie, & sauvoient peut-?tre du dernier d?sespoir une malheureuse famille dont le sort meritoit sa piti?. Des remercimens si vifs exciterent encore le noble penchant de son coeur. Il me protesta que si l'honneur lui e?t permis d'abandonner la conduite de son Vaisseau, il auroit pris le parti de lier sa fortune ? la mienne, & de me proposer m?me sa main pour ma fille a?n?e. Et s'il e?t p? se persuader, ajouta-t-il, que je voulusse faire assez de fond sur sa parole pour attendre son retour, il n'auroit pas balanc? ? me jurer que je le trouverois dans la m?me disposition. Une offre de cette nature ne pouvoit ?tre accept?e subitement. Je lui r?pondis qu'? son retour il me trouveroit vraisemblablement au Cap, & que sans recevoir de lui aucune promesse par laquelle il p?t se croire engag?, je serois ravi de lui voir rapporter des sentimens si favorables ? ma famille. Il les confirma sur le champ, en faisant d?charger parmi mes Marchandises le Baril qui contenoit environ la quatri?me partie de notre or.
Le bruit de ma disgr?ce s'?tant d?ja r?pandu au Cap, avec des circonstances d'autant plus avantageuses pour moi, qu'elles avoient ?t? confirm?es par le Ministre m?me des fureurs de M. Sprat, je trouvai de la compassion & de la bont? dans les Officiers de la Compagnie Hollandoise & dans tous les Habitans. Ils ne me croyoient pas riche, parce qu'ils avoient s?? que le seul motif de mon Voyage avoit ?t? de r?parer ma fortune. Ils me proposerent d'abord d'acheter mes Marchandises, en me faisant entendre qu'ils m'y feroient trouver autant de profit que si je les eusse transport?es aux Indes. Mais j'avois d?ja form? d'autres v??s pour lesquelles je les croyois n?cessaires. D'ailleurs, en confessant ? ces g?n?reux H?tes que mes affaires ?toient fort d?rang?es, je ne voulois pas qu'ils me cr?ssent dans la n?cessit?, & j'?tois bien aise au contraire de les mettre dans l'opinion que les restes de ma fortune me laissoient encore le pouvoir de former quelque entreprise.
L'inclination qu'ils avoient ? me secourir devint beaucoup plus vive, lorsqu'ayant commenc?, moi & toute ma famille, ? ?tudier leur Langue, ils purent nous parler & nous entendre. Ma fille a?n?e ?toit aimable. Je ne fus pas long-tems sans recevoir pour elle des propositions de mariage. Un Marchand ?tabli depuis vingt ans au Cap, o? il avoit amass? de grandes richesses, & veuf depuis six mois, me fit offrir de la prendre sans dot. Je ne rejettai point absolument ses offres. Mais quoique mon Capitaine ne se f?t li? ? moi que par une promesse vague dont je l'avois m?me dispens?, la reconnoissance que je devois ? son amiti? m'avoit fait prendre la r?solution d'attendre effectivement son retour. Mon intention d'ailleurs ?tant bien ?loign?e de me fixer au Cap, j'aurois eu trop de regret d'y laisser ma fille, au risque de ne la revoir jamais. Cependant, pour le dessein que j'avois de m'instruire dans toutes les m?thodes de Commerce, & de jetter les fondemens de quelque entreprise avant le retour du Capitaine, je gardai des m?nagemens qui pouvoient faire croire aux Hollandois que je pensois ? profiter de leurs bont?s. Je n'all?guai que l'extr?me jeunesse de ma fille, & je demandai qu'on lui laiss?t du moins le tems d'apprendre mieux la Langue. Ayant pris une maison au Cap, je cherchai par degr?s ? m'insinuer dans la confiance de mes Voisins; je me m?lai insensiblement dans leurs assembl?es & dans leurs affaires. Je parvins bient?t ? n'?tre plus regard? comme un ?tranger.
Ma femme, qui avoit de l'esprit & du courage, entra merveilleusement dans les projets que je lui avois communiqu?s. Elle se fit aimer universelment dans l'Habitation, & l'habitude des moeurs Hollandoises ne lui co?ta rien ? former. Nous raisonnions souvent ensemble sur les desseins que je m?ditois, lorsqu'il arriva de Hollande trois Vaisseaux qui alloient ? Batavia. Cet incident me fit suspendre une r?solution que je me croyois ? la veille d'?x?cuter. Je pensai qu'avant que de me livrer ? des id?es trop hautes, je ne ferois pas mal de saisir une si belle occasion de m'instruire. La confiance des Hollandois croissant pour moi de jour en jour, je ne doutai point qu'ils ne m'accordassent la libert? de faire le Voyage de Batavia, surtout lorsque je leur laisserois des gages aussi chers que ma famille. Je commen?ois ? parler fort bien leur Langue. Il ne me manquoit qu'un pr?texte pour leur faire agr?er mon dessein. Le hazard me l'offrit heureusement par la mort d'un Facteur de quelques Marchands de Londres, qui avoit obtenu de la Compagnie de Hollande la permission de faire le Voyage ? bord d'un de leurs trois Vaisseaux. S'?tant trouv? fort mal en arrivant, il avoit appris avec joie qu'il y avoit au Cap un Anglois dont on y estimoit la probit?, & dans ses derniers momens, il me proposa de me charger de ses Lettres & de ses M?moires, pour les faire remettre ? Londres, ou pour ex?cuter moi-m?me sa Commission. Elle regardoit la Cargaison d'un Vaisseau Anglois, qui avoit p?ri pr?s de l'Isle de Java l'ann?e pr?c?dente en revenant de la Chine. Les Hollandois de Batavia avoient sauv? une partie consid?rable des richesses qu'il apportoit; mais apr?s de longues discussions, qui n'avoient p? se terminer ? Amsterdam, les Marchands Anglois avoient pris le parti d'envoyer un de leurs Facteurs aux Indes, & la Compagnie ne s'y ?toit pas oppos?.
La facilit? que je ne pouvois manquer de trouver ? revenir de Batavia au Cap, me fit esp?rer qu'apr?s avoir fini les affaires des Marchands de Londres, je serois de retour assez-t?t pour pr?venir M. Rindekly, mon ancien Capitaine. S'il continuoit son Voyage jusqu'en Angleterre, je me proposois de le charger du rapport de ma conduite & des pi?ces ou des effets que je devois retirer de Batavia. Avec cette v??, j'avois celle de mortifier M. Sprat, lorsque tous les Marchands de Londres apprendroient de la bouche de mon ami, & peut-?tre par le succ?s de ma n?gociation, que je ne m?ritois pas le tort qu'il avoit fait ? mon honneur en m'?tant les emplois qu'il m'avoit confi?s. Enfin, quelque parti que M. Rindekly p?t prendre apr?s sa course, je ne devois pas douter que s'il s'arr?toit au Cap pour ?pouser ma fille, celui ? qui il remettroit la conduite de son Vaisseau jusqu'? Londres ne f?t digne de ma confiance autant que de la sienne.
Il n'y eut personne au Cap qui n'applaudit ? ma r?solution. Ma femme ne l'approuva pas moins, & ce fut elle qui me conseilla de prendre avec moi l'a?n? de mes fils. J'embarquai une partie de mes Montres & de mes ouvrages d'Orf?verie, avec le quart de mes lingots que je voulois une fois convertir en argent monnoy? pour m'assurer de leur juste valeur. Nous part?mes le 17. de Juillet, ? bord du Dauphin, Vaisseau de Middlebourg. Notre navigation fut heureuse jusqu'? la hauteur du Cap de Bruining, ?loign? d'environ cent lieu?s de celui de Bonne Esp?rance. Mais un vent imp?tueux nous ayant fait perdre de v?e les deux autres Vaisseaux, nous pass?mes quatre jours entiers sans les revoir. Enfin, lorsque nous commencions ? perdre l'esp?rance de les rejoindre, nous les apper??mes ? l'ancre, & nous d?couvr?mes, ? mesure que nous en approchions, qu'ils avoient ?t? plus maltrait?s que nous par la temp?te. Le Zuyderz?e, qui portoit quarante pi?ces de canon, avoit perdu deux de ses m?ts, & se trouvoit ouvert de tant de c?t?s, que dans le danger pressant o? il ?toit, on avoit d?ja transport? une partie de sa carguaison dans l'autre. Quoiqu'on eut apport? une diligence extr?me ? fermer toutes les voies d'eau, il s'en formoit de nouvelles ? tous momens; ce qu'on ne pouvoit attribuer qu'au choc violent de quelque rocher, qui avoit ?branl? toute la charpente, sans qu'on s'en f?t apper?u dans l'agitation de la temp?te; & le p?ril ?toit ainsi d'autant plus terrible, que renaissant sans cesse, on ne savoit o? le rem?de devoit ?tre port? pour le pr?venir. Les trois Capitaines ayant tenu conseil sur un si malheureux accident, conclurent ? faire passer le reste de la carguaison, ou du moins ce qu'elle contenoit de plus pr?cieux, sur le Bord o? j'?tois. Il ne resta dans le Zuyderz?e que l'artillerie, l'?quipage & les vivres. Mais ce qui servoit ? le soulager nous devenoit si incommode, qu'au lieu de continuer notre route, tous nos voeux furent pour trouver quelque C?te o? nous pussions nous d?livrer de cet embarras. Nous profit?mes ? toutes voiles d'un vent qui nous poussoit vers le Continent, & l'ayant eu deux jours entiers de la m?me force, nous apper??mes la terre au troisi?me jour. Le rivage ?toit uni; & plus loin dans les terres, nous d?couvrions quantit? de bois qui nous firent prendre une bonne opinion du Pa?s; mais il nous ?toit inconnu, & nous n'appercevions ni Habitations, ni Port qui pussent servir ? diriger notre course. La sonde ne nous faisoit plus trouver que dix-huit brasses. Nous m?mes ? l'ancre, & n'?tant gu?res qu'? trois ou quatre lieu?s du rivage, nous pr?mes le parti de d?tacher la Chaloupe pour observer plus particulierement la C?te.
Dans l'ardeur qui me faisoit chercher toutes les occasions de m'instruire, je me mis au nombre de ceux qui sortirent du Vaisseau. Nous n'e?mes pas avanc? l'espace de quatre ou cinq milles, que nous sentant repouss?s par les flots dans une Mer assez tranquille, nous ne dout?mes point que nous ne fussions fort proches de l'Embouchure de quelque grande Rivi?re. Cette esp?rance nous causant beaucoup de joie, nous continu?mes d'avancer ? force de rames, & nous distingu?mes enfin si clairement le courant & la diff?rence des eaux, que nous retourn?mes aussi-t?t au Vaisseau pour y porter cette agr?able nouvelle. Les trois Capitaines ne balanc?rent point ? prendre sur le champ la m?me route. Notre rapport se trouva fid?le. La Rivi?re se retr?cissant ? mesure que notre v?e pouvoit s'?tendre dans les terres, nous cr?mes qu'avec un tems fort doux, il n'y avoit aucun p?ril ? nous avancer la sonde ? la main. La profondeur de l'eau se trouva presque ?gale depuis l'extr?mit? de la C?te, jusqu'au lieu o? l'Embouchure commen?oit ? se retr?cir; & le rivage paroissant assez commode sur la gauche, nous jett?mes l'ancre ? la port?e du fusil de la terre, sur douze brasses de fond.
Comme le Pa?s nous offroit beaucoup de bois, & que nos trois Vaisseaux ne manquoient ni d'ouvriers, ni d'instrumens, les Capitaines jug?rent qu'il ?toit inutile de chercher plus loin des secours que nous pouvions nous procurer sans p?n?trer dans le Pa?s. On commen?a le travail avec beaucoup d'ardeur. Mais quel moyen de refuser ? une partie de l'?quipage la libert? de chasser sur la C?te? Quoique cette permission ne fut accord?e qu'avec beaucoup de r?serve pendant les premiers jours, elle devint plus facile ? obtenir lorsqu'on vit rapporter aux Chasseurs le meilleur & le plus beau gibier du monde. Ceux qui s'?cartoient le plus du rivage, nous assur?rent qu'ils avoient v? des c?dres d'une beaut? admirable, & d'autres arbres odorif?rans. Ils avoient pris vifs quelques oiseaux, qui ?toient tomb?s ? terre au bruit de leurs fusils, & un petit animal de la grosseur d'une belette, dont la peau ?toit mouchet?e de diverses couleurs. Pendant quatre jours que l'ardeur de la chasse alloit en augmentant, nous nous trouv?mes assez de venaison de toutes sortes d'esp?ces pour nourrir les trois ?quipages pendant plusieurs mois. Aussi ne prenions-nous plus cet exercice que pour notre amusement. Mais le bruit de tant de coups de fusils n'ayant p? manquer de se faire entendre, quelques Chasseurs nous avertirent, le cinqui?me jour, qu'apr?s avoir observ? d'abord un nuage de poussiere dans une vaste campagne qu'ils avoient parcouru?, ils avoient ?t? surpris de d?couvrir un corps consid?rable d'hommes arm?s, qui marchoient vers la Mer, & qui ne devoient pas ?tre ?loign?s de plus d'une lieu?. Il ?toit clair qu'ils nous cherchoient. Les Capitaines se h?t?rent de faire tirer un coup de canon pour rassembler tout leur monde. Ils auraient souhait? que chacun p?t regagner son Bord avant l'arriv?e des N?gres: mais perdant cette esp?rance dans une allarme si subite, ils ne voulurent point abandonner ? la discr?tion des Sauvages quantit? d'honn?tes gens qui ?toient encore dispers?s. Le Capitaine du Vaisseau de Midelbourg, brave & prudent Officier, fut d'avis de nous ranger tous derriere les arbres qu'on avoit apport?s sur le rivage, & que nos Charpentiers commen?oient ? mettre en oeuvre. Il donna ordre en m?me-tems que les Vaisseaux eussent le flanc tourn? vers la terre, pour ?tre en ?tat de faire leur d?charge au premier signe. Les trois ?quipages montant ensemble au nombre de cent dix hommes, nous ?tions ? terre environ soixante, qui n'avions point d'autres armes que nos fusils & des bayonettes. Mais quoique le signal du canon eut ramen? les moins ?loign?s, il nous en manquoit encore huit ou dix qui couroienr grand danger d'avoir ?t? coup?s par les N?gres. Cependant nous d?couvrimes bien-t?t la petite Arm?e qui sembloit nous menacer. Quoiqu'au fond notre frayeur fut m?diocre, parce que les Hollandois sont aim?s de la pl?part de ces Peuples, avec lesquels ils entretiennent continuellement quelque commerce, nous ne n?glige?mes aucune pr?caution pour notre d?fense. En peu de momens les arbres avoient ?t? crois?s les uns sur les autres, & rang?s avec assez d'habilet? pour faire une barricade fort difficile ? forcer. La facilit? d'ajuster nos coups, en tirant ? bout pos?, nous rendoit presque s?rs de l'effet de toutes nos d?charges; & nous ne doutions point que le bruit d'environ quarante pi?ces de canon n'augment?t beaucoup la frayeur de nos ennemis.
Notre agitation n'emp?choit point que nous n'eussions l'oeil ouvert sur tous leurs mouvemens. Ils s'arr?terent ? cinq cens pas de nous. Leur nombre nous parut d'environ trois cens. Ayant connu que nous les attendions de pied ferme, & la v?e des trois Vaisseaux servant peut-?tre ? les refroidir, ils d?tach?rent vers nous quatre hommes, que nous reconn?mes ensuite pour quatre de leurs Officiers. Nous nous dispos?mes ? les recevoir honn?tement, & l'un de nos trois Capitaines s'avan?a de quelques pas au devant d'eux, suivi d'un m?me nombre de nos gens. Ces quatre N?gres ?toient de belle taille. Ils portoient des bonnets quarr?s, qui ?toient orn?s de plumes de Paon & d'Autruches. Ils avoient le corps nud, mais ils portoient des cha?nes de fer qui se croisoient sur l'estomac & sur le dos. Leurs armes ?toient l'arc & la fl?che, avec une hache & un poignard, suspendus ? leur ceinture. Ils avoient aussi sur le dos, ? c?t? du carquois, une sorte de bouclier, garni d'une peau de bufle.
Nos Capitaines leur offrirent alors un verre d'eau-de-vie, qu'ils accepterent avec les t?moignages d'une joie fort vive. Ils ne se firent pas presser davantage pour entrer dans une Chaloupe, & se laisser conduire aux Vaisseaux. On leur y donna des rafra?chissemens. Ils les prirent avec avidit?; & quoiqu'ils parussent moins touch?s de quelques petits pr?sens que les Capitaines joignirent ? la bonne chere, ils les re??rent aussi avec diff?rentes marques de reconnoissance.
Leurs gens avoient fait si peu de mouvement dans cet intervalle, que nous les juge?mes plus accoutum?s ? la discipline militaire que le commun de ces Barbares. Ils attendirent le retour de leurs Chefs, qui reprirent en nous quittant le m?me air de fiert? avec lequel ils nous avoient abord?s. Toute leur Troupe s'?loigna aussi-t?t, comme s'ils ne leur ?toit plus rest? la moindre d?fiance de notre amiti?. Nous raisonn?mes beaucoup sur le Pa?s o? nous ?tions, & les Capitaines croyant en pouvoir juger par les armes des N?gres, s'imaginerent que ce devoit ?tre quelque partie du Royaume de Carlevan. Nous n'avions aucun inter?t pr?sent qui nous port?t ? profiter de leur bonne volont?. Mais il nous restoit de l'inqui?tude pour les huit personnes de l'?quipage qui ne s'?toient pas rendus au signal du canon. Le jour entier se passa sans qu'on les vit paro?tre. Le lendemain dans l'apr?s midi, nous f?mes surpris de les voir descendre sur la Rivi?re dans une Barque assez orn?e, qui ?toit suivie de deux autres Barques remplies de N?gres. Ils nous rejoignirent d'un air fort satisfait. ?tant tomb?s la veille dans le corps des Sauvages, ils avoient ?t? arr?t?s, & conduits aussi-t?t par un d?tachement ? la Ville voisine o? passoit le Fleuve qui les avoit apport?s. Ils nous firent une description fort confuse de mille choses qu'ils avoient observ?es avec d'autant moins d'attention, que tout leur esprit avoit ?t? d'abord occup? par la crainte. Cependant il s'?toit trouv? dans la Ville un N?gre qui entendoit & qui parloit m?me assez clairement la langue Hollandoise. Ils avoient ?t? trait?s civilement aussi-t?t qu'ils avoient ?t? reconnus; & dans la crainte que nous ne re?ussions quelque insulte de la Milice qui s'?toit avanc?e vers la Mer au bruit de nos mousquetades, ils avoient eu la libert? de partir, avec le N?gre qui leur avoit servi d'Interprete, & quelques autres N?gres, qui avoient ordre de nous faire toutes sortes de caresses. La Ville, qu'ils nommerent Pemba, n'?toit qu'? sept ou huit lieu?s par eau; mais ? cause de quelques marais impraticables, autour desquels il falloit prendre pour gagner le bord de la Mer, on y comptoit plus de douze lieu?s par terre.
Ce que l'interpr?te N?gre joignit ? ce r?cit, nous fit conno?tre que nous ?tions sur la cote d'Estrila, qui sans appartenir au Roi de Carlevan, est tributaire de ce Prince, & fait un commerce assez consid?rable avec les Hollandois & les Portugais, qui entrent dans le Pa?s sans y avoir encore aucun Comptoir. Entre plusieurs marchandises qu'ils en tirent, telles que des gommes & du tamarin, ils en rapportent des dents d'une espece de Sanglier, qui les ont plus belles que les Elephans.
Le N?gre qui nous faisoit ce r?cit, nous invita d'une mani?re pressante ? remonter la Rivi?re jusqu'? Pemba, en nous assurant que nous y trouverions toutes sortes de commodit?s & d'ouvriers pour le radoubement de nos Vaisseaux. Mais en l'entendant raisonner sur ses propres intentions, nous comprimes que servant au commerce du Pa?s avec les Europ?ens, il y trouvoit des avantages qu'il vouloit aussi se procurer avec nous. Il avoit ?t? vendu dans sa jeunesse ? des Marchands d'Esclaves, & son aversion pour l'esclavage lui avoit inspir? le courage de se jetter dans la Mer, ? la v?e d'un Vaisseau Hollandois, qu'il avoit eu le bonheur de joindre, apr?s avoir nag? pendant plus de deux heures. Ayant ?t? conduit ? Bantam, il y avoit pass? plusieurs ann?es avec assez de douceur pour en conserver un souvenir qui lui faisoit toujours aimer les Hollandois. Comme les trois Vaisseaux ?toient charg?s pour Batavia, nous n'avions aucune v?e de commerce qui p?t nous arr?ter; & les r?parations que nous avions ? faire au Zuyderz?e ne demandoient point d'autres secours que ceux de nos propres ouvriers.
Ainsi nous ?tant acquitt?s de la politesse du N?gre & de ses Compagnons par quelques l?gers pr?sens, nous nous rem?mes en Mer apr?s huit jours de repos. Le tems ne cessa plus de nous favoriser jusqu'? la v?e de l'isle de Java, o? nous essuy?mes encore une temp?te si violente, qu'elle nous for?a d'entrer dans le D?troit de la Sonde, & de rel?cher ? Bantam. Cette Ville, o? les Hollandois ont une forte Garnison qui tient le Roi & tout le Pa?s sous leur ob??ssance, est situ?e au pied d'une charmante Colline, d'o? sortent trois Rivi?res, qui servent ? la fortifier autant qu'? l'embellir. L'une passe au milieu de la Ville, & les deux autres coulent au long des murailles. La nuit ?toit fort avanc?e lorsque nous nous pr?sent?mes ? l'entr?e du Port. Quoique tout y par?t tranquille, je fus surpris qu'? la premi?re nouvelle de notre arriv?e il se fit tout d'un coup un bruit ?pouvantable dont on m'expliqua aussi-t?t la cause. Les Insulaires n'ayant point de cloches se fervent, pour avertir le Public, de plusieurs tambours d'une extr?me grosseur, qu'ils battent avec de grosses barres de fer. Ils ont aussi des bassins de cuivre qu'ils battent par mesure, & sur lesquels ils forment un carillon fort harmonieux. Toutes les personnes de qualit? entretiennent un Corps de Garde ? l'entr?e de leur Maison, form? de plusieurs Esclaves, qui veillent la nuit pour la s?ret? de leur Ma?tre. Ainsi ? la moindre allarme, toute la Ville est r?veill?e par un bruit extraordinaire; & l'arriv?e de trois Vaisseaux dans une nuit fort obscure, avoit caus? de l'inqui?tude aux Gardes du Port.
Cependant, comme les Hollandois y sont si absolument les ma?tres, que les autres Peuples n'y peuvent aborder sans leur permission, nous trouv?mes tout le monde empresse ? nous servir. La temp?te avoit encore maltrait? furieusement un de nos Vaisseaux, & quelques Marchands Hollandois de Bantam ?toient interess?s dans notre carguaison. C'?toient deux raisons de nous y arr?ter. Un de nos trois Capitaines partit le lendemain pour se rendre par terre ? Batavia. J'?tois le ma?tre de partir avec lui; mais rien ne me for?ant ? cette diligence, je me fis un amusement de voir Bantam, pour commencer ? conno?tre les Indiens.
Le jour ?tant venu nous ?clairer, je fus frapp? du spectacle de la Ville, qui forme une perspective extr?mement riante. Un m?lange de Maisons peintes, s?par?es par des Jardins plant?s de cocos, & distingu?es par un grand nombre de petites Tours b?ties sur differens modeles, furent le premier objet qui fixa mes yeux. Mais en les ramenant sur le rivage, je reconnus la mani?re de Hollande dans un grand nombre d'?difices, & l'on m'apprit, pour m'expliquer cette diff?rence, que tous les ?trangers c'est-?-dire les Hollandois, les Chinois, les Malays, les Abissins, & quantit? d'autres Marchands qui se sont ?tablis ? Bantam, ont leur demeure hors de la Ville. Chacun s'est b?ti dans le go?t; de sa Nation, ce qui donne une variet? fort agr?able aux Fauxbourgs, qui sont d'une grande ?tendu?. La facilit? que nous e?mes ? nous procurer tous nos besoins, me fit conno?tre tout ? la fois, que Bantam est un lieu d'abondance, & que les Hollandois y sont fort respect?s. Je m'informai d'abord s'il n'y avoit aucun Anglois. On m'en nomma deux, dont l'un y vivoit depuis plus de 20 ans, & jouissoit d'une fortune ais?e. L'autre y avoit ?t? conduit depuis quelques mois pat des avantures qui n'ont point de rapport ? mon r?cit, & ne se soutenoit que par son esprit & son adresse. Comme il ne manquoit point de se trouver au Port, ? l'arriv?e de chaque Vaisseau, pour y chercher l'occasion d'employer ses talens, il apprit de quelques gens de notre ?quipage que j'?tois de sa Nation, & je le vis empress? ? m'offrir ses services avant que j'eusse pens? ? les lui demander. C'?toit d'un Hollandois de Bantam que j'avois d?j? s? qui il ?toit; & le caract?re qu'on lui attribuoit n'avoit p? m'inspirer beaucoup de confiance. Cependant je re??s ses offres, pour me servir de lui du moins comme d'un guide. Sa curiosit? sur mes affaires & ses questions pressantes sur les motifs de mon Voyage, ne me donn?rent point toute l'ouverture qu'il souhaitoit de me trouver. Il me fit valoir les connoissances qu'il s'?toit faites dans le Pa?s; & si je m'en ?tois rapport? ? lui d?s les premiers momens, je lui aurois abandonn? ma conduite & le soin de tous mes inter?ts.
J'avois pris une meilleure opinion de M. King, qui ?toit l'autre Anglois dont on m'avoit parl?. Je br?lois de le voir, moins pour employer son secours, qui m'?toit inutile ? Bantam, que pour me faire un ami dont la societ? me f?t agr?able. Je demandai ? celui qui m'avoit pr?venu s'il pouvoit me procurer sa connoissance. Loin de me r?pondre avec la m?me ardeur, il re?ut si froidement cette proposition, que je d?couvris tout d'un coup qu'ils ?toient mal ensemble. Ma d?fiance augmentant pour lui, je le quittai honn?tement, avec le dessein de ne le revoit qu'apr?s avoir entretenu M. King. Je me fis conduire chez lui, d?s le m?me jour, par un Hollandois. Il me re?ut avec beaucoup de civilit?s. Sa femme, qui ?toit Angloise aussi, ne se lassoit point de remercier le Ciel qui lui accordoit la douceur de revoir un homme de son Pa?s. J'en pris occasion de leur demander s'ils ne recevoient pas la m?me consolation de M. Fleet, avec lequel je leur appris que j'avois d?ja quelque liaison. Ils ne m'en rendirent pas un meilleur t?moignage que le premier Hollandois qui m'en avoit parl?, & je demeurai convaincu que c'?toit un homme dangereux.
Apr?s avoir entendu le r?cit de mes affaires, M. King me pressa de prendre un logement chez lui pendant le s?jour que je voulois faire ? Bantam. Je me rendis ? ses invitations. Il ne se flatoit point, en m'assurant que sa conduite & l'usage qu'il faisoit de son bien, lui avoient attir? une ?gale consid?ration parmi les Indiens & les ?trangers. Je le reconnus d?s le lendemain aux caresses qu'il re?ut dans la Ville, & que sa protection me fit partager avec lui. Nous trouv?mes en y entrant, le Peuple fort ?m?, pour l'ex?cution d'un Criminel qui avoit tu? fort l?chement une femme, & qui venoit d'?tre condamn? au supplice. M. King m'apprit les formalit?s de leur justice, qui sont fort simples & fort courtes. Le Magistrat a son Si?ge dans la cour du Palais royal, o? les Parties comparoissent sans Procureurs & sans Avocats. Si l'accusation est capitale, on amene le Criminel, & les Accusateurs le suivent avec les T?moins. On expose le crime dans toutes ses circonstances. Les T?moins le confirment, & le Jugement succ?de aussi-t?t. Il n'y a qu'un seul supplice pour tous les crimes qui m?ritent la mort. On attache le Coupable ? un poteau, & on le tu? d'un coup de poignard. Les ?trangers ont ce privil?ge, que pourv? qu'ils n'aient point tu? de sang froid & de guet ? pan, ils ?vitent la mort en satisfaisant ? la Partie civile. J'eus la curiosit? d'assister ? l'ex?cution. La foule nous ouvrit le passage en reconnoissant ? mes habits que j'?tois arriv? nouvellement. Le Criminel ?toit d?ja livr? ? l'Ex?cuteur, qui s'approchoit avec lui du poteau. Il avoit les mains li?es, la t?te nu?, & ses grimaces me firent juger qu'il n'alloit pas recevoir la mort avec plus de noblesse, qu'il ne l'avoit donn?e. Cependant la scene fut si prompte, que sa crainte ne le fit pas souffrir long-tems. J'admirai le silence du Peuple pendant l'ex?cution, & l'air de tristesse que chacun emportoit en se retirant.
Le Moyetan nous fit entrer dans un autre sallon, moins grand, mais beaucoup plus orn? que le premier. Nous y trouv?mes les Officiers de la Garde int?rieure, v?tus dans la m?me forme que leurs Soldats, mais d'une ?toffe fort riche. Le fond en ?toit de soye, entrem?l?e d'un tissu d'or qui serpentoit en diff?rentes figures. Ils avoient ? la main, au lieu de zagaye, une espece de dard plus court, orn? d'or au lieu de fer. Une cl? que le Moyetan portoit ? sa ceinture, & qui est le signe de la faveur pour tous les Grands de l'?tat, nous ouvrit une porte dor?e, par laquelle nous entr?mes dans un long appartement. Les murs en ?toient ou dor?s comme la porte, ou couverts par intervalles d'un fort beau verni, qui repr?sentoit diverses figures d'animaux & quelques pa?sages mal dessin?s. Je ne parle que des trois premi?res chambres; car les suivantes & plusieurs cabinets, qui me parurent fort bien distribu?s, ?toient tapiss?s d'?toffes dont la beaut? exciteroit de l'admiration, si le dessein en ?toit aussi r?gulier que le fond & les couleurs en sont magnifiques. La pl?part de ces pi?ces ?toient sans si?ges, ? la r?serve de quelques sofas, & d'un grand nombre de coussins qui ?toient en pile dans les coins de chaque chambre. Il ne se pr?senta point un seul Esclave dans notre marche. M. King, ? qui je demandai la cause de cette solitude, me dit que dans tous les appartemens du Roi, il n'y avoit point habituellement dix domestiques. Le gros des Officiers qui le servent, est dans un quartier s?par?; & ceux qui demeurent plus pr?s de sa personne n'y sont que pour avertir au premier signe celui dont le Roi demande quelque service.
La cour o? la v?e donnoit par les fen?tres, ?toit une esp?ce de jardin, distribu? en all?es, & rempli de caisses qui contenoient diff?rens arbrisseaux. Au fond l'on voyoit une grille, perc?e en arcades, qui donnoient passage dans un jardin beaucoup plus grand, & qui laissoient appercevoir deux a?les de b?timens dont mes yeux ne purent mesurer l'?tendu?. M. King me dit qu'il n'?toit permis ? personne de passer cette grille, si l'on n'?toit appell? par un ordre expr?s du Roi. L'appartement qu'il habite est dans l'une des deux a?les; l'autre est habit? par ses femmes. Des deux c?t?s, il y a d'autres cours par derriere, qui servent au logement des domestiques, & qui ont leur entr?e par d'autres portes du Palais. On n'y trouve ni salles pour les Conseils, ni m?me aucun appartement pour les Audiences. L'usage ancien du Pa?s, est que le Roi convoque l'assembl?e de ses Conseillers dans une plaine voisine de la Ville, o? l'on traite les plus grandes affaires de l'?tat. Il est vrai qu'il y en a peu d'importantes depuis que les Hollandois tiennent le Pa?s & la Capitale m?me en bride par leurs Garnisons. Ainsi, le Roi de Bantam n'a qu'une autorit? d?pendante qui ressemble peu au Pouvoir Souverain; & comme il est le plus puissant de tous les Princes Indiens de l'Isle, on peut se former l?-dessus une juste id?e des autres.
Rien ne me parut plus curieux & plus agr?able dans son Palais qu'une grande Voliere o? l'on a rassembl? toutes les especes d'Oiseaux qui sont connus dans les Indes. La vari?t? de leurs figures & de leurs plumages forme un spectacle dont mes yeux ne pouvoient se rassasier. D'ailleurs, la Voliere est si belle qu'on la prendroit pour un Temple magnifique. Elle est ? l'extr?mit? du quartier des Femmes, pour leur servir d'amusement. Notre Guide avertit M. King dans cet endroit, qu'il ne pouvoit nous faire p?n?trer plus loin. Mais il nous accorda par diff?rentes ouvertures la v?? des Jardins, o? je remarquai beaucoup plus de beaut?s en Cabinets vernis & en Treillages, qu'en All?es, en Fleurs & en Parterres. La pl?part des Arbres n'y sont que des Cocos. Les Arbrisseaux & les Plantes ont besoin d'?tre renouvell?s trop souvent dans un climat si chaud, & demandent autant de soins pour ?tre garantis des ardeurs du Soleil, qu'on en apporte dans l'Europe ? les d?fendre du froid. Les trois Rivi?res qui arrosent la Ville fournissent n?anmoins de l'eau en abondance ? toutes les parties du Jardin, & secondent l'Art des Jardiniers. Mais en g?n?ral, si les Jardins des Indes contiennent des ornemens plus pr?cieux que les n?tres, ils n'en approchent point pour l'ordre & l'agr?ment.
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