Read Ebook: Picounoc le maudit by Lemay Pamphile
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Ebook has 3888 lines and 110440 words, and 78 pages
--Tu plaisantes, Paul; qui t'a racont? ces histoires? As-tu jamais connu son p?re? Personne dans la paroisse n'a jamais su son nom!
--Agla?, te souviens-tu de ce vieillard qui fut trouv? mort, l'an dernier, sous les d?combres de la cave ? patates de Joseph Letellier, et qui fut enterr?, comme un chien, dans le ruisseau?
--Eh bien?
--Eh bien! ce vieillard, un chef de voleurs, un assassin, un maudit lui-m?me--ce vieillard ?tait le p?re de Picounoc.
--Mon Dieu! est-ce vrai? s'?cria la jeune fille en joignant les mains.
--Dieu m'entend: je dis la v?rit?. Et tu sais qu'une femme qui n'a jamais laiss? ses habits de deuil, est morte quelques mois apr?s, d'une maladie ?trange que le m?decin n'a pas connue. Cette femme, c'?tait la veuve du chef des voleurs, la m?re de Picounoc, la maladie, c'?tait la honte et la douleur.
--C'est affreux ce que tu me dis l?; mais toi, tu vas bien ?pouser la fille et la soeur d'un maudit, pourquoi ne crains-tu pas pour toi-m?me le malheur que tu m'annonces?
--Non, Agla?; c'est fini entre Emm?lie et moi.
--Vraiment?
--Elle va mourir la pauvre enfant, car le mal qui a tu? sa m?re l'emporte elle aussi. Avant six mois, peut-?tre, elle sera dans la tombe. Pauvre Emm?lie!
Et une larme roula dans les yeux de l'ex-?l?ve.
--Ce n'est donc pas ? cause de la mal?diction qui p?se sur elle que tu ne la prends pas pour femme? reprit Agla?, contente d'affaiblir l'argument de son ami.
--J'avoue que je l'aime tant.... Et puis c'est une fille vertueuse que la mal?diction de son p?re n'a pas voulu atteindre, tandis que son fr?re.... Si tu l'avais connu comme moi alors qu'il ?tait dans les chantiers!
--J'aime aussi moi, murmura la jeune fille. Et, comme honteuse de cet aveu, elle reprit: J'en parlerai ? mon confesseur. Adieu, Paul, merci de tes conseils.
Paul Hamel venait de Deschambeault pour voir Djos son ami de chantier. Joseph Letellier s'appelait toujours Djos pour les intimes. Quelquefois encore on l'appelait le p?lerin.
Agla? descendait la route jet?e comme un trait d'union entre la concession et le bord de l'eau. Elle ?tait pensive, car les paroles de l'ex-?l?ve l'avaient troubl?e. Elle aima Picounoc de toute son ?me, et l'id?e de renoncer ? son amour la jetait dans une v?ritable prostration. Bonne enfant, simple un peu, elle croyait tout ce qu'on lui disait, et passait facilement du plaisir ? la peine, du d?sespoir ? l'esp?rance. Comme une terre facile ? p?trir, elle recevait toute esp?ce d'impressions en un moment. Elle n'avait pas d'?nergie et ne luttait que faiblement contre elle m?me et contre les autres. L'astucieux Picounoc exer?ait un grand ascendant sur son esprit, et il ?tait le ma?tre de son coeur. Il le savait bien, et voil? pourquoi il ne se g?nait nullement de se d?masquer devant ses amis. Depuis son arriv?e dans la paroisse il avait demeur? avec sa m?re; mais ? la mort de celle-ci, il se trouva seul avec sa soeur. Il e?t vite fait de s'?tablir ma?tre dans la maison, et de tout conduire ? sa guise: au reste, il se sentit tout ? coup pris du d?sir d'amasser et se montra fort ?conome. Emm?lie ne le contrariait jamais, et ne paraissait pas savoir qu'elle avait droit ? la moiti? du petit h?ritage. La mort de sa m?re l'avait laiss?e bien seule au monde,--car ce fr?re, ? peine connu et si mal ?lev?, n'?tait encore qu'un ?tranger pour elle. N'eut ?t? son amour pour l'ex-?l?ve, elle aurait d?sir? mourir. Les amis et les voisins, remarquant avec inqui?tude les ravages de la peine sur son front candide, s'efforc?rent de la distraire; mais elle ne voulut pas ?tre consol?e, et elle se complut dans son amertume. Les personnes qui aiment et souffrent, refusent souvent les consolations. On dirait que la souffrance et l'amour sont ins?parables, et se plaisent ensemble. Une derni?re goutte de fiel vint faire d?border la coupe. Un jour elle apprit que les parents de l'ex-?l?ve ne se souciaient pas de la recevoir dans leur famille; ? cause de l'ignominie de son p?re. Car le myst?re qui avait plan? sur le chef des brigands s'?tait d?voil? pour plusieurs; et, bien que, par respect pour la femme et la fille de ce bandit, l'on eut g?n?ralement gard? le secret, cependant quelques langues furent indiscr?tes. Emm?lie se sentit mortellement bless?e. J'en mourrai, pensa-t-elle, mais jamais je ne l'exposerai ? rougir de moi... ou de l'a?eul de ses enfants.... J'en mourrai, qu'importe?... Et en effet, elle inclinait vers la tombe. Picounoc la voyait s'?teindre rapidement, et supputait ce que sa mort lui rapporterait. Il ?tait d?j? mordu de l'avarice. C'est en songeant ? ces choses et ? la dot d'Agla?, qu'il sarclait les all?es du jardin attenant ? la maison de sa d?funte m?re. L'ex-?l?ve, qui avait pass? par l? tout ? l'heure, l'arracha un instant ? ses r?ves d'envie. Il se remit au travail, puis, s'arr?ta de nouveau.
--J'ai fait une b?tise, pensa-t-il: je n'aurais pas d? parler ainsi ? Paul. Il est capable de r?p?ter mes paroles ? Agla?, et qui sait?... Les femmes sont si capricieuses!... Pr?venons les coups: allons voir notre future. Devant moi, Paul sera muet comme une carpe.... Pourtant, qu'ai-je ? craindre? Agla? croit tout ce que je lui dis.... La ch?re enfant, comme elle est b?te!... Si j'allais perdre la terre!... et les chevaux! et les b?tes ? cornes!... Vite, un brin de toilette et filons!
Apr?s ce monologue, Picounoc laisse tomber sa gratte dans l'all?e, entre, se passe un linge tremp? sur la figure, un peigne dans les cheveux, met un col blanc, une cravate rouge et tout ce qu'il faut pour ?tre faraud, puis il part ? pied. Il marchait vite. Quand il fut au bas de la route, il vit se dessiner, sur le coteau, vers le milieu, la silhouette d'une femme qui descendait. Bient?t la distance entre cette femme et lui fut courte, et il reconnut Agla?. De son c?t? la jeune fille avait vite reconnu le grand et sec gaillard qu'elle adorait. Elle baissa la t?te et simula une tristesse profonde.
--J'allais au devant de toi, Agla?, dit Picounoc en souriant.
La bonne fille leva sur lui un regard plein de reproches.
--Allons! tu n'es pas gaie, ce soir; conte moi ton chagrin, ma belle, tu sais que j'aime ? te consoler, continua le cynique gar?on.
--As-tu vu Paul Hamel? demanda Agla?.
Picounoc, malgr? son effronterie, demeura un moment sans r?pondre.
--As-tu vu l'ex-?l?ve? r?it?ra la jeune fille.
--Pourquoi cette demande?
--Tu le sais bien.
--Comme te voil? myst?rieuse Agla?, o? vas-tu? je t'accompagne....
--Je m'en vais ? l'?glise.
--Alors je m'en retourne avec toi.
--Rends-toi donc au village.... Tu vas voir ta terre sans doute....
--Ma terre?... Je ne te comprends pas.... J'allais te voir.
--Me voir?... Je sais tout, va! l'ex-?l?ve m'a tout dit.
--L'ex-?l?ve! l'ex-?l?ve! ne le connais-tu pas encore? Tu sais bien que c'est un farceur qui dit tout ce qui lui passe par la t?te.
--Il m'a rapport? ce que tu lui as confi? il y a un instant. Tu ne m'aimes point, Picounoc....
La pauvre enfant avait des larmes dans la voix.
--Voil? qui est dr?le. Je l'ai ? peine vu, et ne lui ai dit qu'un mot en passant. Je l'ai pri? de m'attendre pour monter au village, je voulais achever de sarcler mon jardin. Il m'a r?pondu qu'il ?tait trop press?. Je comprends ses motifs maintenant. Il voulait te voir avant mon arriv?e.... Il avait une mauvaise action ? faire: calomnier son meilleur ami. Sais-tu pourquoi? Il est jaloux, il t'aime et veut faire manquer notre mariage. Le mis?rable!... Ma soeur l'a remerci?, tu sais, et....
--Oui, vrai comme tu es l?!... et il veut se venger sur moi.
--Il m'a dit en effet, que tout est fini entre elle et lui.
--Tu vois bien, ma ch?re Agla?, que je te dis la v?rit?, et que lui, le tra?tre, il me calomnie. Viens! marchons ensemble; conte-moi tout; je ne crains rien, et nos ennemis travaillent en pure perte. Ils ne r?ussiront jamais ? m'?loigner de toi, Agla?, car je t'aime.
--Tu m'aimes! Ah! si c'?tait vrai! Il dit, lui, que c'est pour avoir ma terre que tu m'?pouses et que te ne te soucies que fort peu de moi.
En parlant ainsi les deux fianc?s suivirent, c?te ? c?te, le bord du chemin qui conduit ? l'?glise.
--Il dit cela, le mis?rable! il ose parler ainsi? Il me le paiera, je le jure! S'il a le malheur de remettre les pieds ? la maison, gare ? lui!
--Il avait bien l'air d'un homme qui ne ment pas.
--L'hypocrite! Les hypocrites, Agla?, ce sont les plus dangereux de tous les m?chants, parce qu'ils ont l'air bon et que l'on ne se d?fie pas d'eux.... Dire que je t'?pouse pour ton bien, quel mensonge! Tiens! renonce ? ta dot; je veux t'?pouser pauvre afin que tu saches bien comme je t'aime. Moi, passer pour un avare, pour un gar?on trompeur et malhonn?te!... ah! tu me causes de la peine, Agla?! Je n'ai donc plus ta confiance? Tu crois donc que l'ex-?l?ve est plus franc que moi?... Agla?, si quelque jeune fille venait me dire du mal de toi, je les.... Ah! c'est affreux....
Et la voix nasillarde de Picounoc ?tait devenue sifflante comme une voix de vip?re. Agla? renaissait ? la confiance, et se trouvait heureuse de pouvoir douter de la bonne foi de l'ex-?l?ve. Les larmes qui avaient voil? ses yeux se dess?ch?rent vite, et, quand elle arriva ? l'?glise, elle ?tait toute joyeuse.
Picounoc revint chez lui fier de son nouveau succ?s. Il alla s'asseoir sur le bord de la c?te afin de n'?tre pas d?rang? dans sa r?verie, car il voulait r?ver. Parfois, dans son ardeur, il parlait seul, et des oreilles indiscr?tes auraient pu recueillir ces lambeaux de phrases.
--La simple qu'elle est!... comme elle se laisse prendre!...
--C'est une affaire magnifique!... une terre de quatre arpents....
--Si je pouvais me d?barrasser de la b?te apr?s!...
--No?mie! No?mie! C'est toi que j'aime!...
Sa voix devenait ardente. Elle ?tait plus sombre quand elle pronon?ait:
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