bell notificationshomepageloginedit profileclubsdmBox

Read Ebook: Le secrétaire intime by Sand George

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

Ebook has 1081 lines and 63187 words, and 22 pages

<

--Bah! dit le commis en relevant sa moustache blonde et en se donnant l'air d?daigneux d'un homme qui n'a rien de neuf ? apprendre dans l'univers, la princesse Quintilia Cavalcanti? Je ne m'en soucie gu?re; une princesse comme tant d'autres! Race italienne crois?e allemande. Elle ?tait riche; on lui a fait ?pouser je ne sais quel principicule d'Autriche, qui a consenti pour obtenir sa fortune ? ne pas lui donner son nom. Ces choses-l? se font en Italie: j'ai pass? par ce pays-l?, et je le connais comme mes poches. Elle vient de Paris et retourne dans ses ?tats. C'est une principaut? esclavone qui peut bien rapporter un million de rente. Bah! qu'est-ce que cela? Nous avons dans le commerce des fortunes plus belles qui font moins d'?talage.

--Mais quel est le caract?re de cette princesse Cavalcanti?

--Son caract?re! dit le commis voyageur d'un ton d'ironie m?prisante; qu'est-ce que vous en voulez faire, de son caract?re?>>

Saint-Julien allait r?pondre lorsque le ma?tre de l'auberge lui frappa sur l'?paule et l'engagea ? sortir un instant avec lui.

<

--Comment, Monsieur?...

--Comment, Monsieur! Son Altesse vous invite ? venir souper avec elle, et vous refusez! Vous ?tes cause que cet excellent abb? Scipion vient d'?tre s?v?rement grond?. La princesse ne veut pas croire qu'il se soit acquitt? convenablement de son message, et s'en prend ? lui de l'affront qu'elle re?oit. Enfin elle m'a command? de venir vous demander une explication de votre conduite.

--Ah! par exemple, voil? qui est trop fort, dit Julien. Il pla?t ? cette dame de me persifler, et je n'aurais pas le droit de m'y refuser!...

--Madame la princesse est fort absolue, dit l'aubergiste ? demi-voix; mais...

--Mais madame la princesse de Cavalcanti peut ?tre absolue tant qu'il lui plaira! s'?cria Saint-Julien. Elle n'est pas ici dans ses ?tats, et je ne sais aucune loi fran?aise qui lui donne le droit de me faire souper de force avec elle...

--Pour l'amour du ciel, Monsieur, ne le prenez pas ainsi. Si madame de Cavalcanti recevait une injure dans ma maison, elle serait capable de n'y plus descendre. Une princesse qui passe ici presque tous les ans, Monsieur! et qui ne s'arr?te pas deux jours sans faire moins de cinq cents francs de d?pense!... Au nom de Dieu, Monsieur, allez, allez souper avec elle. Le souper sera parfait. J'y ai mis la main moi-m?me. Il y a des faisans truff?s que le roi de France ne d?daignerait pas, des gel?es qui...

--Eh! Monsieur, laissez-moi tranquille...

--Vraiment, dit l'aubergiste d'un air constern? en croisant ses mains sur son gros ventre, je ne sais plus comment va le monde, je n'y con?ois rien. Comment! un jeune homme qui refuse de souper avec la plus belle princesse du monde, dans la crainte qu'on ne se moque de lui! Ah! si madame la princesse savait que c'est l? votre motif, c'est pour le coup qu'elle dirait que les Fran?ais sont bien ridicules!

--Au fait, se dit Julien, je suis peut-?tre un grand sot de me m?fier ainsi. Quand on se moquerait de moi, apr?s tout! je t?cherai, s'il en est ainsi, d'avoir ma revanche. Eh bien! dit-il ? l'aubergiste, allez pr?senter mes excuses ? madame la princesse, et dites-lui que j'ob?is ? ses ordres.

--Dieu soit lou?! s'?cria l'aubergiste. Vous ne vous en repentirez pas; vous mangerez les plus belles truites de Vaucluse!...>> Et il s'enfuit transport? de joie.

Saint-Julien, voulant lui donner le temps de faire sa commission, rentra dans la salle des voyageurs. Il remarqua un grand homme p?le, d'une assez belle figure, qui errait autour des tables et qui semblait enregistrer les paroles des autres. Saint-Julien pensa que c'?tait un mouchard, parce qu'il n'avait jamais vu de mouchard, et que, dans son extr?me m?fiance, il prenait tous les curieux pour des espions. Personne cependant n'en avait moins l'air que cet individu. Il ?tait lent, m?lancolique, distrait, et ne semblait pas manquer d'une certaine niaiserie. Au moment o? il passa pr?s de Saint-Julien, il pronon?a entre ses dents, ? deux reprises diff?rentes et en appuyant sur les deux premi?res syllabes, le nom de Quintilia Cavalcanti.

Puis il retourna aupr?s de la table, et fit des questions sur cette princesse Cavalcanti.

<>

Saint-Julien rougit jusqu'aux yeux, et, tournant brusquement le dos, il s'appr?tait ? sortir de la salle; mais l'?tranger, avec une singuli?re insistance, l'arr?ta par le bras, et, le saluant avec la politesse d'un homme qui croit faire une grande concession ? la n?cessit?: <

--Je n'en sais rien, Monsieur, r?pondit Saint-Julien s?chement. Je ne la connais pas du tout.

--Ah! Monsieur, je vous demande mille pardons. On m'avait dit...>>

Saint-Julien le salua brusquement et s'?loigna. Le voyageur p?le revint aupr?s de la table.

<

--Vous m'avez fait faire une b?vue, dit le voyageur p?le ? la personne qui l'avait d'abord adress? ? Saint-Julien.

--Je vous en demande pardon, dit celui-ci. Je croyais avoir vu ce jeune homme sur le si?ge de la voiture.>>

Le commis voyageur, qui ?tait fac?tieux comme tous les commis voyageurs du monde, crut que l'occasion ?tait bien trouv?e de faire ce qu'il appelait une farce. Il savait fort bien que Saint-Julien ne connaissait pas la princesse, puisque c'?tait pr?cis?ment ? lui qu'il avait adress? une question semblable ? celle du voyageur p?le; mais il lui sembla plaisant de faire durer la m?prise de ce dernier.

<

--En effet,>> pensa le voyageur, qui tenait extraordinairement ? satisfaire sa curiosit?. Il prit un louis dans sa bourse et courut apr?s Saint-Julien.

Celui-ci attendait sous le p?ristyle que l'h?te v?nt le chercher pour l'introduire chez la princesse. Le voyageur p?le l'accosta de nouveau, mais plus hardiment que la premi?re fois, et, cherchant sa main, il y glissa la pi?ce de vingt francs.

Saint-Julien, qui ne comprenait rien ? ce geste, prit l'argent, et le regarda en tenant sa main ouverte dans l'attitude d'un homme stup?fait.

<

--Comment! encore? s'?cria Julien furieux en jetant la pi?ce d'or par terre. D?cid?ment ces gens sont fous avec leur princesse Cavalcanti.>>

Il s'enfuit dans la cour, et dans sa col?re il faillit s'enfuir de la maison, pensant que tout le monde ?tait d'accord pour le persifler. En ce moment, l'aubergiste lui prit le bras en lui disant d'un air empress?: <>

Au moment d'entrer dans l'appartement de la princesse, Saint-Julien retrouva cette assurance ? laquelle nous atteignons quand les circonstances forcent notre timidit? dans ses derniers retranchements. Il serra la boucle de sa ceinture, prit d'une main sa barrette, passa l'autre dans ses cheveux, et entra tout r?solu de s'asseoir en blouse de coutil ? la table de madame de Cavalcanti, f?t-elle princesse ou com?dienne.

Elle ?tait debout et marchait dans sa chambre, tout en causant avec ses compagnons de voyage. Lorsqu'elle vit Saint-Julien, elle fit deux pas vers lui, et lui dit:--<

--La mienne, Madame! r?pondit Saint-Julien en l'interrompant sans fa?on, date de l'an mil cent sept.>>

La princesse, qui ne se doutait gu?re des m?fiances de Saint-Julien, partit d'un grand ?clat de rire. L'espi?gle Ginetta, qui ?tait en train d'emporter quelques chiffons de sa ma?tresse, ne put s'emp?cher d'en faire autant; l'abb?, voyant rire la princesse, se mit ? rire sans savoir de quoi il ?tait question. Le seul personnage qui ne par?t pas prendre part ? cette gaiet? fut un grand officier en habit de fantaisie chocolat, sangl? d'or sur la poitrine, emmoustach? jusqu'aux tempes, cambr? comme une danseuse, ?peronn? comme un coq de combat. Il roulait des yeux de faucon en voyant l'aplomb de Saint-Julien et la bonne humeur de la princesse; mais Saint-Julien se fiait si peu ? tout ce qu'il voyait, qu'il s'imagina les voir ?changer des regards d'intelligence.

Saint-Julien se mit ? manger avec assurance et ? regarder avec une apparente libert? d'esprit les personnes qui l'entouraient. <>

La princesse avait coutume, en effet, de faire manger ? sa table, lorsqu'elle ?tait en voyage seulement, ses principaux serviteurs: l'abb?, qui ?tait son secr?taire; la lectrice, du?gne silencieuse qui d?coupait le gibier; l'intendant de sa maison, et m?me la Ginetta, sa favorite; deux autres domestiques d'un rang inf?rieur servaient le repas, deux autres encore aidaient l'aubergiste ? monter le souper. <> Et il la regarda encore, quoiqu'il f?t bien d?senchant? par cette supposition.

Elle ?tait admirablement belle ? la clart? des bougies; le ton de sa peau, un peu bilieux dans le jour, devenait le soir d'une blancheur mate qui ?tait admirable. ? mesure que le souper avan?ait, ses yeux prenaient un ?clat ?blouissant; sa parole ?tait plus br?ve, plus incisive; sa conversation ?tincelait d'esprit; mais, ? l'exception de la Ginetta, qui, en qualit? d'enfant g?t?, mettait son mot partout, et singeait assez bien les airs et le ton de sa ma?tresse, tous les autres convives la secondaient fort mal. La lectrice et l'abb? approuvaient de l'oeil et du sourire toutes ses opinions, et n'osaient ouvrir la bouche. Le premier ?cuyer d'honneur paraissait joindre ? une tr?s-maussade disposition accidentelle une nullit? d'esprit pass?e ? l'?tat chronique. La princesse semblait ?tre en humeur de causer; mais elle faisait de vains efforts pour tirer quelque chose de ce mannequin brod? sur toutes les coutures. Saint-Julien se sentait bien la force de parler avec elle, mais il n'osait pas se livrer. Enfin il prit son parti, et, affrontant ce regard curieusement glacial que chacun laisse tomber en pareille circonstance sur celui qui n'a pas encore parl?, il d?buta par une franche et hardie contradiction ? un aphorisme moqueur de madame Cavalcanti. Sans s'apercevoir qu'il inqui?tait l'?cuyer d'honneur, qui n'entendait pas bien le fran?ais, il s'exprima dans cette langue. La princesse, qui la poss?dait parfaitement, lui r?pondit de m?me, et, pendant un quart d'heure, toute la table ?couta leur dialogue dans un religieux silence.

? vingt ans, on passe rapidement du m?pris ? l'enthousiasme. On est si port? ? augurer favorablement des hommes, qu'on fait immense, exag?r?e, la r?paration qu'on leur accorde ? la moindre apparence de sagesse. Saint-Julien, frapp? du grand sens que la princesse d?ploya dans la discussion, ?tait bien pr?s de tomber dans cet exc?s, quoiqu'il y e?t des instants encore o? l'id?e d'une sc?ne habilement jou?e pour le railler venait faire danser des fant?mes devant ses yeux ?blouis. Il ?tait tent? de prendre toute cette cour italienne pour une troupe de com?diens ambulants. <>

Lucioli, assez m?content d'une mission qui pouvait bien n'?tre qu'un pr?texte pour l'?loigner, n'osa r?sister et sortit.

D?s qu'il fut dehors, l'abb? vint demander ? Son Altesse si elle n'avait rien ? lui commander, et, sur sa r?ponse n?gative, il se retira.

Saint-Julien, ne sachant quelle contenance faire, allait se retirer aussi; mais elle le rappela en lui disant qu'elle avait pris plaisir ? sa conversation, et qu'elle d?sirait causer encore avec lui.

Saint-Julien trembla de la t?te aux pieds. Un sentiment de r?pugnance qui allait jusqu'? l'horreur ?tait le seul qui p?t s'allier ? l'id?e d'une femme d'un rang auguste livr?e ? la galanterie. Il trouvait une telle femme d'autant plus ha?ssable qu'elle ?tait plus ? craindre, entour?e de moyens de s?duction, et l'?me remplie de tra?trise et d'habilet?. Il regarda fixement la princesse italienne, et se tint debout aupr?s de la porte, dans une attitude hautaine et froide.

La princesse Cavalcanti ne parut pas y faire attention; elle fit un signe ? Ginetta et remit un volume ? la lectrice. Aussit?t la soubrette reparut avec une toilette portative en laque japonaise qu'elle dressa sur une table. Elle tira d'un sac de velours brod? un ?norme peigne d'?caille blonde incrust? d'or; et, d?tachant la r?sille de soie qui retenait les cheveux de sa ma?tresse, elle se mit ? la peigner, mais lentement, et d'une fa?on insolente et coquette, qui semblait n'avoir pas d'autre but que d'?taler aux yeux de Saint-Julien le luxe de cette magnifique chevelure.

Au fait, il n'en existait peut-?tre pas de plus belle en Europe. Elle ?tait d'un noir de corbeau, lisse, ?gale, si luisante sur les tempes qu'on en e?t pris le double bandeau pour un satin brillant; si longue et si ?paisse qu'elle tombait jusqu'? terre et couvrait toute la taille comme un manteau. Saint-Julien n'avait rien vu de semblable, si ce n'est dans ses ?lucubrations fantastiques. Le peigne dor? de la Ginetta se jouait en ?clairs dans ce fleuve d'?b?ne, tant?t faisant voltiger les l?g?res tresses sur les ?paules de la princesse, tant?t posant sur sa poitrine de grandes masses semblables ? des ?charpes de jais; et puis, rassemblant tout ce tr?sor sous son peigne immense, elle le faisait ruisseler aux lumi?res comme un flot d'encre.

Avec sa tunique de damas jaune, brod?e tout autour de laine rouge, sa jupe et son pantalon de mousseline blanche, sa ceinture en torsade de soie, li?e autour des reins et tombant jusqu'aux genoux; avec ses babouches brod?es, ses larges manches ouvertes et sa chevelure flottante, la riche Quintilia ressemblait ? une princesse grecque. Ianth?, Ha?d?, n'eussent pas ?t? des noms trop po?tiques pour cette beaut? orientale du type le plus pur.

Pendant cette toilette inutile et voluptueuse, la du?gne lisait, et la princesse semblait ne pas ?couter, occup?e qu'elle ?tait d'?ter et de remettre ses bagues, de nettoyer ses ongles avec une cr?me parfum?e et de les essuyer avec une batiste garnie de dentelles.

Saint-Julien ne pouvait pas la regarder sans une admiration qu'il combattait en vain. Pour conjurer l'enchanteresse, il e?t voulu ?couter la lecture. C'?tait un livre allemand qu'il n'entendait pas.

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

 

Back to top